Yukos : l’arme contre l’État russe | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it


Yukos : l’arme contre l’État russe

Par Karine Bechet-Golovko (*)

 

L’ombre de M. Khodorkovsky continue à planer sur la politique russe et surtout continue à être instrumentalisée par la communauté internationale. Les affaires Yukos n’en finissent pas de discréditer la justice et la communauté internationale. Ne parlons même pas de l’Europe. Il y a un an de cela environ nous avions déjà écrit ici au sujet des dangers de la politisation de la justice, notamment au niveau international. Ces juridictions devenant de nouvelles armes géopolitiques.

 

Vous pouvez relire ici « Affaire Yukos : La Russie vient de s’offrir une leçon à 50 millions de dollars » et ici « Affaire Yukos suite : la CEDH et la privatisation de la justice ».

 

Mais revenons à nos moutons, qui se sont fait rôtir à point et sont prêts à consommer. Une décision deviendrait exécutoire – on a du mal à déterminer laquelle des deux de celle de l’arbitrage de La Haye ou de la CEDH —, elle le serait en Belgique par une société privée (et oui) et entrainerait donc le blocage des actifs des … missions diplomatiques russes et des médias.

 

En fait, c’est d’une logique imparable. Enfin, si l’on ne s’occupe pas de questions juridiques.

 

 

Première confusion

 

Le 17 juin, une compagnie privée d’huissiers de justice décide de bloquer les actifs de l’État russe en Belgique en application du procès devant l’arbitrage de La Haye. Pour une somme d’un peu plus d’un milliard. Ce qui correspond en fait plus à la somme en jeu devant la CEDH.

 

Mais comme la CEDH n’a pas le droit de prendre des mesures d’exécution forcée à l’encontre des États, le processus étant éminemment politique, la Cour européenne annonce de suite n’être strictement pour rien dans cette mesure.

 

Donc le montant demandé est étrange. Et finalement, dans les publications ultérieures, la Belgique parle de 50 milliards. Donc on en revient à la décision du tribunal arbitral de La Haye ce qui finit par être écrit.

 

Or, sauf erreur, la Russie a fait appel de cette décision. L’appel est en cours. Et l’appel est suspensif… Étrange.

 

 

Deuxième confusion

 

Afin de se payer sur la bête, car il n’y a pas d’autres mots, les actionnaires de Yukos sont largement appuyés par les États européens, surtout la Belgique et la France. Pourtant, la manière dont les actifs sont sélectionnés laisse songeur. Juste un détail, rappelons quand même que la CEDH, dans le premier procès Yukos avait reconnu que l’action en justice de l’État russe contre la compagnie pétrolière était fondée et non politique. Mais passons, les temps changent.

 

Donc, les temps ayant changé, il faut, d’une part, rabaisser la Russie pour toucher à l’image même de l’État qui, lui, doit être montré comme un État voyou. D’autre part, toujours en terme de communication, c’est une occasion en or pour toucher les médias, dans cette guerre de l’information qui fait rage.

 

Et que voit-on, ô suprise.

 

Afin de toucher l’image de l’État russe en tant que tel, les actifs de l’Église orthodoxe en Belgique sont touchés, Église qui fait appel de cette décision. Car l’orthodoxie est bien à la source, au socle de cet État qui se refuse au néolibéralisme mondialisé et déraciné et donc au rejet des fondements. Le tout se voulant assorti d’une gifle : le blocage des comptes des missions diplomatiques russes en Belgique. Immédiatement, le Kremlin a réagi, dans ce cas il y aura une réponse analogue.

 

Sans même parler de la négation du droit international, qui s’applique aux États alors que le but est aussi de montrer que justement c’est permis contre la Russie, qu’il ne s’agit pas d’une violation des conventions protégeant les missions diplomatiques, car il ne s’agirait même pas d’un État. Sans même parler de ce nihilisme juridique des États européens qui n’est que le signe d’une négation de soi-même. Le résultat est clair : ces pays tant civilisés ne comprennent plus que le langage de la force. Car immédiatement après la menace de mesures de rétorsion, la Belgique fait marche arrière. Et de manière stupide. Le ministre des Affaires étrangères belge se disant navré de la tournure des évènements bloque la situation, les comptes seront à nouveau ouverts… et la législation belge sera modifiée pour intégrer la norme interdisant de toucher aux comptes de missions diplomatiques. C’est stupide et ridicule, cette norme découlant déjà des conventions internationales applicables en Europe. Mais il n’a pas trouvé mieux pour sortir de la situation.

 

Il est dès lors possible d’en tirer une leçon beaucoup plus générale. Si la Russie avait immédiatement adopté des mesures équivalentes contre les pays européens lors des toutes premières sanctions économiques, celles-ci n’auraient pas duré plus d’une semaine.

 

Les deuxièmes types d’actifs touchés sont ceux des médias. Les bruits avaient commencé à circuler que Russia Today était touché. En fait, il s’agit des grosses agences de presse Rossia sevodnia et Itar-Tass. C’est pratique et ça tombe bien, car l’information russe dérange, surtout lorsque des sites en français ont l’outrecuidance de ne pas reprendre les mêmes informations que l’AFP.

 

En fait de mesures de rétorsion, la Russie va-t-elle toucher l’AFP ? Je serais curieuse de voir ce que ça donnerait

 

 

 

Par Karine Bechet-Golovko (*) - russiepolitics.blogspot.ru - reseauinternational.net – le 23 juin 2015.

 

(*) Karine Bechet-Golovko est une Française et une experte en droit russe, professeur invité à la faculté de droit l’Université d’État de Moscou Lomonossov). Elle anime le blog RussiePolitics dédié à l’analyse politico-juridique de l’actualité en Russie.

 

 

 

NDLGazette :


Pour disposer de plus amples informations à ce sujet, veuillez consulter les articles suivants :


— « Saisie d’avoirs russes en Belgique : « Nous allons défendre nos intérêts », affirme Poutine

.

 « La Belgique débloque les comptes de la représentation russe » ici