Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL
686.4K views | +0 today
Follow
Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL
La Gazette des campus de LLN et de WSL-UCL ainsi que diverses infos intéressantes visant la vérité ou l'autre vérité (qui que ce soit qui la dise, mais sans forcément prôner l'auteur).  -  Duc
Curated by Koter Info
Your new post is loading...
Your new post is loading...
Scooped by Koter Info
Scoop.it!

La Turquie en danger

La Turquie en danger | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : M. Erdoğan a perdu le contrôle de la situation.


La Turquie en danger

Par Thierry Meyssan (*)


Alors que la presse occidentale salue l’autorisation faite par la Turquie aux États-Unis d’utiliser ses bases militaires pour combattre Daesh, Thierry Meyssan observe les tensions internes de ce pays. Selon lui, le maintien de M. Erdoğan au pouvoir comme l’absence de nouvelle majorité lors des prochaines élections législatives conduiront sans délai à la guerre civile.


Depuis une quinzaine d’années, George Friedman, le fondateur de l’agence de renseignement privée Stratfor, persuade les dirigeants occidentaux que les BRICS ne joueront pas de rôle important au XXIe siècle, mais que la Turquie islamique y parviendra [1]. Friedman est un ancien collaborateur d’Andrew Marshall, le stratège du Pentagone de 1973 à 2015 [2].


La propagande en faveur de l’islamisme turc, comme modèle économique et politique, a été renforcée par le patronat islamique turc via certaines personnalités françaises qui se sont laissées corrompre (Anne Lauvergeon, Alexandre Adler, Joachim Bitterlich, Hélène Conway-Mouret, Jean-François Copé, Henri de Castries, Augustin de Romanet, Laurence Dumont, Claude Fischer, Stéphane Fouks, Bernard Guetta, Élisabeth Guigou, Hubert Haenel, Jean-Pierre Jouyet, Alain Juppé, Pierre Lellouche, Gérard Mestrallet, Thierry de Montbrial, Pierre Moscovici, Philippe Petitcolin, Alain Richard, Michel Rocard, Daniel Rondeau, Bernard Soulage, Catherine Tasca, Denis Verret, Wilfried Verstraete, pour ne citer qu’eux).

Pourtant, la Turquie est aujourd’hui au bord de l’implosion au point que sa survie, en tant qu’État, est directement menacée.



Le projet de démantèlement de la Turquie


En 2001, les stratèges straussiens du département de la Défense envisageaient un remodelage du « Moyen-Orient élargi » qui prévoyait la division de la Turquie au profit d’un Kurdistan indépendant, réunissant les Kurdes de l’actuelle Turquie, ceux d’Irak et d’Iran. Ce projet supposait la sortie de la Turquie de l’OTAN, la réconciliation de tribus kurdes que tout sépare — y compris la langue — et des déplacements considérables de population. Le colonel Ralph Peters a évoqué ce plan dans un article de Parameters dès 2001, avant d’en publier la carte, en 2005. Peters est un élève de Robert Strausz-Hupé, l’ancien ambassadeur des États-Unis à Ankara et le théoricien du Novus orbis terranum (le « Nouvel ordre mondial ») [3].


Ce projet insensé a refait surface, il y a un mois, avec l’accord israélo-saoudien négocié en marge des pourparlers 5+1 sur le nucléaire iranien [4]. Tel-Aviv et Riyad comptaient sur la Turquie pour renverser la République arabe syrienne. En effet, Ankara s’était fermement engagé dans ce sens lorsque l’OTAN avait terminé le transfert du LandCom (commandement joint des Forces terrestres) à Izmir, en juillet 2013 [5]. Désemparé par la passivité états-unienne, M. Erdoğan avait alors organisé sous faux drapeau le bombardement chimique de la Ghouta pour contraindre l’OTAN à intervenir. Mais en vain. Il avait récidivé, un an plus tard, en promettant d’utiliser la Coalition internationale anti-Daesh pour prendre Damas. Israël et l’Arabie saoudite qui ont fait les frais de ces promesses non tenues n’auront aucune retenue à provoquer la guerre civile en Turquie.



Le changement de politique à Washington


Cependant, deux éléments semblent s’opposer au démantèlement de la Turquie.


Premièrement, le secrétariat à la Défense lui-même. Depuis le départ d’Andrew Marshall, le nouveau stratège, le colonel James H. Baker, n’est pas un straussien. Il raisonne dans le cadre des principes de la paix de Westphalie et oriente le Pentagone vers une confrontation de type Guerre froide [6]. La vision de Baker correspond à celle de la nouvelle National Military Strategy [7]. En outre, elle est partagée par le nouveau chef d’état-major interarmes, le général Joseph Dundord [8]. En d’autres termes, le Pentagone aurait abandonné la « stratégie du chaos » [9] et souhaiterait désormais s’appuyer à nouveau sur des États.


Deuxièmement, préoccupée par le possible déplacement de l’Émirat islamique (« Daesh ») du Levant vers le Caucase, la Russie a négocié — avec l’accord de Washington — un accord entre  la Syrie (actuellement attaquée par Daesh),  l’Arabie saoudite (principal financier actuel de l’organisation terroriste)  et la Turquie (qui assure le commandement opérationnel de l’organisation).


Ce plan a été présenté le 29 juin par le président Vladimir Poutine au ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Mouallem, et à la conseillère spéciale du président Bachar el-Assad, Bouthaina Shaaban [10]. Il a immédiatement été suivi d’échanges entre les parties. 


• Le 5 juillet, une délégation des services secrets syriens était reçue par le prince héritier saoudien, Mohamad ben Salman. 

• La Turquie a reçu un émissaire officieux de Damas, puis a envoyé le sien à Damas. Après la signature de l’accord 5+1, elle a stoppé son soutien à Daesh et a arrêté 29 passeurs [11].


Les deux évolutions sont donc actuellement possibles : soit un déplacement de la guerre de la Syrie vers la Turquie, soit une coordination régionale contre Daesh.



La situation en Turquie


Quoi qu’il en soit, la Turquie s’est transformée au cours des quatre dernières années.


Premièrement, son économie s’est effondrée. Son engagement dans la guerre contre la Libye l’a privée d’un de ses principaux clients et elle n’en a tiré aucun profit, car ce client est devenu insolvable. Son engagement dans la guerre contre la Syrie a été moins dramatique, car le marché commun syro-irano-turc était encore embryonnaire. Mais l’effet cumulé de ces deux guerres a cassé la croissance du pays qui est sur le point de devenir négative. En outre, une partie de l’économie turque est actuellement basée sur la vente de produits fabriqués pour des grandes marques européennes qui sont détournées des circuits commerciaux légaux à l’insu de leurs commanditaires. Ce piratage massif porte désormais atteinte à l’économie de l’Union européenne.


Deuxièmement, pour conquérir le pouvoir Recep Tayyip Erdoğan s’est protégé d’un coup d’État militaire en arrêtant des officiers supérieurs et en les accusant de comploter contre l’État. Dans un premier temps, il s’en est pris aux réseaux Gladio de l’OTAN (Ergenekon dans sa version turque) [12]. Puis, dans un deuxième temps, il fit arrêter les officiers qui envisageaient de changer d’alliance avec la fin de la Guerre froide et avaient pris contact avec l’Armée populaire chinoise en les accusant d’appartenir au même groupe Ergenekon, ce qui n’avait aucun sens [13]. En définitive, à la suite de ces purges, la majorité des officiers supérieurs a été arrêtée et incarcérée. Du coup, les armées turques sont affaiblies et ont perdu leur attrait au sein de l’OTAN.


Troisièmement, la politique islamiste de l’administration Erdoğan a profondément divisé le pays et a fait naître une haine d’abord entre les laïques et les religieux, puis entre les communautés sunnites, kurdes et alévies. De sorte que le parallèle avec le scénario égyptien, que j’évoquais il y a plus d’un an, devient aujourd’hui possible [14]. La Turquie est devenue une poudrière. Il suffirait d’une étincelle pour faire éclater une véritable guerre civile que personne ne pourra arrêter et qui ravagera durablement le pays.


Quatrièmement, la rivalité entre le clan islamiste de M. Erdoğan, la Millî Görüş (créé dans les années 70 par l’ancien Premier ministre Necmettin Erbakan), et le Hizmet de Fethullah Gülen a détruit le parti au pouvoir, l’AKP. Les deux écoles partagent la même vision obscurantiste de l’islam, mais Fethullah Gülen (qui vit aujourd’hui aux États-Unis) avait été recruté à la CIA par Graham E. Fuller et prêche une alliance des croyants autour de l’OTAN chrétien et d’Israël, tandis que la Millî Görüş défend le suprémacisme musulman. En outre, on ne voit pas comment les partisans de l’ancien président Turgut Özal (également islamistes et à ce titre membres de l’AKP, mais favorables à la reconnaissance du génocide arménien, à l’égalité en droit des Kurdes, et à une fédération des États turcophones d’Asie centrale) continueraient à lier leur sort à celui de M. Erdoğan.


Cinquièmement, en acceptant la proposition du président Vladimir Poutine de construire le gazoduc Turkish Stream, le président Erdoğan s’est directement attaqué à la stratégie globale des États-Unis. En effet, ce gazoduc, s’il doit voir le jour, ouvrira une voie de communication continentale et menacera la doctrine de « contrôle des espaces communs » par laquelle Washington maintient sa suprématie sur le reste du monde [15]. Il permettra à la Russie de contourner le chaos ukrainien et de passer outre l’embargo européen.

L’OTAN ne veut plus jouer.


Si les liens personnels de M. Erdoğan avec al-Qaïda ont été établis par la Justice turque, il ne fait plus aucun doute qu’il dirige personnellement Daesh.


En effet : 

L’organisation terroriste est officiellement commandée par Abu Bakr el-Baghdadi. Mais cette personnalité n’est mise en avant que parce que c’est un membre de la tribu de Qurays et donc un descendant du Prophète. Le commandement exécutif est confié à Abu Alaa al-Afri et Fadel al-Hayali (dit Abu Muslim al-Turkmani), deux Turkmènes agents du MIT (services secrets turcs). Les autres membres de l’état-major sont issus de l’ancienne URSS.  Les exportations de pétrole brut, qui ont récemment repris en violation de la résolution 2701 du Conseil de sécurité, ne sont plus assurées par Palmali Shipping & Agency JSC, la compagnie du milliardaire turco-azéri Mubariz Gurbanoğlu, mais par BMZ Ltd, la société de Bilal Erdoğan, le fils du président.  Les soins importants aux jihadistes blessés de Daesh sont fournis par le MIT en Turquie, dans un hôpital clandestin situé à Şanlıurfa et placé sous la supervision de Sümeyye Erdoğan, la fille du président [16].


C’est pourquoi, le 22 juillet, le président Barack Obama a téléphoné à son homologue turc, Recep Tayyip Erdoğan, et l’a lourdement menacé. Selon nos informations, le président états-unien a déclaré s’être mis d’accord avec le Premier ministre britannique David Cameron pour exclure la Turquie de l’OTAN — ce qui implique la guerre civile et la division en deux États — si la Turquie 


 1. ne rompt pas immédiatement l’accord gazier avec la Russie ;  2. ne participe pas immédiatement à la coalition internationale anti-Daesh.


Le président Erdoğan, qui a une formation islamique, mais pas politique [17], a réagi à la fois en tentant d’apaiser Washington et en poursuivant ses lubies. 


 1. la Turquie a autorisé l’OTAN à utiliser ses bases sur le territoire turc pour lutter contre Daesh, a arrêté des passeurs de Daesh, et a participé à des bombardements symboliques de Daesh en Syrie ;  


2. en outre, M. Erdoğan a déployé des efforts bien plus importants contre son opposition kurde que contre Daesh en bombardant massivement des positions du PKK en Irak, en arrêtant des membres du PKK en Turquie et bloquant de nombreux sites internet kurdes [18]. Le PKK a répondu par un communiqué laconique constatant que le gouvernement venait de rouvrir unilatéralement les hostilités ; 


 3. on ignore, pour le moment, les décisions relatives au gazoduc Turkish Stream.


Les États-Unis, par la voix du représentant spécial adjoint pour la lutte contre Daesh, Brett McGurk, et l’Union européenne, par la voix de la Hautre représentante pour la politique extérieure, Federica Mogherini, ont vivement critiqué l’attaque contre le PKK et souligné l’absolue nécessité de maintenir le cessez-le-feu. De son côté, Massoud Barzani, le président du gouvernement régional kurde d’Irak, a publié un communiqué pour contredire le Premier ministre Davutoğlu qui avait prétendu avoir reçu son soutien.


Nous arrivons maintenant à l’issue du délai constitutionnel de 45 jours au terme duquel le chef du principal groupe parlementaire devait constituer un gouvernement. Les trois principaux partis d’opposition, conseillés par l’ambassade des États-Unis, ayant refusé de s’allier avec l’AKP, Ahmet Davutoğlu n’y est pas parvenu. De nouvelles élections législatives devraient être convoquées. Compte tenu d’une part de la division de l’AKP (islamistes) et d’autre part, de la haine entre le MHP (conservateurs) et le HPD (gauche et kurdes), il sera difficile de trouver une majorité. Si tel est le cas ou si l’AKP parvient à se maintenir, la Turquie entrera en guerre civile.



Par Thierry Meyssan (*) - RÉSEAU VOLTAIRE | DAMAS (SYRIE) | 27 JUILLET 2015.



(*) Thierry Meyssan : consultant politique, président fondateur du Réseau Voltaire et de la conférence Axis for Peace. Dernier ouvrage en français : L’Effroyable imposture : Tome 2, Manipulations et désinformations (éd. JP Bertand, 2007). Compte Twitter officiel.

Notes : 

[1] The Next 100 Years : A Forecast for the 21st Century, George Friedman (2009). L’ouvrage a été traduit avec un grand retard en français sous le titre Les 100 Ans à venir : Un Scénario pour le XXIe siècle (ZDL, 2012).

[2] « Après 42 ans, Andy Marshall quitte le Pentagone », Réseau Voltaire, 7 janvier 2015.

[3] Sur les travaux de Strausz-Hupé et de Peters, se reporter à L’Effroyable imposture 2, pp.117-224.

[4] « Les projets secrets d’Israël et de l’Arabie saoudite », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 22 juin 2015.

[5] “Izmir base likely to become NATO’s Land Component Command”, Todays Zaman, June 6, 2011.

[6] « Ashton Carter nomme le nouveau stratège du Pentagone », Réseau Voltaire, 17 mai 2015.

[7] « L’Europe encore en première ligne », par Manlio Dinucci, Traduction Marie-Ange Patrizio, Il Manifesto (Italie), Réseau Voltaire, 16 juillet 2015.

[8] « Le général Dunford désigne la Russie comme menace principale », Réseau Voltaire, 13 juillet 2015.

[9] “Stumbling World Order and Its Impacts”, by Imad Fawzi Shueibi, Voltaire Network, 5 April 2015.

[10] « La Russie tire ses marrons du feu », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 13 juillet 2015.

[11] « Premières conséquences de l’accord 5+1 », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 20 juillet 2015.

[12] « Ergenekon : une légende urbaine ? », par Orhan Kemal Cengiz ;. « L’organisation Ergenekon mise en cause pour ses relations privilégiées avec Hizb ut-Tahrir », par Mutlu Özay et Mustafa Turan, Traduction Nathalie Krieg, Today Zaman (Turquie), Réseau Voltaire, 9 juillet et 3 août 2009.

[13] « Le coup d’État judiciaire de l’AKP », par Thierry Meyssan, Al-Watan (Syrie), Réseau Voltaire, 19 août 2013.

[14] « La division de la Turquie », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 31 mars 2014.

[15] “The Geopolitics of American Global Decline”, by Alfred McCoy, Tom Dispatch (USA), Voltaire Network, 22 June 2015.

[16] « Le rôle de la famille Erdoğan au sein de Daesh », Réseau Voltaire, 26 juillet 2015.

[17] « Vers la fin du système Erdoğan », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 15 juin 2015.

[18] Dont Rudaw, BasNews, DİHA, ANHA, le quotidien Özgür Gündem, Yüksekova Haber, Sendika.Org et RojNews. Actuellement 81 000 sites internet sont inaccessibles depuis la Turquie.

No comment yet.
Scooped by Koter Info
Scoop.it!

La prévisible défaite de la France au Moyen-Orient

La prévisible défaite de la France au Moyen-Orient | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : le 6 juillet 2012, le criminel de guerre Abou Saleh (Brigade Farouk) était l’invité spécial du président François Hollande (le jeune homme de face, assis sur le côté de la tribune, à la droite de la photo). Il avait dirigé l’Émirat islamique de Baba Amr et fait égorger en public plus de 150 personnes.

 

 

 

La prévisible défaite de la France

 au Moyen-Orient

Par Thierry Meyssan (*)

 

Alors que la signature de l’accord entre Washington et Téhéran se rapproche, Thierry Meyssan retrace et analyse la politique de François Hollande au Proche-Orient de soutien aux monarchies du Golfe et à l’apartheid israélien. De manière incontestable, il montre que cette politique, contraire aux valeurs de la République et aux intérêts de la Nation, sert exclusivement les ambitions personnelles de quelques individus et du groupe social qu’ils représentent.

 

Élu en mai 2012, le président de la République française, François Hollande aura imposé à son pays une orientation de politique étrangère entièrement nouvelle. Le fait qu’il s’est présenté comme un homme de gauche a masqué aux yeux de ses concitoyens que ce haut fonctionnaire tournait le dos aux intérêts de la Nation, à son histoire et à sa culture, et plaçait l’État au service d’un groupuscule de grands bourgeois néoconservateurs.

 

 

Le changement du printemps 2012

 

Alors que durant sa campagne électorale, il avait semblé ouvert à toutes les analyses, s’entourant de plusieurs groupes de réflexion concurrents, il devait mettre bas son masque dès sa prise de fonction, le 15 mai. Ainsi plaçait-il son mandat sous les auspices de Jules Ferry. Avec subtilité, il affirmait honorer le fondateur de l’école laïque et obligatoire et non pas le théoricien socialiste de la colonisation. Pourtant, la laïcité de Ferry ne visait pas à garantir la liberté de conscience, mais à extirper les enfants des mains de l’Église catholique et à les former, sous l’autorité des « hussards noirs », pour en faire la chair à canon de ses expéditions coloniales.

 

Le 6 juillet, il réunissait à Paris une coalition d’États autoproclamés « Amis de la Syrie », pour saboter l’accord de Genève et relancer la guerre contre la Syrie. Symboliquement, il saluait les « démocrates » (sic) du Conseil national syrien, une organisation fantoche composée par le Qatar en s’appuyant sur la société secrète des Frères musulmans. Il se pavanait aux côtés du criminel de guerre Abou Saleh qui avait dirigé l’Émirat islamique de Baba Amr et fait décapiter plus de 150 de ses compatriotes. Il prononçait alors un discours, écrit en anglais par ses mentors, puis traduit en français.

 

Dans la foulée, le 22 juillet, il affirmait solennellement que la France était comptable des crimes commis par le gouvernement illégitime de Philippe Pétain envers les citoyens juifs. En d’autres termes, le haut fonctionnaire Hollande posait la supériorité de l’État sur la République.

 

J’écrivais alors que François Hollande, prenant la succession de Philippe Pétain, avait offert la France aux puissants du moment et renouait avec la politique coloniale [1]. Considérant que mon exil politique m’avait fait perdre le sens de la mesure, beaucoup décidèrent d’ignorer ce qu’ils considéraient comme une outrance.

 

Aussi ai-je été soulagé en lisant le dernier ouvrage du démographe Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? dans lequel il s’emploie à analyser comment et pourquoi l’électorat actuel du Parti socialiste est l’héritier des « Maréchalistes » [2]. J’ai toujours éprouvé une forte admiration pour cet intellectuel qui est parvenu à montrer l’impact inconscient des systèmes familiaux sur l’histoire.

 

Étant étudiant en sciences politiques, j’avais dévoré sa thèse montrant que la division du monde durant la Guerre froide correspondait en réalité aux structures familiales des peuples. Cartes à l’appui, il observe qu’aujourd’hui, l’électorat du Parti socialiste, largement déchristianisé, a perdu ses repères et se replie sur lui-même. Il avait déjà analysé le ralliement de la classe dirigeante autour du culte de l’euro, c’est-à-dire de la loi du plus fort dans l’espace européen. Il conclut que le Parti socialiste a vendu le pays à l’étranger avec l’approbation d’un électorat de possédants.

 

 

L’équipe de François Hollande

 

Le changement de politique étrangère voulu par le président de la République s’appuie sur une analyse simple : les États-Unis ayant moins besoin du pétrole du Golfe ont annoncé leur intention de faire pivoter leur dispositif militaire vers l’Extrême-Orient. En soutenant Washington à la manière d’un Tony Blair sur la scène internationale, François Hollande pourrait prendre la place que les États-Unis laissent vacante dans le Golfe et bénéficier d’argent facile.

 

C’est en toute logique que le Qatar — c’est-à-dire Exxon-Mobil, la société des Rockefeller — a largement financé la campagne électorale de François Hollande [3]. Ce don illégal au regard du droit français ayant été négocié par Laurent Fabius, M. Hollande, une fois élu, le désigna ministre des Affaires étrangères malgré leur vieille rivalité.

 

La cour effectuée par François Hollande auprès de ses généreux mécènes du Golfe s’accompagne d’un soutien appuyé à l’État d’Israël. On se souvient que le président Charles de Gaulle avait rompu avec cet État colonial, en 1967, affirmant que la France, qui s’était alliée avec lui pour contrôler le Canal de Suez et lutter contre l’indépendance de l’Algérie, ne pouvait plus le faire une fois qu’elle avait renoncé à son Empire. Le président Hollande choisit, au contraire, de déclarer en hébreu lors de son arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv, en novembre 2013 : « Tamid écha-èr ravèr chèl Israël, je suis votre ami et je le serai toujours » [4].

 

Pour mettre en œuvre son virage, le président a constitué une équipe autour de deux personnalités d’extrême droite : son chef d’état-major privé, le général Benoît Puga, et son conseiller diplomatique, Jacques Audibert.

 

Le général Benoît Puga est un ancien de « la coloniale » (infanterie de Marine). Chrétien lefebvriste, il ne fait pas mystère de son admiration de l’ancien archevêque de Dakar et de sa détestation de la Révolution française. Entre deux messes à Saint Nicolas-du-Chardonnet, il a dirigé les Opérations spéciales et le Renseignement militaire. Il avait été nommé à l’Élysée par le président Nicolas Sarkozy et, fait sans précédent pour cette fonction, a été incorporé dans son cabinet par son successeur.

 

Jacques Audibert est souvent qualifié par ses anciens collaborateurs d’« Américain avec un passeport français », sa dévotion à l’impérialisme états-unien et au colonialisme israélien étant bien plus grande que son respect pour la République française. Il a joué un rôle central dans le blocage durant des années des négociations 5+1 avec l’Iran. Il espérait être nommé représentant permanent de la France à l’ONU, mais a finalement rejoint le président Hollande à l’Élysée.

 

Lorsqu’il était directeur des Affaires politiques au Quai d’Orsay, Jacques Audibert a systématiquement éliminé les diplomates arabisants en commençant par les plus compétents. Les plus prestigieux ont été exilés en Amérique latine. Il s’agissait certes d’éliminer tout soutien aux Palestiniens pour satisfaire les colons israéliens, mais aussi, et surtout d’en terminer avec des siècles de « politique arabe de la France » de manière à laisser tomber les alliés traditionnels et à se rapprocher des milliardaires du Golfe, malgré leurs dictatures et leur fanatisme religieux.

 

Cette évolution, aussi surprenante soit-elle, correspond à ce que François Hollande avait annoncé, il y a plusieurs années. Reçu le 30 novembre 2005 par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), il avait alors déclaré, selon le procès-verbal de séance : « Il y a une tendance qui remonte à loin, ce que l’on appelle la politique arabe de la France et il n’est pas admissible qu’une administration ait une idéologie. Il y a un problème de recrutement au Quai d’Orsay et à l’ENA et ce recrutement devrait être réorganisé » [5].

 

 

Le fond de la pensée Hollande

 

François Hollande a exprimé le fond de sa pensée en évoquant la Résistance. Il a défini ce concept lors de la panthéonisation de quatre grandes figures de la Résistance française, le 27 mai dernier, en excluant les communistes de son hommage.

 

La Résistance française a inspiré des États et des milices qui, aujourd’hui, disent non à l’occupation de leur terre et à la soumission à un régime d’apartheid. En hommage à leurs prédécesseurs français, ils ont défini leur alliance comme l’« Axe de la Résistance ».

 

Mais aux Palestiniens, François Hollande a dénié le droit de résister et, dans la droite ligne de l’armistice de 1940 les a enjoints de « négocier » (sic). Il a fait qualifier le Hezbollah de « terroristes » par l’Union européenne, comme Philippe Pétain fit condamner Charles de Gaulle à mort pour « terrorisme » [6]. Il a livré la guerre aux Syriens et a imposé un siège économique aux Iraniens.

 

 

François Hollande et les dictateurs du Golfe

 

Durant les trois dernières années, la France a bénéficié du soutien d’Hillary Clinton et du général David Petraeus pour les États-Unis, d’Exxon-Mobil et de son État privé le Qatar, et enfin de la famille des Séoud et de l’État privé auquel elle a donné son nom d’« Arabie saoudite ».

 

La France a pu ainsi lancer une seconde guerre contre la Syrie et l’Irak en déplaçant des dizaines de milliers de mercenaires venus du monde entier, dont quelques milliers de Français. Elle porte ainsi une responsabilité primordiale dans les centaines de milliers de morts qui ont endeuillé le Levant. Bien sûr, tout cela a été fait sous couvert d’aide humanitaire à des populations martyrisées.

 

Officiellement, cette politique n’a pas encore donné ses fruits. La Syrie est toujours en guerre et il est impossible d’en exploiter le gaz, bien que les « Amis de la Syrie » (sic) se le soient déjà réparti, en juin 2012 [7].

 

Par contre,

la France a reçu une commande de 3 milliards de dollars en armement de l’Arabie saoudite pour l’Armée libanaise. Il s’agissait de remercier les Libanais de ne pas avoir enregistré les aveux de Majed el-Majed, l’agent de liaison entre l’Arabie saoudite et al-Qaïda et de remercier les Français de mener la guerre contre la Syrie [8].

 

la France a vendu 24 Rafale au Qatar pour 6,3 milliards d’euros.

Mais ces mégacontrats ne profiteront pas à la France :

 

les Israéliens ont opposé un veto à la vente au Liban d’armes capables de leur résister. La France n’a donc été autorisée qu’à fournir pour 700 millions de dollars d’uniformes, de véhicules de service et d’armes de poing. Les 2,3 milliards restants seront des armes dépassées fabriquées en Allemagne de l’Est.

 

le Qatar a certes acheté des Rafales, mais a exigé en échange que le gouvernement contraigne Air-France a abandonner certaines de ses lignes les plus profitables à Qatar Airways.

 

De toute manière, même si ces contrats avaient été honnêtes, ils n’auraient jamais remplacé ceux qui ont été perdus par l’acharnement de Jacques Audibert contre toutes sociétés françaises travaillant avec l’Iran, tel Peugeot ou Total, ni par celui du général Benoît Puga pour faire détruire toutes les usines françaises installées en Syrie.

 

 

L’accord Washington-Téhéran

 

Malgré les efforts de l’équipe Hollande en général et de Jacques Audibert en particulier, l’accord négocié entre les États-Unis et l’Iran devrait être signé le 30 juin 2015. On se reportera à mes articles antérieurs sur les conséquences de ce texte [9]. D’ores et déjà, il apparaît que les deux grands perdants seront le peuple palestinien et la France. Le premier parce que plus personne ne défendra son droit inaliénable au retour et la seconde parce qu’elle aura associé son nom à trois ans d’injustice et de massacres dans cette région.

 

Cette semaine, le 2 juin, le secrétaire d’État adjoint, Antony Blinken, est venu coprésider à Paris une réunion des 22 États membres de la Coalition internationale anti-Daesh. Contrairement à ce qu’en a dit la presse française, il ne s’agissait pas d’organiser la riposte militaire aux chutes de Ramadi et de Palmyre ; le Pentagone n’a pas besoin de réunir ses alliés pour savoir ce qu’il doit faire. Non, le sujet était de faire avaler son chapeau au ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, et de lui faire accepter l’accord irano-états-unien. Ce qu’il a été contraint de faire.

 

La signature de l’accord était menacée par la chute de Palmyre qui coupe la « route de la soie », c’est-à-dire la voie de communication entre l’Iran d’un côté, la Syrie et le Hezbollah de l’autre [10]. Dans le cas où Palmyre resterait aux mains des jihadistes (c’est-à-dire des mercenaires luttant contre l’« Axe de la Résistance » [11]), Téhéran ne pourrait pas transporter son gaz et l’exporter vers l’Europe et n’aurait donc aucun intérêt à s’entendre avec Washington.

 

Le secrétaire d’État adjoint Antony Blinken a donc informé l’assistance qu’il avait autorisé l’« Axe de la Résistance » à amener en Syrie des troupes fraîches pour vaincre Daesh. Il s’agit en l’occurrence de 10 000 Gardiens de la Révolution, qui viendront renforcer l’Armée arabe syrienne avant le 30 juin. Jusqu’ici les Syriens se défendaient seuls, uniquement avec le Hezbollah libanais et le PKK turc, mais sans troupes russes ou iraniennes, ni milices irakiennes.

 

Antony Blinken a également informé ses interlocuteurs qu’il avait été conclu avec la Russie un accord autorisant la tenue d’une conférence de paix sur la Syrie, sous les auspices des Nations unies au Kazakhstan. Il a exigé que Laurent Fabius signe une déclaration finale acceptant le principe d’un gouvernement syrien désigné par « consentement mutuel » entre l’actuelle coalition au pouvoir (Baas et PSNS) et ses différentes oppositions, qu’elles soient à Paris ou à Damas.

 

Après s’être fait remonter les bretelles, M. Fabius a ravalé son slogan « Bachar doit partir », a admis que le président el-Assad terminerait le mandat pour lequel son peuple l’a largement élu, et s’est piteusement rabattu sur un « Monsieur Bachar (sic) ne sera pas l’avenir de la Syrie ».

 

Dans trois semaines, le roi devrait être nu. En signant ensemble, Washington et Téhéran réduiront à néant les calculs de François Hollande, du néoconservateur Jacques Audibert et du néo-fasciste Benoît Puga.

 

 

Par Thierry Meyssan (*) - RÉSEAU VOLTAIRE | DAMAS (SYRIE) - le 8 JUIN 2015

 

(*) Thierry Meyssan : consultant politique, président fondateur du Réseau Voltaire et de la conférence Axis for Peace. Dernier ouvrage en français : L’Effroyable imposture : Tome 2, Manipulations et désinformations (éd. JP Bertand, 2007). Compte Twitter officiel.

 

Notes :

[1] « La France selon François Hollande », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 30 juillet 2012.

[2] La majorité des Français qui soutinrent l’armistice de Philippe Pétain n’étaient pas des fascistes, mais des « Maréchalistes ». Traumatisés par la boucherie de 14-18, ils se réfugiaient derrière l’autorité du vainqueur de Verdun pour justifier leur refus de combattre l’envahisseur nazi.

[3] « François Hollande négocie avec l’émir de Qatar », Réseau Voltaire, 31 janvier 2012.

[4] « Déclaration de François Hollande à son arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv », par François Hollande, Réseau Voltaire, 17 novembre 2013.

[5] « France : le Parti socialiste s’engage à éliminer les diplomates pro-arabes », par Ossama Lotfy, Réseau Voltaire, 9 janvier 2006.

[6] « L’UE assimile la Résistance libanaise à du terrorisme », Réseau Voltaire, 22 juillet 2013.

[7] « Les « Amis de la Syrie » se partagent l’économie syrienne avant de l’avoir conquise », par German Foreign Policy, Horizons et débats (Suisse), Réseau Voltaire, 14 juin 2012.

[8] « Le silence et la trahison qui valaient 3 milliards de dollars », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 15 janvier 2014.

[9] Voir notamment : « Que deviendra le Proche-Orient après l’accord entre Washington et Téhéran ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 18 mai 2015.

[10] « La chute de Palmyre renverse l’équilibre géopolitique au Levant », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 25 mai 2015.

[11] « Les jihadistes au service de l’impérialisme », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 1er juin 2015.

No comment yet.