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La chute de Palmyre renverse l’équilibre géopolitique au Levant

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La chute de Palmyre renverse l’équilibre

géopolitique au Levant

Par Thierry Meyssan (*)

 

 

La situation s’est considérablement aggravée au Levant avec la coupure par l’Émirat islamique de l’antique « route de la soie », c’est-à-dire du passage de l’Iran à la Méditerranée. Il n’existe que deux options possibles : soit par Deir ez-Zor et Alep, soit par Palmyre et Damas. Le premier chemin est coupé depuis début 2013, le second vient de l’être. La chute de Palmyre aura donc des conséquences considérables sur l’ensemble de l’équilibre régional.

 

La presse occidentale consacre ces jours-ci ses « une » à la Syrie ; une situation que l’on n’a pas connue depuis deux ans, lors de l’affaire des bombardements chimiques de la ghouta et du projet d’intervention de l’OTAN. Les journalistes s’inquiètent de la progression de l’Émirat islamique et de la possible destruction de la ville antique de Palmyre.

 

Pourtant, rares sont ceux qui connaissent l’histoire de la reine Zénobie qui, profitant au IIIe siècle de la faiblesse de Rome, dont les Gaules s’étaient déjà affranchies, proclama son propre fils empereur et elle-même régente. Elle libéra non seulement la Syrie, mais aussi les peuples d’Égypte, de Palestine, de Jordanie, du Liban, d’Irak, d’une partie de la Turquie et même de l’Iran actuels. Sa capitale, Palmyre, fut une cité d’un grand raffinement, ouverte à toutes les religions, étape brillante de la route de la soie reliant la Méditerranée à la Chine. Cependant, le général Aurélien ayant réalisé un coup d’État à Rome parvint à rétablir l’unité de l’empire, écrasant d’abord l’impératrice Zénobie, puis l’empire des Gaules, avant de mettre un terme à la liberté religieuse, d’imposer le culte du Soleil invaincu et de se proclamer Dieu. Cette histoire prestigieuse fait de Palmyre le symbole de la Résistance du Levant à l’impérialisme occidental de son époque.

 

On peut s’étonner de l’importance donnée à la chute de Palmyre par la presse occidentale. D’autant que la plus importante progression de Daesh cette semaine n’était pas en Syrie, ni en Irak, mais en Libye avec la chute de Syrte, une ville cinq ou six fois plus peuplée que la syrienne Palmyre. Pourtant, les mêmes journalistes qui s’étalaient longuement durant les deux derniers mois sur la situation chaotique libyenne et appelaient à une intervention militaire européenne pour mettre fin au transit de migrants ne l’ont pas mentionnée. Il est vrai qu’en Libye, Daesh est commandée par Abdelhakim Belhaj, nommé gouverneur militaire de Tripoli sous les auspices de l’OTAN [1] et reçu officiellement, le 2 mai 2014 à Paris, par le Quai d’Orsay.

 

Pour dramatiser un peu plus, les journalistes occidentaux affirment à l’unisson que désormais « Daesh contrôle la moitié du territoire syrien » (sic). Toutefois, leurs propres cartes les contredisent puisqu’ils n’y montrent qu’un contrôle sur quelques villes et sur des routes, et non pas sur des régions.

 

À l’évidence, le traitement médiatique de la situation au « Moyen-Orient élargi » ne vise pas à rendre compte de la réalité, mais instrumente certains éléments judicieusement sélectionnés pour justifier des politiques.

 

 

Daesh et l’enjeu de Palmyre

 

Nous souhaiterions que l’émotion soulevée par la chute de Palmyre soit sincère et que les Occidentaux, après avoir massacré en une décennie plusieurs millions de personnes dans cette région aient décidé d’en finir avec ces crimes. Mais nous ne sommes pas dupes. Cette émotion sur commande vise à justifier d’une réaction militaire contre ou à propos de Daesh.

 

Celle-ci est indispensable si Washington souhaite toujours signer l’accord qu’il a négocié, deux ans durant, avec Téhéran.

 

En effet, Daesh a été créé par les États-Unis avec le soutien de la Turquie, des monarchies du Golfe et d’Israël, comme nous l’avons toujours dit et ainsi qu’en témoigne un document partiellement déclassifié cette semaine de la Defense Intelligence Agency (DIA) que le lecteur pourra télécharger au bas de cette page.

 

Contrairement aux inepties de certains journalistes qui accusent le « régime de Bachar » (sic) d’avoir fabriqué cette organisation pour diviser son opposition et la faire glisser dans le radicalisme, la DIA atteste que l’Émirat islamique est fonctionnel à la stratégie états-unienne. Ce rapport, daté du 12 août 2012 et qui a largement circulé dans l’ensemble de l’administration Obama, annonçait clairement les plans de Washington :

 

« Si la situation se dénoue, il y aura la possibilité d’établir une principauté de salafistes, reconnue ou non, à l’Est de la Syrie (Hassaké et Deir ez-Zor), ce qui est exactement l’objectif des soutiens de l’opposition [les États occidentaux, les États du Golfe et la Turquie], afin d’isoler le régime syrien, qui est considéré comme la profondeur stratégique de l’expansion chiite (Irak et Iran) ».

 

Ainsi que nous l’avons toujours dit, l’Émirat islamique a été développé par une décision du Congrès des États-Unis, réuni en séance secrète en janvier 2014, afin de réaliser le plan Wright. Il s’agissait de créer un « Kurdistan » et un « Sunnistan » à cheval sur la Syrie et l’Irak ayant pour finalité de couper la « route de la soie » après l’achat de Deir ez-Zor (la ville a été achetée à des fonctionnaires corrompus, sans combat).

 

Depuis la plus haute antiquité, un faisceau de voies de communication relie Xi’an (l’ancienne capitale chinoise) à la Méditerranée. Cette route relie l’Iran à la mer à travers le désert, soit par Deir ez-Zor et Alep, soit par Palmyre et Damas. Elle est aujourd’hui utilisée pour transiter des armes vers la Syrie et le Hezbollah libanais et devrait être utilisée pour transporter le gaz du champ de Fars (Iran), vers le port de Lattaquié (Syrie).

 

Palmyre, la « cité du désert », n’est donc pas simplement un vestige d’un passé merveilleux, c’est une pièce stratégique dans l’équilibre régional. C’est pourquoi il est grotesque de prétendre que l’Armée arabe syrienne n’a pas cherché à la défendre. En réalité, cette armée a agi comme elle le fait toujours depuis l’arrivée des mercenaires dans le pays : de manière à minimiser les pertes civiles, elle se retire lorsqu’ils avancent en petits groupes coordonnés (grâce aux moyens de communication que leur fournit l’Occident) et les frappe lorsqu’ils se regroupent.

 

La Coalition internationale anti-Daesh, créée par les États-Unis en août 2014, n’a jamais combattu les jihadistes. Il est au contraire attesté — non pas une seule « par erreur », mais une quarantaine de fois — que les avions occidentaux ont largué des armes et des munitions à l’Émirat islamique.

 

Au demeurant, ladite Coalition de 22 États prétend disposer d’un nombre supérieur d’hommes, qui sont mieux formés et disposent de meilleurs matériels que Daesh. Pourtant, elle n’a pas fait reculer l’Émirat islamique, mais celui-ci ne cesse de conquérir de nouvelles routes.

 

 

L’évolution des intérêts états-uniens

 

Quoi qu’il en soit, Washington a changé de stratégie. Ainsi que l’atteste la nomination du colonel James H. Baker comme nouveau stratège du Pentagone [2], la page de la stratégie du chaos est tournée. Les États-Unis reviennent à une conception impériale classique, fondée sur des États stables. Et pour signer leur accord avec l’Iran, ils doivent maintenant évacuer l’Émirat islamique du Levant avant le 30 juin.

 

La campagne de presse démesurée sur la chute de Palmyre pourrait n’être qu’une préparation de l’opinion publique à un véritable engagement militaire contre Daesh. Ce sera le sens de la réunion des 22 membres de la Coalition (et de 2 organisations internationales) à Paris, le 2 juin. D’ici là, le Pentagone devra décider s’il détruit l’Émirat islamique ou s’il le déplace et l’utilise ailleurs à d’autres tâches. Trois destinations sont envisageables : déplacer les jihadistes en Libye ; en Afrique noire ; ou dans le Caucase.

 

Dans le cas contraire, l’Iran ne signera pas et la guerre continuera à son paroxysme, car la chute de Palmyre sous les coups de jihadistes fabriqués par l’Occident aura les mêmes conséquences que sa prise par les légions d’Aurélien. D’ores et déjà, elle menace la survie de l’« Axe de la Résistance », c’est-à-dire de la coalition Iran-Irak-Syrie-Liban-Palestine. Le Hezbollah envisage de décréter la mobilisation générale.

 

 

 

Par Thierry Meyssan (*) - RÉSEAU VOLTAIRE | DAMAS (SYRIE) - LE 25 MAI 2015

 

 

Document joint :

Rapport de la DIA sur les jihadistes au Levant, 12 août 2012.

(PDF - 582.2 ko)

 

Notes :

[1] « Comment les hommes d’Al-Qaida sont arrivés au pouvoir en Libye », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 6 septembre 2011 ; « L’Armée syrienne libre est commandée par le gouverneur militaire de Tripoli », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 18 décembre 2011 ; « Selon Interpol, Abdelhakim Belhaj est le chef de Daesh au Maghreb », Réseau Voltaire, 25 février 2015.

[2] « Ashton Carter nomme le nouveau stratège du Pentagone », Réseau Voltaire, 17 mai 2015.

 

 

(*) Thierry Meyssan : consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire et de la conférence Axis for Peace. Dernier ouvrage en français : L’Effroyable imposture : Tome 2, Manipulations et désinformations (éd. JP Bertand, 2007). Compte Twitter officiel.

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Impressions de la Syrie chrétienne dans la guerre...

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Photos : de gauche à droite : rencontre avec le P. Toufik à Maaloula - le grand mufti de Damas & Mgr Lucas, vicaire patriarcal de Damas - Seydnaya : deuxième pèlerinage des chrétiens d’Orient après Jérusalem, c’est aussi un pèlerinage musulman - Maaloula : église touchée et saccagée.

 


Impressions de la Syrie chrétienne dans la guerre... Par Pierre Huet, qui en revient 

 

 

Nous sommes 33, de France et aussi de Belgique, à partir pour la Syrie ce matin de la Pâque catholique, et devant revenir le jour de la Pâque orthodoxe. Dans les 33, un contingent important de retraités, certains ayant passée une partie de leur vie au « Levant » et restés amoureux de ces pays ; une grande variété d’activités pour les autres, en particulier deux ou trois assistants parlementaires et deux journalistes travaillant pour deux hebdomadaires favorables à l’association organisatrice, SOS Chrétiens d’Orient. Nous voulons dire aux Syriens et en particulier aux chrétiens que tout le monde n’est pas indifférent à leur sort et, au retour, parler d’eux à nos compatriotes. Un de nous avait déjà rencontré le P. Toufik [photo]. Notre point commun : nous sommes tous honteux de la stratégie de destruction de tout ordre politique par les pays occidentaux.

 

Notre voyage prévoit aussi des visites historiques : le Krak, Safita, Tartous, le temple de Hosn Soleïmen, Ougarit… 

Notre circuit en autocar nous fait partir de Beyrouth, nous rendre à Damas et revenir de Lattaquié par la route côtière. Notre guide (musulman), Mahmoud, cultivé, parfaitement francophone, nous commente richement chaque les lieux visités. 

 

Nous circulons accompagnés, c’est-à-dire protégés et surveillés par une ou plusieurs voitures de police, parfois sirène hurlante, ce qui permet de passer les points de contrôle sans vérification, doublant les véhicules arrêtés coffres ouverts. Il y en a quatre sur la route venant de Beyrouth vers Damas, au lieu de 17 en décembre 2013. En fait, nous en avons remarqué aux entrées de chaque localité et à l’intérieur des villes, avec abris de fortune, hommes en armes, barrières précédées de dos d’ânes et de brusques chicanes de merlons. Il est interdit de photographier ceci, des hommes ayant parfois été identifiés sur des réseaux sociaux.

 

Les barrages sont nombreux dans les villes, en particulier Damas, d’où on entend les combats de Jobar et Yarmouk. La sécurité n’est pas totale : le lundi, dans l’après-midi, une roquette a été tirée visant le patriarche catholique sortant en procession d’une église. Lancée en tir courbe, probablement sur information d’un indicateur, elle a touché un balcon sans exploser.

 

La sortie du mardi vers Sweyda dans le sud du pays est annulée suite à l’avancée des rebelles dans la région frontalière de la Jordanie.

 

Le soir, les rues de Damas et autres lieux sont souvent sombres : la présence des rebelles sur l’Euphrate et ses barrages entrave l’alimentation en électricité. Les délestages sont fréquents. Les rues sont alors éclairées par les éventuelles vitrines, les particuliers basculent leurs installations sur leurs groupes électrogènes. La manœuvre est très bien maîtrisée dans les hôtels ou la coupure ne dure que deux ou trois secondes. Groupes électrogènes et camions vétustes : l’odeur de Damas est celle des gaz d’échappement

 

Dès la frontière, nous sommes bien accueillis, le poste comportant un salon d’honneur permettant d’attendre agréablement la fin des contrôles, dégustant du thé sous le regard d’un portrait du président Bachar El Assad émergeant d’une console fleurie comme un reposoir. Nous aurons bien d’autres occasions de remarquer cet omniprésent culte de la personnalité, probablement bien admis là-bas, mais propre à susciter la moquerie occidentale !

 

Notre qualité de premiers touristes depuis quatre ans nous vaut en chaque localité un accueil franchement heureux par les notables du lieu : ce à quoi nous nous attendions.

 

Pour des raisons de sécurité, les organisateurs souhaitaient ne pas trop attirer l’attention avant la fin du voyage. Manqué !  À l’arrivée à Beyrouth nous avions débouché dans le hall face à la télévision libanaise qui enregistrait un entretien avec le responsable du groupe, Benjamin Blanchard. Nous la retrouverons au retour. Dans l’autocar qui nous conduit à Damas, s’invitent une équipe de TF1 qui envoie un très sympathique mini-reportage au 13 h du mardi 7, un journaliste du Parisien qui publie un papier dubitatif, et une journaliste de l’agence Sipa qui bavarde avec moi, entre autres, m’expliquant qu’elle voudrait entrer en contact avec la population de zones rebelles, car à côté de Daesh, il y a des rebelles gentils (sic).

 

À Damas, nous trouvons aussi une équipe de France Télévision qui prépare un Complément d’enquête à diffuser le 15 mai. Dans quel esprit ? Mais après tout, l’important est que le projecteur soit sur les chrétiens d’Orient, même si c’est pour nous dénigrer comme complices du régime.

 

Ce qui ne va pas manquer d’arriver, vu son entreprise massive de communication autour du voyage, plusieurs rencontres avec des personnalités ayant été organisées sous une ou plusieurs caméras. Nous avons droit en effet, à des interviews dans une allée du souk, à une rencontre avec le ministre du Tourisme dans un parc public, à un exposé du vice-ministre des Affaires étrangères en présence de la directrice du département pour l’Europe du ministère, d’une conseillère du cabinet présidentiel, et le tout se déroule sous l’œil des caméras des chaînes syriennes.

 

Si le langage du ministre du Tourisme est d’un optimisme convenu, celui du vice-ministre des Affaires étrangères, M. Ayman Soussane, en compagnie de la directrice du département pour l’Europe des AE et de la conseillère du cabinet présidentiel (ancien ambassadeur ayant travaillé sur le projet sarkozien d’Union Méditerranéenne) retrace la thèse de la manipulation de la rébellion par les pays occidentaux, ce que nous pensions déjà tous ; mais se réjouit d’un changement de ton en France, qui n’a que trop agi pour des intérêts qui ne sont pas les siens. Il ne manque pas de nous mettre en garde contre l’extension du terrorisme à l’Europe en raison de la porosité des frontières.

 

Cet accaparement initial et différents autres retards nous privent de l’audience du patriarche gréco-catholique Grégoire III Laham, que nous aurons toutefois retrouvé à la messe du lundi de Pâques à la paroisse Notre-Dame de Damas située sur une avenue, à proximité immédiate de la place des Abbassides. De l’autre côté de ce vaste rond-point, avenue barrée : elle conduit au quartier de Jobar, encore en guerre. À l’occasion de la messe, notre avenue est fermée à la circulation par une corde et un détachement de police. Mais ce sont les scouts et guides qui complètent le dispositif en fouillant les sacs et palpant les poches, avec le sourire, car il y a une atmosphère de fête, les fidèles sont endimanchés comme nous ne le faisons que trop rarement. La paroisse nous a réservé le premier rang, mais nous sommes trop nombreux et des chaises sont ajoutées face à la chorale, juste auprès de l’iconostase, face à la petite chorale mixte dont les chants sont scandés par des voix fortes et assurées ! L’annonce de la Résurrection en de nombreuses langues termine la messe, la sortie se fait au son martial de la fanfare de la troupe de scouts. Celle-ci a déjà perdu deux des siens dans la guerre. 

 

Significative par sa forme même et son contenu est l’audience du grand mufti de Damas dans une salle de la mosquée des Omeyyades : Ahmad Badreddin Hassoun, celui même qui a demandé aux fidèles musulmans de s’associer à la prière du pape en 2013. Il a invité pour l’occasion Mgr Lucas, vicaire patriarcal de Damas des Grecs orthodoxes. Le grand mufti nous a exposé sa conception de l’État laïque protégeant toutes les religions du pays : « La politique ne doit pas s’interposer entre les hommes et Dieu... » Il nous a dit avoir été approché par l’opposition qui lui avait proposé de s’exiler comme opposant moyennant finances, ce qui aurait facilité le basculement des sunnites. Après son refus, son fils a été assassiné.

 

Il a proposé aux ambassadeurs états-unien, britannique et français de constituer un groupe interreligieux en vue d’informer les pays occidentaux ; ce qui ne se fit pas, car on exigeait de lui une prise de position antigouvernementale. Il nous met aussi en garde contre l’infiltration de certaines mosquées d’Europe par des wahhabites.

 

La paix doit être fondée sur la lumière et la raison, aimer Dieu et nous aimer entre nous : on ne peut pas recréer un « califat » affirme-t-il... 

Le vicaire patriarcal apporte des précisions sur la situation des chrétiens. Il y a des départs de chrétiens à cause des révolutionnaires, mais il estime que cet exode est moins important qu’on le dit, les chrétiens demeurent très attachés à cette terre qui est un berceau de l’Église. La Syrie a une tradition de tolérance et l’État apporte un soutien matériel aux institutions religieuses.

 

La plupart de nos interlocuteurs ne veulent pas parler de guerre civile, mais d’agression extérieure ayant manipulé des mécontents. Dès le début des manifestations, il y a eu des tirs contre les forces de l’ordre, et surtout, des milices d’opposants avaient été préalablement armées tandis que des réseaux de tunnels avaient été percés sous les grandes villes ; d’autre part, les opposants peuvent concentrer des forces chez les voisins de la Syrie actifs ou impuissants, et lancer des attaques massives. Ainsi les milices peuvent prendre des positions dont il est ensuite difficile de les déloger.

 

Nombre d’étrangers appartenant à des « services » occidentaux et déclarés disparus ont été identifiés sur des vidéos postées par les rebelles sur les réseaux sociaux. Lors des combats d’Idlib, l’armée syrienne a capturé deux officiers turcs, un israélien, et trouvé un drapeau turc. Un état-major serait installé en Turquie.

 

En face de cela, de nombreux hommes se sont réengagés dans la « défense nationale », formant des forces d’appoint à l’armée. Le coût humain apparait partout : on voit partout des photos des  « martyrs » de la rue ou du quartier, parfois montées avec, en arrière-plan, le portrait du président.

 

Nous avons eu deux jours pour découvrir Damas, « Al Cham », le grain de beauté du monde, à la suite de l’annulation de la visite de Sweyda. Damas se revendique comme la plus ancienne ville habitée sans discontinuité. Partie d’une oasis au long des bras de la Barada, elle s’étend aussi à l’assaut des collines décapées par dix mille ans d’élevage ovin et caprin. C’est dans l’ensemble une ville moderne, qui affiche encore le visage de sa prospérité à l’Occidentale d’il y a quelques années, bien que les quartiers anciens soient mal mis en valeur et ne fournissent pas l’écrin qui conviendrait à ses magnifiques monuments.

 

Départ de l’annonce de l’Évangile aux nations, berceau de la langue arabe classique, Damas conserve, dans la majestueuse et élégante mosquée des Ommeyades, avec le tombeau de saint Jean-Baptiste et le « minaret de Jésus » où la tradition musulmane veut qu’Il revienne à la fin des temps : un des rares lieux de dévotion commun aux deux religions.

 

Mais pas le seul. Il y a Seydnaya. Deuxième pèlerinage des chrétiens d’Orient après Jérusalem, c’est aussi un pèlerinage musulman : c’est que le monastère conserve une icône de la Vierge Marie attribuée traditionnellement à saint Luc. Les sœurs Servantes de la Sainte Vierge assurent le fonctionnement d’un orphelinat de 35 places et d’un collège dont les élèves musulmans ou chrétiens suivent le même programme, sauf l’instruction religieuse. Nous ne sommes pas montés jusqu’au Christ Rédempteur érigé en 2013 faute de temps : les religieuses nous ayant gardés longtemps pour une collation alors que nous étions attendus à Maaloula.   

 

Toujours le long des monts du Kalamoun, l’étape à Maaloula est un temps fort de notre voyage. Après le ralliement aux islamistes d’une partie de la récente minorité musulmane (20 % des habitants), la petite ville fut occupée huit mois par Al Nosra et l’ASL, puis reprise avec l’appui décisif du Hezbollah libanais. Maisons éventrées, parfois écroulées suite aux combats et pillées, églises touchées et aussi systématiquement saccagées : les effets de l’iconoclasme ou du pillage sont faciles à distinguer de ceux des combats. Ainsi le monastère Saint-Serge-Saint-Bacchus, proche de l’hôtel dont les rebelles avaient fait leur fortin, a été touché, coupole crevée ; mais, par exemple, l’autel antique a été délibérément cassé en quatre. Il est déjà restauré et remis en place. 

 

Le monastère Sainte-Thècle, situé dans la gorge, inclut la grotte de la disciple de Saint Paul, au fond d’un surplomb calcaire évoquant la Sainte-Baume ou San-Juan de la Peña. Il a été méthodiquement pillé, saccagé et incendié ; l’iconostase a été dépouillée de ses icônes ; le P. Toufik espère qu’elles réapparaitront sur le marché de l’art comme c’est déjà arrivé, car elles ont une valeur marchande. Les religieux des deux monastères sont dispersés provisoirement pendant la remise en état.

 

Dans la petite ville même, l’église et le centre paroissial ont subi le même sort ; leur rénovation est aidée financièrement par SOS Chrétiens d’Orient.

 

La ville paraît presque déserte, sauf les chantiers de rétablissement des réseaux de canalisations. La rencontre avec le P. Toufik, curé de la paroisse St-Georges de Maaloula, sans exposé de sa part, fut simplement festive et marquée par un déjeuner partagé avec la municipalité et des paroissiens dans la partie restaurée des locaux paroissiaux et la remise de dons par l’association et les visiteurs. Il confia à certains d’entre nous la difficulté qu’ont les sunnites d’accepter le pouvoir d’un non-musulman. Les chrétiens de Maaloula ont été victimes de l’asymétrie du rapport entre Dieu et César. Pourtant, il faudra revivre avec ce voisinage !

 

Changement total de paysage plus au nord. Grâce à la trouée de Homs, paysage agricole verdoyant (en cette saison), pluie, froid, vent et, hélas pour la vue, brouillard au Krak des Chevaliers dont la route d’accès et rouverte à l’occasion de notre venue. À la fin de la route, traces de combat à l’arme lourde : bâtiments éventrés ou effondrés en feuilleté de dalles planchers comme après un séisme. Le château lui-même ne fut pas bombardé, mais assiégé et amené à reddition par le siège et l’accord d’un sauf-conduit à la garnison. On trouva des vêtements féminins et des bouteilles d’alcool au voisinage de la chambre de « l’émir » que ses hommes avaient assassiné. Mais la reprise du Krak couta 21 hommes à l’armée du fait des mines. Le principal dommage fut ici encore dû au vandalisme : la destruction d’une grande partie du délicat remplage des arcades de la galerie bordant la grande salle gothique.

 

Toujours dans cette région appelée Wadi al-Nasara, « Vallée des Chrétiens », le vendredi nous sommes à Safita où les Templiers ont laissé un imposant donjon dont le rez-de-chaussée constitue l’église, voutée en berceau brisé, contenant près de 300 places assises. C’est le Vendredi Saint orthodoxe. Dès le matin, la fanfare répète une marche funèbre fort martiale en vue de l’office de la mise au tombeau du Christ, à la fin duquel le prêtre porte en procession un catafalque de fleurs symbolisant le Corps du Christ, finalement placé au-dessus de l’entrée de la nef de sorte que les fidèles passent en dessous. Par la faute d’une averse, la procession se limite au difficile tour intérieur de l’église bondée. Les chants sont puissants, renforcés par la perfection acoustique commune aux églises des Croisés. Symbole ? Ou mieux encore, signe ? L’église dédiée à Saint Michel n’a jamais été désaffectée, le donjon a survécu à toutes les guerres et à deux violents séismes.

 

Notre dernière étape syrienne est Lattaquié où notre Mahmoud a trouvé une messe anticipée de rite latin à la paroisse du Sacré-Cœur. Repaysement liturgique : église néogothique, traduction arabe de cantiques de chez nous. Faut-il le dire ? Par rapport à ce que nous avions entendu chez les Orientaux, c’est bien doucereux. Il y a un monde entre les deux sensibilités esthétiques : probablement est-ce lourd de sens. À l’issue de la messe, nous sommes accueillis par les carmélites de saint-Joseph. Elles nous indiquent que l’afflux de réfugiés a doublé la paroisse, malgré le départ de jeunes voulant éviter le service militaire ou cherchant du travail. Une sœur jordanienne fait part de son inquiétude face à l’évolution islamiste qu’elle observe à chaque visite annuelle dans sa famille. 

 

Nous repartons admiratifs du courage de ces chrétiens. Inquiet pour leur avenir. Inquiet pour le nôtre aussi, dans un monde où d’étranges intérêts géopolitiques et financiers cultivent le désordre et la violence pour se maintenir.

 

 

 

Par Pierre Huet - plunkett.hautetfort.com – le 21 avril 2015.

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