Bob Marley et la folle histoire du cannabis (partie 2/2) | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Bob Marley et la folle

histoire du cannabis (partie 2/2)

Par Jean-Marc Dupuis

 

Conclusions des études scientifiques sur les effets thérapeutiques du cannabis

 

Les études scientifiques ont conclu aux effets thérapeutiques suivants, accompagnés cependant des effets indésirables mentionnés ci-dessus. C’est donc avec un médecin que le patient doit évaluer si le rapport risque/bénéfice est bon ou non :

 


Cancer : le cannabis est efficace contre les nausées et vomissements provoqués par la chimiothérapie dans le cadre du traitement du cancer [9].

 

Les études réalisées sur ce sujet n’ont pas porté sur du cannabis fumé, mais sur des gélules contenant 5 à 10 mg de THC (dronabinol-Marinol®) administré par voie orale, et légales pour cette indication au Canada. La pénétration du THC dans l’organisme est alors sensiblement la même qu’en fumant un joint, sans les inconvénients des toxines dégagées par la combustion (goudron, monoxyde de carbone…).

 

L’efficacité du cannabis serait alors supérieure aux médicaments antinausée traditionnels, mais inférieure à l’ondansétron, un nouveau type de médicament. Toutefois, les effets secondaires indésirables sont importants. Lors des études réalisées auprès de 1 400 volontaires sous chimiothérapie (donc des personnes a priori favorables au traitement), 10 % ont abandonné le traitement en raison des effets indésirables : dépression, hallucinations, paranoïa, hypotension.

 


Sida : le cannabis est également efficace pour rendre l’appétit aux personnes malades du sida, et lutter contre la perte de poids provoquée par la maladie [10], mais toujours avec les mêmes effets secondaires.

 


Douleurs : de vieilles études (datant de 1975) sur un petit nombre de patients cancéreux (41) indiquent que le cannabis pourrait être efficace contre les douleurs liées au cancer. Mais là encore, les patients se sont plaints d’effets indésirables importants. On a constaté que 10 mg et 20 mg de THC étaient respectivement aussi efficaces que des doses de 60 mg et 120 mg de codéine. À 10 mg, le produit était bien toléré par les sujets, tandis qu’à 20 mg il a causé de la somnolence, des étourdissements, de l’ataxie, une baisse de l’acuité visuelle et même une anxiété extrême chez 5 sujets [11].

 


Sclérose en plaques : les tremblements, les douleurs et la baisse de la mobilité provoquée par la sclérose en plaques peuvent être atténués par le THC. Un traitement à vaporiser sous la langue est autorisé au Canada [12].

 

Mentionnons enfin des cas anecdotiques où des patients affirment être soulagés du glaucome (maladie des yeux) grâce au cannabis, celui-ci réduisant la pression oculaire.

 

 

Comment le cannabis est devenu populaire

 

Nous avons donc dit que le cannabis n’a rien d’une plante merveilleuse sur le plan thérapeutique et que, en tant que drogue, elle n’a jamais été massivement convoitée par les adolescents et adultes en recherche de sensations et d’évasion, qui n’avaient pourtant qu’à tendre la main dans leur jardin pour en trouver.

 

Certains poètes parisiens (Baudelaire) à la fin du XIXe siècle se servirent malgré tout du chanvre pour chercher l’inspiration et explorer les « paradis artificiels », mais il s’agissait d’un mouvement marginal et socialement élitiste.

 

Comment le chanvre est-il ainsi passé si brutalement de plante banale au stade de plante mythique, le nouveau « fruit défendu », officiellement interdit dans la plupart des pays, mais consommé régulièrement par 20 millions de personnes en Europe ?

 

 

Tout bascule à la Jamaïque dans les années 1930

 

La Jamaïque est une île des Caraïbes qui servait de première étape dans la Traite des Noirs vers l’Amérique. S’y sont mélangés depuis cinq siècles des populations africaines (surtout Afrique de l’Ouest) et des Européens qui y ont apporté la Bible. D’innombrables églises chrétiennes issues du protestantisme s’y côtoient.

 

L’esclavage ayant été aboli en 1838, la main-d’œuvre indienne (originaire d’Inde, non d’Amérique) afflue à la Jamaïque. Elle apporte avec elle les traditions de l’ashram indien telles que le régime végétarien, la méditation et surtout l’usage du chanvre – appelé dans cette tradition « Ganja », terme sanskrit – utilisé dans le cadre des rites religieux.

 

La Ganja se répand rapidement dans toute la Jamaïque, bien au-delà de la communauté indienne, tandis que bouillonnent les mouvements prophétiques et révolutionnaires.

 

 

Le mouvement rastafarien ou « rasta »

 

En 1924, un pasteur jamaïcain parti aux États-Unis, le Révérend James Morris Webb annonce aux Jamaïcains que la fin de l’esclavage un siècle plus tôt n’a été qu’une étape dans leur chemin de délivrance.

 

Les descendants d’esclaves noirs doivent maintenant connaître un double mouvement de libération, la libération intérieure par une conversion spirituelle, la liberté politique en retournant en Afrique.


Dans une interprétation originale de la Bible, il désigne l’Éthiopie comme la véritable « Terre Promise », qu’il appelle « Sion ». C’est là que doivent retourner les Afro-Américains, telles les « Douze tribus d’Israël » fuyant la nouvelle « Babylone » qu’est le monde occidental et ses institutions [13].

 

Et il fait la « prophétie » suivante : « Regardez vers l’Afrique, où un roi noir sera couronné, qui mènera le peuple noir à sa délivrance ».

C’est la fondation du mouvement « rastafari » ou « rasta ».

 

Le mouvement est profondément enraciné dans la Bible, les références chrétiennes et judaïques. Le rastafarien doit par exemple suivre certaines prescriptions bibliques, celles des Nazarites (dont faisait partie le célèbre Samson) :

 

  • ne pas se couper les cheveux ni la peau, ce qui entraîne l’apparition de « dreadlocks », de longues mèches de cheveux ;
  • ne pas boire d’alcool ;
  • suivre un régime végétarien strict.

 

Le rastafarien doit lire un chapitre de la Bible tous les matins. Il suit les Dix commandements.

 

Il est polygame : le célèbre rasta Bob Marley (mort à 36 ans) reconnut 11 enfants, une autre star rastafarienne du reggae comme Denroy Morgan en eut 29.

 

Mais s’y mêlent aussi les influences indiennes, et en particulier la Ganga (cannabis). Fumer de la Ganja est considéré comme un « sacrement » par les rastas.

 

C’est un signe donné par Dieu (qu’ils appellent « Jah ») pour aider à leur conversion intérieure, augmenter leur grâce, les élever spirituellement.

 

De faible ampleur au départ, le mouvement rastafari connaît une brutale expansion lorsque, en 1930, la prophétie du révérend James Morris Webbd « se réalise ».

 

 

La prophétie rasta se réalise

 

En 1930 est couronné en Éthiopie un roi, Haïlé Sélassié Ier. Son nom signifie « Puissance de la Trinité ». Haïlé Sélassié prend pour emblème le Lion de Juda, emblème de la première Tribu d’Israël dans l’Ancien Testament. Il affirme descendre du Roi Salomon par la Reine de Saba.

 

Pour Marcus Garvey, un rasta habitant à Harlem (New York), c’est un signe qui ne trompe pas : ce roi est le nouveau « Messie ». Il déclare qu’il descend aussi de Moïse et de Jésus, qui eux aussi d’ailleurs étaient noirs.

 

Marcus Garvey est interné en 1938, mais son message est largement entendu à la Jamaïque où le Roi d’Éthiopie devient une véritable idole vénérée par les rastafaris comme l’incarnation de Dieu lui-même. À tel point que Haïlé Sélassié Ier décide de se rendre en Jamaïque en 1966. Et c’est là que tout bascule.

 

 

La conversion de Bob Marley

 

Bob Marley, fils d’un Anglais du Sussex et d’une Jamaïcaine, est un chanteur talentueux et extrêmement attachant, qui connaît déjà une grande popularité à la Jamaïque lorsque le roi d’Éthiopie s’y rend en 1966.

 

Il est marié à Rita Marley, une femme qui participe à un meeting autour du Roi d’Éthiopie.

Et c’est là qu’elle affirme voir les stigmates du Christ (trous laissés dans ses mains et dans ses pieds par les clous de la croix) dans les mains du Roi. Bob Marley se convertit au rastafari.

 

Parolier remarquable, il intègre à ses chansons les thèmes rastafaris, appelant à l’amour, la révolte des descendants d’esclaves, à la conversion spirituelle, à la gloire du Roi d’Éthiopie (appelé Lion de Juda), à la nostalgie de la terre de Sion, au départ de Babylone, à la lutte contre l’oppresseur (« I shot the Sheriff ») et bien sûr à la consommation de cannabis (Kaya, Easy Skanking), sacrement du mouvement rasta.

 

Sa musique, le « reggae », est lente, chaloupée, inspirée du rocksteady, du ska, et du Rythm and blues. C’est une fusion d’influences africaines, européennes et américaines. Ses concerts sont de véritables cérémonies rituelles, dans lesquelles se mêlent les prophéties, les prières et les appels à la conversion et au combat (Get up, Stand up !), le cannabis créant l’union sacrée entre les musiciens (son groupe s’appelle les Wailers, c’est-à-dire les « gémisseurs », qui aspirent à se libérer de l’oppression) et le public.

En 1973, le guitariste de blues anglais Eric Clapton venu à la Jamaïque découvre son talent. Il reprend l’année suivante sa chanson « I Shot the Sheriff », qui connaît instantanément le succès et fait la célébrité mondiale de Bob Marley.

 

La vague du reggae en Occident est lancée.


Les disques de Bob Marley se vendent à des millions d’exemplaires (200 millions à ce jour). Il fait des tournées mondiales, popularisant à grande échelle cette musique magique qu’est le reggae, qui donnera plus tard naissance au rap.

 

En même temps qu’il découvre Bob Marley, le reggae et le rastafari, le grand public découvre le « joint » qui accompagne toujours les musiciens. On peut toutefois supposer que la signification politique et spirituelle du cannabis échappe totalement au grand public. Néanmoins, un véritable courant esthétique et spirituel au niveau mondial est créé.

 

Bob Marley, les rastas, le reggae et le cannabis deviennent des symboles de la libération, du progrès social, du retour aux sources africaines de l’humanité, et d’une nouvelle spiritualité détachée des contraintes matérielles de l’Occident.

 

Le mouvement connaîtra par la suite de profondes mutations, avec une place plus ou moins centrale accordée au cannabis, que l’on retrouve chez les rappeurs qui sont les « descendants » directs des rastas.

 

Et de même que le reggae et le rap sont appréciés de centaines de millions d’auditeurs qui, sans forcément comprendre toutes les paroles, éprouvent un sentiment de communion avec les musiciens, des millions de personnes qui n’ont pas ou peu de connaissance des racines spirituelles du mouvement rastafari ont été familiarisées avec son « sacrement », le cannabis.

 

 

Bob Marley meurt du cancer

 

Bob Marley mourut en 1981 à l’âge de 36 ans, non d’un cancer du poumon, mais d’un cancer de la peau (mélanome) au gros orteil.

En fait, ce mélanome lui avait été diagnostiqué en 1977. Les médecins lui avaient conseillé de se faire amputer l’orteil en urgence. Bob Marley refusa, le rastafari interdisant de se « couper » (voir plus haut). Le cancer se métastasa, Bob Marley avait cinq tumeurs en 1980 et il mourut dans d’atroces souffrances en 1981, dans une clinique en Bavière, tandis que le Dr Issels, inventeur d’une thérapie alternative contre le cancer, tentait de le sauver [14].

 

Toute une controverse tourne évidemment autour du Dr Issels, mais j’aimerais savoir ce que proposent les polémistes et les censeurs comme thérapie conventionnelle efficace quand un patient a développé cinq tumeurs, dont une au cerveau…

 

Bref, toujours est-il que Bob Marley reste dans le cœur de millions de fans le symbole absolu du reggae et du mouvement rasta. Il a sa statue de cire au musée de Mme Tussaud, à Londres, non loin de celle de la Reine Elizabeth, de Nelson Mandela et du Pape Jean-Paul II.

 

Il est chevalier de l’Ordre du Mérite Jamaïcain. Et il a popularisé l’idée que consommer du cannabis est un acte de libération à la fois politique et spirituel (libération intérieure).

 

La fiche Wikipédia de Bob Marley le décrit comme un « apôtre », un « prophète » [15], et le journal The New York Times écrit qu’il serait un jour considéré comme « un saint » [16].

 

C’est ainsi que le chanvre, autrefois aussi banal que l’ortie ou le pissenlit, est devenu aujourd’hui le fruit défendu par excellence.

Et cela fait bien les affaires des descendants de Bob Marley…

 

 

Bob Marley : 5e au classement Forbes des célébrités décédées les plus rentables

 

Bob Marley qui chantait contre le commerce et le capitalisme se retournerait dans sa tombe s’il savait l’exploitation éhontée qui est faite de son nom et de son image par ses descendants.

 

Il est aujourd’hui devant John Lennon et Marilyn Monroe au classement Forbes des célébrités décédées les plus rentables, avec 17 millions de dollars en 2012 [17].

 

Mais ce n’est peut-être qu’un début. Le « Bob Marley Estate », la société qui gère les droits de ses héritiers sur son image, a annoncé la semaine dernière le lancement d’un mélange spécial de marijuana appelé « Marley Natural », qui sera vendu légalement dès l’année prochaine aux États-Unis.

 

Le fonds de capital-investissement Privateer Holdings, basé à Seattle, s’est allié à sa veuve et à ses enfants pour lancer la production et la distribution de masse d’une espèce prétendument traditionnelle de cannabis « jamaïcain » (en fait, le cannabis est originaire d’Asie) sous forme de lotions, de crèmes, et de feuilles [18].

 

À quoi il faut ajouter les T-Shirts Bob Marley, les casquettes, les porte-clés et les badges Bob Marley, les posters Bob Marley que les adolescents « révoltés » achètent dans les supermarchés, les casques, les montres et les Cds, plus la mode des dreadlocks qui a maintenant gagné les Japonais.

 

Mais cette fois, avec son nom servant de fer de lance au mouvement international de légalisation du cannabis, on parle d’un marché global pesant des milliards de dollars. Qu’il l’ait voulu ou non, Bob Marley est donc devenu le cow-boy Marlboro de la marijuana.

Si rien n’est fait, c’est certain, son nom ne sera bientôt plus que celui d’une multinationale cotée au Nasdaq.

 

À votre santé !

 

Par Jean-Marc Dupuis - santenatureinnovation.com – le 1er février 2015

 

 

Notes :

[9] Ben Amar M. Cannabinoids in medicine: A review of their therapeutic potential. J Ethnopharmacol. 2006 Apr 21 ; 105(1-2) : 1-25.

Tramer MR, Carroll D, et al. Cannabinoids for control of chemotherapy induced nausea and vomiting: quantitative systematic review.BMJ. 2001 Jul 7 ; 323(7303) : 16-21. Texte intégral.

[10] Beal JE, Olson R, et al. Dronabinol as a treatment for anorexia associated with weight loss in patients with AIDS.J Pain Symptom Manage. 1995 Feb ; 10(2) : 89-97.

[11] Noyes R Jr, Brunk SF, et al. Analgesic effect of delta-9-tetrahydrocannabinol. J Clin Pharmacol. 1975 Feb-Mar ; 15(2-3) : 139-43. Cité et décrit dans : Santé Canada. Marihuana : Information destinée aux professionnels de la santé. Canada, 2003. [Consulté le 15 octobre 2006].

Noyes R Jr, Brunk SF, et al. The analgesic properties of delta-9-tetrahydrocannabinol and codeine.Clin Pharmacol Ther. 1975 Jul ; 18(1) : 84-9. Cité et décrit dans : Santé Canada. Marihuana : Information destinée aux professionnels de la santé.

[12] Zajicek J, Fox P, et al. Cannabinoids for treatment of spasticity and other symptoms related to multiple sclerosis (CAMS study): multicentre randomised placebo-controlled trial. Lancet. 2003 Nov 8 ; 362(9395) : 1517-26.

[13] Dans l’Ancien Testament, les Juifs sont persécutés par les Assyriens, qui les exilent à Babylone, sur les rives de l’Euphrate. À Babylone, ils sont réduits en esclavage, perdent leur identité, mais certains finissent tout de même pour rentrer au Royaume de Juda (Palestine), où ils peuvent à nouveau vivre selon les commandements de Dieu (Yahve).