Ouest contre Est : la marche à la guerre ? | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it



Ouest contre Est :

la marche à la guerre ?

Par Patrice de Plunkett (*)

 

 

Mardi au Sénat, les propos sidérants du général Martin Dempsey (chef d’état-major du Pentagone) faisaient penser à ceux de Burt Lancaster putschiste dans Seven Days in May :  

 

Barack Obama a reçu deux gifles. L’une du Congrès, qui a acclamé un chef de gouvernement étranger venu vitupérer la politique étrangère de la Maison-Blanche. L’autre du Pentagone, qui parle désormais comme si la Maison-Blanche n’existait plus. Devant la commission des forces armées du Sénat, le général Martin Dempsey, chef d’état-major interarmées au Pentagone, a déclaré mot pour mot : « Je pense que nous devrions absolument envisager de fournir [des armes à l’Ukraine], et cela devrait être fait dans le cadre de l’OTAN, l’objectif ultime de Poutine étant de fracturer l’OTAN. »

 

Cette idée violerait la légalité internationale que « l’Occident » (dont le général Dempsey est en principe l’outil) ne cesse pourtant d’invoquer.

 

En effet :

1. pays en état de semi-guerre, l’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN, et n’en fera pas partie tant que plusieurs membres de l’OTAN (France, Allemagne) s’y opposeront.

 

2. Donc : le fait d’armer un belligérant non membre de l’OTAN – et de faire cela explicitement « dans le cadre de l’OTAN » – serait un acte d’intervention agressive.

 

3. Cet acte contredirait la charte de l’OTAN, qui est par nature un pacte défensif.

 

4. Pour tourner cet obstacle, le général Dempsey invente un prétexte : la situation présente serait l’effet, de la part de Poutine, d’une stratégie a priori qui viserait à « fracturer l’OTAN ».

Fiction ! Regardons les faits réels :


a) c’est Washington qui a pris l’initiative des hostilités contre la Russie à la fin des années 1990, en étendant l’OTAN contrairement à la promesse faite à Gorbatchev, et en programmant la ceinture soi-disant « antimissile » ;


b) le putsch de Kiev en 2014 fait partie* de ces hostilités américaines, qui se veulent un étau à resserrer autour de la Russie ;


c) la guerre larvée en Ukraine est une conséquence de ce putsch et de ce qui s’en est suivi ;


d) Eltsine lui-même avait prévenu que toute avancée de l’OTAN vers la frontière russe entraînerait une riposte de Moscou, quel que soit le gouvernement alors en place ;


e) présenter la réplique politico-militaire de Poutine comme une menace préméditée contre « l’OTAN » en général est une pure rhétorique. Mais c’est une rhétorique périlleuse.

 

5. Présenter comme un provocateur celui qu’on a provoqué, puis l’attaquer en disant qu’on se défend contre lui : c’est le mécanisme des guerres.

 

6. Rappelez-vous ! Golfe du Tonkin, 2 août 1964. Deux destroyers américains (USS Maddox et USS Turner Joy) font intrusion dans les eaux territoriales du Nord-Vietnam. C’est une provocation délibérée. Les batteries nord-vietnamiennes ouvrent le feu. Le 4 août, le Congrès vote un texte qui était prêt depuis six mois : intitulé Resolution to promote the maintenance of international peace and security in southeast Asia, ce texte autorise ensuite le président des USA à déclarer la guerre sans vote du Congrès... On connaît le résultat : vingt ans d’un carnage sans issue qui tuera 1 800 000 Vietnamiens et 58 000 Américains. Incroyable tuerie pour rien, fruit de l’aveuglement politique de Washington – et de la pression du complexe militaro-industriel étatsunien !

 

 

Que se passerait-il si le Pentagone imposait sa volonté au faible et verbeux président Obama ?

Voici le scénario :

 

► quoique la charte de l’OTAN soit ainsi violée et (de facto) suspendue, les États de l’UE n’oseraient opposer leur veto et seraient forcés de suivre Washington ;


► le Pentagone déploierait en Ukraine des systèmes d’armes qui seraient (inévitablement) servis sur le terrain par l’armée américaine, sachant la carence de l’armée ukrainienne ;


► tout serait donc en place pour un conflit direct entre l’armée américaine et l’armée russe ;


étant dans les bagages de l’armée américaine, les États européens seraient impliqués dans le conflit.

 

Voilà où nous mènent les « Seven days in March » du général Dempsey.

 

 

 

Par Patrice de Plunkett (*) - plunkett.hautetfort.com – le jeudi 4 mars 2015

 

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* Ça se passe désormais à ciel ouvert : l’actuel gouvernement de Kiev comporte plusieurs ministres non ukrainiens, formés à Washington et/ou citoyen(s) américains.

 

 

 

(*) Patrice de Plunkett est un journaliste et essayiste français, qui codirigea le Figaro Magazine.