« Les 300 », le symbole oublié de Zaporojié | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it


« Les 300 », le symbole oublié de Zaporojié

Par Laurent Brayard (1)

 

Le courage de ces hommes a été passé sous silence en Occident, soit par mépris, soit par ignorance totale des faits. Ceci s’est passé dans une ville symbole de l’Ukraine, sur la frontière historique entre ce pays et ce qui fut l’Hetmanat des Cosaques qui se soulevèrent contre les Ukrainiens et les Polonais au XVIIe siècle. Vous ne connaissez pas cette histoire ? Vous pourriez en aborder quelques-unes des facettes en lisant les lignes de Tarass Boulba du grand auteur russe et ukrainien Nicolas Gogol (1809-1852). Les Cosaques y construisirent une Sitch (2) dans une île du Dniepr et lancèrent des raids vers l’Ouest et le Sud. C’est dans cette ville que quelques dizaines de courageux russophones ont été au cœur d’un acte à la fois sensationnel et ignoble.

 

Sur le Dniepr, Zaporojié est une ville de contraste, comme toutes les villes sur ce grand fleuve. Les Russophones étaient avant la guerre 57 %, les Ukrainiens seulement 42 %. Cela plante déjà le décor. Depuis toujours elle fut un lieu de passage, emprunté d’ailleurs par toutes les armées envahissantes pour les uns l’Est, pour les autres l’Ouest : Polonais, Cosaques, Russes, Tatars, Allemands, Bolcheviques, Blancs, Verts, Nazis… La ville était aussi sur la fameuse ligne du Dniepr, ligne de défense qui fut le dernier espoir des Hitlériens de se maintenir en Ukraine et qui fut forcée par l’Armée rouge en octobre 1943. Elle eut beaucoup à souffrir des combats et des destructions. Ville industrielle parmi les plus grandes d’Ukraine, elle comptait plus de 760 000 habitants en 2013.

 

Alors que le mouvement Euromaïdan était sorti vainqueur dans sa lutte pour le pouvoir, en utilisant massivement les militants néonazis des Partis Svoboda et Pravy Sektor, la situation en avril 2014 était explosive en Ukraine. Ayant pris une importance capitale dans l’appareil du pouvoir en train de naître après le coup d’État du Maïdan, les nationalistes-ultras sortirent de l’Ouest de l’Ukraine et de Kiev pour se répandre dans tout le pays. Ils furent encore une fois à l’avant-garde de toutes les manifestations russophobes, antisémites et pro-européennes. Passages à tabac d’opposants russophones, intimidations, destructions de biens privés, pillages, mises à bas de monuments et de sculptures rappelant la période soviétique : statues de Lénine, cimetières militaires, plaques commémoratives des combattants de l’Armée rouge, vestiges de la Seconde Guerre mondiale, cimetières juifs ou de soldats soviétiques, porteurs de rubans de Saint-Georges (symbole patriotique soviétique et russe), tout cela fut mis à bas, détruit, saccagé, persécuté, tabassé.

 

Le 13 avril 2014, quelques dizaines de russophones s’étaient rassemblés à Zaporojié sur une place publique pour protester contre la tournure du Maïdan, tournure clairement néonazie à ce moment-là et qui allait se dévoiler par le massacre d’Odessa quelques jours plus tard. Les opposants russophones furent bientôt, comme vous le verrez sur cette vidéo, encerclés par une foule vociférante composée de fanatiques armés de bâtons, de barres de fer, de marteaux et d’autres armes contondantes, y compris des couteaux. Les opposants russophones n’étaient pas armés, ils étaient venus ici pour protester pacifiquement. Ils furent bientôt entourés par une horde véritablement hystérique, les quelques dizaines de russophones étant encerclés par des « septembriseurs » prêts au massacre et dix fois plus nombreux. C’est avec peine que la police, par ailleurs très molle a protégé la vie de ces hommes. Ils furent insultés pendant six longues heures, canardés de farine, d’œufs, puis de pierres, de bouteilles et d’autres projectiles. Formant un cercle de défense compacte, pour exprimer leur protestation de manière démocratique, ils ont été insultés de la pire des manières.

 

Les néonazis présents étaient venus en nombre et entrainèrent probablement la foule dans son hystérie. À un moment, les manifestants russophones pacifiques furent même atteints, certains traînés et roués de coups, avec l’intention avérée de les lyncher sans autre forme de procès. Courageusement ils firent face, devant subir les outrages d’une foule surexcitée de plus en plus nombreuse. Les fascistes lançaient des slogans et des appels au meurtre, ils promettaient la mort à ceux qui ne jetteraient pas les rubans de Saint-Georges, à ceux qui ne s’agenouilleraient pas au sol et qui ne chanteraient pas l’hymne national ukrainien.

 

Aucun d’entre eux même malgré l’évidence que leurs vies étaient en danger ne mit le genou à terre. L’ironie du sort est qu’ils furent finalement embarqués par la police, comme des criminels, chargés dans des paniers à salade par les forces de l’ordre et emmenés au poste. Ils furent ici interrogés, malmenés, pressés psychologiquement et fichés comme de vulgaires délinquants. Les fanatiques assoiffés de sang les avaient suivis jusque devant le commissariat de Police… où ils durent encore être exfiltrés par les policiers sous les injures…

 

Ces hommes ont donné à l’Europe un symbole très fort, de liberté, de refus de se soumettre, de lutte pour la Démocratie et la liberté d’expression. Il n’était pas convenable pour des journalistes de parler de leur histoire. Ils étaient russophones donc du mauvais côté. Il n’était pas convenable de les montrer en exemple, comment expliquer que le mouvement Euromaïdan n’était nullement démocratique, qu’il y avait déjà des persécutions à caractère politique et racial en Ukraine quand les médias vendaient leurs fables de la méchante Russie ? Ils furent passés sous silence. Auraient-ils été massacrés comme à Odessa que les médias français et européens auraient sans doute tronqué le sujet. C’est l’histoire de tous les civils morts en Ukraine depuis le début de l’Euromaïdan, d’abord à Kiev, puis dans toutes les villes et enfin surtout dans l’Est de l’Ukraine.

 

Alors, toi, citoyen français qui regardera cette vidéo, demande-toi de quel côté est la Démocratie. Demande-toi pourquoi notre gouvernement soutient les hommes qui étaient armés de matraques et de barres de fer. Ce sont les sbires de Porochenko, ce sont eux qui sont montrés comme des « héros ». Devant cette injustice, pour ne pas finir à genou, les gens du Donbass eux ont choisi de répondre, de se défendre par les armes. Des milliers d’entre eux sont déjà morts, la France a participé à leur assassinat en supportant l’Armée ukrainienne, en fournissant de l’argent avec l’Union européenne, jusqu’à faire les honneurs au chef suprême de cette « Ukraine démocratique » du Palais de l’Élysée. Est-ce cela la Démocratie des Charlie ? En voulez-vous plus citoyens français ?

 

 

Par Laurent Brayard (1) - Novorossia Vision – le 26 février 2015

 

 

 

(1) Laurent Brayard : né à Clermont-Ferrand (origines dans la Bresse et le Lyonnais). Historien spécialiste des Armées de la Révolution et de l’Empire, secrétaire de la SEHRI, la société d’études historiques révolutionnaires et impériales et membre correspondant de la Société d’Émulation de l’Ain, l’une des plus anciennes sociétés savantes de France (créée en 1746). Rédacteur et journaliste à La Voix de la Russie vivant à Moscou depuis bientôt deux ans. Il poursuit ses travaux historiques en Russie et écrit un livre sur une famille russe durant la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, de 1940 à 1948… (Source : ici)

 

(2) La sitch ou sietch, (Січen ukrainien) était le centre politique démocratique des cosaques, particulièrement des Zaporogues. L’instance suprême de décision de la sitch était la Rada, l’assemblée des Cosaques. (Source Wikipédia