Washington nous enterrera-t-il tous ? | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Dessin : pssectionframeries.be


 

 

Washington nous enterrera-t-il tous ?

Par Paul Craig Roberts (*)

 

Savez-vous que Washington maintient 450 missiles nucléaires balistiques intercontinentaux (ICBMs) en « état d’alerte permanente » ?

 

Washington pense que cela nous permet d’être « en sûreté ». Le raisonnement, si l’on peut parler ici de raison, est que personne n’essaiera d’attaquer les États-Unis avec des armes nucléaires si les USA peuvent en tirer en quelques minutes. Les missiles US peuvent être en chemin avant même que les missiles ennemis puissent atteindre les États-Unis pour détruire les nôtres.

 

Si cela vous fait sentir en sûreté, vous devez alors lire le livre d’Eric Schlosser, Command and Control (ndlr : sous-titré Les armes nucléaires, l’accident de Damas et l’illusion de la sûreté).

 

Les états d’alerte permanents posent problème, car ils sont à même de se déclencher de façon trompeuse, accidentelle et non autorisée.

 

Schlosser énonce l’histoire des tirs potentiels qui auraient pu amener le chaos sur la planète.

 

Dans Catalyst, une publication de l’Union des Scientifiques Préoccupés (Union of Concerned Scientists), Elliott Negin raconte l’histoire du lieutenant colonel soviétique Stanislav Petrov. Peu après minuit en 1983, le système satellite de détection de l’Union Soviétique donne l’alarme : 5 missiles balistiques intercontinentaux se dirigent vers l’Union Soviétique.

 

Le colonel Petrov aurait alors dû informer le dirigeant soviétique, qui aurait eu 8 à 10 minutes pour décider de répondre ou non à cette attaque. Qui sait ce qu’il aurait alors décidé ? Au lieu de cela, le colonel Petrov fit montre de son discernement. Il n’y avait alors aucune raison pour que les USA attaquent l’URSS. De plus, Petrov s’est dit avec raison qu’une attaque américaine impliquerait des centaines de missiles, peut-être même des milliers. Il vérifia alors si les radars soviétiques au sol avaient détecté des missiles, ce qui n’était pas le cas. Petrov décida que c’était une fausse alerte, et s’en tînt là.

 

Il apparut finalement que le système de détection préventive de l’URSS avait pris la lumière réfléchie d’un rayon de soleil sur les nuages pour des missiles.

 

Negin rappelle qu’« une puce d’ordinateur défaillante, un circuit mal installé sur une carte sont des causes » potentielles qui pourraient initier une guerre nucléaire. En d’autres mots, les sources de fausses alertes sont nombreuses.

 

Revenons-en à aujourd’hui. Imaginez un officier américain supervisant le système américain de détection nucléaire. Cette officier a subi 15 ans de propagande de guerre accompagnée par des invasions américaines et le bombardement de 8 pays. Les mises en garde envers les terroristes et les états d’alerte abondent, comme les appels de politiciens américains et israéliens à bombarder l’Iran.

 

Les médias l’ont convaincu que la Russie a envahi l’Ukraine et qu’elle est proche d’envahir les pays baltes et la Pologne. Les troupes américaines et les tanks se sont approchés de la frontière russe. Certains parlent d’armer l’Ukraine. Poutine est dangereux et agite la menace d’une guerre nucléaire, manœuvre ses bombardiers stratégiques près de nos frontières et fait des tests nucléaires.

 

L’officier américain vient d’entendre un général US appeler une fois de plus à « tuer les Russes ». Les Républicains l’ont convaincu qu’Obama se couche devant l’Iran, le sénateur Tom Cotton insistant de ce fait sur une guerre nucléaire qui viendrait en conséquence. Nous allons tous être tués, car il y a un musulman à la Maison-Blanche.

 

Pourquoi personne ne se lève pour l’Amérique ? se demande l’officier américain patriote, alors que l’alarme le prévient que les missiles arrivent. Sont-ils russes ou iraniens ? Israël aurait donc raison après tout ? L’Iran aurait développé un programme caché d’armement nucléaire ? Ou Poutine aurait-il décidé que les USA l’empêchent de mener à bien sa reconstruction de l’Empire soviétique, dont les médias américains affirment que c’est l’objectif ?

 

Il n’y a pas la place pour un jugement raisonné dans l’esprit de l’officier américain, qui est en état d’alerte permanente suite à la propagande incessante qu’en Amérique on nomme « news ». Il transmet l’alerte. Le conseiller à la sécurité nationale d’Obama, un néoconservateur russophobe lui crie « Vous ne pouvez pas laisser Poutine s’en tirer ainsi ! ». « Mais c’est peut-être une fausse alerte » lui rétorque le président nerveux et agité. « Petit toutou libéral ! Vous ne savez pas que Poutine est dangereux !? Pressez le bouton ! » Ainsi va le monde.

 

Considérons l’extrême russophobie diffusée au sein de l’Amérique par le ministère de la propagande, la diabolisation de Vladimir Poutine – le « nouveau Hitler », Vlad l’empaleur –, la création propagandiste de la « menace russe », le désir néoconservateur fou d’une hégémonie américaine sur le monde, la haine de la Russie et de la Chine comme des rivaux émergents capables d’exercer un pouvoir indépendant, la perte des statuts du pouvoir américain unipolaire et de l’action unilatérale sans contraintes. Emplis de ces émotions et bercés non par des faits, mais par de la propagande, de l’arrogance et de l’idéologie, il y a une grande chance que la réponse de Washington à une fausse alerte détruirait toute vie sur Terre.

 

Quelle confiance avez-vous en Washington ? Combien de fois Washington – et spécialement les néoconservateurs en furie – ont eu tort ? Rappelez-vous les 3 semaines de cakewalk (ndlr: Le cake-walk ou cake walk est une danse populaire née parmi les Noirs de Virginie, pour imiter avec ironie l’attitude de leurs maîtres se rendant aux bals) de la guerre en Irak, qui coûtèrent 70 milliards de dollars et furent payés grâce aux revenus irakiens du pétrole spolié ?

 

Aujourd’hui son coût est de 3 000 milliards et grimpe encore, et après 12 années de guerre, le radical État Islamique contrôle la moitié du pays. Pour payer les guerres, les Républicains souhaitent « privatiser », ce qui signifie supprimer la sécurité sociale et Medicare.

 

Rappelez-vous de la « Mission accomplie » en Afghanistan ? Douze ans plus tard, les talibans contrôlent à nouveau le pays et Washington, après avoir tué des femmes, des enfants, des doyens de village, durant des enterrements, des mariages, des matchs de foot entre enfants, a été poussé dehors par quelques milliers de talibans légèrement armés.

 

Les frustrations liées à ces défaites sont montées à la tête de Washington et des militaires. Ainsi le mythe dit que nous aurions perdu parce que nous n’aurions pas mobilisé toutes nos forces. Nous aurions été intimidés par l’opinion mondiale ou par ces satanés protestataires étudiants, ou empêchés de gagner par un certain président sans cran, un toutou libéral qui ne saurait utiliser toute notre puissance. Pour la droite, la rage est un art de vivre.

 

Les néoconservateurs croient fermement que l’Histoire a choisi l’Amérique pour régner sur le monde, et voilà que nous sommes défaits par des guérillas vietnamiennes, des tribus afghanes, des fondamentalistes islamistes, et Poutine enverrait finalement ses missiles pour finir le travail.

 

Quel que soit le fou de la Maison-Blanche, il pressera le bouton. La situation ne s’améliore pas, elle se détériore. Les Russes, espérant quelque signe d’intelligence en Europe, contredisent les mensonges anti-russes de Washington. Washington déclare que la contradiction véridique de sa propre propagande est une propagande russe.

 

Washington a ordonné au Bureau de diffusion des gouverneurs, une agence gouvernementale US, dirigée par Andrew Lack, un ancien président de NBC news, de contrecarrer une supposée, mais inexistante, « Armée Troll du Kremlin » qui surpasse les prostitués de l’Occident et « développe un dialogue prorusse » sur le NET.

 

 Au cas où vous ne vous en rappelleriez plus, Lack est l’idiot qui a déclaré que la chaîne Russia Today (RT) est une « organisation terroriste ». En d’autres mots, d’après l’opinion de Lack, celui qui révèle la vérité est un terroriste.

 

Lack illustre bien le traitement par Washington du reportage honnête : s’il ne sert pas la propagande de Washington, il ne peut être véridique. C’est du terrorisme.

 

Lack espère contrôler RT par intimidation : en effet, il a dit à RT de se taire et de dire ce qu’il souhaite ou alors que la chaîne serait fermée et considérée comme organisation terroriste. Les employés américains de la chaîne pourraient même être arrêtés comme contributeurs au terrorisme.

 

Pour neutraliser une Russie revancharde et son armée de trolls du NET, le régime Obama a débloqué une somme de 15 400 000 dollars pour le dingue Lack afin qu’il l’utilise pour discréditer toute vérité qui émergerait des versions anglaises de médias russes. Ce montant augmentera bien sûr dramatiquement. Bientôt ce seront des milliards de dollars qui y seront alloués, tandis que des Américains seront évincés de leurs maisons et envoyés en prison pour leurs dettes.

 

Dans sa requête budgétaire, Lack, qui semble dénué de toute forme d’humanité, fait appel à l’intelligence, à l’intégrité, à la morale, pour la justifier. La justification pour les Américains gagnant difficilement leur vie, pour ceux dont le niveau de vie s’effondre, est l’affirmation que la Russie « menace ses voisins et, par extension, les États-Unis et ses alliés occidentaux ».

 

Lack a même promis de faire mieux : « Les médias internationaux US sont fin prêts pour réfuter la propagande russe et influencer les esprits des Russes et russophones dans l’ancienne URSS, en Europe, et partout dans le monde ». Lack va mener une propagande contre la Russie en Russie même. Bien sûr, les organisations de la CIA – le Fonds National pour la démocratie (National Endowment for Democracy) et Radio Europe Libre/Radio Liberté (Radio Free Europe/Radio Liberty) – seront enrichis par cette campagne de propagande anti-russe et la supporteront de tout cœur.

 

C’est pourquoi l’appel de l’Union des Scientifiques Préoccupés à la coopération avec la Russie afin de lever l’état d’alerte permanente des missiles balistiques a fort peu de chance d’être entendu.

 

Comment des tensions nucléaires peuvent être réduites alors même que Washington entretient des tensions autant que possible ? Le ministère de la propagande de Washington a façonné une image de Poutine en Oussama Ben Laden, en Saddam Hussein, en figure démoniaque, en bouc émissaire qui sème la peur au sein du troupeau américain endoctriné. La Russie est transformée en un Al Qaïda qui souhaiterait mener une nouvelle attaque contre le World Trade Center et entraîner son Armée Rouge (beaucoup d’Américains croient que la Russie est toujours communiste) à travers l’Europe.

 

Gorbachev était un leurre. Il a dupé le vieil acteur de film. Les Américains trompés sont comme des canards assis, et voici qu’arrivent les missiles. Les vues folles des politiciens, militaires, et de certains Américains les rendent inaptes à comprendre la vérité ou à reconnaître la réalité.

 

Les « médias » propagandistes américains et les néoconservateurs en furie entraînent l’humanité sur le chemin de sa destruction.

 

L’Union des Scientifiques Préoccupés, dont je suis un membre, se doit de leur faire retrouver leurs sens. Il est impossible de travailler à une réduction de la menace nucléaire si un camp diabolise l’autre. La diabolisation de la Russie et de son dirigeant par le New York Times, le Washington Post, CNN, Fox News et le reste du ministère américain de la propagande, par la quasi-totalité du Parlement et du Sénat et par la Maison-Blanche, rend impossible la réduction de la menace nucléaire.

 

Le peuple américain et le monde entier doivent comprendre que la menace contre la vie humaine réside à Washington et que tant que Washington n’aura pas changé fondamentalement et totalement, cette menace restera la pire menace contre la vie sur terre. Le réchauffement climatique pourrait disparaître instantanément dans un hiver nucléaire.

 

 

 

Par Paul Craig Roberts (*)

Traduction d’Enrique Malebranche
pour l’Agence Info libre 

le 17 avril 2015

 

(*) Dr Paul Craig Roberts a été assistant au Secrétariat du Trésor des États-Unis, chargé de la politique économique sous le gouvernement de Ronald Reagan ; et éditeur associé du Wall Street Journal. Il a été journaliste pour Business Week, Scripps Howard News Service, et Creators Syndicate. Il a enseigné dans de nombreuses universités. Ses articles sur Internet sont largement suivis et reçoivent un accueil mondial. Ses derniers livres sont : The Failure of Laissez Faire Capitalism and Economic Dissolution of the West and How America Was Lost. (Voir aussi : Wikipédia)