Photos :
À gauche : Helga Zepp-LaRouche, fondatrice et présidente de l’Institut Schiller
À droite : un portrait of Friedrich von Schiller. Photograph: Roger Viollet/Getty Images (The Guardian)
Les États-Unis ont besoin d’un mouvement de masse pour le développement (partie 1/2)
Extraits du discours prononcé le 14 février par Helga Zepp-LaRouche, lors d’une conférence de l’Institut Schiller à New York. Sa transcription complète (en anglais), est disponible ici.
(...)
Je crois que nous sommes confrontés à une situation incroyable. Nous sommes encore très proches d’une troisième guerre mondiale, même si le danger s’est quelque peu dissipé il y a trois jours, lors de la rencontre entre Madame Merkel, le président Hollande, Poutine et Porochenko à Minsk, où un accord (dit Minsk II) a été conclu.
Je regrette toutefois de vous dire qu’il s’agit là d’une pause très courte, potentiellement très fragile, de quelques heures peut-être ou quelques jours. La vérité est que nous sommes à la veille, à quelques minutes ou quelques secondes seulement, d’une troisième guerre mondiale. Ceci est généralement bien mieux compris, je pense, en Europe qu’aux États-Unis. Et nous sommes également à la vieille d’un éclatement total du système financier international. C’est la raison pour laquelle nous sommes confrontés à cette menace.
Le danger de guerre n’est pas seulement lié à l’Ukraine : il vient du fait que l’Empire, ce système globalisé qui s’est développé depuis la fin de l’Union soviétique, est sur le point d’éclater avec beaucoup plus de force que ce que nous avons eu avec Lehman Brothers et AIG en 2008. Laissez-moi vous résumer la situation.
L’accord de Minsk II est un accord en dix points. (…) Il est extrêmement fragile. Pourquoi ? Parce que le « principe d’Ibykus », comme je l’appelle, symbolisant le châtiment réservé aux mauvaises actions, pourrait venir hanter ceux qui ont travaillé à cet accord. Parce que c’est bien le refus déplorable de Merkel – elle qui dirige ce gouvernement allemand, soixante-dix ans après la Deuxième Guerre mondiale et la défaite d’un régime nazi ayant tenu douze ans – de reconnaître que la crise en Ukraine a été causée par un coup d’État nazi, qui nous a conduits à cette situation. Ce coup d’État a amené dans le gouvernement ukrainien, non pas simplement des « néonazis », mais de vrais nazis, dans la lignée de Stepan Bandera et de l’organisation qui a collaboré à l’occupation de l’Ukraine au cours des années 40.
Ces réseaux ont été maintenus tout au long de l’après-guerre, par la CIA, le MI 6 britannique et la branche Gehlen du Bundesnachrichtendienst (BND) allemand. On les a gardés en réserve un peu comme l’opération Gladio de l’OTAN en Italie, en tant que base arrière dans l’éventualité d’un affrontement avec l’Union soviétique durant la Guerre froide.
Ils étaient considérés comme de « bons nazis », car contrôlés par l’Occident, mais avec l’évolution de la situation sur le Maïdan, ils ont fait un coup d’État le 21 février [2014], et ceci n’a été reconnu ni en Allemagne, ni en France, ni aux États-Unis, ni au Royaume-Uni, ni dans l’Union européenne. Tous ont toléré la situation, et tous ont prétendu que le gouvernement ukrainien avait été installé légitimement et qu’il était plus ou moins acceptable de coopérer avec lui.
Il se trouve qu’aussitôt signé l’accord de Minsk II, Dmytro Yaroch, le dirigeant du Secteur droit, et d’autres membres de groupes nazis intégrés dans la Garde républicaine, ainsi que des bataillons indépendants, ont annoncé qu’ils rejetaient l’accord et qu’ils allaient continuer à combattre.
Ces gens ont la capacité de faire échouer ce fragile accord, car ce sont des nazis. Ils sont bien équipés et le seront bientôt davantage encore grâce aux États-Unis. Alors qu’on négociait pour parvenir à l’accord de Minsk, le Lt. Gén. Ben Hodges, qui dirige l’armée américaine en Europe, a annoncé qu’il allait poursuivre les envois d’armes à ces gens, ainsi que leur entraînement, de toute évidence pour la guerre contre les « rebelles » dans l’est du pays, et potentiellement au-delà.
Cela doit cesser. Car sinon, si ces nazis ne sont pas désarmés, et si ceux qui les soutiennent ne sont pas dénoncés ou mis face à leurs responsabilités, la situation pourrait échapper à tout contrôle et conduire à une troisième guerre mondiale.
Il faut donc limoger sans délai la sous-secrétaire américaine pour les Affaires européennes et eurasiatiques Victoria Nuland, qui a soutenu sans discontinuer non seulement ces réseaux nazis, mais aussi celui qu’elle surnomme « Yats », le soi-disant Premier ministre de l’Ukraine. Vous vous souvenez tous de sa célèbre conversation téléphonique (qui a été enregistrée) avec l’ambassadeur américain à Kiev, Geoffrey Pyatt, dans laquelle elle a lâché le célèbre « f**k the EU ! » (« Que l’Europe aille se faire f** ! »), montrant ainsi qu’elle souhaitait imposer sa créature Iatseniouk plutôt que le candidat soutenu par l’Allemagne, Vladimir Klitschko. Tout le monde s’était dit choqué de l’entendre parler aussi vulgairement, mais le vrai scandale est qu’elle était prise la main dans le sac, en plein délit d’ingérence dans les affaires internes d’un pays souverain, en imposant un individu favorable aux militants de Secteur droit et autres réseaux bandéristes.
(…)
Je reviens d’un voyage de deux semaines en Allemagne et au Danemark, où j’ai participé à une série d’événements visant à faire ce que l’on tente de susciter ici : éveiller les gens à la réalité stratégique. Ce que je suis en train de vous dire ne résulte pas de la lecture de tel ou tel rapport, mais de discussions que j’ai eues en Allemagne et à Copenhague, sur ce qui a provoqué cet effort diplomatique soudain et frénétique de la part d’Angela Merkel et de François Hollande.
C’est venu pour ainsi dire de nulle part. Tout d’un coup, Merkel et Hollande se sont rendus à Kiev, où ils ont rencontré Porochenko, puis Iatseniouk. Ils se sont ensuite rendus à Moscou. Ils ont rencontré Poutine pendant de longues heures. Madame Merkel est ensuite rentrée en Allemagne, avant de se rendre à Washington pour s’entretenir avec Obama. De retour en Europe, elle a assisté à des réunions de l’UE, puis s’est rendue mercredi [11 février] à Minsk, en Biélorussie.
Je peux vous assurer que ce qui a provoqué cette soudaine éruption d’activité diplomatique, qui n’était pas, selon mes sources les plus fiables, coordonnée avec Washington, est le sentiment que le monde était sur le point d’exploser. On annonçait alors que les Américains s’apprêtaient à envoyer en Ukraine des « armes défensives létales » (peu importe ce que cela peut bien signifier) et certains ont jugé que cela s’apparentait à une provocation immédiate contre la Russie.
Car fournir des armes lourdes américaines à ces individus peu recommandables impliquait de facto une intervention de l’OTAN et des États-Unis en Ukraine. Or, étant donné le caractère extrêmement tendu de la situation, incluant des combats lourds, d’une grande violence, dans l’est de l’Ukraine, les Européens ont pensé que dans cette hypothèse, les Russes réagiraient et entreraient en guerre : nous aurions par conséquent une grande guerre, non seulement en Ukraine, mais dans toute l’Europe. Et de par sa nature même, une guerre thermonucléaire globale. Telle est l’origine de cette intense activité diplomatique.
« Le spectre nucléaire est de retour », affirmait un article paru dans le Spiegel Online au moment des allées et venues de Merkel. Il était accompagné d’une photo montrant deux ogives nucléaires dirigées vers le lecteur, transmettant bien l’idée de ce qui est sur le point d’arriver. Il citait ensuite l’analyste américain Theodore Postol, avertissant que la doctrine de première frappe des États-Unis est un mauvais calcul, puisque l’on présume qu’il est possible de gagner une guerre après une première frappe nucléaire. L’article contenait quantité d’autres arguments de ce type. Le même magazine publie aujourd’hui même un autre article, ce qui est un changement complet de ligne éditoriale, disant essentiellement : « La guerre dans la cour voisine : la diplomatie de Merkel peut-elle sauver l’Europe, ou conduira-t-elle à une guerre incontrôlée, peut-être même nucléaire ? »
Cela est sans précédent, je peux vous l’assurer, mais sans comparaison avec l’immédiateté du danger, car nous sommes à quelques minutes, quelques heures ou quelques jours, de l’extinction de la civilisation.
Nous ne sommes pas en train de parler d’une guerre quelconque, mais de l’extinction possible de l’humanité, car la logique veut que si guerre nucléaire il y a, tout l’arsenal d’armes disponibles dans le monde sera utilisé, et il ne restera plus personne. Le fait que l’on n’en parle pas est quelque chose que l’on doit absolument changer.
Beaucoup reconnaissent en privé que la situation actuelle est bien plus dangereuse qu’à l’apogée de la Guerre froide, incluant la crise des missiles de Cuba. Car même au plus fort de cette crise, il existait une ligne de communication secrète entre Khrouchtchev et Kennedy. On a appris récemment que les deux dirigeants dialoguaient entre eux, alors que plusieurs experts viennent de reconnaître qu’il n’existe pas de liaison similaire entre Obama et Poutine. Ils ne communiquent pas. Il y a certes des conversations téléphoniques entre les militaires russes et américains, mais, comme plusieurs personnes impliquées me l’ont personnellement confié, ils ignorent si ce dont ils s’entretiennent a l’aval de leurs dirigeants politiques.
C’est une source d’inquiétude extrême.
En France, en Allemagne, en Italie et ailleurs, on entend certaines discussions privées, mais qui restent prudentes : l’Europe devrait-elle affirmer ses propres intérêts ou bien se laisser entraîner dans une guerre nucléaire ? Ceci est un phénomène nouveau. Tout le fondement de l’après-guerre, l’Alliance transatlantique, semble en train de s’éroder. Et lorsque le vice-président Biden a déclaré comme par enchantement (c’était, je crois, lors de la récente Conférence de Munich sur la sécurité), qu’il n’y avait aucune dissension au sein de l’Alliance atlantique et qu’il était sur la même ligne que Merkel, il s’agissait de toute évidence d’une tentative fragile pour dissimuler la réalité.
C’est intéressant, car l’ancien chef d’état-major de l’armée allemande, le général Kujat, avait, quelques jours plus tôt, participé à une émission télévisée très suivie, sur la première chaîne allemande, pour dire que le sursis obtenu avec l’accord de Minsk II ne peut conduire à une solution que si les États-Unis changent de politique.
C’est seulement si Obama et Poutine peuvent s’asseoir à la même table et se mettre d’accord tant sur l’Ukraine que sur un changement général de stratégie, que le calme pourrait revenir. L’Ukraine serait obligée de suivre, en raison de sa forte dépendance à l’égard des États-Unis, autant que la Russie, parce qu’elle aurait le sentiment d’être reconnue comme partenaire à part entière des États-Unis, et non pas traitée de manière irrespectueuse, en tant que « puissance régionale », comme l’avait fait Obama naguère. Tout pays disposant de missiles balistiques intercontinentaux armés d’ogives nucléaires n’est pas une « puissance régionale », a rappelé Kujat. Il faut aussi reconnaître clairement, a-t-il ajouté, que la Russie n’a jamais eu l’intention d’intervenir par la force en Ukraine ; si elle avait choisi de le faire, le conflit n’aurait pas dépassé 48 heures et les Russes auraient occupé Kiev en quelques jours seulement. Il a également souligné qu’en dépit d’éléments nazis bien équipés dans les milices et la Garde républicaine, l’armée ukrainienne est dans un état déplorable. Il faudrait des années pour en faire une force de combat efficace.
Comme je l’ai dit, en dépit de l’accord de Minsk, le Lt. Gén. Ben Hodges a déclaré qu’il n’allait pas ralentir le rythme des activités de l’armée américaine en Ukraine et que l’on maintiendrait les postes d’avant-garde de l’OTAN en Pologne, à Szczecin, ainsi que le transfert d’un bataillon de 600 parachutistes depuis Vicenza en Italie pour entraîner les Ukrainiens. Je le répète, ils entendent entraîner la Garde républicaine, Secteur droit, les groupes nazis, ces groupes qui déambulent avec des swastikas et autres symboles nazis.
Voilà ce à quoi nous devons faire face. (…)
La véritable cause de ce danger de guerre est la faillite du système financier transatlantique, autrement appelé « mondialisation », qui est la combinaison de Wall Street, de la City de Londres et autres institutions affiliées. La faillite d’une seule banque « trop grosse pour sombrer » provoquerait l’effondrement de tout le système.
C’est pourquoi Poutine affirme à juste titre que s’il n’y avait pas eu l’Ukraine, ils auraient trouvé un autre prétexte pour chercher querelle à la Russie. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré la même chose : que l’Ukraine n’est qu’un simple prétexte, cachant un objectif géopolitique plus général. C’est aussi l’avis de l’ancien ambassadeur de Ronald Reagan en Union soviétique, Jack Matlock, qui a déclaré partager l’analyse de Lavrov lors d’une conférence de presse à Washington.
(...)
Un vent de changement en Europe
On assiste à un immense changement en Europe. Celle-ci n’est plus ce qu’elle était il y a quelques semaines, avant la victoire électorale de Syriza et des Grecs indépendants en Grèce. Ceux-ci avaient fondé leur campagne électorale sur la promesse de mettre fin à l’austérité brutale de la Troïka, politique qui, au cours des dernières années, a fait chuter d’un tiers l’activité industrielle, a accru le taux de mortalité et de suicide, provoqué la chute de la natalité et fait grimper à 65 % le taux de chômage parmi les jeunes. Vous pouvez imaginer ce que peut être le sentiment général dans un pays où les deux tiers des jeunes sont sans emploi.
C’est cette volonté de mettre fin à la politique de la Troïka qui a donné au chef de file de Syriza, Alexis Tsipras, allié aux Grecs indépendants, une victoire écrasante : pas la majorité absolue, mais presque. Les deux partis ont formé un gouvernement qui bénéficie, selon les derniers sondages, du soutien de 70 % du peuple grec.
Une chose sans précédent est arrivée : ils ont été élus, et aussitôt après leur élection, ils ont déclaré : « Nous allons honorer notre promesse. » Cela ne s’est jamais vu dans l’histoire récente d’aucun pays occidental. (…) C’est pourquoi les élites sont totalement paniquées, et pourquoi Schäuble, Merkel, et même Hollande, en dépit de quelques déclarations de circonstance, se retrouvent aux côtés de l’Italien Renzi, de la BCE, sur une ligne dure, disant : « Nous insistons pour que la livre de chair soit payée, les Grecs doivent s’en tenir au mémorandum, il n’y aura aucun compromis. » Ceci nous conduit également à un affrontement [à la fin de l’euro].
(…)
Pourquoi l’euro est-il fini ? Parce que si la BCE accepte le compromis et adoucit les conditions imposées à la Grèce, alors les autres pays qui souffrent de politiques d’austérité similaires, tels l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et même la France (dont la population déteste la politique d’austérité à l’allemande) y verront un signal, ouvrant la voie à un rejet de ces politiques. Si, à l’opposé, ils poussent la Grèce hors de l’Europe, ce qui pourrait survenir très rapidement, la Grèce se verrait alors forcée (et vous venez d’entendre le professeur Katsanevas à ce sujet) de se joindre aux BRICS, chercher d’autres sources de financement. (...)
La raison pour laquelle ils ont si peur n’est pas que la Grèce se soit refusée à rembourser sa dette, puisqu’elle n’a dépensé que 10 % des fonds de renflouement, 90 % étant retournés dans les coffres des banques – allemandes, françaises, italiennes ou espagnoles. Par conséquent, le nouveau gouvernement demande pourquoi il devrait payer pour ce que la Grèce n’a jamais reçu et affirme ne pas vouloir payer. La raison de cette panique est liée à la bulle des produits dérivés.
Personne ne connaît exactement l’étendue de l’exposition des banques à la bulle des dérivés, et toute modification du service de la dette grecque affecterait gravement non seulement les banques européennes, mais aussi celles de Wall Street. Car toute la procédure de renflouement a été conçue autour d’un accord de swap entre la Réserve fédérale américaine et les banques européennes, et pendant que la Fed déployait sa politique d’assouplissement quantitatif et faisait tourner la planche à billets, une grande partie de cet argent, peut-être la moitié, finissait en réalité dans les coffres des banques européennes. Toutes ces banques sont complètement empêtrées dans ce système, et c’est ce qui a semé la panique.
Sur les 246 milliards d’euros qui ont été accordés en principe à la Grèce au cours des cinq dernières années, seuls 24 milliards environ sont restés dans le pays, ce qui est fort peu, après tout. Le système bancaire transatlantique est en faillite totale. L’exposition totale aux dérivés atteint 2 millions de milliards de dollars, et tout cela ne sera jamais remboursé. Ces gens sont donc prêts à partir en guerre, et se disent : « Nous voulons sauver notre système et lorsque nous voyons émerger l’Asie, en particulier la Chine, nous préférons faire tomber la Russie, qui est membre des BRICS, et détruire cette combinaison avec l’Asie, plutôt que de reconnaître que nos politiques ont été un échec. » (…)
Par la Rédaction de Solidarité & Progrès – le 21 février 2015