Grèce : les jeux ne sont pas faits | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : causeur.fr


 

 Grèce : les jeux ne sont pas faits

Par Benito Perez

 

Capitulation ou victoire d’étape ? Depuis la signature vendredi d’un accord entre la Grèce et ses créanciers, des analyses contradictoires se font jour. Une majorité, qui met pour une fois la droite et une part de l’extrême gauche d’accord, estime qu’Athènes a été mis au pas par Berlin. Les libéraux y voient renforcée leur certitude qu’aucune politique alternative n’est possible. Les autres, y compris au sein du parti au pouvoir en Grèce, la confirmation que les dirigeants de Syriza sont bien trop conciliants pour changer le cours de l’histoire européenne.

 

Dans le détail, le constat est plus complexe. Certes, les positions maximalistes des premières semaines ont fait long feu. Le document de réformes rendu hier par Athènes et accepté par les pays de la zone euro l’atteste plus encore que le compromis sur la prolongation du « plan d’aide » qui, déjà, renvoyait la renégociation de la dette aux calendes grecques. Parmi les autres reculs spectaculaires, on note l’abandon des renationalisations et l’obligation de soumettre à l’Eurogroupe toute décision pouvant impacter les comptes publics grecs. Le retour à la souveraineté s’éloigne.

 

Reste que parler de capitulation est très excessif. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler ce que la Troïka voulait imposer au précédent gouvernement grec : hausse de la TVA, licenciements massifs dans les services publics, nouvelles coupes sociales et dans les retraites. Un projet qu’aujourd’hui plus personne n’évoque.

 

Mieux : dans tous les domaines, les Grecs ont fait bouger les lignes en leur faveur, obtenant une marge de manœuvre inédite depuis l’éclatement de la crise. Parfois au prix d’un « flou créatif », selon les mots du ministre des Finances, Yanis Varoufakis, comme pour la hausse du salaire minimum, la révision « équilibrée » de la grille de l’État ou du niveau d’excédent budgétaire, tous laissés indéterminés.

 

La latitude du gouvernement sera limitée, mais réelle. Les mesures fiscales et anticorruption, de même que les hausses salariales, notamment par le retour des conventions collectives, devant rapporter de quoi financer les politiques sociales (alimentation, logement, électricité, endettement). On évoque le chiffre de 7 milliards d’euros, soit l’équivalent du prêt suspendu par les créanciers. Et si l’ex-Troïka, rebaptisée les « institutions », n’est pas hors-jeu, ce ne sont plus ses fonctionnaires qui élaborent les lois, l’initiative revient dans les mains des élus.

 

Parviendront-ils à faire fructifier ces quatre mois de répit ou ont-ils mis le doigt dans un engrenage infernal ? Pour la plupart des gouvernements européens, un succès de Syriza constituerait un désaveu des plans d’austérité qu’ils ont eux-mêmes imposé à leurs peuples et un encouragement clair à leurs opposants. Aucun cadeau n’est à attendre.

 

Autre enseignement : comme naguère les Chypriotes et les Irlandais, les Grecs ont vu leur capacité de résister au diktat néolibéral amoindrie par leur incapacité à contrôler leur système financier. À la merci de la BCE comme des spéculateurs, les banques privées font office de cheval de Troie face à toute tentative de souveraineté populaire. Si elle veut changer la donne, la gauche devra réfléchir sérieusement à une alternative. Et pas seulement comme épouvantail à agiter : la crédibilité des menaces de Syriza de « renverser la table » néolibérale sort très amoindrie de cette première joute.


Alexis Tsipras et les Grecs ont désormais quatre mois pour se poser la question : que sont-ils prêts à risquer pour briser le carcan « austéritaire » qui continue d’enserrer leur pays ?

 

 

 

Par Benito Perez (journaliste) - lecourrier.ch (Genève) – le 26 février 2015