En France, le puits de carbone forestier a été divisé par deux depuis 2010 | EntomoNews | Scoop.it
... Entre 2010 et 2020, la capacité de stockage du CO2 de nos forêts a ainsi été divisée par deux, selon un rapport publié le 5 juin 2023 par le centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa). La capacité de stockage du CO2 par les prairies françaises, deuxième puits de carbone du territoire, est également en baisse depuis 2010. Des chiffres inquiétants alors que la France compte en partie sur les forêts pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

 

Environnement : pourquoi les forêts des Hauts-de-France rejettent désormais plus de CO2 qu'elles n'en absorbent ?

 

Publié le 19/06/2023 à 07h00
Écrit par Céline Brégand


"Sécheresses, incendies, tempêtes, multiplication des insectes ravageurs et des maladies expliquent cette diminution. Des phénomènes qui vont devenir de plus en plus fréquents dans les années à venir en raison du dérèglement climatique. Paradoxalement, la superficie des forêts s'accroit en France (+0,7 % par an depuis 1985 selon l'IGN). Mais en dix ans, la mortalité des arbres a augmenté de 54 %, leur croissance a diminué de 10 %, et la récolte du bois s'est accentuée.

En compilant les travaux du chercheur spécialiste du cycle du carbone Philippe Ciais, les données du Citepa, celles de l’institut national de l’information géographique et forestière (IGN), et les observations satellitaires, le journal Le Monde a établi une carte de l'évolution des émissions de carbone des forêts françaises entre 2010 et 2020. Elle révèle que les forêts des Hauts-de-France, du Grand Est et de la Corse émettent plus de CO2 qu'elles n'en stockent."

 

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Insectes et maladies

Les forêts des Hauts-de-France sont composées à 96 % de feuillus. Après le chêne pédonculé, le hêtre est la deuxième essence principale des forêts de la région, suivi du frêne.

 

En forêt de Compiègne, notamment en 2016, le hanneton forestier a causé de gros dégâts sur le hêtre. "Les larves se développent pendant plusieurs années dans le sol, et rongent les racines. Cela a des conséquences sur la croissance des arbres. Et c'est un phénomène concomitant au réchauffement climatique", fait remarquer Jonathan Lenoir.

 

Le frêne a, quant à lui, été très touché par la chalarose du frêne, un champignon arrivé d'Asie par conteneur, et qui est apparu pour la première fois en France en 2008. "La chalarose entraîne des mortalités importantes chez le frêne. L'arbre perd ses feuilles, ne peut plus faire de photosynthèse et meurt", détaille Jonathan Lenoir. Dans son plus récent bilan sur la santé des forêts dans les Hauts-de-France, en 2021, le ministère de l'Agriculture notait que la chalarose du frêne avait eu un impact très fort sur les forêts en 2016, 2017 et 2018 et un impact modéré les trois années suivantes.

 

Or, les arbres morts émettent du CO2. La mortalité des arbres fait que les forêts se retrouvent aussi avec moins d'arbres pour transpirer de l'eau dans les sols. Le cycle de l'eau n'est donc pas entretenu. Or l'eau est nécessaire pour la photosynthèse et donc pour stocker le CO2.

L'impact du tassement des sols

Un autre facteur peut expliquer le fait que les forêts des Hauts-de-France rejettent du CO2 dans l'atmosphère. Il y a encore 20 ans, les bucherons allaient couper des arbres à la tronçonneuse. Aujourd'hui, les forêts sont mécanisées, des débardeurs entrent dans les forêts et tassent les sols. "Le fait de mécaniser les forêts a amélioré les conditions de travail des travailleurs forestiers, et heureusement. Mais il ne faut pas négliger les conséquences de l'usage de ces engins. Ils peuvent abimer les sols et donc influer sur la capacité des forêts à stocker du CO2", explique Jonathan Lenoir.

Si le sol est tassé, cela modifie le fonctionnement des microorganismes du sol, des insectes et la capacité d'infiltration de l'eau. Les arbres ne peuvent pas transpirer. Plus c'est sec, plus l'environnement devient sec, et ça s'emballe très vite.

Jonathan Lenoir, chargé de recherche CNRS en écologie et biostatistiques

 

L'influence du tassement des sols sur la capacité des arbres à stocker du CO2 "aurait pu être anticipée, mais on ne connaît pas encore les impacts à long terme ni le rapport exact entre les deux. Peu de scientifiques travaillent dessus. Ce qu'on voit maintenant est peut-être le résultat de ce qu'on a fait il y a 20 ou 30 ans. En forêt, tout se passe lentement", note Jonathan Lenoir.

"Diversifier les systèmes en espèces et en classes d'âge"

Des solutions pour endiguer le phénomène existent. Leur mise en œuvre dépend essentiellement d'une volonté politique forte et de la mise en place rapide de mesures concrètes. Selon Jonathan Lenoir, il faudrait "arrêter de prélever autant de vieux arbres" et donc "revoir les plages d'exploitabilité des essences", qui dépendent de la durée de vie des arbres.

Selon le chercheur, il est aussi nécessaire de réfléchir à limiter les risques d'espèces exotiques envahissantes, et pour cela "diversifier les systèmes en espèces et en classes d'âge afin de favoriser leur résistance et leur résilience aux pathogènes". Mais il ne faut pas aller trop vite, prévient-il. "Il serait dommage de remplacer des forêts de feuillus par des conifères plus économes en eau. Car si on met des conifères, qui transpirent moins d'eau, on a moins d'eau qui revient par précipitations, donc il faut repenser le cycle de l'eau", observe-t-il.

L'ONF explique avoir "une vision à long terme" de la forêt. "Aujourd’hui, lorsque nous plantons, nous misons sur des essences mélangées et avons une vision 'mosaïque' de la forêt afin de la rendre plus résiliente dans les années à venir. Dans cette vision, il n’y a pas de remplacement des feuillus par des résineux", illustre l'acteur de la filière forêt-bois.

"Il ne suffit pas de planter"

Réfléchir à la gestion de l'exploitation des forêts, afin de prendre davantage soin des sols forestiers, fait aussi partie des actions à mener, selon Jonathan Lenoir. Tout comme penser à l'aménagement du territoire. "Cela fait intervenir des échelles très larges. Il faut avoir une vision systémique de tout ça", estime le scientifique.

En 2022, Emmanuel Macron a annoncé vouloir planter "un milliard d'arbres" d'ici 10 ans. "Comment ? Où ? Il ne suffit pas de planter, il faut s'assurer de l'implantation des arbres et de l'entretien des forêts pour faire de la compensation carbone", pointe Jonathan Lenoir. Quant aux solutions technologiques comme les puits de carbone artificiels, "on ne peut pas miser

uniquement là-dessus" estime le chercheur.

Nous avons des solutions plus simples, moins couteuses qu'on ne met pas en place. Il faut revenir à la gestion de nos écosystèmes et s'assurer de leur bonne santé.

Jonathan Lenoir, chargé de recherche CNRS en écologie et biostatistiques

 

À l'échelle mondiale, les forêts sont certes le deuxième puits de carbone après les océans, mais en raison de la déforestation et des évènements extrêmes (feux de forêts, ouragans), leur capacité à stocker le CO2 est mise à mal. Un rapport, publié notamment par l'Unesco en 2021, a mis en lumière le fait que 10 aires forestières dans le monde émettent plus de CO2 qu'elles n'en absorbent. Une étude de la revue Nature datée de 2021 montrait également que la partie brésilienne de la forêt amazonienne était désormais émettrice de carbone."

 

 

[Image] Décomposition du puits de carbone Forêt et Produit Bois, depuis 2010 (France Métropolitaine, MtCO2e/an) https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/06/70271d2b861fd93577b32511f41998aa6f1b8e19.pdf#page=18