Intensité, durée, type… La douleur causée par une piqûre d’insecte peut être analysée par un entomologiste comme le vin par un œnologue. Justin Schmidt les a hiérarchisées d’après son expérience.
« Un été qui pique »
Justin Schmidt, 18.08.2022
Tiques, moustiques, punaises de lit… L'été n'est jamais sans risque ! Notre série « Un été qui pique » fait le point sur les piqûres, morsures, etc. les plus fréquentes, les pires, et sur les façons de limiter les dangers. Nous finissions avec l'échelle des piqûres les plus douloureuses, établie par l'entomologiste Justin Schmidt…
"Au cours des 40 dernières années (mais en réalité depuis l’âge de cinq ans), j’ai été fasciné par les insectes et leur capacité à piquer et à causer de la douleur. Durant mes études supérieures pour devenir entomologiste, j’ai commencé à m’intéresser au pourquoi de ces piqûres… et au comment : comment des animaux si petits peuvent-ils causer de telles souffrances ?
Pour répondre à mes questions, il fallait d’abord trouver un moyen de mesurer la douleur. J’ai donc inventé l’échelle des douleurs causées par les insectes. Cette échelle est basée sur des estimations réalisées à partir d’environ un millier de piqûres que j’ai personnellement subies, administrées par des hyménoptères (guêpes, fourmis, etc.) appartenant à plus de 80 groupes d’insectes, ainsi que sur les évaluations de divers collègues.
Pourquoi les insectes piquent-ils ? La protection conférée par les piqûres leur ouvre des portes vers davantage de ressources alimentaires, leur permet d’accéder à des territoires plus étendus et à la vie sociale au sein de colonies. Et étudier les insectes piqueurs nous permet aussi de mieux comprendre notre propre façon de vivre, ainsi que les sociétés dans lesquelles nous évoluons.
Pourquoi piquer ?
Dire que les insectes piquent « parce qu’ils le peuvent » ne répond pas vraiment à la question… Le point essentiel est de comprendre pourquoi les insectes se sont retrouvés dotés d’un dard.
Il est évident que cet organe présentait un certain intérêt, sinon il ne serait jamais apparu au cours de l’évolution – ou, s’il était présent au départ, il aurait été perdu par l’effet de la sélection naturelle.
Les dards ont deux usages principaux : obtenir de la nourriture et éviter de devenir la nourriture d’un autre animal. Parmi les exemples d’utilisation du dard pour se nourrir, citons les guêpes parasites, qui piquent et paralysent les chenilles, lesquelles deviennent la nourriture des jeunes guêpes, ou les fourmis bouledogues qui piquent des insectes difficiles à maîtriser pour les soumettre.
Plus important encore, le dard constitue une avancée majeure dans la défense contre les grands prédateurs. Imaginez un instant que vous soyez un insecte de taille moyenne attaqué par un prédateur un million de fois plus grand que vous : sans dard, quelle chance auriez-vous de vous en sortir ?
Les abeilles domestiques sont confrontées à ce problème avec les ours friands de miel. Mordre, griffer ou donner des coups de pied ne fonctionne pas… Piquer avec un dard injectant un venin douloureux est bien plus efficace.
En ce sens, l’insecte piqueur a trouvé un moyen de surmonter le problème posé par sa petite taille. Le dard est en quelque sorte un « pistolet pour insectes », qui neutralise la différence de taille entre l’agresseur et la victime.
L’indice de douleur des piqûres d’insectes
C’est ici que mon échelle de douleur des piqûres d’insectes prend tout son sens, car il prend en compte durée des piqûres, le type et l’intensité de la douleur qu’elles provoquent, etc.
En effet, sans chiffres pour comparer et analyser, le vécu des piqûres n’est qu’un tissu d’anecdotes et d’histoires à raconter. Avec des chiffres, en revanche, nous pouvons comparer l’efficacité de la « défense par la douleur » d’un insecte piqueur par rapport à un autre, et ainsi tester des hypothèses (les descriptions de l’auteur sont aussi très imagées, pour faciliter le ressenti, ndlr).
L’une de ces hypothèses est que les piqûres douloureuses constituent un moyen pour les petits insectes de se défendre (et de défendre leurs petits) contre les grands prédateurs tels que mammifères, oiseaux, reptiles ou amphibiens. Plus la douleur est forte, plus la défense est efficace.
Une meilleure défense permet aux insectes de former des groupes et de devenir des sociétés complexes, comme nous le voyons chez les fourmis, les guêpes sociales et les abeilles. Plus la douleur est grande, plus la société peut croître. Et les grandes sociétés ont des avantages dont ne bénéficient pas les individus solitaires ou les sociétés plus petites."
(...)
- Evolutionary responses of solitary and social Hymenoptera to predation by primates and overwhelmingly powerful vertebrate predators - Journal of Human Evolution - 2014 https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047248414000591
[Image] « Parmi les piqûres les plus douloureuses figure celle de la guêpe du genre Pepsis (aussi appelée en anglais « Tarantula hawk », littéralement « faucon à tarantule », car elle chasse les araignées). Elle ne dure toutefois que quelques minutes, alors que la douleur causée par le venin de la fourmi Paraponera clavata (ou fourmi « Balle de fusil »), cause un niveau de douleur similaire, mais qui peut durer jusqu’à 24 heures ! »
→ The Sting of the Wild by Justin O. Schmidt, Paperback | Barnes & Noble® https://www.barnesandnoble.com/w/the-sting-of-the-wild-justin-o-schmidt/1122850012
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NDÉ
L'étude d'origine :
- Hemolytic activities of stinging insect venoms - Schmidt - 1983 - Archives of Insect Biochemistry and Physiology https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/arch.940010205
The direct hemolytic activities of the venoms from 21 species of stinging insects were determined. The activities spanned 3 1/2 orders of magnitude, ranging from a low of four to a high of 12,000 hemolytic units/mg dry venom, respectively, for the solitary wasp, Dasymutilla lepeletierii, and the social wasp, Polistes infuscatus. The latter activity is the highest reported for any insect venom and represents a level that is potentially harmful to humans stung by the wasp.
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