L’effondrement des populations d’insectes est-il arrivé au Québec ? | EntomoNews | Scoop.it
« On voyait déjà une tendance en 2009, mais, quand on y est retourné en 2019, là j’ai été étonné. Je me disais : bon sang, mais où sont les insectes ? Parce que la baisse qu’on voyait, c’était de l’ordre de 60 %. C’est beaucoup. »

 

Science | Actualités | Le Soleil - Québec
Jean-François Cliche
21 mai 2022 9h00 Mis à jour à 10h21
 
 

"Chercheur en entomologie au Service canadien des forêts, Christian Hébert entendait parler depuis quelques années d’un «effondrement des populations d’insectes» à l’échelle mondiale, que certaines études avaient documenté notamment en Allemagne et à Porto Rico. Différents travers méthodologiques dans ces travaux le faisaient hésiter à conclure à un déclin mondial, mais il estimait qu’il valait la peine de travailler à y voir plus clair. Et ce qu’il a vu dans ses propres données recueillies au parc des Grands-Jardins l’en convainc encore davantage — même s’il se garde encore une «petite gêne» avant de conclure à la catastrophe, on y revient.

 

Entre 2001 et 2004, de nouveau en 2009, puis en 2019, M. Hébert et son équipe ont posé des pièges dans 20 endroits de ce parc de Charlevoix : 15 brûlis récents (incendie en 1999) et cinq «forêts-témoin» qui étaient demeurées intactes. «Nous utilisons deux types de pièges dans ce suivi, explique-t-il. Le premier est un piège à impact qui capture les espèces volantes de coléoptères (insectes à carapace dure), souvent ceux qui vivent dans les arbres morts. L’autre type de piège est appelé “piège-fosse” et capture les espèces qui marchent au sol surtout. En plus des coléoptères, on y capture des fourmis, des araignées et beaucoup de microarthropodes du sol.»

 

Sans surprise, les brûlis ont connu une augmentation des populations d’insectes — c’est souvent ce qui se passe après un feu —, mais dans les forêts-témoins, le nombre d’insectes capturés a semblé décroître un peu en 2009, puis s’est écroulé en 2019 : les pièges à impacts ont capturé 60 % moins de coléoptères volants, alors que les pièges-fosses en ont pris environ 50 % de moins (et la baisse fut concentrée sur les 10 dernières années dans leur cas).

 

Pour l’instant, ces données n’ont pas encore été publiées dans la littérature scientifique, et doivent donc être considérées avec prudence. Cependant, note M. Hébert, elles ont une force qu’assez peu d’autres études du même genre possèdent, soit d’avoir échantillonné plusieurs fois exactement aux mêmes endroits et de la même manière — alors que dans d’autres travaux, les pièges ont souvent été tendus à des endroits différents et la tendance a été dégagée grâce à un modèle mathématique, ce qui n’est pas idéal.

 

Cela dit, cette chute n’implique pas forcément que la même tendance prévaut dans tout le Québec, ni même qu’on a affaire à une tendance vraiment anormale dans le parc des Grands-Jardins même, avertit M. Hébert. «Disons que j’aimerais mieux valider tout ça avec d’autres jeux de données [avant de tirer de telles conclusions], dit-il. On est loin de toute agriculture [ce qui élimine l’explication des pesticides, du moins dans ce cas-ci], mais il y avait des coupes forestières dans les parages, il y a eu des éclosions d’insectes, et tout ça peut avoir eu une influence», tempère-t-il. Pour ces raisons, il faudrait idéalement aller échantillonner ailleurs pour voir si le déclin est généralisé.

 

Mais cela montre qu’on aurait intérêt à les produire, ces «autres jeux de données», car si on a bel et bien affaire à un large effondrement des populations d’insectes, cela aurait assurément des répercussions majeures sur tout le reste des écosystèmes concernés — et sans doute au-delà. Or il existe justement plusieurs endroits au Québec qui ont été échantillonnés dans le passé et où on pourrait retourner, dit M. Hébert.

 

«Ça a été fait dans le Parc de la Mauricie il y a une vingtaine d’années et on espère y retourner bientôt, indique-t-il. […] Il y a aussi eu un projet d’entomologie à Anticosti en 1993 dans neuf peuplements forestiers, et ce serait intéressant de reprendre les mêmes mesures avec les mêmes méthodes parce qu’il n’y a pas d’agriculture là-bas, donc pas d’intrants chimiques [souvent blâmés pour le déclin des insectes, NDLR]. Sur cette question-là, on a beaucoup de données qui viennent d’Europe, mais c’est un continent qui est très anthropisé.»

Des causes encore mystérieuses

Avoir des données dans des endroits plus naturels pourrait aider à comprendre les causes de cet effondrement des populations d’insectes — si, bien sûr, il se confirmait —, qui sont pour l’instant encore assez nébuleuses. Une étude publiée récemment dans Science a suggéré que l’azote pourrait être de moins en moins disponible dans les écosystèmes terrestres."

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