La possibilité d'explorer le génome humain est une formidable avancée scientifique. Mais impossible de ne pas songer à la fameuse boîte de Pandore, lorsque l'on s'interroge sur la portée future de ces découvertes. Exemple : que ferons-nous des informations contenues dans l'ADN des futurs bébés ?
Aujourd'hui, en dehors de la trisomie 21, les tests de dépistage prénatals sont réalisés uniquement dans des circonstances particulières, soit parce qu'il y a un précédent familial, soit parce qu'une échographie laisse planer un doute. Et seules les maladies les plus graves comme la mucoviscidose, la drépanocytose ou l'hémophilie sont recherchées, soit environ 3 000 tests génétiques chaque année.
Grâce au séquençage haut débit, il sera bientôt possible de séquencer en routine l'intégralité du génome du futur bébé, à partir des fragments d'ADN qui circulent dans le sang maternel. Cela permettra de dépister sans risque et avec une grande fiabilité un grand nombre de maladies ou de mutations aux conséquences plus ou moins certaines. Le fait que ces tests soient de plus en plus abordables permet d'imaginer qu'ils seront proposés à toutes les femmes enceintes et pas seulement chez celles qui présentent un risque.
Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est penché sur la possible « dérive eugéniste » liée à cette évolution. « La question de l'IVG est centrale, puisque les tests sont pratiqués avant la fin de la douzième semaine de grossesse, qui est la limite légale pour demander une interruption de grossesse », rappelle Dominique Stoppa-Lyonnet, professeure de génétique à l'université Paris-Descartes et rapporteure de l'avis sur le diagnostic prénatal publié par le CCNE en avril 2013.
Avec deux risques : que la proposition systématique de diagnostic soit interprétée comme une « incitation de la collectivité à ne donner naissance qu'à des enfants indemnes de toute anomalie génétique », et que cela se traduise par un moindre investissement dans la recherche sur les maladies génétiques et l'accompagnement des malades.
PRINCIPE DE « LIBRE CHOIX »
Le principe de « libre choix » qui est au coeur de la bioéthique pourrait aussi être bousculé par la difficulté d'interpréter certaines informations. « Nous sommes tous porteurs d'anomalies qui ne s'exprimeront peut-être jamais », souligne Arnold Munnich, directeur du département de génétique de l'hôpital universitaire Necker-Enfants malades. « Et même lorsque nous savons qu'une mutation génétique est liée à une maladie, il est très difficile de prédire comment elle se traduira chez un individu donné. Quelque 20 000 enfants malades consultent dans mon service chaque année : il n'y en a pas deux qui ont la même maladie. »
Compte tenu de cet aléa d'interprétation, que doit-on vraiment révéler aux parents ? Et « s'il existe un droit de ne pas savoir, peut-on accepter une interdiction de savoir ? », interroge le CCNE, qui suggère la médiation d'un médecin-conseil en génétique. « Ce serait une responsabilité très lourde pour le médecin chargé de choisir les éléments à révéler, car il y a toujours le risque de passer à côté de quelque chose d'important », s'inquiète Arnold Munnich.
Une alternative existe : plutôt que de scruter le génome du futur bébé à la recherche d'une éventuelle anomalie, pourquoi ne pas rechercher chez les parents eux-mêmes les gènes « défectueux » ? C'est le but des tests préconceptionnels autorisés par certains pays, comme Israël et les Etats-Unis. Il s'agit de rechercher dans le génome de la mère et celui du père des mutations récessives et d'évaluer la probabilité que l'enfant hérite de deux copies défectueuses (c'est ainsi que deux porteurs sains peuvent avoir un enfant atteint de mucoviscidose).
Mais là encore, rien n'est simple, relève le CCNE : la réalisation de cette « carte d'identité de risque génétique » pourrait interférer dans les unions et stigmatiser les personnes au patrimoine génétique imparfait. Un scénario qui rappelle de façon inquiétante celui du film américain de science-fiction Bienvenue à Gattaca (1997), d'Andrew Niccol, où la sélection génétique des individus a totalement remplacé le hasard des naissances naturelles.