«Elle enjoint son amie de venir»: attention à la faute grammaticale !

Par Le Figaro

C’est une faute à laquelle n'échappent même les plus aguerris de la plume

Le verbe «enjoindre» est un véritable piège quand il s’agit de l’employer. La rédaction revient sur son bon usage.

«Le parlement enjoint Emmanuel Macron d’agir»«la justice enjoint la France d’accélérer les choses»«“ne cédons rien à la division”, enjoint le président de la République»... L’air de rien, ces phrases cachent pourtant une mauvaise construction avec l’emploi du verbe «enjoindre» en l’absence de préposition. Cela n’a pas échappé à l’œil acéré de Bruno Dewaele, ancien champion du monde d’orthographe et spécialiste de la langue française, qui l’a relevée. Ce dernier a consacré deux billets à l’usage du verbe «enjoindre», ce qui témoigne bien de la difficulté de son emploi. 

«Je crois que les dictionnaires ne nous rendent pas service dans la mesure où leur définition peut être juste équivoque sur la construction et prennent des exemples qui peuvent être ambigus», explique ce dernier au Figaro. Dans le Petit Robert, le verbe «enjoindre» - présenté comme synonyme des verbes «imposer»«intimer»«prescrire» ou encore «sommer» - est indiqué comme un verbe transitif, c’est-à-dire accompagné d’un complément d’objet : «L’Église enjoint l’abstinence pendant le Carême.» Mais, comme le rappelle Bruno Dewaele, «le sens d’un mot n’a rien à voir avec la façon dont il se construit».

Car si «enjoindre» est synonyme de «sommer», il ne se construit pas comme ce dernier ! «Il y a une distorsion entre la sémantique et la signification, comme le verbe pallier qui est défini dans les dictionnaires par l'expression “remédier à” mais qui ne se construit pas comme tel car on ne pallie pas à quelque chose mais on pallie quelque chose», explique Bruno Dewaele. Et d'ajouter : «Évidemment avec cette confusion, l'usager est tenté de construire le verbe de la même manière.» 

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Mais on ne sait s’il s’agit d’un verbe transitif direct («il enjoint quelqu’un») ou indirect (avec un complément d’objet indirect, «il enjoint à quelqu’un»). Le Petit Robert indique simplement qu’on «enjoint (quelque chose) à quelqu’un» et non l’inverse. Il propose des exemples peu clairs tels que «ce que l’honneur lui enjoint de faire» ou «il m’envoie au tableau noir et m’enjoint de tracer un cercle». Les pronoms sont en effet de la première et deuxième personne, cela ne nous dit pas s’ils sont COD ou COI. Comment s’y retrouver ? 

L’Académie française est formelle : «Enjoindre est un verbe transitif indirect et doit être construit comme tel». Ainsi, on ne dit pas «je l’ai enjoint de venir» mais «je lui ai enjoint de venir». De même, il est incorrect de dire «ils enjoignent Pierre de les aider», mais il serait plus exact d’écrire «ils enjoignent à Pierre de les aider»«Quand le complément d’un verbe transitif indirect est un nom, il est généralement introduit par la préposition à, mais si on substitue un pronom à ce nom, la préposition disparaît», expliquent les Sages dans leur rubrique Dire, ne pas dire. Pour mieux s’y retrouver, il faudrait penser aux verbes «ordonner (à)» ou «imposer (à)» - et non à «sommer (de)» ou «intimer (de)» - pour avoir la bonne construction grammaticale pour le verbe «enjoindre». 

 

#metaglossia_mundus: https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/elle-enjoint-son-amie-de-venir-attention-a-la-faute-grammaticale-20240910