 Your new post is loading...
 Your new post is loading...
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 14, 2023 7:24 PM
|
Critique d'Eric Demey dans La Terrasse - publiée le 23/11/2022 Spectacle dense et captivant sur les renoncements de la gauche et l’avènement du sombre paysage politique contemporain, 1983 offre une lecture extrêmement intéressante de notre passé récent, autour de l’avènement du libéralisme et de l’essor du racisme anti-immigrés.
Avec quarante ans de recul, l’Histoire peut commencer. C’est-à-dire l’analyse d’un passé qui a construit notre présent. La lecture que font Alice Carré et Margaux Eskenazi du début des années 80 est forcément subjective, partiale. Certains regretteront peut-être le large kaléidoscope de situations que déployait Et le coeur fume encore, pièce sur la guerre d’Algérie et les silences qui l’entourent encore. La pièce avait révélé le talent des deux jeunes artistes et de la troupe de la compagnie Nova. 1983 est un spectacle plus radical, plus sombre, mais tout aussi riche. Conçu autour du « virage de 1983 ». Quand Mitterrand tourne le dos à ses promesses pour s’aligner sur le dogme libéral et prôner la rigueur. Mais aussi quand une marche, mal nommée « marche des beurs », rassemble à Paris plus de 100 000 personnes réunies contre le racisme. Peu avant que Jean-Marie Le Pen soit invité pour la première fois à la télé, à l’émission « L’Heure de vérité », accédant à une légitimité médiatique qui ne pose plus jamais question pour sa fille aujourd’hui. 1983 arpente ce passé et montre comment le fameux TINA (there is no alternative de Thatcher), la désagrégation des luttes sociales et la montée de l’extrême droite et du racisme sont intimement liés. Madeleine de Proust et transmission Pour cela, le duo Carré-Eskenazi reconduit les recettes qui ont fait leurs preuves dans leur précédent travail. Implication des comédiens dans un long travail de recherche documentaire, traversée de l’Histoire à hauteur d’hommes et de femmes, entrelacement des histoires individuelles, interprètes qui jouent les personnages sans tenir compte de leur sexe, leur âge ou leur couleur supposée, allers-retours entre la fiction et le réel de la représentation, le tout avec énergie, arrière-plan du rôle de l’art dans l’Histoire – notamment ici la musique de Rachid Taha – mais aussi simplicité et efficacité d’une interprétation rondement menée, variété des moyens scéniques – micro, vidéo, musique – et pluralité des approches qui permet de toujours relancer l’intérêt du spectateur. Si certains (rares) passages gagneraient à moins souligner ce qui a déjà été compris, l’ensemble fera l’effet d’une madeleine de Proust sur tous ceux qui ont vécu ces années – la naissance des radios libres, l’espoir soulevé par l’arrivée de la gauche au pouvoir, les grèves dans l’automobile à Aulnay, Poissy… – avec l’immense apport de leur éclairage rétrospectif. Mais la troupe est jeune. Aucun des interprètes n’était né en 1983. Et le spectacle veut avant tout faire œuvre de transmission d’une Histoire qui permette de mieux comprendre notre présent. Il s’adresse donc aussi aux jeunes générations et atteint parfaitement son but. Comment la lutte des classes a cédé le pas à la rivalité entre français et « étrangers », comment le racisme a pu s’installer et l’extrême-droite se retrouver aux portes du pouvoir. Le spectacle est politiquement ancré et développe une lecture politique tranchante et passionnante, à la théâtralité rafraîchissante, aussi simple que virtuose. Eric Demey / La Terrasse 1983du jeudi 1 décembre 2022 au samedi 10 décembre 2022 Théâtre de la Ville Les Abbesses 31 rue des Abbesses, 75018 Paris à 20h, le samedi 10 à 15h, relâche le 4 décembre. Tel : 01 42 74 22 77. Durée : 2h35. Spectacle vu au TNP de Villeurbanne. Le spectacle sera notamment en janvier au TGP de Saint-Denis et au Théâtre de la Cité Internationale.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 14, 2023 6:52 PM
|
Propos recueillis par Olivier Frégaville - Gratian d'Amore pour l'Oeil d'Olivier - 14 janvier 2023 Dans le cadre du Festival azuréen Trajectoires, la comédienne gracile se glisse dans la peau d’un ado de onze ans, qui entre en sixième. Portant au plateau avec deux autres artistes, J’ai trop d’amis de David Lescot, Lyn Thibault, découverte dans la trilogie Des territoires de Baptiste Amann, s’amuse dans ce conte ludique autant que lucide et confirme sa capacité à changer de rôle avec une belle aisance. Rencontre. Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? J’ai l’impression d’être née dedans. Mon premier souvenir d’art vivant, n’en est donc pas vraiment un. J’avais six ans quand je suis allé voir mon premier spectacle de théâtre. C’était le malade imaginaire monté par un club amateur de la petite ville où j’habitais, pendant le spectacle j’ai eu envie de faire pipi, je suis allée aux toilettes, quand je suis revenue un des acteur avait fait une rupture d’anévrisme, il est mort. Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? Des problèmes de concentration à l’école puis à la fac qui m’ont mise en difficulté pour faire des études. " alt="" aria-hidden="true" /> Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ? J’ai choisi d’être comédienne, car j’ai l’impression que c’était la base, le commencement, et que ça pourrait être une manière de m’apprendre à être un humain de manière un peu plus manifestée qu’avant, m’apprendre à jouer à la vie. Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? Je me souviens d’un spectacle de danse auquel participaient mon grand frère et ma grande sœur. Je devais avoir 3 ans. Et je me suis accaparée l’entracte, montée sur scène devant le rideau fermé pour mimer la suite du spectacle qui allait arriver, qui était sur Pinocchio, avec l’évidence et l’urgence qu’il fallait absolument que je leur raconte ce qui allait se passer (parce que j’avais vu les répétitions). Ça m’étonne encore, car j’étais une enfant très effacée, pas du tout communicante. Votre plus grand coup de cœur scénique ? Inferno de Romeo Castellucci à Avignon. Quelles sont vos plus belles rencontres ? Difficile de hiérarchiser… Je choisis certains enfants que je rencontre en ateliers. C’est furtif, mais extrêmement puissant. En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? C’est le besoin d’aller à l’envers de temps en temps pour d’autant mieux continuer ensuite d’aller à l’endroit. Comme le DJ qui scratch le vinyl au lieu de le laisser à la vitesse normale. Qu’est-ce qui vous inspire ? L’amour et Dieu 😉 De quel ordre est votre rapport à la scène ? Métaphysique " alt="" aria-hidden="true" /> À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? Dans le plexus, comme quand on est amoureux. Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? Silvia Costa. Si seulement j’avais été danseuse, j’aurais rêvé de travailler avec Emmanuel Eggermont. Et d’autres, mais je ne les connais pas, car je ne connais pas beaucoup de monde. À quel projet fou aimeriez-vous participer ? Une chorale gigantesque, je ne sais pas 1000 personnes, 10 000… Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? Une peinture. Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore J’ai trop d’amis de David Lescot les 14 et 17 janvier 2023 au TNN / Salle des Franciscains le 24 Janvier 2023 à la Scène 55 Mougins le 27 Janvier 2023 au Théâtre de la Licorne Cannes Mise en scène de David Lescot assisté de Faustine Noguès avec en alternance Suzanne Aubert, Lyn Thibault, Théodora Marcadé, Elise Marie, Camille Roy & Marion Verstraeten Création lumière de Guillaume Roland Costumes de Suzanne Aubert Crédit portrait © Julien Samani Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage et © Sonia Barcet
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 13, 2023 5:11 AM
|
Par Sandrine Blanchard (Nantes, envoyée spéciale) dans Le Monde 13/01/23 A Nantes, près de 15 000 professionnels du secteur ont partagé pendant deux jours leurs inquiétudes et leurs propositions pour sortir de la crise.
Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/01/13/le-blues-du-milieu-du-spectacle_6157695_3246.html
« Le spectacle vivant est face à une crise d’une ampleur sans précédent. La période du Covid n’était qu’un galop d’essai. La crise est désormais multifactorielle. » D’un ton calme mais ferme, Nicolas Marc, créateur et directeur des Biennales internationales du spectacle (BIS), observateur depuis plus de vingt ans de ce secteur culturel, ne cache pas sa forte inquiétude. Mercredi 11 et jeudi 12 janvier, la dixième édition des BIS, rendez-vous important de la filière du spectacle vivant (180 exposants, plus d’une centaine de débats et forums), a vu affluer quelque 14 800 professionnels à la Cité des congrès, à Nantes. Un record. Mais ces retrouvailles, après trois ans d’interruption pour raison sanitaire, ont eu un goût amer. « Tsunami », « lame de fond » « étouffement », des mots rudes ont été employés au fil des discussions et prises de parole. 2023 serait-elle l’année de tous les dangers ? L’USEP-SV, la fédération des organisations professionnelles du secteur subventionné du spectacle vivant, n’a pas hésité à intituler son débat : « La fin du service public du spectacle vivant en 2023 ? » Un titre « un peu provocateur, mais à la hauteur des préoccupations », a justifié Frédéric Maurin, président du Syndicat national des scènes publiques. Malaise diffus Après une crise sanitaire qui a mis à l’arrêt les lieux de spectacle pendant de longs mois, de nouveaux et nombreux nuages s’amoncellent sur un secteur qui n’a jamais digéré avoir été classé comme « non essentiel » durant l’épidémie de Covid-19. A la nécessité de reconstruire le lien avec le public viennent s’ajouter la hausse du prix de l’énergie, la très probable baisse des subventions d’un certain nombre de collectivités territoriales, les tensions sur le marché de l’emploi et sur le niveau des rémunérations. Mais aussi l’embouteillage de productions et la faiblesse de la diffusion, le risque d’un phénomène accru de concentration dans le secteur privé de la musique et du spectacle, la pénurie de matériel, les enjeux pressants de transition écologique et la crainte que certains festivals fassent les frais de l’organisation des Jeux olympiques en 2024, malgré les assurances du contraire apportées par Rima Abdul Malak, ministre de la culture. « Tsunami », « lame de fond », « étouffement », des mots rudes ont été employés au fil des discussions et prises de parole « Le théâtre public de Montreuil voit sa facture de gaz multipliée par six et celle d’électricité par trois, et risque de devoir fermer un mois plus tôt » (Alexie Lorca, maire adjointe de cette ville de Seine-Saint-Denis). « Dans le réseau opéra-orchestres, neuf adhérents sur dix envisagent de réduire leur activité » (Aline Sam-Giao, présidente des Forces musicales et directrice générale de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon). « Nous sommes confrontés à une pénurie de main-d’œuvre, près de 20 % des techniciens se sont reconvertis après le Covid » (Eric Barthélémy, administrateur du Syndicat national des prestataires de l’audiovisuel scénique et événementiel). « Depuis cette rentrée, on se retrouve face à un mur quant à l’avenir de notre programmation » (Caroline Sonrier, directrice de l’Opéra de Lille). Etc, etc. Le malaise est diffus. Signe d’une période sous tension, le conseil régional des Pays de Loire, dont la vice-présidente chargée de la culture, Isabelle Leroy, ont renoncé à occuper leur stand et à participer aux BIS, craignant d’être pris à partie par des artistes qui contestent le projet de baisse des subventions pour le secteur culturel. Confrontées à des contraintes budgétaires, liées entre autres à la crise énergique, plusieurs collectivités locales sont tentées d’utiliser la culture comme variable d’ajustement. « Beaucoup de budgets vont être votés en mars, ça va arriver en cascade, et on mesurera l’ampleur de la crise, redoute Nicolas Marc. Oui, protégeons en France la baguette de pain, mais protégeons aussi la filière culturelle dont le poids, l’importance, ne sont plus à démontrer. » Manque de diffusion « La culture soigne, relie, il faudrait dans l’avenir des ordonnances de culture comme il y a désormais du sport sur ordonnance », selon Christopher Miles, directeur général de la création artistique au ministère de la culture. Surtout, il faut résoudre un mal ancien et profond qui touche le secteur du spectacle vivant : un rythme effréné de créations, mais un manque de diffusion. « Le défi majeur est de mieux produire, pour mieux diffuser, insiste M. Miles. Une régulation maîtrisée et une décroissance sont nécessaires. » Nicolas Marc, créateur des Biennales internationales du spectacle : « Beaucoup de budgets vont être votés en mars, ça va arriver en cascade et on mesurera l’ampleur de la crise » A écouter les directeurs de lieu culturel subventionné, il semble que cet enjeu du ralentissement de l’activité de production, afin d’augmenter la durée de vie des projets (nombre de représentations et tournées), soit désormais partagé par une majorité de professionnels. « On est depuis longtemps en crise de surproduction », reconnaît Salvador Garcia, directeur de Bonlieu, scène nationale d’Annecy. « Il est temps de penser de manière transversale par rapport aux labels », ajoute-t-il. Le ministère, précise M. Miles, travaille sur « une révision des cahiers des missions et des charges des labels et réseaux nationaux, un renforcement de la logique de coopération » et considère qu’« il ne faut pas avoir de complexe sur le rapprochement public-privé ». Malgré une crise « jamais vue », il a donc aussi été question d’avenir et de refondation. Comme ses prédécesseurs, Rima Abdul Malak s’est rendue aux BIS, jeudi 12 janvier. Mais contrairement à eux, la ministre de la culture n’a fait ni discours ni annonce, préférant passer plus de trois heures à parcourir les stands pour s’entretenir avec des responsables de syndicat, d’organisme professionnel, d’association… La baisse des subventions des collectivités locales ? « L’Etat peut dialoguer, peut peser dans les discussions, mais l’Etat ne peut pas systématiquement compenser les retraits et les désengagements des collectivités. C’est un vrai sujet », a reconnu la ministre. Un petit carnet à la main, Rima Abdul Malak a pris en note les nombreuses questions qui fâchent. Sandrine Blanchard (Nantes, envoyée spéciale) / Le Monde Légende photo : Inauguration des Biennales internationales du spectacle par leur directeur Nicolas Marc, le 11 janvier 2023, à la Cité des congrès de Nantes. DELPHINE PERRIN/BIS DE NANTES
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 11, 2023 9:05 AM
|
Par Emmanuelle Bouchez dans Télérama - 10 janvier 2023 Le parcours d’un homme acculé au suicide par une société qui l’ostracise jusqu’au pire. La pièce des années 1920 du dramaturge soviétique Nicolaï Erdman, mise en scène par Jean Bellorini, résonne terriblement avec les errances de la Russie actuelle. Lire l'article sur le site de Télérama : https://www.telerama.fr/sortir/le-suicide-au-tnp-de-villeurbanne-baisers-mortels-de-russie-7013774.php
« Ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire. » Cette réplique choc du Suicidé, pièce écrite par le jeune dramaturge Nicolaï Erdman (1900-1970) à propos de la Russie soviétique de 1928, résonne avec celle de Vladimir Poutine. Elle a valu la censure totale à son auteur. Le grand Meyerhold lui-même n’a pu la mettre en scène, avant d’être sauvagement assassiné en 1940 par les sbires de Staline. Erdman fut plus tard relégué en Sibérie à cause d’un poème satirique. Ensuite, il n’a plus écrit que des comédies pour le cinéma. Il y a sept ans, le metteur en scène Jean Bellorini, aujourd’hui à la tête du Théâtre national populaire de Villeurbanne, avait déjà monté Le Suicidé en allemand, avec le Berliner Ensemble. Sa fable était clownesque. Elle exprime désormais davantage un sens de l’absurde mélancolique, porté par son épatante troupe de complices, François Deblock en tête, à la virtuosité époustouflante dans le rôle de Sémione, « le suicidé ». Sur la scène vide, le couple formé par ce dernier et Macha est, également, filmé de haut, têtes à l’envers, sur un lit de fer. Image hilarante projetée sur grand écran où l’on voit le mari chômeur réveiller sa femme épuisée pour s’enquérir du saucisson de foie. Mais ce personnage égoïste se transforme peu à peu en révélateur des impasses de la société soviétique. Après un quiproquo lui ayant collé une image de suicidaire, il s’individualise, sort de la « masse », tandis que des « groupes d’intérêts » cherchent à lui fourguer une raison idéologique à son futur geste. Images modernes et drame intemporel À commencer par Aristarque, qui représente « l’intelligentsia ». Il y a aussi l’organisateur magouilleur d’un stand de tir qui ressemble, lui, aux mafieux de la Russie actuelle. Sans avoir besoin d’appuyer la caricature, l’équivalence avec la société russe contemporaine saute aux yeux. La chape de terreur, tombant ici si lourdement du Kremlin, se confond avec celle décrite par ceux qui quittent aujourd’hui leur pays. Le metteur en scène provoque une onde de choc supplémentaire en projetant vers la fin une vidéo postée, en septembre dernier, par le jeune rappeur russe Ivan Petunin, qui s’est a priori donné la mort pour protester contre la mobilisation générale. Perdues dans l’espace si large, les tribulations vociférantes de Sémione – traduites crûment par André Markowicz – se cognent à des portes tombées d’en haut. Accordéon, cuivres et percussions accompagnent en direct ses errances jusqu’au tableau central : un spectaculaire banquet décomptant les minutes avant ce suicide désiré par tous d’un homme de plus en plus seul. Sémione, en slip, debout sur la table, goûte son quart d’heure de célébrité en chantant Creep, de Radiohead. Là est la force du spectacle : insuffler mille détails sensibles et drôles pour ne pas désespérer le public. Et rendre ainsi justice à cette ironie si noire de Nicolaï Erdman. Emmanuelle Bouchez TTTT 2h20. Jusqu’au 20 janvier, TNP, Villeurbanne (69), tél. : 04 78 03 30 00 ; les 27 et 28 janvier, Opéra de Massy (91) ; 9 au 18 février, MC93, Bobigny (93) ; les 1er et 2 mars, La Coursive, La Rochelle (17) ; le 9 mars, espace Jean Legendre, Compiègne (60) ; du 16 au 18 mars, La Criée, Marseille (13) ; les 12 et 13 avril, MCA, Amiens (80). Légende photo : La troupe du “Suicidé”, présenté à Villeurbanne puis en tournée dans toute la France. Photo Juliette Parisot
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 10, 2023 10:18 AM
|
Tribune publiée dans Libération - 7 janvier 2023 Face à la vague inédite de déprogrammations, à l’instar de l’exposition de Bastien Vivès, auteur de BD visé par une enquête pour diffusion d’images pédopornographiques, l’Observatoire de la liberté de création rappelle que seul le juge peut restreindre la liberté de diffusion. par l'Observatoire de la liberté de création, (Acid, Addoc, Aica, CGT spectacle, Fedelima, Fnar, les Forces musicales, LDH, Ligue de l’enseignement, SCA, SRF, SFA, Snap-CGT) publié le 7 janvier 2023 à 4h19 Trois déprogrammations récentes ont attiré l’attention de l’Observatoire de la liberté de création. Il s’agit du film les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi, retiré de certains écrans, de la pièce de Laurène Marx Pour un temps sois peu, qui devait se jouer ce mois-ci au Théâtre 13, dans une mise en scène et une incarnation par une comédienne cisgenre, et d’une exposition de Bastien Vivès au Festival international de la bande dessinée à Angoulême, mis en cause pour certaines de ses œuvres antérieures et certains de ses propos publics. Le diffuseur qui choisit de prendre une œuvre en charge s’engage, prend la responsabilité de montrer l’œuvre au public. Il la prend par rapport à l’œuvre, aux auteurs, structures, coauteurs, metteurs en scène, comédiens, techniciens, compagnies, et la prend vis-à-vis du public auprès duquel il la promeut en lui faisant la promesse que celui-ci pourra accéder à l’œuvre qui va advenir. Cette promesse ne peut être rompue par l’Etat, ou par la ville dont dépendrait le lieu de diffusion, et encore moins par celui qui a choisi l’œuvre. Car il a conclu une sorte de contrat avec le public. Fort de cette promesse, le public qui répond à l’appel de l’œuvre pourra y accéder et construire sa propre opinion à son sujet. Se confronter à la pluralité des opinions A cet égard, la critique est libre. Chacun peut discuter un choix de programmation pour des raisons qui relèvent de son opportunité politique, sociale, sociétale, ou de ce qu’elle fait, performe, ou tient comme discours. Le monde de l’art n’est pas un îlot social exempt de toute reddition de comptes et doit accepter de se confronter à la pluralité des opinions. Si la diffusion de l’œuvre ou l’œuvre elle-même suscitent une opposition, le diffuseur peut et, à notre sens, doit organiser une discussion : le public, éclairé par son propre rapport à l’œuvre, par son propre jugement – et non ce que d’autres en disent – aura ainsi la possibilité de s’exprimer. Et le programmateur doit accepter, au cours de ce débat, de voir ses choix contestés. La culture ne doit pas être un lieu de pouvoir, mais de questionnement, d’échange et de partage. Si la demande de déprogrammation repose sur le fait que l’œuvre montrée serait passible de la loi, c’est le juge qu’il faut saisir : lui seul peut légalement restreindre la liberté de création et de diffusion et engager la responsabilité du diffuseur ou des auteurs. Et les organisations qui composent l’Observatoire, et en particulier la Ligue des droits de l’homme, se réservent d’ailleurs d’intervenir à l’instance, soit pour défendre l’œuvre injustement critiquée soit, à l’inverse, pour faire condamner des œuvres qui, par exemple, sous couvert de fiction, diffusent des discours explicitement injurieux ou discriminatoires. Une liberté fondamentale protégée par la loi Dans ce contexte, il nous paraît essentiel de rappeler que la liberté de création et de diffusion des œuvres est une liberté fondamentale protégée par la loi du 7 juillet 2016. Toute limitation de cette liberté est strictement encadrée par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La restriction doit être prévue par la loi, nécessaire dans une société démocratique et strictement proportionnée à l’intérêt protégé. L’entrave à ces libertés est même un délit prévu par l’article L 431-1 du code pénal à certaines conditions (concertation, menaces, violences, dégradations…). Il nous paraît aussi important de rappeler ce qu’est une censure. C’est d’abord l’examen d’une œuvre avant qu’elle ne soit rendue publique. Examen qu’accomplit tout censeur de l’Etat, au nom de l’Etat, lorsque la censure préalable est légale. C’est le cas du cinéma. Aucun film ne peut sortir en salle sans un visa, autorisation administrative de diffusion délivrée par le ministère de la Culture. Le visa imposé est discutable devant les tribunaux. En littérature, dans les arts plastiques, au théâtre, pour les expositions, la musique ou la danse, la censure préalable a disparu. Est-ce à dire que la censure n’y existe plus ? De fait, beaucoup moins, mais elle n’a pas disparu. De même pour le cinéma : une fois passée la censure préalable qui lui est spécifique, d’autres types de censure peuvent exister. L’Observatoire de la liberté de création rappelle que le choix d’une œuvre dans le cadre d’une programmation est libre. Tout programmateur, diffuseur, éditeur, a parfaitement le droit de refuser des projets et d’en valoriser d’autres. La liberté de programmation est désormais protégée par la loi du 7 juillet 2016 puisque l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics doivent veiller à son respect (article 3). L’Observatoire de la liberté de création – qui regroupe quinze membres, dont de nombreuses organisations professionnelles, et des personnalités de l’art et de la culture – considère aujourd’hui nécessaire de rappeler ces lois et ces principes, car l’actualité récente nous confronte et confronte le public à une vague inédite de déprogrammations et d’appel à la déprogrammation dans tous les champs de l’art et de la culture (cinéma, théâtre, lieux d’exposition). La peur du débat Chacune de ces déprogrammations, chacun de ces appels a son histoire propre, son contexte particulier, sa complexité indéniable. Si l’on peut comprendre certaines des raisons qui poussent à les réclamer, il nous appartient de rappeler que – outre le fait qu’elles font rarement progresser les causes défendues –, en dehors d’une décision judiciaire, toute mesure qui empêche le public d’exercer son droit d’accès à l’œuvre et son droit de juger par lui-même est inacceptable. Elle renvoie le public à l’état d’infans au nom duquel des tiers, plus adultes que lui, prendraient des décisions sans le consulter. La déprogrammation constitue un renoncement, et non un acte de courage. La peur du débat, ce lieu indispensable du partage du dissensus, est le lit de tous les pouvoirs autoritaires. Quand il suffit de faire peur pour que ceux qui sont en responsabilité cèdent, des jours mauvais s’annoncent. Sans parler, bien entendu, des menaces et violences qui constituent un délit pénal (article 431-1 du code pénal). Le temps de la résistance est peut-être devant nous. Restons donc debout avant que le vent ne souffle plus fort. Signataires : François Lecercle, Thomas Perroud, Agnès Tricoire, Daniel Veron, les codélégués de l’Observatoire de la liberté de création et Elisabeth Caillet, Eric Chevance, Sophie Houdard, Jill Gasparina, Jacinto Lageira, Christophe Kantcheff, Malte Martin, Myriam Mechita, Marie-José Mondzain, Bénédicte Pagnot, Christian Ruby, Valérie de Saint-Do, Mathieu Simonet, Cy Jung, membres de l’Observatoire de la liberté de création. Légende photo : Le film «les Amandiers» de Valeria Bruni-Tedeschi (Jérome Presbois)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 10, 2023 7:42 AM
|
Publié sur le site d'Artcena le 9 janvier 2023 La nouvelle directrice se fixe comme objectifs d’être à l’écoute du territoire et de fédérer les publics. Ayant réalisé l’essentiel de son parcours dans le Rhône – en tant que directrice des Affaires culturelles de la commune de Genas, de L’Atrium de Tassin-la-Demi-Lune et depuis cinq ans du Théâtre de Villefranche-sur-Saône – Amélie Casasole change de Département et de Région pour mettre le cap sur Nîmes, Ville dont elle salue le fort engagement en faveur de la culture. Équivalent en termes de volume de spectacles par rapport à celui qu’elle s’apprête à quitter, le Théâtre de Nîmes dispose toutefois d’un atout supplémentaire : deux salles aux jauges bien différentes (le théâtre Bernadette Laffont, pourvu d’un grand plateau, et le théâtre de l’Odéon, scène plus intimiste située dans un autre quartier), permettant donc de développer une offre diversifiée. C’est précisément ce qui a séduit Amélie Casasole, attentive dans chacune de ses programmations à alterner grandes formes fédératrices et propositions émergentes et très novatrices. « Un théâtre de ville doit s’adresser à tous. Car plus le public se sent concerné, plus il est enclin de temps à autre à effectuer un pas de côté en découvrant un spectacle qu’il ne pensait pas aimer », explique-t-elle. Fidèle à ligne artistique du Théâtre de Nîmes, scène conventionnée danse qui depuis de nombreuses années promeut des chorégraphes confirmés comme des jeunes talents, la directrice continuera d’autre part à accueillir du théâtre classique et contemporain, avec une sensibilité particulière pour les auteurs dont les textes font écho aux problématiques sociétales et à l’actualité, de la musique (le Festival Flamenco, d’envergure nationale et internationale, sera pérennisé), du cirque – art, à ses yeux, intergénérationnel – et des pièces jeune public. Cette pluridisciplinarité sera également incarnée par l’une de ses artistes associées, Fanny de Chaillé, à la fois chorégraphe, metteuse en scène et performeuse, choisie en outre pour sa capacité à concevoir aussi bien des créations sur de grands plateaux que des productions adaptées à des lieux non-dédiés tels que les lycées et les universités. Elle sera rejointe par la chorégraphe toulousaine Marion Muzac, dont le travail régulier mené avec des danseurs amateurs satisfera un axe primordial de la nouvelle direction : intégrer les spectateurs au processus de création, afin qu’ils puissent s’approprier le projet artistique et culturel et y contribuer. « J’attends de ces deux artistes, que nous coproduirons et diffuserons, qu’elles soient force de propositions pour l’activité du théâtre, dans et hors les murs, et accompagnent cette volonté de toucher un large public », souligne Amélie Casasole. Outre poursuivre et affermir la programmation en itinérance, la future directrice souhaite en effet multiplier les occasions de rencontre avec les habitants : imaginer des résidences et/ou des créations in situ à l’échelle d’un quartier, dans des établissements scolaires, médicaux et sociaux et même des entreprises, participer à des événements portés par des associations et des communes, et croiser les approches ; ainsi qu’elle le fit à Villefranche-sur-Saône, par exemple en organisant dans des caveaux des concerts suivis d’une dégustation de vins. « S’immerger dans la vie d’un territoire, être à son écoute et dialoguer avec lui est nécessaire pour susciter le désir de culture chez ceux qui en sont éloignés », estime Amélie Casasole. Elle entend par ailleurs privilégier l’attention à la jeunesse, très connectée au virtuel et qui a donc d’autant plus besoin de relations humaines et d’éprouver cette expérience, irremplaçable, du spectacle vivant. « La programmation dédiée aux enfants, aux adolescents et aux familles constituera évidemment un levier important. Mais cette démarche passera aussi par des actions culturelles, en collaboration avec l’Éducation nationale et les services Jeunesse de la Ville », ajoute-t-elle. Ambitieuses, ces orientations s’inscrivent dans une perspective qui l’est tout autant : voir le Théâtre de Nîmes obtenir le label scène nationale. Si son cahier des charges actuel en respecte bien des critères, la nouvelle maîtresse des lieux préfère rester prudente. « Il faut laisser au projet le temps de se poser. Je pense que le ministère de la Culture, qui a reconnu la qualité du travail réalisé par mon prédécesseur, sera attentif à son évolution ces prochaines années », affirme-t-elle, voyant néanmoins dans la labellisation un défi très stimulant à relever. Bien que prenant ses fonctions le 1er juin 2023, elle s’y attellera dès la fin janvier, date à laquelle François Noël quittera les siennes. Car tout en achevant sa mission à Villefranche-sur-Saône, Amélie Casasole est d’ores et déjà appelée à programmer la seconde partie de la saison 2023/2024. Une excellente façon d’entrer dans le vif du sujet.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 8, 2023 6:57 AM
|
Par Armelle Héliot dans son blog - 7 janvier 2023 Séduit par le roman d’Eric Faye, Olivier Cruveiller l’a adapté, le met en scène avec Barthélémy Fortier, le joue avec Natalie Akoun, Nina Cruveiller, le musicien Laurent Valéro. Un spectacle mystérieux, évanescent, très émouvant. Dans cette très jolie salle de l’Epée de Bois, au plus près de l’espace de jeu, les ombres, les lumières, les sons, les couleurs de voix, les silhouettes des interprètes, tout prend une force entêtante et saisit sourdement. Au charme de la salle, répond le charme de la représentation. Une salle dite « le studio », ou salle de répétition. Un gradin modeste, une acoustique excellente. Tout ceci convient à la perfection à Nagasaki, adaptation du roman d’Eric Faye qui reçut pour cet ouvrage le Grand prix de l’Académie Française en 2010. Il s’agit d’une étrange histoire. Monsieur Shimura-San, modeste salarié, célibataire plus très jeune, mène sa vie calme et régulière dans une grande solitude. Un jour, il se rend compte que des denrées disparaissent de son frigidaire. Comment est-ce possible ? Personne ne s’occupe de son ménage, personne n’est censé pénétrer dans « sa » maison de papier. En technicien, il va piéger l’intrus. Une intruse. Elle s’est réfugiée dans la chambre du fond et dort dans le placard à futons, ne sortant pour profiter du soleil qui pénètre, que lorsque Monsieur Shimura-San est au travail. Dans des lumières dorées, avec comme élément de décor principal des panneaux translucides qui permettent des jeux d’ombres, le spectacle se déploie tout en douceur. Il y a d’abord le récit de l’homme, prenant à témoin le public en quelque sorte. C’est Olivier Cruveiller, de l’inquiétude, l’angoisse, la colère sourde, l’énervement, la décision, la réplique…à l’acceptation de la vérité. Comme toujours sur une ligne rigoureuse mais sans raideur aucune. Un musicien est présent et accompagne toute la représentation au violon ou au bandonéon. Laurent Valéro signe la composition et l’interprète. Cela ajoute aux dominantes mystérieuses et charmeuses en même temps de ce qui pourrait être un conte fantastique, mais est, au contraire, inscrit dans une réalité. Sociale, dérangeante. Puis des femmes vont surgir. La même à deux âges de sa vie, dans des costumes presqu’identiques (imaginés par Natalie Akoun). Grâce de tout l’être, allure de blonde fée de conte, Natalie Akoun est la femme qui s’est installée chez Monsieur Shimura-San. De sa voix tendre, chantant parfois, elle avance, dévoilant peu à peu les raisons de sa présence. Et, avec Nina Cruveiller, jeune génération, on apprend pourquoi cette maison n’est pas comme les autres pour celle qui joue les coucous. C’est beau, simple, touchant, intelligemment adapté et mis en scène avec Barthélémy Fortier, merveilleusement incarné. Un conte, un songe. Mais le réel aussi. Théâtre de l’Epée de Bois, Cartoucherie, les jeudi et vendredi à 21h00, samedi à 16h30 et 21h00, dimanche à 16h30. Jusqu’au 15 janvier. Tél : 01 48 08 39 74. Puis au 100, rue de Charenton, du 23 au 25 mars, du 30 mars au 1er avril, du 6 au 8 avril, à 20h00. Légende photo : Une atmosphère prenante et quatre interprètes excellents. Photo DR.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 7, 2023 9:08 AM
|
Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 4 janvier 2023 Par autan, mise en scène et scénographie de François Tanguy. Son Eric Goudard, François Tanguy, lumières François Fauvel, Typhaine Steiner, François Tanguy, costumes Odile Crétault, construction François Fauvel, Erik Gerken, Jean Guillet, Jimmy Péchard, Paul-Emile Perreau. Avec Frode Bjornstad, Samuel Boré, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly, Anaïs… « Le murmure du vent s’approchait rapide. En première ligne, on pouvait distinguer une sorte de plainte assoupie et très loin, à l’arrière, l’accroissement d’une clameur multiple qui s’avançait en s’étalant. On y distinguait comme des roulements d’une multitude de tambours, une note impétueuse et mauvaise, et le chant d’une foule en marche. (Joseph Conrad, Typhon). Les souffles d’air, l’évocation du vent fantasque traduisent les mouvements de l’atmosphère et de la respiration, de l’air et de la vie, le vent et le souffle vital. Phénomène craint, le vent apporte le dérèglement du « temps » et la tempête; il chasse et apporte les nuages, offre la pluie et le soleil. Ouragans et tempêtes, accélérations, déviations et tourbillons sur les vents contraires, tel le vent d’autan, orageux et impétueux, soufflant du large, sud, sud-ouest, sur le littoral sud de la France. La face terrible du vent existe, symbole associé à la violence des hommes, tempête de mer ou de terre, de jour ou de nuit, inspirant la poésie romantique où le vent souvent ravage les étendues et fait renaître à la fois la nature et l’âme. Shelley y voit l’ « enchanteur des spectres, l’« esprit sauvage », l’« âme farouche ». Il est évoqué Robert Walser, avec Kleist à Thoune – (Histoires) : « La campagne paraît vouloir se cacher au mauvais temps, vouloir se dégonfler. Le lac est dur et sombre, et les vagues parlent méchamment. Comme pressé d’annoncer un malheur, un vent de tempête fait irruption et ne trouve plus la sortie. Il se cogne d’un flanc de montagne à l’autre. » Du phénomène météorologique au souffle vital, du physique au méta-physique, le vent, invisible et présent, semble une des réalités culturelles les plus riches, aussi mobile et changeante que la vie. Il n’en fallait pas davantage pour l’inspiration de Par autan, le dernier spectacle de François Tanguy et du Théâtre du Radeau, cérémonial convivial – rituel ou messe scénique -, installé dans un appentis de jardin, hangar, débarras, où seraient remisés du bois, de vieilles tables, des bancs, un fouillis de cadres, de planches de menuiserie oubliées : une invitation onirique au voyage. On entend souffler le vent depuis l’extérieur sur la scène, air qui soulève les rideaux et les robes. En suivant les stations d’un chemin de croix laïque et inventif à parcourir tant bien que mal, là où « on »- les interprètes accompagnés du regard intrigué des spectateurs – pourrait se frayer un passage et franchir les obstacles, entre petits rideaux clairs coulissants et autres tentures libres. Des châssis de bois sont transportés en équilibre fragile, portes et parois transbahutées à l’horizontale, à mains nues, par les acteurs, s’entraidant les uns les autres – sujets débraillés de fresques et portraits en pied descendus de leur tableau. Ce sont des présences existentielles d’un autre temps et universelles en même temps, fugitives et récurrentes, issues de la littérature et la poésie, en un ballet chorégraphié de gestes, postures et remuements dans un décor mouvant. Et avant que le vent ne se lève et ne fasse tout trembler – sons et vibrations -, le public entend les bruits apaisants de la Nature, les chants des oiseaux dans les sous-bois – expressions de gaieté. La musique tient lieu sur scène de premier souffle et de nécessité vitale – Beethoven, Brahms, Bach, Dvorak, Grieg, Mahler, Rachmaninov…-, de même, l’énergie salutaire de fragments de poèmes, de souvenirs littéraires et de bribes de théâtre, relevant de la mémoire et de l’imaginaire par les grands artisans du verbe: Walser, Kafka, Shakespeare, Tchekhov, Dostoieïvski, Kleist… Chapeaux noirs pour les hommes façon fin XIX è, fausses barbes et moustaches, mais aussi romantisme des lourds manteaux russes de fourrure ; étoffes colorées pour les femmes, robes longues et déguisements de bric et de broc: un paysage onirique entre souvenirs et songes. Surgit la figure de la mariée dans sa robe et sa voilette blanches (extrait de La Noce de Tchekhov) – le vent s’en donne à coeur joie pour les faire s’envoler. Une rixe sourd entre deux invités autour du débat sur le nouvel éclairage électrique, tandis qu’un autre ne cesse de demander à son interlocuteur s’il y a en Grèce des morilles ou tel autre animal exotique. La même jeune fille – Anaïs Muller – interprète ailleurs le monologue de Nina, écrit de Treplev pour celle qu’il aime, La Mouette. Ou bien, un extrait encore Poésie de T.S. Eliot : « Sur le bord du Léman je m’assis et pleurai… Sweet Thames, run softly till I end my song Run softly, je ne parle pas fort, ni pour longtemps. Mais j’entends derrière moi dans une rafale glacée Grelotter des cliquetis et des rires décharnés. » Chants et déclamations en langues diverses, pianiste à son instrument, dans le chaos d’un méli-mélo improbable, bric-à-brac et fouillis indescriptibles, la vie va à travers le temps qui passe – souffle de vent et brise d’espérance. Et se font entendre des bribes de de théâtre mémorable : « Non, non, mon rêve s’est poursuivi au-delà de la vie. Oh, c’est alors que s’éleva la tempête dans mon âme. Il me sembla franchir le flot mélancolique en compagnie de ce sombre passeur dont parlent les poètes, pour entrer au royaume de perpétuelle nuit. » (Shakespeare, Richard III) Les acteurs s’affairent à leur tâche scénique, marchent sur une table après l’avoir recouverte d’une nappe blanche, y installent des chaises en formica renversées, sautent les gués et les obstacles entre les bancs. Ils disparaissent, à cour et à jardin, et à l’horizon d’une suite de pièces comme encastrées jusqu’au mur de lointain, et réapparaissent accoutrés différemment, baroques, décalés. Peut-être sont-ils les anges de La Sonate de Walser, encore : « Les anges ne connaissent pas l’espoir. Un ange espère-t-il ? Non les anges sont au-dessus de tous les espoirs, de tous… » Une aventure à la fois fantasmagorique et poétique, musicale et verbale, littéraire et théâtrale. Véronique Hotte Du 6 au 14 janvier 2023 au Théâtre National de Strasbourg. Les 25 et 26 janvier 2023 à L’Archipel – Scène nationale de Perpignan. Les 2 et 3 février 2023 à la Comédie de Caen – CDN. Les 8 et 9 mars 2023 au Centre dramatique national de Besançon. Crédit photo : Jean-Pierre Estournet.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 6, 2023 11:32 AM
|
Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 5/01/23 Les Russes connaissent surtout Nicolaï Erdman comme scénariste de films et pourtant, avec seulement deux pièces, c’est un dramaturge russe majeur du XXe siècle qui décrit avec un humour carnassier la société soviétique des années Staline. Jean Bellorini avait monté "Kroum" d'Hanokh Levin à Saint-Petersbourg, c'était dans le monde d'avant. Aujourd'hui au TNP, il met en scène "Le Suicidé". « Mon Dieu ! Je n’ai peur de personne. Je peux, tenez, je vais dans l’assemblée que je veux, celle que je veux, notez bien, camarades, et, je peux prendre le président et... je lui tire la langue. Je ne peux pas ? Si, je peux, camarades », dit Sémione Sémionovitch Podsekalnikov. Quel acteur, dans la Russie de Poutine, oserait prononcer de tels mots ? Nombre d’artistes russes de talent vivent désormais en exil. Et aucun metteur en scène resté en Russie, dans un pays où les nombreuses mises en scène des pièces d’Ivan Viripaev (qui vit aujourd’hui en exil, en Pologne) ont été déprogrammées, ne songerait à monter aujourd’hui Le Suicidé de Nicolaï Erdman dont la réplique ci-dessus est extraite. Même si le théâtre de Nicolaï Erdman et celui d’Ivan Viripaev ont peu de points communs, leur destin les rapproche. Adulés, puis décriés et bientôt interdits. Erdman écrit en 1924, à 24 ans, une première pièce, Le Mandat, une truculente comédie soviétique, mise en scène l’année suivante à Moscou par Vsevolod Meyerhold. Un triomphe. Stanislavski allant jusqu’à dire : « Dans le troisième acte, Meyerhold a réussi à faire ce que je n’ai moi-même jamais réussi. » La pièce va être jouée 350 fois et sera mise en scène partout dans la Russie soviétique, de Kazan à Sverdlovsk, et bientôt traduite en allemand, en japonais et tardivement en français (elle ne sera montée en France qu’en 1991). Erdman et Meyerhold passent un accord pour une seconde pièce, Le Suicidé. Erdman se met au travail, mais les temps changent vite en Union soviétique. Staline concentre de plus en plus les pouvoirs, les répressions sont en marche. En 1930, à Moscou, la pièce Le Mandat est définitivement retirée de l’affiche. La pièce Le Suicidé est cependant longuement répétée par Meyerhold. Ce dernier, pressentant sans doute que son travail risque de ne pas franchir le cap de la censure, fait lire la pièce à Stanislavski, mieux vu par les autorités. « C’est du Gogol ! C’est du Gogol ! » lance Stanislavski. Il écrit au maître du Kremlin pour lui demander « l’autorisation de commencer le travail sur la comédie Le Suicidé ». Staline lui répond : « Je n’ai pas une très bonne opinion du Suicidé. Mes camarades les plus proches considèrent que cette pièce est un peu vide et nuisible. » Stanislavski s’obstine. Une représentation, une seule, aura lieu devant les seuls membres du Politburo (Molokov, Jdanov et les autres). Plusieurs membres se seraient levés outrés en écoutant le héros de la pièce, Sémione Sémionovitch Podsekalnikov, dire la réplique citée en tête de cet article. La pièce est interdite de représentation. Elle sera montée... en 1969 à Göteborg, en France un peu plus tard et en Russie seulement en 1982 mais avec des coupes et vite retirée de l’affiche, puis à nouveau en 1987, année où les deux pièces d’Erdman sont enfin publiées à Moscou. En France, Michel Vinaver a traduit la pièce pour Jean-Pierre Vincent qui la mettra en scène à l’Odéon (alors relevant de la Comédie Française) en 1984 (la pièce est éditée dans le n°749 de L’Avant-Scène Théâtre). Une nouvelle traduction par André Markowicz sera créée à Toulouse par Jacques Nichet, puis au Festival d’Avignon 2011 par Patrick Pineau dans la carrière Boulbon (où la pièce se perdait). C’est cette traduction (publiée aux Solitaires Intempestifs), revue et corrigée, qu’a mise en scène Jean Bellorini au TNP de Villeurbanne trois jours à la mi-décembre avant une longue série en ce mois de janvier (du 6 au 21) suivie d’une tournée. Erdman sera arrêté en octobre 1933, condamné à trois ans d’exil dans une ville sibérienne perdue, Iénisseïk, et longtemps interdit de vivre dans de grandes villes russes et surtout pas à Moscou. En février 1938, Boulgakov écrit à Staline pour qu’Erdman puisse revenir à Moscou. Cette lettre est lue en russe dans le spectacle de Bellorini, par l’actrice et metteuse en scène Tatiana Frolova, elle-même réfugiée à Lyon avec son équipe du Théâtre Knam de Komsomolsk-sur-Amour (ville d'Extrême-Orient russe), équipe arrivée peu après le déclenchement de la guerre en Ukraine et accueillie en France par le festival Sens Interdits de Lyon qui avait programmé ses récents spectacles explorant sans fard la réalité russe. Erdman n’écrira pas d’autres pièces. Il sera scénariste souvent sous des noms d’emprunts ou sans nom au générique de quelques films russes (de La Maison de la rue Troubnaïa de Boris Barnett à Volga-Volga de Grigori Alexandrov qui, ironie de l’Histoire, recevra un prix Staline en 1941). Dans les années 60, Iouri Lioubimov l’accueillera dans son théâtre de la Taganka, lui commandera des sketches, des intermèdes. Jean-Philippe Jaccard (dans son introduction à l’édition de la première pièce d’Erdman Le Mandat chez l’Age d’homme, à laquelle cet article doit beaucoup) cite cette saillie erdmanienne d’Erdman lorsqu’en exil en Sibérie, répondant à son ami Cherchénévitch qui s’étonnait de ne pas avoir reçu une de ses lettres, il lui écrit : « A Moscou, j’écrivais des pièces qui n’arrivaient pas ; à Iénisseïsk, j’écris des lettres qui n’arrivent pas : la vie est monotone. » Erdman mourra en 1970, léguant à Lioubimov sa lampe de bureau. Dans ses souvenirs (Contre tout espoir, trois volumes, chez Gallimard, collection Témoins), Nadejda Mandelstam, l’épouse puis la veuve du grand poète Ossip Mandelstam (qui, lui, mourra dans le camp de transit en route pour la Kolyma, haut lieu du Goulag), consacre quelques belles pages à Erdman: « A l’opposé de Mandelstam qui défendait son droit aux “lèvres qui remuent”, Erdman avait fermé les siennes à clef. Parfois il se penchait vers moi et me confiait le sujet d’une pièce qui lui était venue à l’esprit et qu’il avait décidé à l’avance de ne pas écrire. » L’une de ces pièces non écrites « montrait la façon dont les gens passaient du jargon officiel à leur langage naturel ». Ce jeu entre deux langages traverse Le Suicidé. Un jour, dans son exil, un ami, Garine, lut à des amis – dont Nadejda – la pièce jamais jouée d’Erdman. « Je la perçus sous un jour nouveau, écrit Nadejda Mandelstam. L’auteur semblait dire : je vais vous expliquer pourquoi vous ne vous êtes pas écrasés au sol, et pourquoi vous continuez à vivre. » Jean Bellorini a raison de sous-titrer « vaudeville soviétique » son spectacle Le Suicidé bien que le terme de comédie, cher à Erdman, aurait mieux convenu. La drôlerie est, en effet, première. Cependant, quand on songe à la Russie soviétisée et jusqu’au-boutiste de Poutine, le rire, les gags d’Erdman apparaissent à la fois plus drôles et plus glaçants. Sémione Sémionovitch n’est pas un héros ou, plutôt, il le deviendra malgré lui. Il est sans travail quand commence la pièce, son souci, lorsqu’il se réveille dans la nuit, c’est de se lever pour aller manger du saucisson de foie, reste modeste du déjeuner. Il se lève et bientôt disparaît (dans la cuisine mais on le saura plus tard) en laissant son pantalon. Son épouse, Maria Loukaiovna, et la mère de cette dernière, Sérafima Ilinitchna, le cherchent, il ne doit pas être bien loin. « Un homme dans pantalon, c’est comme un homme sans yeux, ça peut aller nulle part », argumente la vieille Sérafima (réplique qui aurait ravi Samuel Beckett) quand elle n’en appelle pas aux saintes mères de toutes les Russies. A la recherche de Sémione, l’épouse et la belle-mère ameutent les voisins, etc. Beau début, tout en rythme, en gags (parfois annonciateurs, comme le saucisson de foie qu’un voisin prend pour un revolver, croyant que le chômeur Sémione veut se…). La suite ira crescendo. « La vie est belle », assure-t-on à Sémione qui réplique : « J’ai lu ça dans les Izvestias, mais je crois qu’il va y avoir un démenti. » On croit qu’il veut se tuer alors chacun vient à son chevet pour l’accaparer : d’Aristarque Dominikovitch Grand-Skoubnik, représentant autoproclamé de l’intelligentsia, à Cleopatra Maximovna, la femme prétendue fatale, ou Raissa Filippovna, la groupie ; du boucher Pougatchov au prêtre le père Elpidy et à Viktor Viktortovitch, l’écrivain ; etc. Soit une quinzaine de personnages sans compter les musiciens, un sourd-muet, deux types douteux, etc., toute une panoplie sociale. Jean Bellorini fait un peu le tri et convoque sur le plateau treize actrices et acteurs familiers de ses spectacles, emmenés par l’excellent François Deblock dans le rôle de Sémione Sémionovitch. Trois musiciens – Anthony Caillet (cuivres), Marion Chiron (accordéon) et Benoît Prisset (percussions) – assurent avec brio la partition musicale, très présente comme souvent dans les spectacles de Jean Bellorini, lequel cosigne une vaste scénographie trouée avec Véronique Chazal. La vidéo, trop utilisée comme un jouet dont on ne peut plus se séparer, a cependant la vertu d’approcher les personnages en gros plans très parlants. Le soir de la première, certains acteurs se perdaient un peu dans l’espace, tout cela devrait être resserré pour la reprise ces jours-ci. Sémione Sémionovitch Podsekalnikov acculé à se suicider passera-t-il à l’acte ? A tout le moins, il recopie la lettre posthume qu’on lui a préparée : « Souvenez-vous que l’intelligentsia est le sel de la nation et que, si elle disparaît, il n’y aura plus de quoi saler la grande semoule que vous nous préparez. » En écho à ce que lui avait dit auparavant Aristarque Dominikovitch : « A l’époque où nous sommes, citoyen Podsekalnikov, ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire. Je suis venu vous trouver en tant que mort, citoyen Podsekalnikov. Je suis venu vous trouver au nom de l’intelligentsia russe. » Comme ces mots sonnent étrangement aujourd’hui. Enfonçant ce clou, Bellorini introduit dans le spectacle la vidéo du rappeur russe Ivan Petunin qui, en septembre dernier, s’est jeté dans le vide pour éviter d’être mobilisé. Un suicidé, un vrai, comme il en surgit un, à la toute fin de la pièce. Le Suicidé, au TNP de Villeurbanne, du mar au sam 20h sf jeu 19h30, dim 15h30, du 6 au 20 janvier. Puis tournée : les 27 et 28 janv à l’opéra de Massy, du 9 au 18 fév à la MC93 en co-accueil avec le Théâtre de Nanterre-Amandiers, les 1er et 2 mars à la Coursive de la Rochelle, le 9 mars au Théâtre de Compiègne, du 16 au 18 mars à Marseille (La Criée), les 12 et 13 avril à la MC d’Amiens. La traduction du Suicidé par André Markowicz est publiée aux Solitaires intempestifs avec une préface de Béatrice Picon-Vallin. Photo Juliette Parisot
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 5, 2023 6:40 AM
|
Par Yannick Ripa dans Libération - 4 janvier 2023 Vingt-huit spécialistes dressent un panorama historique de la place des femmes dans les salles de spectacle, de la méfiance à la fréquentation mondaine, jusqu’à la démocratisation et l’émancipation. Nul n’ignore que, pendant des siècles, les femmes furent exclues, de par le monde, des lieux de pouvoir, politique ou économique, mais de là à penser qu’il a pu en être de même des salles de spectacle... C’est pourtant ce que suggère l’exclamation du titre. Or, le mot spectatrice est attesté dès l’Antiquité, dans sa forme latine. S’il est présent dans les premiers dictionnaires français des XVIIe et XVIIe siècles, il n’est devenu usuel que récemment, remplaçant des termes qui désignaient des femmes («les dames», «las mujeres», «the ladies»), voire des métonymies qui les invisibilisaient, telles «les loges». Cet étonnant constat a invité 28 des plus grands spécialistes mondiaux de l’histoire du théâtre à se pencher davantage sur la question, en multipliant les angles d’approche à travers le temps et l’espace. Première ambition : trouver des sources émanant des intéressées afin de connaître leurs motivations à se rendre aux spectacles, et la réception qu’elles en eurent, puis saisir la naissance de l’idée reçue selon laquelle la prétendue émotivité des femmes rendrait leur présence au spectacle dangereuse pour leur santé et influerait sur leur jugement de l’œuvre proposée en «une approche spontanée». Voire «lacrymale» ! D’emblée, il s’agit de se dégager des opinions masculines qui, depuis Platon, réduisent, selon les directrices et directeur de cette novatrice étude, les femmes à «l’image de consommatrices passives de biens culturels», dépourvues donc de capacités critiques. Stratégie des apparences Cette représentation genrée perdure au fil des siècles, et s’accroît dans les discours théâtrophobes européens du XVIIe siècle, moment d’augmentation de la fréquentation des salles par les femmes, en corrélation avec l’affirmation de leur rôle culturel dans le cadre «de la galanterie et de la civilisation mondaine», mais aussi, souligne Clotilde Thouret, en raison de l’«introduction d’une émotion» : la pudeur, la modesty anglaise. Manifesté en public, ce sentiment est l’expression de l’honneur féminin, de sa chasteté, aux antipodes de l’honneur masculin. Critère de goût, la pudeur peut avoir un impact sur la création, mais permet aux opposants, moralistes en tout genre de condamner le théâtre qui ferait passer les femmes de l’innocence à la débauche, reproche d’autant plus acerbe qu’il atteint celles de la haute société – le menu peuple féminin applaudira, lui, aux spectacles de rue. L’enjeu à la cour de France est alors autre : être invitée à ses représentations théâtrales et musicales conforte le statut de dame (soit 9 à 10 % des centaines de personnes des familles et maisons aristocratiques), mais l’invitation valorise les élues. Elles participent ainsi à la sociabilité cruciale, constituant, selon Laura Naudeix, «la caractéristique la plus séduisante de l’entourage du prince». «Destinataires privilégiées des divertissements», celles-ci sont néanmoins réduites à une forme d’inertie, tout en contribuant à pacifier les relations de cour durant ces moments de divertissement. Ce rôle social se perpétue, en se transformant dans les salles : l’attention et les commentaires des spectatrices – journaux intimes, échanges épistolaires, rubriques mondaines de la presse – portent moins sur ce qui se déroule sur la scène qu’autour d’elles. De fait, les classes aisées viennent autant pour voir que pour être vues. L’opéra n’échappe pas à cette stratégie des apparences, propre à la bourgeoisie triomphante du XIXe siècle. Or, dans les coulisses de l’opéra Le Peletier, à Paris, se pressent «des spectatrices clandestines» (Emmanuelle Delattre-Destemberg), les mères des danseuses, interdites de spectacle et de sa gratuité depuis 1817, exclues par l’élitisme accru du public des lieux. Pourtant elles sont encore un «meuble de rigueur», selon le mémorialiste du Second Empire Charles de Boigne, provoquant «un choc social», au détour d’un couloir où elles croisent le grand monde et les riches abonnés. Réseaux féminins et féministes A compter de la fin du XIXe siècle, la démocratisation des spectacles et la naissance du cinéma modifient la donne : le nombre d’autrices augmente et «un regard féminin se forme» (Katharine Mitchell). Les réseaux féminins et féministes – cercles, tels le Ladies’ Club ou le Cercle de la Française, et sociétés de «femmes auteurs dramatiques» comme le Théâtre féministe – contribuent à cette dynamique. Ils attirent un public féminin, à la bienveillance stimulante (Nathalie Coutelet) et ouvrent la porte à l’émancipation des spectatrices. Yannick Ripa / Libération Spectatrices ! De l’Antiquité à nos jours de Véronique Lochert, Marie Bouhaïk-Gironès, Céline Candiard, Fabien Cavaillé, Jeanne-Marie Hostiou, Mélanie Traversier (dir.). CNRS Editions, 438 pp., 26 € (ebook : 17,99 €). Légende illustration : «L'Effet du mélodrame» (1830) par Louis-Léopold Boilly. (Bridgeman Images)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 2, 2023 6:46 PM
|
Disparitions marquantes en 2022 : Théâtre, cinéma
Herbert Achternbusch Auteur de théâtre (1938-2022) Décès le 10 janvier 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Herbert_Achternbusch Marie-Thérèse Allier Fondatrice - directrice de la Ménagerie de verre (1931 - 2022) Décès le 26 mars 2022 https://sceneweb.fr/la-mort-de-marie-therese-allier-la-directrice-de-la-menagerie-de-verre/ https://www.liberation.fr/culture/scenes/mort-de-marie-therese-allier-tete-chercheuse-incontournable-des-arts-experimentaux-20220328_MSDNQNARXBCUBEO3TYMSGM6EFI/?redirected=1 Amarande Comédienne, chanteuse (1933-2022) Décès le 11 mars 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Amarande Bernard Ballet Comédien (1941 - 2022) Décès le 17 février 2022 http://lejournaldarmelleheliot.fr/bernard-ballet-un-si-large-chemin/ Véronique Barrault Comédienne (1958 - 2022) https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%A9ronique_Barrault Jean-Louis Bauer Acteur, Auteur de théâtre (1952 - 2022) Décès le 30 septembre 2022 https://www.avantscenetheatre.com/auteurs/jean-louis-bauer Monique Blin Directrice de théâtre et de festival (1933 - 2022) Décès le 25 janvier 2022 https://www.rfi.fr/fr/culture/20220126-d%C3%A9c%C3%A8s-de-monique-blin-l%C3%A9gendaire-cofondatrice-des-francophonies-%C3%A0-limoges Arlette Bonnard Comédienne, metteuse en scène (Décès le 21 juillet 2022) https://hottellotheatre.wordpress.com/2022/07/31/la-disparition-darlette-bonnard-enjary-grande-dame-rare-et-fidele-au-theatre-dart/ http://lejournaldarmelleheliot.fr/arlette-bonnard-une-grande-vie-dartiste/ Micheline Boudet Comédienne (1926 - 2022) Décès le 5 juillet 2022 https://www.lefigaro.fr/theatre/mort-de-micheline-boudet-rire-eclatant-de-la-comedie-francaise-20220707 Michel Bouquet Comédien, pédagogue (1925 - 2022) Décès le 13 avril 2022 https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2022/04/13/l-acteur-michel-bouquet-est-mort_6121989_3382.html Peter Brook Metteur en scène - Fondateur du Théâtre des Bouffes du Nord (1925-2022) Décès le 2 juillet 2022 https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2022/07/03/le-metteur-en-scene-britannique-peter-brook-est-mort_6133145_3382.html Brigitte Chamarande Comédienne (1955 - 2022) Décès le 14 mars 2022 https://www.programme.tv/news/cinema/215178-lactrice-brigitte-chamarande-est-morte-quelques-jours-apres-sa-mere/ Normand Chaurette Auteur de théâtre québécois (1954 - 2022) Décès le 31 août 2022 https://www.actes-sud.fr/actualites/deces-de-normand-chaurette https://www.ledevoir.com/culture/theatre/751605/deces-du-dramaturge-quebecois-normand-chaurette Claire Chavanne Scénographe (1960 - 2022) Décès le 14 novembre 2022 https://z-upload.facebook.com/scenographes/posts/5728579797237499 Jean-Louis Comolli Cinéaste (1941-2022) Décès le 19 mai 2022 https://www.cnc.fr/cinema/actualites/jeanlouis-comolli-disparition-dun-infatigable-passeur-de-mots-dimages-et-de-sons_1691265 Mylène Demongeot Actrice (1935 - 2022) Décès le 1er décembre 2022 https://www.midilibre.fr/2022/12/01/la-celebre-actrice-et-productrice-mylene-demongeot-est-decedee-a-87-ans-dune-longue-maladie-10839968.php Jean-François Driant Directeur de théâtre (1964 - 2022) 9 septembre 2022 https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Hommage-de-la-ministre-de-la-Culture-Rima-Abdul-Malak-a-Jean-Francois-Driant Christian Fenouillat Scénographe, peintre (1952-2022) Décès le 20 août 2022 http://lejournaldarmelleheliot.fr/adieu-a-christian-fenouillat/ Ezio Frigerio Scénographe, costumier (1930-2022) Décès le 2 février 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Ezio_Frigerio https://www.radiofrance.fr/francemusique/mort-du-grand-scenographe-et-costumier-italien-ezio-frigerio-4229172 Denis Garnier Directeur de théâtre (1942 - 2022) Décès le 27 octobre 2022 https://www.lanouvellerepublique.fr/poitiers/poitiers-disparition-de-denis-garnier-ancien-directeur-de-la-scene-nationale Gabriel Garran Metteur en scène - Directeur de théâtres (1927 - 2022) Décès le 6 mai 2022 https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2022/05/09/la-mort-de-gabriel-garran-createur-du-theatre-de-la-commune-a-aubervilliers_6125346_3382.html Christian Gasc Costumier de théâtre et de cinéma (1945 - 2022) Décès le 11 janvier 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Christian_Gasc Jean-Luc Godard Cinéaste (1930-2022) Décès le 13 septembre 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Luc_Godard Olivier Hémon Comédien (1950 - 2022) Décès le 13 septembre 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_H%C3%A9mon Pierre Hoden Comédien, danseur, metteur en scène (1962 - 2022) Décès le 31 juillet 2022 http://www.lesaffranchis.org/lesaffranchis/lequipe/ Irulaane (Lauriane Renaud) Autrice, metteuse en scène (1978 - 2022) Décès le 23 août 2022 https://www.francebleu.fr/infos/societe/l-ecrivaine-tourangelle-lauriane-renaud-alias-irulaane-est-decedee-1661441000 Olivia Kryger Comédienne (1969 -2022) Décès le 22 janvier 2022 https://www.theatre-contemporain.net/biographies/Olivia-Kryger/presentation/?path=biographies/Olivia-Kryger/presentation Jean Lebeau Directeur de théâtre (1945-2022) Décès le 3 mars 2022 https://www.lesarchivesduspectacle.net/?IDX_Personne=22424 Michel Le Royer Comédien (1932 – 2022) Décès le 25 février 2022 https://decesdescelebrites.wordpress.com/2022/02/25/michel-le-royer/ Dominique Lerminier Directeur technique (1953 – 2022) Décès le 25 août 2022 http://theatreducampagnol.fr/index.php/actualite/354-faire-part-de-deces-de-dominique-lerminier Pierre Londiche Comédien (1932-2022) Décès le 24 novembre 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Londiche Danielle Lopès Comédienne, autrice sous le nom de Leïla Miloudi Décès le 14 avril 2022 https://lodan3.wixsite.com/deila Dominique Marcas Comédienne (1920 - 2022) Décès le 15 février 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Marcas Michelle Marquais Comédienne (1926 - 2022) Décès le 29 janvier 2022 https://www.lefigaro.fr/theatre/michelle-marquais-mort-d-un-grand-caractere-20220201 Teresa Mota - Demarcy Comédienne (1941-2022) Décès le 1er janvier 2022 https://www.lefigaro.fr/theatre/mort-de-teresa-mota-intellectuelle-et-grande-comedienne-portugaise-20220105 Paule Noëlle Comédienne (1942 -2022) Décès le 28 mars 2022 http://lejournaldarmelleheliot.fr/paule-noelle-enfant-de-troupe/ René de Obaldia Auteur de théâtre, poète (1918 – 2022) Décès le 27 janvier 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_de_Obaldia Dominique Paturel Comédien (1931 – 2022) Décès le 28 février 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Paturel Jacques Perrin Comédien - Producteur de films documentaires (1941 – 2022) Décès le 21 avril 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Perrin Jean-Claude Perrin Comédien, auteur de théâtre (1943 – 2022) Décès le 13 mai 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Perrin_(acteur) François-Xavier Phan Comédien (1984- 2022) Décès le 8 décembre 2022 http://www.lumieredaout.net/8-presentation/bio/437-francois-xavier-phan https://www.loeildolivier.fr/2021/11/francois-xavier-phan-comedien-par-nature Sidney Poitier Comédien (USA) (1927-2022) Décès le 6 janvier 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Sidney_Poitier Jacques Rosner Metteur en scène - Directeur du CNSAD (1936 – 2022) (Conservatoire national supérieur d’art dramatique) Décès le 30 mars 2022 https://www.culture.gouv.fr/Regions/Drac-Occitanie/Actualites/Actualite-a-la-une/Hommage-a-Jacques-Rosner-ancien-directeur-du-Theatre-national-de-Toulouse Hélène de Saint-Père Comédienne (1963 – 2022) Décès le 4 mai 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%A9l%C3%A8ne_de_Saint-P%C3%A8re Catherine Spaak Comédienne (1945 – 2022) Décès le 17 avril 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_Spaak Jean-Marie Straub Cinéaste (1936-2022) Décès le 20 novembre 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Marie_Straub_et_Dani%C3%A8le_Huillet https://www.cnc.fr/cinema/actualites/jeanmarie-straub-le-dernier-mot_1836975 François Tanguy Metteur en scène - Théâtre du Radeau (1958-2022) Décès le 7 décembre 2022 https://www.theatre-du-soleil.fr/fr/au-fil-des-jours/mort-du-metteur-en-scene-francois-tanguy-287 Alain Tanner Cinéaste suisse (1929 – 2022) Décès le 11 septembre 2022 https://www.telerama.fr/cinema/mort-d-alain-tanner-realisateur-de-la-salamandre-et-deserteur-eclaire-7012023.php Maurice Taszman Traducteur, dramaturge, metteur en scène (1934 – 2022) Décès le 4 août 2022 https://www.editionstheatrales.fr/auteurs/maurice-taszman-318.html https://www.facebook.com/people/Le-Groupov/100063618575079/ Jean-Louis Trintignant Comédien (1930 – 2022) Décès le 17 juin 2022 https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2022/06/17/l-acteur-jean-louis-trintignant-est-mort_6130853_3382.html https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Louis_Trintignant Gaspard Ulliel Comédien, mannequin (1984 – 2022) Décès le 19 janvier 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Gaspard_Ulliel Charlotte Valandrey Comédienne (1968 – 2022) Décès le 13 juillet 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Charlotte_Valandrey Philippe van Kessel Acteur, metteur en scène, directeur de théâtre belge (1946 – 2022) Décès le 11 février 2022 https://www.lalibre.be/culture/scenes/2022/02/11/philippe-van-kessel-est-decede-le-theatre-national-en-deuil-4ET7DW6FDJGJVJIF2BI74O46ZU/ Michel Vinaver Auteur de théâtre (1927 - 2022) Décès le 1er mai 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Vinaver https://www.tnp-villeurbanne.com/hommage-a-michel-vinaver/ Monica Vitti Actrice (1931 – 2022) Décès le 2 février 2022 https://fr.wikipedia.org/wiki/Monica_Vitti André Wilms Comédien, metteur en scène (1947 – 2022) Décès le 9 février 2022 http://lejournaldarmelleheliot.fr/andre-wilms-lunique/ Christèle Wurmser Comédienne, écrivaine Décès le 26 décembre 2022 https://www.rueduconservatoire.fr/christele-wurmser-a-rejoint-les-anges/#.Y7atsXbMLIU
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 3, 2023 10:30 AM
|
Article d 'Anne Diatkine, envoyée spéciale à Cracovie pour Libération 02/01/23 A Cracovie, le metteur en scène polonais évoque sa dernière création qui, à partir de l’hymne de John Lennon, questionne la fin des utopies et la destruction du monde. En Pologne, la tenue d’un festival de théâtre est-elle seulement concevable, comme si de rien n’était, sans qu’il ne soit imprégné par la guerre en Ukraine ? Evidemment que non. Mais que peuvent avoir à dire ou à montrer à son propos les artistes qui ne semblent pas dérisoires ou hors sol ? Comment l’invasion de l’Ukraine par la Russie joue-t-elle sur les œuvres – autant sur leurs formes que sur leur perception ? Le festival Boska Komedia (littéralement la divine comédie) dirigé par Bartosz Szydłowski qui s’est tenu à Cracovie du 7 au 16 décembre existe depuis quinze ans, et dans un contexte politique ultra réactionnaire et autoritaire – le parti d’extrême droite Droit et Justice est toujours à la tête du gouvernement, il est réputé pour ses gestes subversifs. Cela semble ne pas manger de pain, ne pas rendre la neige qui tombe drue moins glaciale, mais il est arrivé que les membres du jury se scotchent la bouche d’un adhésif noir en réponse à un acte de censure. Ce peut être aussi, comme lors de cette édition, l’invitation à assister à ce qui a tout l’air d’une conférence – bien qu’elle soit portée par trois acteurs – et qui est un réquisitoire contre les conséquences mortelles de la politique migratoire de Jaroslaw Kaczynski, à l’encontre des Syriens tués à la frontière biélo-polonaise. Cette année, l’édition porte le titre éloquent de «Tabous polonais». A abattre ? Les jurys, les concours, les prix, sont précisément tout ce que déteste Krystian Lupa, dont l’œuvre traverse depuis longtemps les frontières, célébré en France, notamment grâce au Festival d’automne et le théâtre de l’Odéon. Alors qu’on se rencontre bien avant la cérémonie de clôture, Lupa explique : «Dès qu’il y a compétition, ça se passe mal, c’est toujours très douloureux y compris quand le spectacle gagne des récompenses. Avant de participer à Boska Komedia, on a beaucoup discuté avec les acteurs pour savoir comment s’extirper du syndrome du concours et du désir d’être primé.» Il reprend à son compte ce mot de Thomas Bernhard dont il a porté à la scène nombre de récits : «A chaque fois que je reçois un prix, j’ai l’impression qu’on me chie sur la tête.» La veille, poursuit Lupa sans s’épargner et toujours en riant, la représentation d’Imagine, pièce d’actualité conçue d’après l’hymne pacifique et planétaire de John Lennon était «ratée». Et de tacler le «manque de rythme, contretemps, inertie, alors que les acteurs étaient exceptionnels la veille». Mais peut-on être exceptionnel deux soirs de suite ? Loft désespéré et chic Où est-on ? Chez lui, au premier étage d’un immeuble moderniste des années 30, à l’origine construit pour des fonctionnaires plutôt modestes, comparables aux bâtiments en briques rouges qui bouclent les quartiers excentrés parisiens. L’appartement tient tout autant de la bonbonnière que de la galerie d’exception tant les murs sont remplis de tableaux en tout genre, signés par lui et par d’autres, beaucoup d’autres, dont son ami Zbysław Marek Maciejewski. Aucun espace vacant, il faudrait plusieurs jours pour tout observer, et l’œil, qui peine à rester tranquille, se pose au hasard sur un dessin d’Artaud par Balthus, tout à côté d’une petite gravure de Picasso. Même les particules crachées par le chauffage au charbon sert au metteur en scène pour dessiner à même le mur ce qu’il nomme «les tableaux de la poussière» : «La poussière se couche sur le mur en créant des formes diverses, et moi je l’utilise, je crayonne par-dessus, j’étale, je frotte, je m’en inspire pour en créer mon propre dessin…» explique-t-il dans une monographie consacrée à son œuvre picturale. Kristian Lupa est d’une humeur à la fois chancelante et excellente. Il va avoir 80 ans, il est profondément désemparé de laisser aux générations à venir une planète dont il n’aurait jamais cru possible qu’elle soit dans un état guère plus enviable, pour d’autres raisons, que celle qui l’a vu naître 1943 en Silésie, près de la frontière tchèque. Il se demande à quoi ont bien pu servir toutes les utopies des années 60-70, imaginés par des têtes pensantes et icônes encore adulées aujourd’hui alors même qu’il ne semble plus envisageable de se projeter dans un futur qui ne confonde pas à une fin. Le constat est précisément l’objet de cette dernière création en cinq heures, qui, peut-être, si des vents favorables guident les dieux de la programmation théâtrale, sera visible en France durant la saison 2023-2024. Ou pas du tout. Imagine est pourtant un spectacle qui puise sa matière directement de la proximité de la guerre, sans jamais tomber dans l’illustration. Tout commence dans un loft plutôt new-yorkais mais ce pourrait être dans n’importe quel endroit où l’idée du loft new-yorkais suscite du désir ainsi que la compagnie d’Antonin Artaud, de Janis Joplin, de Patti Smith, Susan Sontag, de Timothy Leary, et d’une Actrice majuscule dont chacun des gestes semble exprimer l’hyperbole d’une féminité spectaculaire, la femme alpha comme on dit l’homme alpha. On comprend peu à peu que ces icônes sont surtout une série de «spectres» dont il importe peu qu’on les identifie. «Ils cherchent à se libérer de l’armure que la société a plaquée sur eux» Ce même spectacle se terminera sur une terre dévastée où parfois un humain minuscule se transforme en insecte pour s’élancer dans les airs englouti par des ailes géantes et terrifiantes – notre devenir-ptérosaures ? – images stupéfiantes et cauchemardesques comme seul Lupa sait en fabriquer – loin d’Avatar. Entre les deux – du loft désespéré et chic où des fantômes se chicanent, se séduisent, se morfondent, se droguent, au no man’s land traversé de charniers et de bestioles codeurs ne sachant plus s’exprimer que par bits, 1 et 0, – qu’est-il arrivé ? Comment est-on passé d’un après-guerre riche en utopies en tout genre, malgré la Seconde Guerre mondiale, au désespoir littéral ? Des lits, des fauteuils, un Artaud qui soliloque, une Janis Joplin qui sollicite un peu d’amabilité : rien de nostalgique cependant, dans ce rêve où chaque icône paraît déjà percluse de solitude – «Je n’arrive à rien… malgré mes efforts, j’ai manqué l’épreuve de la maturité», dit Janis dans cette factory warholienne recréé, où toutes les actions sont filmées avec des téléphones portables. Souvent, les acteurs se dévêtent, comme pour se désengluer d’eux-mêmes. Parfois, ils descendent directement dans la jauge, parmi les spectateurs du premier rang, et il y a de la sauvagerie dans cette nudité. Lupa nous expliquera par la suite que dans Imagine, la nudité est produite par la souffrance et la solitude. Il note : «Parfois, les gens qui ont l’intention de se suicider se déshabillent. Ils cherchent ainsi à se libérer de l’armure que la société a plaquée sur eux. Ce dénuement n’est pas seulement un acte symbolique mais une nécessité intérieure, un cri. Les saints qui cherchaient des lieux désertiques pour se purifier éprouvaient eux aussi le besoin de mettre à nu.» Ce sont cependant moins les corps nus qui dérangent les spectateurs du théâtre Powszechny, splendide salle à l’italienne du XIXe siècle, que les propos antinationalistes portés par les acteurs – et par l’hymne de John Lennon. Et vlan, cinq spectateurs qui partent d’un coup et à grand bruit à l’injonction d’imaginer un monde sans nations, sans frontières, sans dieu non plus. Le plus étonnant est que durant ces cinq heures, le metteur en scène, caché dans la salle parmi les spectateurs divague, improvise, chantonne, commente son propre spectacle, les mouvements des spectateurs, ceux des acteurs. Eux n’improvisent pas, mais ils jouent avec cette voix qui bourdonne et slaloment. Le public rit. Les acteurs interagissent. Certains sont dans la salle sans qu’on ne les ait vus quitter le plateau. La maison théâtre est pleine de frictions, elle est ronde, sans quatrième mur, La puissance tutélaire du metteur en scène, peintre et écrivain Tadeusz Kantor, figure tutélaire omniprésente encore aujourd’hui à Cracovie, et qui lui aussi parlait à ses acteurs et au public pendant ses spectacles, semble prégnante. «J’ai commencé à l’admirer quand j’étais aux beaux-arts. Il était en marge et très critiqué par le milieu artistique de l’époque. Qui l’appelait le commis-voyageur. Il a fallu l’immense succès de la Classe morte à l’étranger, pour qu’un peu à contrecœur, il soit admis ici», nous dira Krystian Lupa. «Le même rythme» On avait oublié, on n’aurait jamais cru, que la célèbre chanson de John Lennon puisse avoir, aujourd’hui encore, une portée subversive. «Bien sûr que si, nous contredit Lupa. C’est simplement que vous vivez dans un pays en paix depuis des décennies et dont les frontières ne sont pas menacées.» Certes, elle est sucrée comme un bonbon. Mais le metteur en scène se souvient de la révolte des archevêchés polonais lorsqu’elle a été chantée aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020. «Pour eux, à cause des paroles, c’était vraiment «la chanson du diable.» Les nationalistes de tout crin également ne peuvent pas supporter d’imaginer un monde où les frontières sont diluées. Pas plus maintenant qu’à l’époque où elle a été écrite et servie de protest song contre la guerre du Vietnam.» Le metteur en scène se souvient de Yoko Ono, qui ponctuait toutes ces phrases par «imagine». «Il fallait l’entendre au pied de la lettre, comme : «C’est possible. C’est vraiment possible…»» Krystian Lupa explique que les acteurs ont choisi eux-mêmes les icônes auxquelles ils ont décidé de s’identifier. Lui a choisi Artaud pour le représenter. Durant quatre séances d’improvisation, chaque acteur a commencé par garder le secret sur celle ou celui qu’il représentait. Puis le coming out a eu lieu. «J’ai pris toute cette matière et je me suis mis à écrire. Leurs choix m’ont permis de me replonger dans les textes de Susan Sontag ou Patti Smith que j’avais un peu oubliés.» Lupa dit qu’il «jazze» avec ses acteurs durant les représentations d’Imagine et que sa langue est celle du pays qui accueille le spectacle. Qu’à chaque fois il essaie de trouver une astuce pour s’insérer dans ce que dit l’acteur, casser la déclamation, initier une pensée, un mouvement. «Je ne suis jamais premier mais soumis à ce que les acteurs proposent. L’acteur est un clarinettiste et moi je suis un saxophone. Ensemble, on tente de choper le même rythme.» La neige qui tombe le ramène à la guerre en Ukraine, qui selon lui, balaie tous les sujets possibles. Mais cette éradication, estime-t-il, est aussi un défi lancé à tout artiste pour échapper à la vacuité. Il s’apprête à adapter les Emigrants de W.G Sebald paru en 1992 en Allemagne à propos de la destruction de la maison Europe, «le déracinement, l’exil, l’extermination, la déshumanisation, la manière dont on jette les gens hors de leur foyer, en détruisant non seulement des millions de vies mais aussi leur destinée». Il reprend : «Car chaque vie est portée par une finalité interne sans forcément qu’elle en ait conscience.» La deuxième partie d’un diptyque commencé avec Imagine ? Rendez-vous cet été. Anne Diatkine / Libération Légende photo : «Imagine», le spectacle de Krystian Lupa représenté à l’occasion du festival Boska Komedia à Cracovie. (Natalia Kabanow)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 2, 2023 5:53 AM
|
par Laurent Goumarre dans Libération - 2 janvier 2023 Dans un spectacle particulièrement ingénieux, six acteurs imitent le chanteur, l’incarnant sans jamais l’édulcorer. Cinq hommes et une femme se relaient pour «faire» le chanteur. (Vincent Pontet/coll. Comédie-Française) publié aujourd'hui à 2h50 Ils sont cinq garçons et une fille à «faire» Gainsbourg sur le plateau pour une scène de concert à venir. Faire Gainsbourg plutôt que le jouer, avec bien sûr des indices : verre d’alcool, pompes zizis blanches aux pieds, parfois une contraction du visage, le mouvement des doigts à la cigarette, une intonation. Mais pas d’imitation forcée ; le propos est ailleurs dans une question qui revient souvent entre eux : «Tu fais Gainsbourg là ? — Pourquoi ? Je le fais pas bien ?» Faire Gainsbourg, qu’est-ce que c’est ? C’est répondre à des questions en puisant dans les entretiens auxquels l’artiste s’est abondamment prêté sur toute sa carrière. Tout l’enjeu de la pièce, de sa dramaturgie se tient là dans cette économie de la parole : discours contre prise de parole. Que dit un artiste quand il répond ? Qu’est-ce que raconte Gainsbourg interrogé ? il confisque la question, répond à côté, joue le jeu de mots, force le trait : «Quel est votre instrument préféré ? — Mon cul.» En travaillant le rapport de force, question-réponse, la pièce «fait» le portrait de ce Serge que se refilent les six comédiens. Ce Serge est un virus qui contamine le langage, retourne les mots à l’envoyeur, avec l’idée que les mots, au fond, c’est sexuel, ça s’enfile comme des perles. Bref ce Serge est un outil théorique pour faire entendre Gainsbourg. Déjouer l’exercice d’admiration Et on l’entend bien ? Mieux que ça. Le club des six, il faut ici les citer : Yoann Gasiorowski, Benjamin Lavernhe, Noam Morgensztern, Marie Oppert, Sébastien Pouderoux, Stéphane Varupenne, tous musiciens et chanteurs, font leur «Gainsbourg point barre» pour reprendre le sous-titre. Là encore, le spectacle trouve le moyen de déjouer l’exercice d’admiration en amenant progressivement la pièce vers le concert. Dès lors le rapport au public change, avec applaudissements à la fin de chaque titre formidablement réinterprété. Il faut saluer le travail des arrangements qui ne vont jamais dans le sens du poil mais ne font pas les petits malins non plus, comme pour Mon légionnaire performé par un Noam Morgensztern électrique. Bien sûr, on retrouvera quelques incontournables : la Chanson de Prévert, Je suis venu te dire que je m’en vais, la Javanaise, mais aussi ces titres vénéneux qui marquent l’enfer gainsbourien : Love on the Beat et Vu de l’extérieur avec ses paroles d’autant plus choquantes qu’il le dit avec une douceur détachée : «Tu es belle vu de l’extérieur /Hélas, je connais tout ce qui se passe à l’intérieur /C’est pas beau même assez dégoûtant…» Vu de l’extérieur s’impose à cet égard comme le meilleur commentaire de ce spectacle coupé en deux, brillant d’ingéniosité qui regarde Gainsbourg justement à bonne distance. Provocateur sexuel ? Affirmatif. Misogyne ? No comment. Les Serge ne cherche pas à édulcorer le personnage ni à le lisser pour le rendre plus acceptable. C’est Gainsbourg à prendre ou à laisser. On prend. Point barre Les Serge (Gainsbourg point barre) jusqu’au 8 janvier au Studio-Théâtre de la Comédie française.. Relâches les lundis et mardis.
|
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 14, 2023 7:07 PM
|
Critique d'Olivier Frégaville - Gratian d'Amore dans L'Oeil d'Olivier - 12 janvier 2023 Au ThéâtredelaCité de Toulouse avant d’investir l’Odéon en février prochain, Galin Stoev présente sa vision très limpide de la célèbre tragicomédie de Tchekhov. Avec ingéniosité et fulgurance, le metteur en scène donne vie au naufrage de cette famille au bord de la rupture. Quelque part dans un domaine aux généreuses dimensions, à quelques encablures de Karkhoff dans le cœur de la Russie, la vie semble paisible, en apparence. Le travail des champs occupait jusqu’à présent toute la maisonnée. Mais depuis peu tout a changé. Sérébriakov (Andrzej Seweryn, suffisant à souhait), professeur d’université à la retraite, quelque peu vaniteux et hypocondriaque, père de la jeune Sonia (Élise Friha en alternance avec Marie Razafindrakoto), propriétaire des lieux, joue à son corps défendant les trouble-fête. Habitué à être le centre du monde, à que tous cèdent à ses caprices et règlent leur pas sur le sien, il ne se rend même pas compte que plus rien ne va. Une vie en déshérence " alt="" aria-hidden="true" /> En effet, au grand désespoir, de l’ancienne Nounou (épatante Catherine Ferran) qui continue à assurer la gestion du quotidien, tout est chamboulé. On vit la nuit, on dort le jour. Sonia ne sait plus que faire pour plaire à son père, qui n’a d’yeux que pour sa nouvelle femme, la trop belle Elena (évanescente Suliane Brahim), objet de convoitise de tous les mâles de la maison. Au premier d’entre eux, l’Oncle Vania (troublant Sébastien Eveno), un doux rêveur, ayant sacrifié son bonheur et sa part de l’héritage pour le bonheur de sa jeune sœur depuis longtemps disparue, laisse le domaine à l’abandon. En second, le médecin (flamboyant Cyril Gueï), un ami de la famille, qui préfère se saouler et rester à portée de l’objet de ses désirs plutôt que d’aller soigner ses patients. Avec une belle insouciance, tous se laissent aller à l’indolence, rient, vivent jusqu’au vertige, sans voir que le temps file et que la fin de leur monde ouaté est proche. Une relecture au temps présent Tchekhov fait partie des auteurs préférés de Galin Stoev, qui aime la manière qu’a l’écrivain russe de montrer l’âme humaine dans toute sa complexité, sans la juger. De cette humanité, le directeur du ThéâtredelaCité s’est essayé l’an passé à décrypter les grandes lignes et à dévoiler les secrets en portant au plateau Ivanoff de l’auteur norvégien Fredrik Brattberg. Il s’attache cette fois à faire entendre la langue du dramaturge russe, sa pensée. Retraduisant Oncle Vania avec l’aide de son assistante Virginie Ferrere, il a tenu à l’accorder au temps présent. L’œuvre s’y prête merveilleusement tant elle résonne avec les maux d’aujourd’hui. Évoquant les enjeux climatiques, les fins de mois difficiles, les problèmes du quotidien tant sentimentaux que socio-économiques, mettant en exergue les forces et les faiblesses de chacun, la pièce invite dans l’intimité d’une famille qui se déchire faute de pouvoir s’aimer. Ici, pas de vrais méchants ou de faux gentils, juste des monstres du quotidien, des êtres luttant pour leur survie avec leurs défauts et leurs qualités. Une mise en scène écoresponsable " alt="" aria-hidden="true" /> Face à la crise énergétique et aux difficultés budgétaires, Galin Stoev a fait le choix d’une production écoresponsable. Son scénographe Alban Ho Van a réutilisé le décor d’IvanOff pour créer le salon du domaine de Sonia. Planches de bois brut, grilles en fer, mobilier désuet insufflent à l’ensemble une atmosphère à la fois cosy et impécunieuse. Loin des adaptations habituelles d’Oncle Vania qui accentuent la mélancolie des personnages, le metteur en scène d’origine bulgare ne cherche pas à extrapoler, à mettre en situation, mais plutôt à donner vie, en tout simplicité, à cette famille désormais désunie et incapable de se comprendre, de s’aimer. Du jeu parfaitement tenu des comédiens, tous excellents dans leur rôle, se dégage une vérité sans chichis, une lumineuse banalité. À la faveur d’un travail précis, ciselé, et d’une lecture attentive des textes qu’il porte au plateau, Galin Stoev touche au plus juste et invite à découvrir un autre Vania, un vaurien magnifique, un éperdu d’amour, un homme intelligent, simple, voué à travailler la terre jusqu’à sa mort. On rit, on pleure, on vibre, tout comme dans la vraie vie… c’est finalement ça, le théâtre ! Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Toulouse Oncle Vania d’Anton Tchekhov ThéâtredelaCité 1 rue Pierre Baudis 33000 Toulouse jusqu’au 14 janvier 2023 durée 2h30 Tournée du 2 au 26 février 2023 à l’Odéon-Théâtre de l’Europe Texte français de Virginie Ferrere et Galin Stoev Mise en scène de Galin Stoev assisté de Virginie Ferrere Avec Suliane Brahim – Sociétaire de la Comédie-Française, Caroline Chaniolleau, Sébastien Eveno –Comédien permanent associé au projet de direction de la Comédie – CDN de Reims, Catherine Ferran – Sociétaire honoraire de la Comédie-Française, ,Cyril Gueï,Côme Paillard, Marie Razafindrakoto en alternance avec Élise Friha, Andrzej Seweryn – Sociétaire honoraire de la Comédie-Française et Vincent Desprez Scénographie d’Alban Ho Van Lumières d’Elsa Revol Costumes de Bjanka Adžić Ursulov Sons et musiques de Joan Cambon avec l’aide pour la création des machines musicales de Stéphane Dardé
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 14, 2023 6:31 PM
|
Par Véronique Hotte dans Webthéâtre - 14 janvier 2023 A Kiev, en 2015, Lucie Berelowitsch, directrice du Préau - CDN de Normandie - Vire, avait créé Antigone, un projet franco-ukrainien composé d’une équipe artistique ukrainienne et française. Les Dakh Daughters y jouaient le chœur, et l’une d’entre elles, le rôle d’Antigone. La tournée en France a débuté en 2016, et en 2021, la reprise d’Antigone, à la Grande Halle de la Villette, n’a pu se faire vu la pandémie : la période de tournée s’est transformée en création des Géants de la montagne. Une drôle d’histoire qui a trait au théâtre et à l’art, en général, domaine que privilégie l’oeuvre de Pirandello. Qu’est-ce que le rêve ? Qu’est-ce que la réalité ? Où est la vérité ? Où se tient la fiction ? Est-on soi ou bien endosse-t-on le rôle d’un personnage ? Qu’est-ce que « être » ? Une actrice-comtesse veut donner vie à l’oeuvre d’un poète mort et aimé, sacrifiant temps et biens, menant une existence errante. Avec le Comte et les fidèles de sa troupe de comédiens, elle arrive sur une île, en quête d’un théâtre : ils parviennent au frontispice d’une villa abandonnée. La scénographie d’Hervé Cherblanc est somptueuse qui retrace pour le regard les vestiges intérieurs d’une demeure jadis cossue, dont il ne resterait que les traces d’un faste révolu - petits escalier intérieur, galerie au premier étage, panneaux transparents et colorés, répartis çà et là, comme emboîtés les uns dans les autres, un patchwork indéfinissable avec ses dalles, sa marqueterie au sol. Surélevé, un petit promontoire mobile - podium encastré pour les musiciennes -, qui fraye avec les branches ancestrales et pénétrantes d’un arbre noueux au rôle de veilleur. La Villa « Scalogna » - « La Poisse » - abrite un groupe hétérogène, marginal, mystique ou idéaliste : des réfugiés au sens propre et figuré, puisque Les Dark Daughters - un groupe cabaret-punk féminin - qui fuient la guerre en Ukraine, dans la mise en scène de Lucie Berelowitsch, endossent leurs rôles à la fois de comédiennes et de musiciennes - la communauté pirandellienne. Ces femmes, accompagnées d’un homme mutique, ont investi les lieux, font de la musique, rêvent, protégées autour de Cotrone, un maître de cérémonie loufoque, marionnettiste, prêchant l’illusion et l’imagination souveraine, mettant à disposition pantins, effigies et marionnettes. Et chacun y va de son existence, s’exprimant en déclamant, en chantant, en jouant d’un instrument. Ces « parias » sont les seuls interlocuteurs des comédiens, invitant les acteurs à rester avec eux. Tous déploient devant leurs yeux leur monde magique où l’imagination crée tout - la découverte d’un entre-deux-mondes où s’accomplissent danses, déclamations poétiques et musiques. La pièce est une partition de musique live et de sonorités électroniques, composition des Dakh Daughters, entre musique traditionnelle, rituelle et rock, avec piano, batterie, contrebasse, violoncelle, violon, guitare électrique : révélation de la grandeur et la misère d’un petit théâtre de tréteaux. La comtesse Ilse refuse d’abandonner son projet de représenter en public La Fable de l’enfant échangé. Cotrone propose à la troupe de la mener chez les géants de la montagne, pour y jouer la pièce. L’acte III s’achève sur les paroles d’une comédienne de la troupe, qui entend le fracas des géants descendant de la montagne : « J’ai peur... j’ai peur. » Dans le final jamais écrit, les comédiens se font tuer par les serviteurs, incapables de comprendre le prodige de l’Art. Inventer la vérité est la devise de Cotrone, un plaidoyer pour la liberté du rêve, et passer de la fiction à la réalité : le vrai miracle n’est pas la représentation mais l’imagination du poète. Il rend la vie aux marionnettes, évoque les anges et entend des voix, dans un « arsenal de prodiges ». « Toutes ces vérités que la conscience refuse. Je les fais sortir du secret des sens, ou alors, les plus épouvantables, des cavernes de l’instinct… Je m’essaie maintenant ici, à les dissoudre sous forme de fantômes, d’évanescences. Des ombres qui passent. Avec ces amis, je m’efforce de nuancer par des lueurs diffuses la réalité même, qui est dehors, et comme des flocons de nuages bariolés, je verse l’âme dans la nuit qui rêve. » (Le théâtre de Luigi Pirandello, Pierre Lepori, Ides et Calendes, Lausanne, 2020) Vapeurs de fantômes, lucioles et souvenirs d’enfance poétique au plus près de la nature, les souvenirs sont un trésor - tels les chaussons que l’une des comédiennes a rapportés de chez elle, en quittant l’Ukraine. Partir d’une demeure, en retrouver une autre peut-être, située sur la carte du monde, destin que certains de notre temps connaissent, qu’ils soient migrants ukrainiens ou africains, etc… Un spectacle politique et poétique éminemment émouvant qui emporte haut l’adhésion du public. Les Géants de la montagne -MRIA-, un spectacle en français et en ukrainien sur-titré en français, d’après l’oeuvre de Luigi Pirandello, adaptation et mise en scène Lucie Berelowitsch, avec Les Dark Daughters - Natacha Charpe-Zozul, Natalia Halanevych, Ruslana Khazipova, Solomiia Melnyk, Anna Nikitina - et, Jonathan Genet, Marina Keltchewsky,Thibault Lacroix,
Baptiste Mayoraz (comédien permanent au Préau), Roman Yasinovskyi. Musique Les Dark Daughters & Vlad Troitskyi avec Baptiste Mayoraz, scénographe et accessoires Hervé Cherblanc traduction Irina Dmytrychyn, Macha Isakova et Anna Olekhnovych. Sonorisation Mikael Kandelman, costumes Caroline Tavernier, conception des pantins Natacha Charpe-Zozul & les Ateliers du Théâtre de l’Union. Du 10 au 13 janvier 2023 au TNBA - Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine. Du 19 au 21 janvier au Préau -CDN de Normandie-Vire. Crédit photo : Simon Gosselin.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 12, 2023 11:08 AM
|
Par Fabienne Darge (Strasbourg, envoyée spéciale) le 12 janvier 2023 L’ultime création du metteur en scène, mort en décembre, est comme une quintessence de son art unique et poétique.
Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/01/12/theatre-par-autan-les-fantomes-du-temps-de-francois-tanguy_6157585_3246.html
Est-il besoin de dire quelle émotion particulière on éprouve à voir ce Par Autan, dernière − dans tous les sens du terme − création de François Tanguy ? Le metteur en scène, inventeur d’une œuvre théâtrale d’une poésie folle, à nulle autre pareille, est mort soudainement, le 7 décembre 2022, à 64 ans. Par Autan est donc le dernier spectacle que l’on verra de lui, créé comme toujours avec son Théâtre du Radeau, ancré dans une ancienne fonderie du Mans depuis le milieu des années 1980. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le metteur en scène François Tanguy est mort Et ce spectacle est comme un grand rêve de théâtre, une quintessence de l’art de François Tanguy, chez qui la dramaturgie classique, avec ses dialogues et ses personnages, n’a pas cours. C’est un art d’apparition et de disparition, de convocation des fantômes, de ravaudage, de reprisage et de collage des oripeaux du théâtre, de la littérature et de la musique, dans lesquels le metteur en scène ne cessait de s’immerger. Ils sont nombreux, les fantômes qui hantent cet ultime tour de piste du montreur de sortilèges, dernier opus qui emprunte son titre au vent d’autan, un vent d’orage qui souffle du sud et dont on dit qu’il peut rendre fou. Il souffle en tout cas comme un fou sur le décor qui, comme toujours avec le Théâtre du Radeau, est fait de bric et de broc, avec des meubles de récup, des draps blancs en guise de rideaux qui coulissent, et des panneaux de Plexiglas qui glissent, recomposant un espace mouvant, des perspectives toujours différentes. Chaos sans cesse réagencé Ces fantômes sont d’abord ceux de l’écrivain suisse Robert Walser (avec des textes divers extraits de Rédactions de Fritz Kocher, de La Sonate, de Kleist à Thoune et de Tableau vivant) et d’Anton Tchekhov avec sa pièce La Noce, qui forment le corpus principal qui structure tout le spectacle. Mais il y en a bien d’autres, qui traversent ce paysage en forme de chaos sans cesse réagencé : Shakespeare avec Hamlet, Le Roi Lear ou Richard III, Heinrich von Kleist, Kafka et son Journal, Kierkegaard, Dostoïevski et ses Frères Karamazov… Sans oublier Samuel Beckett avec En attendant Godot, dont la première scène est réinterprétée ici de manière réjouissante. Passent dans ce Par Autan des chevaliers, des hallebardiers, des héros fatigués, des cantatrices et des actrices en robe de velours rouge ou en tenue de mariée, tout un bric-à-brac du théâtre sur lequel s’est déposé le voile du temps. Incarnation par excellence du héros romantique depuis que Gérard Philipe l’a fait entrer dans la légende, le Prince de Hombourg fait une apparition qui déclenche des éclats de rire, car le prince est sérieusement décati. Robert Walser écrit : « Il me semble voir devant moi le Prince de Hombourg. On l’a fourré dans un costume de son époque et il n’est pas peu fier à présent des couleurs qu’il porte, assez à l’aise, dirait-on, dans le genre m’as-tu-vu. » Ce fumet d’apocalypse s’accompagne d’un sens de l’absurde plus marqué qu’auparavant C’est tout un théâtre d’ombres qu’a animé François Tanguy, accompagné par des musiques de Beethoven, Schumann, Brahms, Rachmaninov, Mendelssohn, Dvorak ou Scarlatti. Les ombres d’une culture qui fut la nôtre, sans doute, peut-être en train de devenir fantomatique, de se dissoudre dans l’acide de temps nouveaux. Il y a dans Par autan un entêtant parfum de fin du monde, que confirme aussi ce célèbre passage de La Mouette, de Tchekhov, en forme de poème dramatique évoquant la disparition de plantes, d’animaux et de ce qui fait une bonne partie de notre monde vivant. Mais ce fumet d’apocalypse s’accompagne d’un sens de l’absurde plus marqué qu’auparavant, et d’un humour qui n’était pas toujours au rendez-vous dans toutes les créations de François Tanguy. Et si les figures de cet étrange théâtre s’animent, c’est grâce à des acteurs dépositaires d’un jeu bien particulier, lui aussi porté par une sorte de poésie du bancal. Que ces acteurs soient des fidèles du Théâtre du Radeau (Laurence Chable, cofondatrice de l’aventure, Martine Dupé, Frode Bjornstad, Erik Gerken, Vincent Joly) ou des nouveaux venus (Anaïs Muller et le musicien Samuel Boré), ils excellent dans cette forme de présence/absence propre à l’art de François Tanguy. Après la mort de son fondateur, le Radeau va, pendant un certain nombre de mois, tourner non seulement Par autan mais aussi Item, sa création précédente. Et faire ainsi découvrir, pour un moment encore, à de nouveaux spectateurs, l’art si singulier et précieux de François Tanguy. Que vogue le radeau, malgré les vents mauvais de l’histoire. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Théâtre : François Tanguy nous emmène dans la forêt de l’imaginaire Par autan, par le Théâtre du Radeau. Mise en scène : François Tanguy. Théâtre national de Strasbourg, jusqu’au 14 janvier. Puis tournée jusqu’en mars, à Perpignan, Caen et Besançon, et lors de la saison 2023-2024, avec notamment une reprise au T2G de Gennevilliers, dans le cadre du Festival d’Automne. Fabienne Darge (Strasbourg, envoyée spéciale) Légende photo : « Par autan », par le Théâtre du Radeau, pièce mise en scène par François Tanguy, au Théâtre des 13 vents, à Montpellier, le 16 mai 2022. JEAN-PIERRE ESTOURNET
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 11, 2023 8:25 AM
|
Par Fabienne Darge dans Le Monde - 10 janvier 2023 Le directeur du Théâtre national populaire de Villeurbanne passe à côté de la comédie géniale et acide de l’auteur russe Nicolaï Erdman.
Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/01/10/theatre-les-grands-ecarts-du-suicide-vu-par-jean-bellorini_6157328_3246.html
Tic-tac. Qu’y a-t-il entre ce tic et ce tac ? Une vie d’homme, qui peut basculer vers la mort. A tic, vous êtes vivant. A tac, vous êtes mort. Voilà ce qui va peut-être arriver à Sémione Sémionovitch, l’antihéros du Suicidé, une pièce géniale, écrite par l’auteur russe Nicolaï Erdman (1900-1970) en 1928. Jean Bellorini, le directeur du Théâtre national populaire de Villeurbanne (Rhône), la remonte aujourd’hui avec sa troupe française, après en avoir signé une première mise en scène en allemand, en 2016, avec les comédiens du Berliner Ensemble. Comment s’est-il retrouvé dans cette situation, ce Sémione Sémionovitch, petit homme banal et insignifiant, pour ne pas dire un peu médiocre, chômeur de son état ? Une nuit, il était au lit avec sa femme, quand il a été pris d’une envie irrépressible de manger du saucisson de foie. Il a réveillé son épouse, s’est disputé avec elle et, là-dessus, a disparu en menaçant de pousser bien vite son dernier soupir. A partir de là, la folle mécanique imaginée par Nicolaï Erdman se met en route. La nouvelle du futur suicide de Sémione fait débouler une noria de personnages, qui veulent utiliser son acte pour faire valoir leur cause. Qu’il s’agisse de la religion, de l’intelligentsia, du petit commerce ou de l’amour romantique, il faut, disent-ils, que « le défunt verse son eau à notre moulin ». Le problème, c’est que Sémione, qui se sentait un moins que rien avant toute cette affaire, retrouve goût à la vie en même temps qu’il retrouve de la valeur aux yeux des autres, en tant que futur suicidé. Que faire ? Tic-tac, tic-tac, tic-tac. Le compte à rebours s’accélère. Un homme va mourir, mais peut-être pas celui qu’on croit. Fantoches en quête de sens Rien d’étonnant à ce qu’il ait été bien vite interdit par la censure soviétique, ce portrait à l’acide de la Russie stalinienne, pays dans lequel il n’y eut, souvent, que le temps d’un souffle entre le tic de la vie et le tac de la mort. « A l’époque où nous sommes, ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire », ne se prive pas de déclarer Nicolaï Erdman dans sa pièce. Mais Le Suicidé dépasse largement sa dimension historique et politique, pour ouvrir une belle réflexion sur la valeur de la vie et le sens de l’existence. Il manque à ce « Suicidé » à la fois le tragique, la dimension grinçante et ce comique russe bien particulier, d’autant plus ravageur qu’il est d’un noir absolu La pièce pourrait donc faire des étincelles aujourd’hui, ce qui n’est malheureusement pas le cas dans la mise en scène de Jean Bellorini, en petite forme artistique après la belle réussite du Jeu des ombres, son précédent spectacle, en 2020. Il manque à ce Suicidé à la fois le tragique, la dimension grinçante et ce comique russe bien particulier, d’autant plus ravageur qu’il est d’un noir absolu. Ici, tout est un peu fade, malgré les charmants costumes colorés signés par Macha Makeieff. Jean Bellorini joue surtout sur la dimension superficielle du vaudeville et sur le burlesque, alors qu’Erdman n’adopte cette forme que pour mieux la déjouer et offrir, comme l’écrit André Markowicz, le traducteur de la pièce, une « comédie de la bureaucratie et de la terreur ». Les personnages sont privés de substance, et même les bons acteurs de la troupe du metteur en scène – François Deblock, Clara Mayer, Marc Plas… – ne sont pas ici à leur meilleur. Comme s’ils n’avaient pas su comment attraper ces fantoches en quête de sens qui peuplent la pièce, humains déshumanisés par un système absurde, une mécanique qui broie les individus. L’utilisation de la vidéo, une première chez Jean Bellorini, n’apporte rien, tant les images semblent plaquées sur la mise en scène, sans jamais entrer en dialogue avec elle. Et le final apparaît lui aussi comme bien artificiel, qui s’ouvre brusquement sur la réalité contemporaine en convoquant, sur le grand écran de fond de scène, la figure du jeune rappeur russe Ivan Petunin. Celui-ci s’est donné la mort, le 30 septembre 2022, à 27 ans, après avoir posté une vidéo expliquant qu’il refusait d’aller combattre en Ukraine. On aura compris que, pour Jean Bellorini, d’un système russe à un autre, il n’y a que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Mais on aurait préféré que ce soit le théâtre qui parle, plutôt qu’une pesante démonstration. Le Suicidé, de Nicolaï Erdman (traduit du russe par André Markowicz, Les Solitaires intempestifs). Mise en scène de Jean Bellorini. Théâtre national populaire de Villeurbanne, jusqu’au 20 janvier. A la MC93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis), du 9 au 18 février, puis tournée jusqu’en avril à La Rochelle, Compiègne, Marseille et Amiens. Fabienne Darge (Villeurbanne (Rhône), envoyée spéciale)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 10, 2023 7:54 AM
|
Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 10 janvier 2023 Ce qu’il faut dire, texte de Léonora Miano (Des écrits pour la parole à L’Arche Editeur), mise en scène de Stanislas Nordey. A la MC93 de Seine-Saint-Denis de Bobigny. Née au Cameroun, Léonora Miano a suivi des études de lettres anglo-américaines en France où elle a vécu de nombreuses années avant de s’installer au Togo. Son premier roman, L’intérieur de la nuit, paraît en 2005 (Plon). Ses derniers ouvrages sont Rouge impératrice (roman, Grasset, 2019), Afropea. Utopie post-occidentale et post-raciste (essai, Grasset, 2020). « Lorsque tu as dit Noir / Lorsque tu as dit Blanc / Pour ne parler en fait Ni de la peau Ni de sa couleur Mais pour Prendre position Occuper une place Te donner une mission Nous murer dans la race. » (Ce qu’il faut dire) Au-delà de la réparation, de l’excuse, de la vengeance, de la rancœur, une autre voie serait possible sans doute. L’écriture lancée est musique et battements rythmiques. L’Europe conquérante a défiguré d’autres continents – l’Amérique notamment, ainsi le sort des Amérindiens, parqués dans des réserves -, et l’Afrique subsaharienne passée et présente : « N’entrons pas dans les détails de la Déportation transatlantique Laissons de côté l’esclavage que la France d’alors sut pratiquer avec talent dans ses colonies de la Caraïbe d’Amérique du Sud et de l’Océan indien Acceptons de remettre à plus tard l’étude des mécanismes mentaux de l’Europe La confusion pathologique Entre rencontre et assujettissement Entre contact et viol Entre échange et pillage. Faisons l’impasse sur l’invention de la race, l’obsession de la race… » La dernière création de Stanislas Nordey – metteur en scène et directeur du Théâtre National de Strasbourg, particulièrement attentif et sensible à la réalité d’un monde d’immédiate contemporanéité en plein bouleversement – procède, entre autres, d’un constat d’échec : « Il y a, sur les plateaux de théâtre en France, une sous-représentation avérée des gens issus des différentes couches d’immigration ainsi que des personnes nées dans les Outre-mers. Comment faire pour que ça évolue ? » Que faire de la question de la nomination, de la désignation, continue-t-il : « les Blancs ont dit aux gens des populations subsahariennes qu’ils étaient Noirs. Une frontière a été créée, une distinction faite entre les êtres par la couleur de la peau. Alors peut-on repenser les choses autrement ? » « Est-ce qu’on peut se passer de la violence, surpasser l’envie de retourner à l’autre celle qu’il nous a fait subir ? » (Léonora Miano) Ce qu’il faut dire est composé de trois chants, issus de récitals donnés par l’auteure elle-même. Le premier, La question blanche, pose la question de la nomination, de l’assignation – le « tu » s’adresse alors aux personnes à la peau blanche. Le deuxième, Le fond des choses, plonge au fond de cet océan de douleur, d’incompréhension, de violence de la colonisation – ce chant est une adresse à nous tous. Et La fin des fins est une forme d’éclaircie – en tout cas c’est ce que je ressens, avance Stanislas Nordey -, un dialogue platonicien entre la narratrice et Maka, un personnage masculin d’une autre génération – ce dernier chant est un dialogue possible entre deux personnes qui ont la peau noire, en France, en Europe. Des écrits pour être entendus. « J’aime écrire pour la parole, voilà tout, dit L’auteure ; C’est l’influence de la poésie du Black Art Movement que j’ai beaucoup lue, entendue, etc. C’est la trace aussi de l’oralité subsaharienne, de la joute verbale qui est, dans bien des pays d’Afrique, une manière de marquer son intérêt pour l’autre. » Le texte musical appelle une présence instrumentale. Olivier Mellano en a composé la musique et Lucie Delmas, percussionniste, joue de ses instruments sur le plateau de la représentation, les mots portés étant comme repris en écho ou lancés dans une résonance frappante et percutante. Dans un monde où les nominations sont enjeux de domination, invitation est faite au public à prendre ses responsabilités et distances face aux assignations de la langue et récits nationaux. La parole est d’une poésie incisive pour la reconquête des mémoires – être tout simplement soi. Requiem pour une Europe des privilèges, ces chants sont un hymne à la connaissance de soi. Le projet est imaginé avec Gaël Baron, un compagnon de route de Stanislas Nordey et avec Océane Caïraty, Ysanis Padonou et Mélody Pini, trois anciennes élèves-comédiennes du Groupe 44 de l’école du TNS – promotion sortie en juin 2019. Celles-ci portent en elle « la France d’aujourd’hui, celle d’une jeunesse acharnée à faire voler en éclats les clichés, les retards d’une société qui ne sait parfois pas ouvrir les yeux sur elle-même. Elle sont Afropéennes, selon la terminologie de Léonora Miano, et éclairent la scène d’une lumière à elles – ce regard d’une génération qui porte droit le regard à la fois sur le passé et le présent – et un possible avenir. Dans le spectacle, les jeunes femmes et l’homme ont la peau noire – Afropéens ou non. L’auteure se définit elle-même comme Afropéenne et écrit en fait depuis deux endroits : du continent africain lié à ses ascendants et du continent européen – de la France – lié à sa descendance, par sa fille notamment, née et grandie en France. Léonora Miano se situe au cœur des deux continents. Les Afropéens nomment les gens qui ont grandi en Europe où ils sont minoritaires : comment vit-on dans le présent de la société française, en ne faisant pas l’impasse sur l’héritage historique ? Par « l’assimilation » ou bien en inversant la prise de pouvoir et de domination …? A méditer. Engagement, provocation, humour et vitalité, le texte agit comme un punching-ball tonique et vif . Ysanis Padonou a la grâce juvénile de qui, n’étant sûre de rien, s’interroge, prudente et sincère. Mélody Pini joue d’une aisance scénique – élan et enthousiasme -, regardant le public qu’elle invective avec délicatesse et main de fer. Quant à Océane Caïraty, longue silhouette paisible, elle dispense une parole nuancée, ouverte à l’avenir, entre distance souriante et conviction intense. Gaël Baron a la posture de qui s’interroge et propose à la salle ses questionnements, à l’écoute et dans l’expectative, tendu encore vers une destinée qui semblerait enfin acquise aux changements. « Quant aux noms que tu voudrais voir apposés sur des plaques, sache qu’ils ne valent pas pour eux-mêmes. Leur puissance réside dans l’innommé qu’ils représentent. Leur force est celle de cohortes sans nom. Légions de gueux qui vécurent, au cœur de la géhenne, dans le ventre de la mort, des vies humaines », assène la narratrice à l’homme d’expérience, Maka, dans la belle scénographie d’Emmanuel Clolus – installation plastique moderne de structures contemporaines. Une belle maîtrise de la salle – une vraie attention à l’affût -, qui guette ce qui lui échoit d’entendre. Véronique Hotte Du 13 au 22 janvier 2023, mardi 14h30, mercredi, jeudi, vendredi 20h, samedi 18h, dimanche 16h, à la MC93, Maison de la Culture de Seine – Saint-Denis de Bobigny. Tél : (0)1 41 60 72 72.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 9, 2023 5:03 AM
|
Par Nicole Vulser dans Le Monde - 9/01/23 Malgré le retour du public, le secteur du spectacle fait face à l’inflation des coûts énergétiques, aux hausses de salaires et aux baisses des aides publiques. Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/01/09/les-salles-de-concerts-et-de-theatre-peinent-a-boucler-leur-budget_6157120_3246.html
L’accalmie a été de courte durée. Les salles de concerts, de spectacle et de théâtre sortent à peine la tête de l’eau en termes de fréquentation – les plus grandes ont retrouvé leur public, mais les moyennes et les plus petites n’ont pas récupéré, loin s’en faut, leur étiage pré-Covid-19. Or cette reconquête se double d’un faisceau de difficultés financières qui conjugue l’inflation des coûts énergétiques, l’envolée des cachets des artistes, les hausses salariales, une baisse des aides publiques… Au point où bon nombre se demandent comment continuer à produire des spectacles jusqu’à la fin de l’année. Pour Vincent Moisselin, directeur du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), qui représente 450 structures dont la grande majorité des centres dramatiques nationaux (CDN), la question de la fréquentation appartient au passé : « Depuis septembre, le public est revenu à 95 % de son niveau d’avant-crise », dit-il. « Les jeunes ont une furieuse envie de sortir et les concerts de musique urbaine font salle comble, confirme Malika Seguineau, directrice générale du Prodiss, l’organisation patronale des principales entreprises du spectacle musical et de variété. Les têtes d’affiche et les grands concerts se vendent très bien, même si cela s’avère plus tendu pour certains festivals. » Les billets même très chers pour Indochine, Orelsan, Red Hot Chili Peppers ou Coldplay sont partis très vite. La tendance est à l’optimisme aussi pour Aurélie Hannedouche, directrice du Syndicat des musiques actuelles (SMA), qui confirme « un rebond des ventes de places de concert en fin d’année » chez ses adhérents. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En France, les salles de cinéma retrouvent plus vite un public que dans les pays voisins Même constat à Paris La Défense Arena, où la vice-présidente, Bathilde Lorenzetti, prévoit comme en 2022 un sold out pour les grands concerts à venir de Bruce Springsteen, Céline Dion ou Stromae. La Seine musicale a aussi affiché complet pour Starmania, et 90 nouvelles représentations – conditionnées au succès de cette première salve – ont été confirmées pour novembre 2023. Dans le même bâtiment, Insula Orchestra, l’orchestre sur instruments d’époque de Laurence Equilbey, est plus à la peine : il a manqué au moins 15 % d’auditeurs par rapport à 2019. Selon Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique (CNM), « les salles de moins de mille places souffrent énormément, leur fréquentation reste à – 35 %, voire – 40 %, par rapport à 2019 ». Les recettes de billetterie prévues pour 2022 devraient ressembler à celles d’avant-Covid-19, ce qui s’explique uniquement par le retour en grâce du public dans les salles de plus de 5 000 places (+ 15 % à 20 % par rapport à 2019). Cette tendance se confirme aussi dans les théâtres. Bertrand Thamin, président du Syndicat national du théâtre privé (SNTP), qui en regroupe une centaine, se félicite que le public soit revenu, mais note une « situation de plus en plus contrastée » entre « des représentations qui marchent très fort et d’autres pas du tout ». « A nous d’être suffisamment bons pour donner envie aux spectateurs de venir ! », lance Jean-Marc Dumontet, à la tête de six théâtres parisiens privés. « Grosse tension budgétaire » La fréquentation a chuté de 20 % entre 2022 et 2019 dans 28 des 38 centres dramatiques nationaux (CDN), selon les premiers résultats d’une enquête, indique Joris Mathieu, directeur du Théâtre nouvelle génération (TNG) à Lyon. La clientèle plus âgée, toujours frileuse face à la pandémie, a encore du mal à revenir. L’inflation des prix, et donc la baisse du pouvoir d’achat incitent aussi à minorer les sorties et les loisirs, des jeunes comme des plus âgés, constate-t-il. Un problème majeur aux yeux de Stéphane Braunschweig, directeur de l’Odéon, qui offre 200 places aux moins de 28 ans tous les jeudis. « Ce qui nous angoisse, ce sont les problèmes liés à l’inflation, aux revendications salariales et aux coûts de l’énergie », affirme le directeur du Syndeac. Jean-Philippe Thiellay ne cache pas non plus « une vraie inquiétude pour 2023 » pour des centaines de lieux et de festivals. « Pour eux, une baisse de recettes réduit à néant des marges déjà très faibles, mais là, la hausse des dépenses est très inquiétante », prévient-il. Le directeur de l’Odéon doit faire face à « une grosse tension budgétaire », entre l’augmentation des salaires de 130 équivalents temps plein et un doublement du prix de l’énergie par rapport à 2019. « Cela affecte mécaniquement nos marges artistiques », se désole-t-il. Les salaires de la convention collective nationale des entreprises artistiques et culturelles ont été augmentés, en deux temps, de 5 % entre décembre 2021 et mai 2022. « Certains syndicats réclament plus de 15 % », souligne Vincent Moisselin, ce qui conduit à des désaccords. « Ces hausses représentent jusqu’à 80 000 euros par an, auxquels s’ajoute l’envolée du coût de l’énergie, qui atteint souvent 150 000 euros », ajoute-t-il. Des sommes non budgétées qui donnent le vertige. Pour le directeur du Syndeac, il manque 30 millions d’euros à tous ses adhérents rien que pour faire face à la crise énergétique. A l’association des 38 CDN, ce chiffre s’élève à 1,5 million d’euros. Jean-Marc Dumontet est bien l’un des rares à affirmer ne pas subir l’impact de ces augmentations. « Si l’an dernier les salles de concerts n’ont bénéficié qu’à la marge des aides de l’Etat en matière énergétique, a priori elles seront mieux soutenues », relativise Aurélie Hannedouche. « Pour autant, le financement minimal de l’Etat dans les scènes de musique actuelle [SMAC] de 100 000 euros par an est devenu dérisoire », ajoute-t-elle. Toutes les structures déplorent une baisse des aides des collectivités territoriales, comme en Rhône-Alpes ou dans le Grand-Est. Les subventions nationales n’augmentent pas non plus malgré l’inflation. « Si bien que notre préoccupation majeure sera comment produire et diffuser nos spectacles à partir de septembre », résume Vincent Moisselin. « L’étau se resserre », confirme Joris Mathieu, en ajoutant : « Sans intervention forte des pouvoirs publics ou des collectivités, certains CDN devront réduire leur programmation, ce qui est contraire à nos missions et fragilisera les compagnies indépendantes. » Ce qu’Aurélie Hannedouche résume ainsi : « Il va falloir se serrer la ceinture. » Nicole Vulser Légende photo : La Seine musicale a affiché complet pour « Starmania » et prévoit 90 nouvelles dates en 2023. ANTHONY DORFMANN
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 8, 2023 6:04 AM
|
04 JANVIER 2023 | PAR MAI LINH TANG STIEVENARD dans Toutelaculture.com Le Théâtre 13 a annulé les représentations du spectacle « Pour un temps sois peu » de Lena Paugam. Celui-ci devait être présenté dès aujourd’hui jusqu’au 19 janvier en partenariat avec le CENTQUATRE-PARIS à l’occasion du Festival Les Singulier.es. Cependant, il été la cible de critiques d’associations trans. Il avait pourtant été joué près de 20 fois en France depuis 2021. L’histoire d’une transition : le récit de Laurène Marx Le spectacle porté par la metteuse en scène Lena Paugam découle d’une commande du Collectif Lyncéus dont le thème était « C’était mieux après ». En 2019, le collectif commande un texte dans le cadre d’un appel à projet pour la 7e édition du Lyncéus Festival. Celui-ci a pour mission de porter les écritures théâtrales contemporaines à travers des projets d’accompagnement et développement de créations artistiques. Ainsi, en 2021, Laurène Marx, femme trans non-binaire, écrit-elle son texte Pour un temps sois peu à Binic, lieu de résidence du collectif. Paru aux Editions Théâtrales, l’œuvre de Laurène Marx traite des questions de genre et de normativité à travers un récit autobiographique. Avec une plume à la fois sensible et violente, Marx retrace son parcours depuis sa prise de conscience et son coming-out, jusqu’aux démarches médicales et psychologiques. Sans omettre aucun détail, Marx livre un témoignage bouleversant et dresse à cœur ouvert les conséquences intimes et sociales de sa transition. Son œuvre s’inspire du travail de l’artiste trans non-binaire Alok Vaid-Menon qui explore les thèmes de genre et de traumatisme dans la communauté trans. C’est en assistant à une performance de l’artiste que Marx a une révélation quant à l’écriture de son texte. Retour sur le conflit Le spectacle, présenté au Théâtre Sorano à Toulouse le 18 et 19 novembre, avait suscité l’indignation d’associations trans. Contrairement à ce que de nombreux médias rapportent, les associations n’avaient pas pour but d’aller manifester à Paris. Le soir du 19 novembre, après la seconde représentation, une table ronde s’était tenue sur le plateau pour réfléchir aux questions de genre et à la représentativité de la parole trans. Ce bord de scène réunissait le directeur et metteur en scène du Théâtre Sorano Sébastien Bournac, l’équipe artistique du spectacle composée de la comédienne Hélène Rencurel, Laurène Marx et Lena Paugam, l’artiste transgenre Flor Paichard, l’actrice trans Alice Needle et son collectif. Le débat était modéré par Lex Frattini, formateur à La Petite, association pour l’égalité des genres dans les arts et la culture. Le spectacle s’inscrit dans le cadre d’une série de portraits de femmes mis en scène par Lena Paugam. Le choix de la comédienne Hélène Rencurel pour incarner Laurène Marx avait mis le feu aux poudres au sein d’associations trans locales. De fait, la distribution du rôle principal avait soulevé certaines problématiques que nous nous attachons à analyser à travers cette enquête. Cet article n’a pas vocation à se faire l’écho d’autres récits journalistiques sur le conflit autour du spectacle. Celui-ci approfondit le débat en donnant la parole à des professionnels du spectacle vivant et à des membres d’associations pour le droit et la représentation des trans. Un coup de projecteur nécessaire sur le lien entre art et société à travers la problématique de la représentation des genres. Nous avons été mis en contact avec des figures du spectacle vivant et d’associations trans par l’intermédiaire de Clar-T, association toulousaine de luttes et d’auto-support par et pour les personnes trans. Nous avons recueilli leur témoignage pour éclaircir le débat. Légitimité de représentation : la différence entre jeu et performance Le 19 novembre au soir, à l’extérieur du Théâtre Sorano, l’actrice trans Alice Needle interprétait le texte de Laurène Marx joué au même moment par l’actrice cisgenre Hélène Rencurel à l’intérieur du théâtre. Une manière pacifique et artistique pour les associations trans de manifester leur désaccord quant au choix de la comédienne pour incarner le portrait de Laurène Marx. Lea scénographe non-binaire Rachel Garcia, présent.e lors de la table ronde, affirme éprouver un regret artistique face à cette « (…) transposition » du discours de l’écrivaine trans Laurène Marx à travers la voix d’Hélène Rencurel, comédienne cisgenre. Selon ael, avoir choisi une actrice cisgenre pour porter le témoignage intime d’une femme trans est symptomatique d’une « ignorance globale de la société par rapport aux questions de transidentités ». Le monologue joué par Hélène Rencurel est « une œuvre politique » souligne-t-ael, et non une « matière textuelle » à interpréter. Pour Rachel Garcia, le texte de Laurène Marx est un manifeste, un hommage à la communauté trans qui ne devrait pas être illustré par n’importe qui. Et de ce fait, ael déclare : « Il s’agit d’une vie, d’un cri. » La nature intime du récit demande qu’il soit performé, et non interprété. « Une difficile distinction à faire entre incarnation et interprétation, entre un hommage ou un manifeste et une pièce théâtrale de répertoire. (…) Lorsque Steven Cohen (dans son spectacle « Put your heart under your feet…and walk !», ndlr) absorbe les (vraies ?) cendres de son défunt compagnon sur scène, aurait-on pensé une seconde possible de remettre en scène cette pièce avec un autre interprète…? », questionne Rachel Garcia. Selon lea scénographe, la corporalité d’Hélène Rencurel ne pouvait faire saisir au public « les enjeux des corps trans » qui sont au cœur du texte. Pourtant, la comédienne fréquente la communauté trans, a beaucoup réfléchi et œuvré à cette interprétation. Elle a travaillé pendant un an pour incarner le rôle de Laurène Marx qui a souhaité, en voyant les répétitions après le Covid, « vouloir jouer son propre personnage », rapporte Le Figaro. Une demande refusée par Lena Paugam qui préférait s’en tenir à la distribution initiale et encourager Laurène Marx à monter sa propre version de la pièce. Hélène Rencurel n’est pas l’interlocutrice directement concernée par le débat. Elle appuie d’ailleurs la communauté trans, dont elle est proche, soutenant :« Je comprends et j’accompagne leur combat. (…) L’invisibilisation de leurs corps est un problème de société. Si jouer signifie les invisibiliser encore plus, alors cela ne m’est plus possible ». C’est aussi le constat que fait Rachel Garcia : le problème n’est pas celui de la faculté de la comédienne à incarner un rôle, mais celui d’un choix de mise en scène de Lena Paugam jugé peu judicieux. Cette dernière souhaitait donc conserver sa distribution, accentuant l’invisibilisation des acteur.ice.s trans par le récit d’une transition à travers un filtre cisgenre. Or, «(…) s’emparer de ce texte était une opportunité de donner un rôle à une actrice trans. Le public aurait gagné à découvrir un corps trans sur scène. » déplore Rachel Garcia. Pour reprendre ses mots, la communauté trans a éprouvé un fort « sentiment d’exclusion et d’invisibilisation » face cette adaptation qui ne semblait pas leur être adressée. Dans sa tribune Facebook, lea scénographe explique « Ce texte ne se joue pas ; ne s’interprète pas ; ne se triche pas. Il se VIT. » L’artiste ne peut donc tout saisir, tout « performer », ou du moins uniquement de son point de vue, au risque d’offrir une représentation biaisée de ce qu’on l’on souhaite montrer. «Est-il vraiment pertinent de continuer à regarder des films sur les rapports mère-fille écrits et mis en scène par des hommes cis, par exemple ? » interroge Rachel Garcia. C’est sur cette distinction entre jeu et performance que s’appuie essentiellement le débat autour de la représentation des genres dans ce spectacle. La question de la correspondance entre ce qui est montré au théâtre et ce qui est dans la réalité en constitue le point névralgique. Selon Rachel Garcia, il est primordial d’« être vigilant face à l’invisibilisation et la représentation des personnes trans. En dépit de l’admirable travail d’interprétation qu’a livré Hélène Rencurel ». « Rééquilibrer un déséquilibre criant » Selon une étude statistique menée en 2020 par Représentrans sur la représentation des personnes transgenres et non-binaires dans la culture et l’audiovisuel, si ces dernier.e.s sont peu représenté.e.s, ce n’est pas par manque d’acteur.ice.s. mais par « des freins systémiques qui empêchent les personnes trans d’accéder à des carrières professionnelles, c’est-à-dire des discriminations directes ou indirectes de la part des acteur.ice.s du secteur culturel. », précise Lex Frattini, formateur à La Petite. Les statistiques de Représentans le prouvent. Sur 101 participant.e.s à l’enquête, 54,9% se produisent uniquement au théâtre. Dans ce pourcentage, ¾ ont répondu ne jamais avoir interprété de rôles trans. Un chiffre qui fait réfléchir quant à l’invisibilisation de la transidentité et de la non-binarité dans le spectacle vivant. Cette fragilisation par l’invisibilisation, c’est ce contre quoi se bat activement La Petite, association pour l’égalité et la représentation des genres dans les industries culturelles et créatives (ICC). Anne-Lise Vinciguerra, directrice de l’association, affirme qu’il est nécessaire « d’agir pour plus d’égalité ». Lors de l’incarnation d’un rôle trans ou non-binaire, rares sont ceux dont le genre correspond à celui des protagonistes. Nous comptons aujourd’hui peu de récits du point de vue du vécu des personnes trans et observons à l’heure actuelle une médiatisation toujours hésitante. Dans le cas de Laurène Marx, « il s’agit bien d’un récit de vécu trans écrit par une personne concernée, ce qui est déjà un progrès. », reconnaît Lex Frattini. Très souvent, en effet, nous suivons l’histoire d’une personne trans ou non-binaire à travers le filtre de personnes cisgenres ayant écrit les récits et qui pourtant sont « ignorantes des réalités des vécus trans », ajoute-t-il. Anne-Lise Vinciguerra développe ce point de vue, affirmant que « seules les personnes dominantes (cisgenres, blanches, hommes, etc.) sont considérées comme suffisamment « neutres » pour tout interpréter », ce qui participe selon elle à établir « un rapport de pouvoir et de domination au théâtre ». Cette invisibilisation par « l’hégémonie de la parole et du regard cisgenre s’ajoute aux violences subies au quotidien par les personnes trans », déclare Lex Frattini, pour qui il est urgent de « viser une diversification des représentations médiatiques, toutes minorités confondues ». Le bord de scène du 19 novembre au Théâtre Sorano a duré une heure. 45 minutes étaient consacrées au débat proprement dit et 15 minutes à un temps de questions réponses sur la représentation théâtrale. « Ce temps était court et pas idéal pour un débat fructueux. Les questions sont restées superficielles, les camps se sont polarisés. », déplore Lex Frattini. « Avec des espaces et des temps dédiés, on aurait pu creuser en profondeur et avancer ensemble vers notre objectif commun de faire de la place aux récits trans, vers plus de justice. », poursuit-il. C’est lors de ce bord de scène que Lucas Bonnifait, directeur du Théâtre 13, a changé d’avis quant à la programmation de la pièce, initialement prévue du 4 au 19 janvier dans le cadre du festival Les Singulier.e.s. Ce temps d’échange a nourri sa réflexion sur le choix à faire. Lex Frattini a discuté avec Lucas Bonnifait. Selon le formateur, « le Théâtre 13 a vraiment compris la nécessité d’œuvrer pour plus de visibilité trans ». La déprogrammation de la pièce est donc un choix politique et éthique avant tout. Lors du bord de scène, la metteuse en scène Lena Paugam s’est toutefois défendue:« On peut tout jouer, les comédiens sont censé.es s’effacer pour jouer un rôle ; il faut aussi que des personnes trans puissent jouer des personnes cis. » Des propos qui n’ont pas été bien reçus car ils présentaient un cas inversé. En outre, cette idée tendait à dissimuler encore plus la représentation de la transidentité et constituait un énième frein à la professionnalisation des personnes trans et non-binaires au théâtre. Comme nous l’avons vu avec les chiffres de Représentrans, ¾ des acteur.ice.s trans n’ont encore jamais eu accès aux rôles trans. L’idée de Lena Paugam de leur faire incarner des rôles cisgenres semblait ainsi peu réaliste. D’un commun accord avec Lena Paugam et sa compagnie Alexandre, le directeur Lucas Bonnifait a annoncé la déprogrammation du spectacle, remplacé par des tables rondes, des temps de rencontres et de débats autour des questions de représentation et de visibilité des personnes trans dans le spectacle vivant, en lien avec les associations LGBTQIA+ et des acteur.ice.s du spectacle vivant. Aujourd’hui, Lex Frattini remarque une « évolution lente vers plus de justice » avec l’effort des débats autour de la question de représentation des populations minorisées dans les médias et la culture. Un combat sociétal et culturel complexe qu’il est nécessaire de faire progresser afin « d’activement tenter de rééquilibrer un déséquilibre criant », ajoute-t-il. Visuel : Affiche Pour un temps sois peu – Théâtre 13 – Glacière / © DR
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 7, 2023 8:24 AM
|
Chronique de François Angelier publiée dans "Le Monde" 7/01/23 Le journal des lectures en poche du journaliste. Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/01/07/gerard-philipe-pierre-francois-lacenaire-tintin-la-chronique-poches-de-francois-angelier_6156991_3260.html
« Gérard Philipe », de Geneviève Winter, Folio, « Biographies », inédit, 376 p., 9,90 €, numérique 9,50 €. « Mémoires d’un poète-assassin », de Pierre-François Lacenaire, Chronos, 244 p., 8,90 €. « Dictionnaire amoureux de Tintin », d’Albert Algoud, Plon, « L’abeille », 778 p., 14 €. C’est l’impossible fusion de Puck et de Hamlet qui nous aurait sans doute offert la vérité sur Gérard Philipe (1922-1959), princier mélange entre le lyrisme ébouriffé d’un godelureau crépitant de vie et la grâce innée d’un dandy mélancolique, prince d’Avignon à la tour abolie flanqué d’un lutin démangé d’humour. Cette tension irrémédiable, on la retrouve à chaque ligne du portrait fervent et minutieux tracé par Geneviève Winter. Elle suit pas à pas et mot à mot le passage météoritique de l’acteur. Fils d’un avocat affairiste, doriotiste puis collabo, et d’une mère tendrement vigilante qui couve l’éclosion du génie filial, Gérard Philipe ira de coup d’éclat en épiphanie, depuis l’apparition médusante de l’ange dans Sodome et Gomorrhe, de Giraudoux (1943), jusqu’à ces immolations scéniques que furent à partir de 1951, sur les planches du TNP et sous la férule de Vilar, à Avignon et dans le monde entier, les rôles éponymes du Cid (joué 199 fois) et du Prince de Hombourg, de Lorenzaccio et de Richard II. Un mythe scénique dont le cinéma « qualité française » démultipliera la légende, offrant de ce James Dean de la IVe République, candide compagnon de route du PCF et paladin syndical des acteurs, une image elle aussi écartelée entre ombres et lumières : Till l’espiègle (1956) répondant à Ripois le séducteur (Monsieur Ripois, 1954), Valmont (Les Liaisons dangereuses, 1959) à Fanfan la tulipe (1952) et le toubib décavé des Orgueilleux (1953) à l’ado séducteur du Diable au corps (1946). C’est dans ce battement inapaisable que s’est consumé Gérard Philipe, souriant Icare lancé vers un soleil noir de la dramaturgie. On peut rêver à ce qu’aurait été le Lacenaire (1803-1836) de Gérard Philipe. Mais ce fut à Marcel Herrand (1897-1953), l’un des mentors de l’acteur, d’offrir au rimeur sanglant, dans Les Enfants du paradis, de Marcel Carné (1945), l’inquiétante lenteur nasillarde de sa diction (« Je ne vais tout de même pas finir sous la main de bourreaux de proviiiiince ! »). Ecrits entre novembre 1835 et janvier 1836 – les deux mois qui séparent sa condamnation à mort de son exécution –, les Mémoires de Lacenaire sont plus qu’un document et un plaidoyer pro domo, un petit chef-d’œuvre littéraire. Lire, pour s’en convaincre, son ode au tabac. Il y a déjà du Baudelaire et quasi du Maldoror dans le regard que ce tueur au poinçon, escroc rousseauiste détaillant ses méfaits, exposant ses stratégies pour culbuter la société et surtout justifiant son ralliement au mal (« Cette vengeance, je la voulais grande comme ma haine ») par la somme d’injustices dont il a été victime. « Que de fois j’ai été guillotiné en rêve ! », confie-t-il. Le 9 janvier 1836, le rêve devint réalité. Gérard Philipe en Tintin ? Pourquoi pas. Il est mort alors que paraissait Tintin au Tibet et Georges Wilson, son compagnon du Conservatoire et du TNP, a bien joué Haddock. Le secret de l’inoxydable allant du reporter d’Hergé, on a tout pour le cerner si l’on déguste, de « AAH » à « Zut », le formidable dictionnaire assemblé par le maître tintinophile Albert Algoud, qui vit son héros comme Michelet, la France. On y trouve, avec un mélange de micro-érudition et d’humour, toute la lyre tintinienne, de l’abondance des barbus aux dérives oniriques, de « MRKRPXZKRMTFRZ ! » à « Wizz ». Régalant ! Lire aussi (2019) : Tintin, un jeune homme de 90 ans Retrouvez ici toutes les chroniques « poches » et les articles de François Angelier François Angelier(Collaborateur du « Monde des livres »)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 6, 2023 11:22 AM
|
Par Armelle Héliot dans son blog - 5/01/2023 Après Lise Meitner, c’est Jocelyn Bell dont elle éclaire le destin. En alternance, deux spectacles remarquables donnés à la Reine Blanche. Remarquable. Il y a d’abord Exil intérieur ou l’histoire de Lise Mettner, née autrichienne en 1878, de culture juive, découvreuse de la fission nucléaire au sortir de la première guerre, alors qu’elle est à Berlin, en 1918. Ecrasée par la deuxième guerre, contrainte à l’exil, elle mourra en 1968, sans avoir cessé de se consacrer à la recherche. Ce premier volet, nous l’avons vu il y a plusieurs semaines et nous en avons rendu compte dans les colonnes du Quotidien du Médecin. Elisabeth Bouchaud y incarne une Lise Mettner très sensible, très intelligente. A ses côtés, Benoît di Marco est Otto Hahn, collègue allemand, chimiste qui travaille lui aussi au Laboratoire de radioactivité de l’Institut Wilhelm Kaiser de Berlin et recevra tous les honneurs. Le comédien dessine d’autres personnages, dans une narration très bien menée. De même Imer Kutllovci, Otto Robert Frisch, physicien, neveu de Lise et autres figures. On retrouve Benoît Di Marco dans ce deuxième volet de « Flammes de science ». Il est principalement Anthony Hewish, directeur de thèse de la jeune étudiante à Cambridge, Jocelyn Bell. Jocelyn est née le 15 juillet 43, en Irlande. Après des études à Glasgow, elle est à Cambridge lorsqu’elle découvre les « pulsars », en 1967. Son professeur prend d’abord avec mépris sa recherche, avant de comprendre qu’elle a raison. Il publie sous son seul nom un article dans Nature et reçoit le prix Nobel en 1974. Une partie de la communauté scientifique connaît la vérité, mais Jocelyn Bell est un grand caractère et ne dit rien. Elle poursuivra ses recherches, recevant de nombreuses récompenses. Marie Steen, qui met en scène les deux pièces, excelle à insuffler un rythme vif, en s’appuyant donc sur trois comédiens seulement, à chaque fois. Mais on est saisi par les « intrigues » et pris aussi par l’intelligence des scénographies mobiles de Luca Antonucci. Benoît Di Marco ne craint pas les personnages rugueux, voire peu sympathiques. Il est fin et délié. Très précis. Clémentine Lebocey, est une douce Jocelyn, ligotée par des complexes (être irlandaise, n’être qu’une jeune étudiante, d’une famille de quakers) et surtout d’une noblesse d’esprit extraordinaire. Et une très grande savante, toujours à l’écoute du monde ; elle aura 80 ans le 15 juillet prochain. Clémentine Lebocey est remarquable, jamais démonstrative. Comme l’est son amie, sa colocataire, Janet Smith, étudiante en théologie. Les très jeunes femmes partagent des conversations très sérieuses sur le sens de la vie, la religion, le ciel des astrophysiciens et celui des croyants. Mais rien n’est lourd jamais et Roxane Driay est elle aussi ultra-sensible et vive. Bref de très beaux moments de vrai théâtre qui nous éclairent et nous dévoilent des destins de femmes très intelligentes, flouées, volées même, mais d’une dignité et d’une hauteur de vue qui dépasse toutes les indignations. Des âmes fortes . Théâtre de la Reine Blanche, les deux pièces en alternance, jusqu’au 28 janvier pour Exil Intérieur et ensuite seule à l’affiche, jusqu’au 5 février, Prix No’Bell. Horaires à vérifier : 14h30, 16h00, 18h00, 19h00, selon les jours. Durée : 1h20 à peu près, chaque pièce. Tél : 01 40 05 06 96. www.reineblanche.com reservations@scenesblanches.com Les deux textes sont publiés dans la collection les Quatre-Vents de l’Avant-scène théâtre (15€). En vente sur place.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 5, 2023 5:00 AM
|
Publié dans Sceneweb le 28/11/22 Il s’appelle Narcisse. Hier, il fut l’archange à la voix d’or, chanteur prodige du plus grand groupe du monde. Aujourd’hui, il vit seul, reclus dans son appartement du dernier étage, ressassant sa jeunesse et sa gloire. Jusqu’à ce qu’on lui propose de reformer son groupe pour un dernier concert. Mais peut-il être encore celui que le monde entier réclame ? Dans quel but ? A quel prix ?
Habitué des belles aventures de troupe, Adrien Michaux est pour la première fois seul en scène. Dirigé par Lou Wenzel, il donne chair et souffle à son propre texte.
Quête d’identité, journal sous acide, épopée rock et intime croisant les mythologies, « Brûle Narcisse » reconvoque la figure de l’idole déchue et lui donne la parole, pour raconter son chemin de folie et de solitude – à la poursuite éperdue de son présent.
Narcisse, c’est le visage placardé dans notre chambre d’adolescent.e, à qui nous interdisons de changer, de vieillir, à qui nous ordonnons de rester figé dans l’instant bouleversant de sa gloire – parce que c’est à cet instant que nous l’avons aimé, à cet instant qu’il nous a rendus heureux.
Brûle Narcisse (mon destin sans nuage) De et avec Adrien Michaux Mise en scène : Lou Wenzel Création son : François Caffenne Création lumière : Thierry Pilleul Production déléguée : Cie la Louve
Ce texte est lauréat de l’Aide à la création de littérature dramatique attribuée par Artcena. Il est publié aux Editions Koïnè.
Du 31 Janvier au 10 Février 2023 Théâtre-Studio d’Alfortville, à 20h30 (relâche le 5)
Le 18 Février Garage-Théâtre de Cosne-sur-Loire
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 4, 2023 9:10 AM
|
Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 3/01/23 Depuis 2018, aucun spectacle de l’immense metteur en scène Krystian Lupa n’est venu en France. Les spectacles du Polonais se sont multipliés dans son pays et ailleurs dans le monde, mais aucun n’a été programmé sur une scène française. Lupa aura 80 ans le 7 novembre prochain, il n’a jamais été si jeune, si productif, si imaginatif. Krystian revient ! En 2016, le Festival d’automne qui mettait régulièrement à l’affiche les spectacles de Krystian Lupa depuis 1998 (aaaah Les somnambules...) nous avait gratifié du premier volet d’un portrait de Lupa en trois spectacles mémorables : Des arbres à abattre, La place des héros, Déjeuner chez Wittgenstein. Le second volet de ce portrait n’a jamais eu lieu, en partie à cause de la pandémie. En 2018, on a pu voir Le procès d’après Kafka, grand moment (lire ici). Mais depuis rien. Au Festival d’automne ou ailleurs. Rien de rien. Et pourtant. En 2020, Agnieszka Zgieb publiait Krystian Lupa, les acteurs et leur rêve aux éditions Deuxième époque (lire ici). Durant l’été 2021, la revue théâtre/public consacrait tout un numéro (N°240) au travail de Lupa . Et , en avril dernier , un magnifique spectacle dans le terrier du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis , La nuit sera blanche, se revendiquait ouvertement de l'enseignement de Lupa (lire ici) Dans le numéro de théâtre/public, Tomasz Domagala s’entretenait avec Lupa sur Austerlitz, le dernier livre de W.G. Sebald qui est aussi le titre d’un récent spectacle de Krystian. « L’écriture de Sebald prend racine dans cette de Bernhard » note Lupa qui précise : « Sebald est un homme introverti,un homme de la tristesse, alors que Bernhard est l’homme de la passion, de la furie,des attaques ». L’entretien se poursuit, on entre au cœur du processus de ce spectacle qui a été crée le 23 septembre 2020 au Jaunimo Teatras de Vilnius. Dans ce même numéro de théâtre/public, Chloé Larmet s’entretient avec Lupa et Bogumil Misala sur le travail musical qui accompagne le spectacle Capri, l’île des fugitifs d’après La peau et Kaputt, deux œuvres de Malaparte, spectacle créé en 2019 au Teatr Powszechny de Varsovie. Comme on pouvait s’y attendre, Jean-Luc Godard (qui a tourné Le Mépris dans la maison de Malaparte à Capri) apparaît dans le spectacle tout comme on entend la fameuse musique du film de Georges Delerue. Même si la voix de Krystian Lupa reste la première musique de ses spectacles. Aucun théâtre ou festival en France a eu l’idée, l’envie, la curiosité ou l’impérieuse nécessité de programmer Capri, l’île des fugitifs et Austerlitz. Le 2 avril 2022, une nouvelle fois au Teatr Powszechny de Varsovie, a eu lieu la première d’Imagine. Partant de la célèbre chanson de John Lennon imaginant un monde sans guerres, sans frontières, sans haines et sans religions, Lupa s’interroge sur notre monde avec Antonin Artaud comme guide, vigie et mentor, entouré de sept figures telles Patti Smith, Janis Joplin, Timothy Leary et Susan Sontag. Une vaste réflexion en acte sur notre époque où, dans bien des pays, bien des valeurs sont bafouées. On y voit Artaud et sa figure féminine Antonina lire le début de Howl de Ginsberg et visionner un extrait de Stalker, le film de Tarkovski. Tout le monde se réunit autour du cadavre de John Lennon. Ce ne sont là que quelques bribes d’Imagine, un spectacle que je n’ai pas vu tout comme je n’ai pas vu Capri, l’île des fugitifs et Austerlitz. Pour l’heure, Krystian Lupa s’apprête à travailler avec des acteurs suisses et français autour des Émigrants de Sebald. Première le 1er juin à la Comédie de Genève. Imagine (spectacle de 5h avec un entracte) sera donné du 20 au 22 janvier au Teatr Powszechny de Varsovie, les 21 22 avec des sous-titres en français.. Jean-Pierre Thibaudat / Balagan Recommandé (0)Recommandé (0)
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 2, 2023 8:36 AM
|
Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 2 janvier 2023 Plume précieuse et appréciée de la rubrique théâtre au quotidien « Le Monde » de 1970 à 1995, Colette Godard fut une spectatrice assidue et curieuse des aventures théâtrales jusqu’au bout de sa vie. Elle est décédée le 31 décembre à l’âge de 96 ans. Adieu Colette. « Alors, comment ça va mon biquet ? », Je n’entendrais plus cette voix grave, délicieusement éraillée, de Colette Godard m’interpeller dans le hall d’un théâtre où nous nous retrouvions naguère, les soirs de première. A vrai dire je ne l’entendais plus depuis un certain temps, l’âge venant et sa santé déclinante jusqu’à sa vue de plus en plus faible, espaçaient ses sorties au théâtre Il y a quelques mois encore, alors qu’elle avait quitté le Monde en 1995, Brigitte Salino (qui lui avait succédé) ou sa fille Nathalie, l’accompagnaient au théâtre, dont elle ne s’était jamais lassée. Colette est parie le dernier jour de l’année 2022 à l’âge de 96 ans. Après avoir fait ses armes à la radio publique ( France culture) Colette Godard avait succédé à Nicole Zand qui, partant vivre aux États-Unis, lui avait proposé le fauteuil de critique dramatique qu’elle occupait. La direction du Monde l’adouba. Et c’est ainsi qu’en 1970 Colette Godard assura la critique théâtre très attendue du journal. Trois ans plus tard, Yvonne Baby, responsable du service culture, appela à ses côtés Michel Cournot venu à la critique théâtrale après bien des aventures du côté de la littérature et du cinéma. Étrange équipage fondé sur le respect de l’autre. A chacun sa plume et ses engouements. Et , à côté, d'autres plumes comme celle de Mathilde La Bardonnie qui se souvient quelle travailleuse inlassable était Colette. Godard et Cournot ne se ressemblaient pas mais se complétaient. Elle labourant les provinces, suivait les aventures des Lavaudant à Grenoble, Bayen à Toulouse, Gironès à Lyon, Vincent à Strasbourg et de bien d’autres, allant souvent outre Rhin rendre compte de l’effervescence du théâtre allemand et des facéties berlinoises. Et toujours attentive aux spectacles venus d'ailleurs et en particulier des Etats-Unis (Le Bread and Puppet de Peter Schumann, Bob Wilson, Django Edwards) ou bien des personnalités comme Dario Fo ou Carmelo Bene Elle rassembla tout cela dans un ouvrage précieux Le théâtre en France depuis 1968 qui reste une référence. Au micro de Laure Adler, il y a quelques années, elle se souvenait du choc que fut pour elle et pour beaucoup d’autres la découverte de La dispute de Marivaux dans la mise en scène de Patrice Chéreau, « La première version » insistait-elle, « celle de la Gaîté lyrique » qui était un théâtre alors à demi ruiné avant que des travaux n’emportent l’âme de ce lieu magique. Et avant encore l’un des premiers spectacles de Patrice Chéreau, L’affaire de la rue de Lourcine . « J’ai été accrochée tout de suite » disait-elle. Chéreau fut l’une de ses grandes passions, elle lui consacra un livre Patrice Chéreau, un trajet (Éditions du Rocher). Colette Godard fut une grande et généreuse chroniqueuse de belles aventures de son temps auxquels elle consacra divers livres: Jorge Lavelli, le TSE d'Alfredo Arias, Jérôme Savary et le Grand Magic Circus pour ne citer qu’eux, et, bien sûr, le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine.. Elle aimait les paillettes, le cabaret, la nuit, Berlin. Souvent au théâtre, elle adoptait une position particulière, soutenant son visage par sa main droite, en voyant le spectacle à travers le rideau de ses doigts. Son dernier ouvrage à l’Arche en 2009 rassemblait trois metteurs en scène Emmanuel Demarcy-Mota, Arthur Nauzyciel et James Thierrée sous le titre Un théâtre apatride. Apatride, sa famille l’avait été. Des ancêtres venus d’Ukraine, un père juif d’origine géorgienne et une mère juive d’origine russe. Des parents qui, très tôt, l’emmenèrent au théâtre. Légende photo :Colette Godard © Radio France - Corinne Amar ------------------------------------------------------------------------------ L'hommage d'Armelle Héliot publié dans son blog A partir de 1970, depuis les colonnes du « Monde », elle a éclairé toute la vie du théâtre, en France et au-delà. Elle s’était retirée mais travaillait pour le Théâtre de la Ville. Ses livres, recueils d’articles ou essais, demeurent. Elle s’est éteinte le 31 décembre. Elle avait 96 ans. On pensait souvent à elle. Et plus encore il y a deux jours, en rendant hommage à Odette Lumbroso. Les grands témoins des plus belles années du théâtre s’effacent. Colette Godard s’est éteinte hier. Née le 7 mars 1926 à Rouen, où ses parents s’étaient finalement installés, elle fut, pour tous les professionnels et les amateurs de théâtre, et pour ses confrères, un modèle, une référence de premier plan. Elle racontait en riant, toujours, des années et des années après, ses débuts de journaliste à Radio-France. C’était le temps des télescripteurs et des dépêches. Aux jeunes de surveiller les crépitements…Un jour, on est le 11 octobre 1963, elle apporte une dépêche urgente aux hommes –c’était des hommes- de la rédaction. Edith Piaf est morte. Il faut bouleverser les journaux, sinon tous les programmes. Et quelques dizaines de minutes passent, une deuxième dépêche tombe. Jean Cocteau est mort. Il a eu une crise cardiaque en apprenant la mort de la Môme… Autant dire que l’actualité était d’une importance extrême pour cette femme étonnante et d’une beauté singulière. Elle était la fille aux yeux d’or. Des yeux dorés de chat, un visage bien construit. On songeait à une déesse égyptienne en la voyant… Ce charme ne fut pas rien dans l’ascendant qu’elle exerça. Elle rompait avec tout ce que l’on connaissait de la sévère et ennuyeuse parfois, critique dramatique. Il faut dire que dans les mêmes années, au Monde où elle était entrée en 1970 et où elle travailla jusqu’en 1995, régnait aussi, dans un autre style, une autre manière, tout aussi en rupture avec les traditions qu’elle, Michel Cournot. Un poète, un homme qui ne suivait pas les chemins balisés. Colette Godard venait d’horizons lointains. Ses parents, Samuel Meghberg, juif d’origine géorgienne, sa mère juive de Russie, venaient d’Ukraine. Ils se réfugièrent en France vers 1910. A Rouen, où naquit Colette, le tailleur avait établi une manufacture de confection. Les parents sont des passionnés de spectacles. On ne disait pas « spectacle vivant ». On disait théâtre, opérette, opéra, concerts, et les enfants, Colette et ses frères et sœurs furent plongés dans ce grand bain, sans oublier leur sens de la citoyenneté, leur courage. Colette Godard n’en faisait pas grand discours. Mais une partie de sa famille avait été raflée en 42, et elle, à son échelle, aidait la Résistance et fut confrontée à des drames profonds. A la Libération, les journaux sont légion et c’est vers la presse qu’elle se tourne. Elle pense plus à l’information, au journalisme, qu’à la critique dramatique. Mais elle fut justement toujours journaliste avant d’être « critique ». Elle saisit le théâtre comme une matière vivante. De l’actualité pure et dure. Elle aime l’illusion, le travestissement. Le maquillage. Les êtres qui traversent les murs. Elle donne autant d’importance à Strehler puis à Chéreau et Savary, qu’aux baraques de foire des boulevards du nord de Paris…Elle aime les grands classiques, comme les tout jeunes écrivains. Elle a la voix un peu cassée des femmes de la nuit. Elle séduit, subjugue, elle est très intelligente et sait qu’alors elle peut faire la loi des spectacles. Mais le plus important, sans doute, c’est son écriture. Elle est une femme de style. En la lisant, on l’entend. Elle est magnifiquement sensible et l’encre de ses stylos, de ses machines à écrire, les impressions de ses ordinateurs, nous rendent proches les nuances de sa pensée, les nuances des spectacles dont elle parle. Une grande, un modèle. On peut la lire et la relire en nombreux ouvrages qui témoignent et éclairent l’histoire des spectacles, et sans doute sur le site de Radio France comme sur celui de l’INA, on peut la retrouver. Armelle Héliot
|