Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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Scooped by Le spectateur de Belleville
March 27, 2023 6:18 AM
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Emmanuel Meirieu : «Jouer et verser notre cachet à une caisse de grève»

Emmanuel Meirieu : «Jouer et verser notre cachet à une caisse de grève» | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Avant une dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites mardi 28 mars, artistes, intellectuels et militants nous livrent leurs réflexions sur la crise sociale et les moyens d’en sortir.

 

par Emmanuel Meirieu, metteur en scène

Je ne crois pas cette bataille perdue. Les gens sont en lutte. La perspective, c’est la victoire. Ce que je vois, c’est la détermination des grévistes et des manifestants. Le Président a choisi d’instaurer un rapport de force plutôt que de laisser voter nos députés. Je m’engage dans ce combat bien au-delà de ma situation sectorielle, même s’il est parfaitement fondé de la part des artistes et des techniciens.

 

 

On assiste depuis quelque temps au saccage patient, systématique de tout ce qui nous protège et je ne veux pas élever mes enfants dans cette société. Sept ans de Macron, c’est sept ans de guerre sociale. Les théâtres publics accueillent des œuvres profondément politiques. Concernant notre pratique, il y a cette question qui nous oppose parfois : est-ce qu’on doit grèver et bloquer tous les spectacles ? Et si on les bloque, doivent-ils tous l’être de la même façon ? Peut-être devrait-on ouvrir nos théâtres en journée pour accueillir les assemblées générales – les gens ont besoin de lieux qui soient protégés pour se retrouver ?

 

Comme d’autres, ma compagnie Bloc opératoire a parfois choisi de verser notre cachet à une caisse de grève. Jeudi, nous avons choisi de jouer les Naufragés d’après Patrick Declerck parce que c’est un spectacle politique. Si j’avais monté un Feydeau ou même Racine, j’aurais opté pour la grève. Et si gens de ma compagnie ou du théâtre avait choisi de bloquer notre spectacle, je l’aurais compris et on n’aurait pas joué. Je suis sidéré que le président Macron tienne cette ligne après le Covid. Il y a deux ans, la question mise en évidence était : «Comment vieillir dignement dans nos sociétés ? Quelle place fait-on à des corps plus vieux, plus fragiles ? Comment les protège-t-on ?» On a aux manettes un pyromane.

En tournée avec les Naufragés, d’après l’essai de Patrick Declerck.
 
 
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March 24, 2023 5:48 PM
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Sarah Tick met en scène Shahara de Caroline Stella

Sarah Tick met en scène Shahara de Caroline Stella | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Critique de Marie Plantin dans Sceneweb  23 mars 2023

 

Avec Shahara, la metteuse en scène Sarah Tick au double profil, médical et artistique, porte au plateau la pièce jeune public de Caroline Stella. Ou comment aborder en subtilité, une réalité plombée : la maladie des enfants de la lune. Entre humour et onirisme, ce spectacle est d’une beauté cosmique.

 

Elle s’appelle Shahara, c’est un prénom arabe, elle vient du Maroc. Mais à l’heure où s’ouvre cette pièce, c’est dans un autre pays qu’elle se trouve, confinée par nécessité, celui du Centre d’onco-dermatologie, sur le continent hôpital. Une géographie répartie entre couloirs, salles d’examen, couloirs encore, salles d’attente, bloc opératoire et un placard où Shahara aime se réfugier et s’inventer des histoires. Un territoire qui lui est familier car cela fait des mois qu’elle y passe ses journées. Shahara est atteinte d’une maladie au nom poétique qui cache une réalité qui l’est moins. La maladie des enfants de la lune. Shahara ne doit pas s’exposer à la lumière du jour. Les ultraviolets sont pour elle un danger. Sa peau est mouchetée de cratères, des pieds jusqu’à la tête comme autant de petits cancers. C’est ainsi que dans ses jeux imaginaires, la lune tient une place centrale, elle habite ses rêves d’évasion, nourrit son imagination, mère de substitution lointaine et proche à la fois, énigmatique et rassurante. Et puis Shahara n’est pas seule. Elle est certes entourée de l’équipe soignante mais elle fait la connaissance de Mélie qui débarque dans le service pour un grain de beauté qui a mal tourné. Le mauvais caractère de Shahara qui préfère grincer des dents plutôt que sourire fond comme neige au soleil au contact de cette gamine en salopette, inquiète et courageuse. Les deux filles embarquent dans le monde sans limite de l’imagination, décollage immédiat, cap sur l’espace et son immensité. Et le public, par leur intermédiaire, embarque dans celui de l’enfance, pas tout à fait insouciante mais fringante et dégourdie, avide de se changer les idées, prompte à jouer. L’enfance et sa vitalité bondissante, ses ressources infinies, sa propension communicative aux rêveries éveillées.

 

 

La pièce signée Caroline Stella adopte avec tact et justesse le point de vue des fillettes, elle suit les étapes de leur rencontre et la relation d’amitié qui naît progressivement entre elles, elle pénètre leur univers, leurs projections fantasmées, leurs inventions et leurs superstitions. Elle va jusqu’à entrer dans la tête de Shahara endormie, sous anesthésie générale. En apesanteur entre humour et poésie, elle aborde un sujet on ne peut plus délicat : les enfants malades. Ceux dont l’état de santé nécessite une hospitalisation de longue durée, des traitements lourds, des opérations angoissantes. Dis comme ça on voudrait fuir à toute jambes, fermer les yeux et éviter de regarder cette réalité, inconcevable et terrifiante, en face. C’est sans compter sur l’approche narrative onirique, sémillante et drôle, de l’autrice qui embrasse son sujet dans sa dualité sans rien omettre : la maladie et l’enfance, la maladie en toile de fond de l’enfance. En ce sens, la pièce évite tout pathos. Jamais plombante mais dynamique et enlevée, elle avance au rythme des dialogues caustiques et percutants, des réparties qui fusent, des jeux de l’enfance, des disputes, des fous rires, d’une solidarité dans l’adversité et d’une complicité générationnelle. Dans le rôle de Shahara, Nadia Roz est idéale, vive, précise, punchy. Elle tient la cadence de son personnage plein de bagout et de gouaille, héroïne à la personnalité bien trempée, elle forme un binôme épatant avec sa partenaire, Barbara Bolotner, formidable aussi. Car dans ce spectacle à quatre interprètes, ce sont les comédiennes qui mènent la danse tandis que les hommes, en retrait, orchestrent au plateau, bruitage en direct, bande son et lumières, alternant les rôles secondaires et la régie en live, tantôt membres du personnel hospitalier, tantôt ingénieurs à la NASA ou créature chimérique habitant la lune.

 

 

Dans un dispositif scénographique astucieux et non réaliste (de Anne Lezervant) déployant au sol un tapis circulaire de gravier blanc et un hémicycle de panneaux verticaux délimitant les espaces et favorisant les déplacements, le plateau accueille les sublimes vidéos immersives, cosmiques et lunaires, signées Renaud Rubiano et Pierric Sud, et les costumes subtiles et inventifs de Charlotte Coffinet (mention spéciale à la très belle tenue de cosmonaute, légère, fluide, jouant sur les transparences).   

Mis en scène par Sarah Tick, ce spectacle somptueux brille par sa beauté plastique autant que par sa finesse d’interprétation et la sensibilité de son texte. On n’en attendait pas moins d’une artiste à la double casquette suffisamment rare pour être soulignée, à la fois metteuse en scène et médecin ophtalmologiste, rompue au milieu hospitalier autant qu’aux planches.

 

 

Avec brio, elle mène à bien ce projet puissant et engagé qui porte à la scène une thématique très peu mise en récit pour en faire une aventure épique et intime vécue à hauteur d’enfants. D’un sujet médical on ne peut plus embourbé de réel, elle en tire une création scintillante et émouvante qui impose avec grâce un univers sonore et musical fort et des images superbes. Un pied sur terre, l’autre sur la lune, Shahara est un spectacle courageux et généreux, baigné de lumière et d’obscurité, de gravité et de légèreté, qui circule en toute fluidité entre ses divers degrés de fiction et nous étreint de frissons. Un spectacle aux airs de voyage spatial et intérieur qui nous glisse des phrases à méditer pour longtemps et nous dit en creux que l’imaginaire et l’amitié sont des remèdes nécessaires pour lutter contre l’adversité.

 

 

Marie Plantin – www.sceneweb.fr

Shahara
Texte Caroline Stella (Éditions Espaces 34)
Mise en scène Sarah Tick
Dramaturgie Morgane Lory
Assistanat à la mise en scène Laura Bauchet
Scénographie Anne Lezervant
Création vidéo Renaud Rubiano et Pierric Sud
Création musicale Guillaume Mika et Nicolas Cloche
Création et régie lumière Julien Crépin
Création et régie son Pierre Tanguy
Costumes Charlotte Coffinet
Avec Barbara Bolotner, Julien Crépin, Guillaume Mika et Nadia Roz

Production Compagnie JimOe
Coproduction Les Plateaux Sauvages et La Manekine – Scène intermédiaire des Hauts-de-France
Coréalisation Les Plateaux Sauvages
Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages
Avec le soutien du Fonds SACD Théâtre, de la SACD-Beaumarchais, du Théâtre Paris-Villette, du Théâtre du Chevalet – Ville de Noyon, de la Ville de Paris, du Tiers-Lieu La Commune, de L’étoile du nord, de la DRAC Hauts-de-France – Ministère de la Culture, de la Région Hauts-de-France, du Département de l’Oise, de l’Adami et de la SPEDIDAM
Avec le soutien de la DRAC Île-de-France – Ministère de la Culture

Shahara a reçu l’Aide à l’écriture Théâtre de la SACD-Beaumarchais et la Bourse d’écriture du Centre National du Livre.
Shahara est nommé au Prix Kamari et publié aux Éditions Espaces 34.

A partir de 7 ans
Durée : 1 h

Du 20 au 25 mars 2023
Aux Plateaux Sauvages à Paris

Les 6 et 7 avril 2023
Au Théâtre du Chevalet – Ville de Noyon

Du 23 au 26 mai 2023
A l’Etoile du Nord – Paris

 

 

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March 24, 2023 10:45 AM
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Le Théâtre du Soleil crée une passerelle avec l’Ukraine

Le Théâtre du Soleil crée une passerelle avec l’Ukraine | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans le Monde  24/03/23

 

Ariane Mnouchkine organise un stage de théâtre, l’Ecole nomade, à Kiev, tandis que la Cartoucherie accueille les actrices de Dakh Daughters à Vincennes.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/24/le-theatre-du-soleil-cree-une-passerelle-avec-l-ukraine_6166806_3246.html

Ariane Mnouchkine, directrice du Théâtre du Soleil, a pris le large. Direction Kiev. Une partie de sa troupe est restée à Paris pour accueillir Danse macabre, un spectacle ukrainien proposé par Vladislav Troïtskyi et le groupe Dakh Daughters. Une passerelle vient de se dresser de pays à pays. La metteuse en scène française dirige un stage de théâtre (l’Ecole nomade) dans une capitale sous tension pendant que les actrices de Dakh Daughters chantent au bois de Vincennes leurs vies bouleversées par l’agresseur russe.

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés A Paris, le Théâtre du soleil, une utopie politique au service de l’art

Cette permutation géographique est hautement symbolique. Elle permet à l’art de se déployer au-delà des frontières. Vladimir Poutine « n’empêchera pas les artistes d’aller rejoindre leurs camarades là où ils se trouvent », affirme Ariane Mnouchkine, jointe à Kiev. A la guerre culturelle que livre le président de la Fédération de Russie, cette même culture répond en refusant de déserter ses territoires légitimes. Elle occupe les plateaux, creusets d’utopies et d’imaginaires.

 

Dans la ville ukrainienne où ont convergé, depuis le 23 mars, une centaine d’élèves acteurs et de jeunes professionnels, la troupe du Soleil a investi « une sorte de petit opéra avec un foyer arrondi ». Les acteurs ont tendu des tissus colorés, récupéré çà et là tables, chaises, accessoires et ils se sont mis au travail. Pour leur patronne, agir était une évidence : « Je n’en pouvais plus de rester, bras ballants, à écouter les informations. Récolter de l’argent pour l’Ukraine ne suffisait plus. Nous étions tous dans un état d’impuissance, de frustration et de désolation. Il y a environ un mois, j’ai proposé à l’équipe de venir faire, sur place, ce que nous savons faire : une Ecole nomade. »

« Le poids d’une plume »

Sa tribu est rompue à l’exercice. L’Ecole a déjà vogué jusqu’au Chili, au Royaume-Uni, en Suède ou en Inde. En 2005, une compagnie afghane (le Théâtre Aftaab) est même née dans la foulée d’une session effectuée à Kaboul. Mais le séjour à Kiev, au cœur d’un pays assailli par les bombes, sort de l’ordinaire. « Nous ne sommes pas sur le front et je ne vais pas, à mon âge, 84 ans, apprendre à manier un fusil pour me transformer en soldat, relativise notre interlocutrice. Bien d’autres gens agissent ici sans que personne ne le sache. » La présence du Soleil (et à travers lui celle de l’art) pèse, dit-elle, « le poids d’une plume ». Mais cette plume sert à écrire et elle aide à penser. Etre là, rappelle l’artiste, c’est le « b.a.-ba de la résistance ».

 

 

Lire la revue de presse Théâtre du soleil : retour sur 50 ans de créations

Pendant quinze jours, les participants de l’Ecole nomade vivront au rythme des improvisations, des chœurs et des masques : « Si on arrive à leur donner deux semaines de fête et de ravissement, ce sera déjà ça. » Dans un discours prononcé le 24 février lors d’un Forum Europe-Ukraine, Ariane Mnouckhine concluait son allocution par cet appel tranchant : « Pour gagner cette guerre culturelle que nous livre la Russie, il faut d’abord gagner la guerre. Tout court. Que cela nous plaise ou non. »

 

Ce n’est pas demain que cette combattante abdiquera devant les ennemis de la liberté. Ses armes sont la fiction, le jeu, la beauté. Elle les utilise plus et mieux que beaucoup. Faute de pouvoir se trouver ici et ailleurs en même temps, elle avoue un regret : ne pas assister à la Cartoucherie de Vincennes au spectacle des Dakh Daughters et au concert exceptionnel que donneront, le 26 mars à 17 h 30, la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton et son alter ego ukrainien, Aleksey Shadrin.

 

 

Danse macabre, de Vladislav Troïtskyi et les Dakh Daughters, du 24 mars au 2 avril. Ensemble. Concert de Sonia Wieder-Atherton & Aleksey Shadrin, le 26 mars à 17 h 30. Théâtre du Soleil, la Cartoucherie, Paris 12e.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde 

 

Légende photo : Ariane Mnouchkine à Kyoto (Japon), le 12 novembre 2019. CHARLY TRIBALLEAU / AFP

 

 

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March 23, 2023 1:36 PM
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En Auvergne-Rhône-Alpes, “Laurent Wauquiez déclare la guerre aux artistes et aux intellectuels”

En Auvergne-Rhône-Alpes, “Laurent Wauquiez déclare la guerre aux artistes et aux intellectuels” | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Olivier Milot dans Télérama Publié le 23 mars 2023 

 

 

En suspendant au dernier moment le vote des subventions, le président du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes relance son bras de fer avec le monde du spectacle vivant, qui en appelle au peuple.

 

Lire l'article sur le site de Télérama : https://www.telerama.fr/debats-reportages/en-auvergne-rhone-alpes-laurent-wauquiez-declare-la-guerre-aux-artistes-et-aux-intellectuels-7014816.php

 

 

 

Comme un air de déjà-vu. Le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes a ajourné au dernier moment et sans explication le 10 mars dernier le vote des subventions à des dizaines de lieux de création et de diffusion (théâtres, salles de concerts, festivals…) sur le territoire aurhalpin. Un mauvais coup porté aux acteurs locaux du spectacle vivant, qui, une fois de plus, se retrouvent sans la moindre information sur les moyens que le conseil régional leur allouera en 2023, alors même que l’année est déjà bien engagée en termes de programmation de spectacles. De quoi déstabiliser un peu plus un secteur déjà confronté à de multiples augmentations de charges – notamment énergétiques – et soumis depuis des années à une baisse des subventions de l’État et des collectivités locales. « Les structures que nous représentons sont mises en péril financièrement ; les emplois (permanents et intermittents) sont menacés ; certains lieux vont devoir dans un délai très court recourir au chômage technique, déprogrammer des spectacles, voire fermer leurs portes, dans l’attente d’une date incertaine pour le vote de leurs subventions », s’alarment l’ensemble des organisations professionnelles du secteur dans un communiqué.

 

 

À lire aussi :

Quand Laurent Wauquiez instrumentalise la culture à des fins politiques et idéologiques

 

 

L’agacement et la colère sont d’autant plus forts que c’est le même scénario que l’année dernière qui est en train de s’écrire. Pas de communication en amont, l’annonce au dernier moment du report du vote, l’incertitude maintenue jusque tard dans la saison sur le montant définitif des subventions. La région a beau affirmer que « le budget culture a été sanctuarisé et ne baissera pas d’un euro », la méfiance est généralisée. Tout le monde a en tête les plus de 4 millions d’euros rayés d’un trait de plume l’an passé et, pour beaucoup, cette sanctuarisation annoncée ne constitue en rien une garantie. « Laurent Wauquiez finance ce qu’il veut, et en priorité le patrimoine et tout ce qui donne une visibilité au conseil régional », grince un directeur de théâtre.

 
 

Tout cela dessine un projet réactionnaire et populiste.

Pascale Bonniel-Chalier y voit avant tout un projet politique lié aux ambitions nationales du président du conseil régional. « Nous avons la conviction que le secteur du spectacle vivant et de la création contemporaine est dans le viseur de Laurent Wauquiez, explique la conseillère régionale écologiste. Il est dans un affrontement idéologique assumé. D’un côté, il déclare la guerre aux artistes et aux intellectuels, de l’autre, il fait passer lors de la dernière assemblée plénière des délibérations sur les anciens combattants et l’attribution de bourses au mérite ; des subventions au patrimoine des particuliers et des petites communes ; et émet le vœu d’une protection du patrimoine religieux en expliquant que les églises sont l’âme de la France. Tout cela dessine un projet réactionnaire et populiste. »

 

 

Le conseil régional reste, lui, droit dans ses bottes, comme si la situation était parfaitement normale. « L’étude des demandes est toujours en cours. Les acteurs culturels seront informés début avril des propositions de subvention qui seront formulées pour la commission permanente du mois de mai. » De quoi espérer un versement au mieux cet été et compliquer un peu plus la gestion des lieux de création et des compagnies artistiques qui en dépendent.

 

 

À lire aussi :

Laurent Wauquiez, ministre autoproclamé de la Culture en Auvergne-Rhône-Alpes

 

 

Alors le ton monte. Les organisations représentatives du spectacle vivant en Auvergne-Rhône-Alpes dénoncent « l’irresponsabilité de ces décisions et la violence répétée des méthodes employées par l’exécutif de la région ». Elles appellent les élus, « quelle que soit leur sensibilité politique, à s’opposer à cet affaiblissement de la politique culturelle régionale, qui fragilise les structures culturelles et dégrade l’emploi du spectacle vivant » et demandent directement leur soutien aux habitants, en les invitant à signer une pétition en ligne « pour sauvegarder le service public de la culture et de ses emplois en AURA ». Ce n’est plus un bras de fer, c’est une guerre ouverte.

 

 

Olivier Milot / Télérama
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March 20, 2023 6:39 AM
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Au théâtre Les Gémeaux, à Sceaux, Emmanuel Meirieu met en scène l’oraison funèbre d’une Terre qui agonise

Au théâtre Les Gémeaux, à Sceaux, Emmanuel Meirieu met en scène l’oraison funèbre d’une Terre qui agonise | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde 10/03/2023

 

Avec « Dark Was the Night », le dramaturge embarque le public pour une traversée cosmique, désenchantée et lucide.

 


Lire l'article sur le site du Monde : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/10/au-theatre-les-gemeaux-a-sceaux-emmanuel-meirieu-met-en-scene-l-oraison-funebre-d-une-terre-qui-agonise_6164985_3246.html

Mélancolique, planant, cosmique, désenchanté et lucide. Dark Was the Night, le spectacle qu’a écrit et mis en scène Emmanuel Meirieu, est tout cela à la fois. Ouvert sur un rideau coloré par un dessin d’enfant, il vire au gris sans prévenir. Le voile disparaît, révélant un décor postapocalyptique. Un terre-plein cabossé avec de hauts troncs d’arbres décharnés : sans doute un bord d’autoroute ou de périphérique. Sur le sol, des détritus, des sacs plastiques, des bidons rouillés. Au lointain, la lueur de phares ; en sourdine, le trafic urbain. Des contrebas du talus surgissent les comédiens. Quatre hommes et une femme qui ont à jouer là, dans ce dépotoir sinistre, et à y faire naître quelque chose qui ne soit pas pur désespoir.

Emmanuel Meirieu donne le ton. Sa création vise les étoiles mais elle a les pieds sur terre. Et celle qui est exposée sur la scène des Gémeaux à Sceaux (Hauts-de-Seine) ne vaut parfois guère mieux que les fossés concédés par les villes à ceux qui n’ont plus de toit sur leur tête. Avec Dark Was the Night, l’artiste quadragénaire radicalise un chemin d’une cohérence remarquable. Remarqué en 2011 pour son adaptation du roman de Russell Banks, De beaux lendemains (Actes Sud, 1991), il s’impose depuis comme un créateur d’intensités émotionnelles que certains assimilent (à tort) à un goût pour le pathos.

 

 

 

 

C’est vrai qu’il n’a pas peur des larmes. Ses comédiens non plus à qui il arrive de pleurer lorsqu’ils jouent. Il n’y a rien d’obscène là-dedans puisqu’ils ne parlent que de l’humain qui doute. Pas le vainqueur mais le vaincu. Pas le héros exemplaire mais le raté qui a fauté, menti, tué et que la société relègue dans les coins. En faisant des exclus quels qu’ils soient, sans jamais les juger, des personnages de fiction, le metteur en scène leur redonne la parole. Ainsi qu’une forme de dignité.

De l’intime au politique

Dark Was the Night est inspiré d’une histoire vraie. En 1977, aux Etats-Unis, une sonde part à l’assaut de l’espace. Décollant de Cap Canaveral, le vaisseau Voyager transporte un disque sur lequel sont gravés des messages destinés à d’éventuels extraterrestres : photos et sons de la Terre, chant d’une baleine, salutations en 55 langues différentes et morceaux de musiques, parmi lesquels Dark Was the Night, Cold Was the Ground (1927), de Blind Willie Johnson. Ce compositeur afro-américain est mort dans la rue d’une pneumonie en 1945. Il était noir donc s’est vu interdire l’accès à l’hôpital. Vingt-deux ans plus tard, il devient l’émissaire intergalactique des Terriens. Emmanuel Meirieu évoque cette ironie dans un texte dilaté qui étire ses filets de part et d’autre d’une Amérique à la grandeur chancelante.

 

 

Incarné par des comédiens sonorisés qui monologuent à tour de rôle, le spectacle s’étoffe de sens multiples à mesure qu’il se déploie. Procès de l’Amérique raciste, réquisitoire contre les fossoyeurs de la nature, cérémonie mémorielle en l’honneur du musicien mort : la représentation navigue de l’intime au politique, du brin d’herbe au cosmos, du présent au big bang. Les acteurs font entendre ces va-et-vient, trois d’entre eux étant aux avant-postes. Le premier joue un enfant émerveillé par la conquête de l’espace et ses promesses d’avenir radieux. Bien plus tard, ses rêves ont vécu. L’extraterrestre n’existe pas et la nature ressemble à une déchetterie. Devenu apiculteur, il doit euthanasier ses abeilles malades.

Le plateau est un cimetière et le spectacle un cortège de deuils que l’on vit calmement, guidé par la musique, les lumières et la présence des comédiens

La deuxième s’appelle Jane. En 1977, elle a condensé, en douze minutes de sons, 4 milliards et demi d’années d’évolution sur la planète. Son récit qui brasse large convoque un décentrement salutaire. Façon de dire que nous sommes peu de chose au regard du temps et de l’univers. Le troisième se nomme Shane et consacre ses week-ends à restaurer les tombes de Noirs enterrés à la va-vite dans des champs par des esclavagistes blancs. Il ne s’agit pas d’une fiction mais d’une réalité qui a lieu au Texas aujourd’hui.

 
 

Voici comment, par la magie d’une mise en scène subtilement articulée, ce qui devait être une célébration de la puissance technologique de l’homme et de ses ambitions sans limites se transforme en oraison funèbre. Le plateau est un cimetière et le spectacle un cortège de deuils que l’on vit calmement, guidé par la musique, les lumières et la présence des comédiens.

Promené d’un bout à l’autre de la gamme des émotions, le public opère une traversée flottante et captivante qui le dépose face à l’évidence. Pendant que l’homme scrute Mars, la Terre agonise. Cette héroïne meurtrie tient, charnellement et organiquement, le premier rôle d’une représentation saisissante. Emmanuel Meirieu est allé fouiller les poubelles pour métamorphoser le bronze en or. Une fois encore, il frappe fort.

Dark Was the Night, écrit et mis en scène par Emmanuel Meirieu. Les Gémeaux, scène nationale de Sceaux (Hauts-de-Seine). Jusqu’au dimanche 19 mars. De 18 € à 28 €.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde 

 
Légende photo : Nicolas Moumbounou et Jean-Erns Marie-Louise (au premier plan), en octobre 2022, lors d’une répétition de « Dark Was The Night », d’Emmanuel Meirieu à Grenoble. PASCAL GELY/HANS LUCAS
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March 19, 2023 7:50 PM
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Le cirque contemporain en équilibre fragile

Le cirque contemporain en équilibre fragile | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Enquête de Rosita Boisseau publiée dans Le Monde - 19 mars 2023

 

Le festival Spring, en Normandie, s’ouvre dans un contexte de crise, avec des compagnies nombreuses et désemparées face à des lieux en difficulté, confrontés à l’augmentation de leurs frais fixes.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/19/le-cirque-contemporain-en-equilibre-fragile_6166152_3246.html

 

Vertige cosmique, jeudi 9 mars, en ouverture de Spring, festival international des nouvelles formes de cirque. D’abord, La Boule, duo pour deux femmes imbriquées, n’est pas ronde et roule de travers. Elle sautille sur une jambe, sort soudain des antennes, se métamorphose en baleine ou tortue. Ce casse-tête vivant est signé par Liam Lelarge et Kim Marro. Il dégage la route pour mieux s’y perdre au spectacle Les quatre points cardinaux sont trois : le nord et le sud, d’Andrés Labarca. Dans une impressionnante baraque en ruine, deux hommes se cherchent des noises et finissent par méchamment se trouver.

 

 

Ces deux pièces de jeunes circassiens aux antipodes donnent la couleur contrastée de Spring. Basée à Cherbourg (Manche), la manifestation se déploie jusqu’au 16 avril sur les cinq départements de Normandie. Une irrigation massive d’un territoire énorme, qui rallie des institutions, dont l’Opéra de Rouen, à la salle des fêtes de Ménesqueville (Eure).

 

 

Autant dire que le thème de cette édition, « La Conquête de l’espace », joue autant sur les échelles des lieux que sur les gabarits des productions. « On voit de plus en plus de scénographies ambitieuses chez la nouvelle génération, constate Yveline Rapeau, directrice de Spring. Peut-être est-ce l’exemple de têtes d’affiche comme Vimala Pons ou Phia Ménard, mais certains metteurs en scène de cirque ont envie d’avoir les moyens de gros dispositifs. »

 

Ce penchant paradoxal dans un contexte de crise soulève évidemment des réactions. « Des tensions d’abord, poursuit Yveline Rapeau. Notre réseau est moins doté que le théâtre et les réductions de budget se font sentir. » Un point de vue partagé par Martin Palisse, jongleur et directeur de Multi-Pistes, à Nexon (Haute-Vienne), qui tempère : « Sans se laisser entraîner par la seule économie, il faut parfois démarrer par des formes plus modestes, plutôt que de compter sur des scénographies énormes qui lorgnent vers le théâtre en diluant le geste circassien. » A l’inverse, l’acrobate Mathurin Bolze, aux manettes du festival Les Utopistes, à Lyon, soutient que « le cirque contemporain doit arrêter de se contenter de solos ou de duos sans décor pour pouvoir survivre, et ne pas avoir honte de prendre du poids et de la place ».

Sur la corde raide

Avec près de 700 compagnies en activité, cette scène bouillonnante toujours en croissance traverse une passe délicate. « Les lieux sont noyés sous les propositions de spectacles et asphyxiés par les problèmes financiers et l’augmentation de leurs frais fixes, analyse Mathurin Bolze. Ils doivent remplir les salles avec moins de moyens et sont incapables de répondre à tous les artistes qui cherchent à être programmés.  »

 

 

Quant aux treize Pôles nationaux cirque, ils peinent à accompagner les multiples projets qui se bousculent au portillon. « On n’a pas arrêté d’ouvrir nos studios pour des résidences de travail depuis deux ans, mais notre capacité de diffusion est en train d’atteindre ses limites », commente Frédéric Durnerin, directeur de l’Agora, à Boulazac (Dordogne).

 

Lire l’enquête : Festival Spring 2019 : le printemps des circassiennes

 

Du côté des artistes, habitués à beaucoup tourner (environ cinquante dates par an), on s’inquiète. « La colère monte, avec un sentiment d’impuissance », affirme l’acrobate Lucien Reynès, du collectif Naïf Production, repéré il y a vingt ans dans le milieu du cirque et de la danse contemporaine. Il bat depuis quelques mois le rappel de complices circassiens pour chercher dans le collectif de nouvelles possibilités. Ont déjà répondu partants pour une rencontre informelle en avril : Chloé Moglia, Coline Garcia, Mathurin Bolze, Marion Collé, Matthieu Garry, Etienne Saglio, Marie Fonte, Mathieu Bleton, Sandrine Juglair… « Nous allons réfléchir ensemble sur les mutations que nous sommes obligés d’opérer », glisse-t-il.

La situation de Lucien Reynès, comme celle de bien d’autres, devient critique. Avec 100 dates de tournée par saison d’ordinaire, il se retrouve cette année sur la corde raide, avec seulement vingt-deux dates. Une chute qui met en danger sa compagnie et lui fait courir le risque de ne pas pouvoir conserver son statut d’intermittent.

 

 

« Je ne sais pas où je vais, confie-t-il. Et je ne suis pas tout seul. Je reçois nombre de messages d’amis qui quémandent des cachets. Il y a une raréfaction des ressources et la biodiversité du cirque va en prendre un coup ; pour la première fois, le dialogue est rompu avec les diffuseurs. » Il souligne un phénomène inédit. Parmi les dix-sept coproducteurs de son spectacle Gravitropie, qui normalement l’affichent dans leurs théâtres, six sont venus le voir, cinq le programment : les autres n’ont pas donné suite pour le moment.

Injonction du divertissement

Cette attitude, devenue plus courante, irait de pair avec une évolution des comportements. Yannis Jean, délégué général du Syndicat des cirques et compagnies de création, évoque de « mauvaises habitudes » prises durant la crise sanitaire. « Certains diffuseurs se permettent aujourd’hui d’annuler des pièces au dernier moment, laissant les troupes très fragilisées, affirme-t-il. Le rapport de domination entre les lieux et les troupes est devenu plus aigu. Mais ne jetons pas trop la pierre sur les directeurs de salles, car le contexte est violent pour tout le monde. » Il insiste néanmoins sur le succès public toujours au rendez-vous pour le cirque contemporain.

 

Curieusement, alors que la précarité menace, la diversité esthétique se porte bien, « avec une tendance sociétale et militante », indique Yveline Rapeau. Question de génération, les thèmes de l’écologie, du genre, de la sexualité s’offrent des manifestes circassiens.

 

Dans une démarche qui vise la jeunesse, Coline Garcia a ainsi créé le spectacle Boîte noire, qui ausculte les représentations des pratiques sexuelles sous le joug de la domination masculine. « Donner à voir à des enfants et à des adolescents un cirque porté par des femmes est urgent, assure-t-elle. J’entends aussi revaloriser des techniques dites féminines, comme la corde lisse ou le trapèze, qui sont toujours regardées de façon condescendante, notamment par les hommes, qui, eux, à les entendre, prennent plus de risques que nous. » Quant à l’injonction du divertissement, elle entend y résister, pour brandir « un cirque qui a des choses à dire ».

 

Le statut de la femme dans une scène majoritairement masculine évolue lentement. Selon les chiffres donnés en 2020 par le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), seulement 28 % seraient metteuses en piste. En haut de l’affiche, Vimala Pons, Maroussia Diaz Verbèke, Raphaëlle Boitel, Chloé Moglia, mais encore Mélissa Von Vépy ou Fanny Soriano profitent de la voie dégagée par les pionnières Jeanne Mordoj et Marie Molliens. « La situation a changé depuis les années 1980 où ma mère était quasiment la seule dans le cirque, raconte Marie Molliens. On est plus nombreuses, plus valorisées… Mais il faut tout de même dire que les négociations de fond sur les programmations et les budgets restent des affaires d’hommes dans ce milieu. »

 

 

Marie Molliens, qui joue sous chapiteau avec sa compagnie Rasposo, profite d’une belle opération concoctée par Marc Jeancourt, directeur de L’Azimut, à Antony (Hauts-de-Seine) : vingt-quatre dates pour sa pièce Oraison. « J’ai embarqué Les Gémeaux de Sceaux, L’Onde de Vélizy et Le Théâtre de Rungis pour rendre possible cette diffusion », précise-t-il. Une belle manière de se serrer les coudes en mutualisant la facture.

 

 

Festival Spring, jusqu’au 16 avril, divers lieux en Normandie ; Festival Les Utopistes, à Lyon, du 23 mai au 17 juin ; « Time to tell », de Martin Palisse, le 31 mars à Marciac (Gers), les 3 et 4 avril à Albertville (Savoie), le 11 avril à Rennes ; « Oraison », de Marie Molliens, jusqu’au 9 avril, à L’Azimut, à Antony (Hauts-de-Seine).

 

 

Rosita Boisseau  (Cherbourg- Manche) pour Le Monde 

 

Légende photo :  « Boîte noire », de Coline Garcia. VINCENT MUTEAU

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March 17, 2023 5:53 AM
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Avec «les Porte-Voix», les ventriloques veulent libérer la parole 

Avec «les Porte-Voix», les ventriloques veulent libérer la parole  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Ève Beauvallet dans Libération - 15/03/2023

 

 

Yasmine Hugonnet explore la parole des femmes dans un spectacle de ventriloquie au principe palpitant mais à la réalisation trop brouillonne.

 

 

Parmi les éléments de langage du mouvement #MeToo lancés dès 2017, beaucoup impliquent la voix, la façon dont le patriarcat a pu «silencier» celle des femmes au cours de l’histoire et le besoin actuel que les minorités soient enfin «entendues». Au rang des injonctions les plus galvaudées : «libérer la parole» arrive évidemment en tête, suivie de près par «faire entendre nos voix» en luttant contre le «manterrupting», cette manie masculine qui consiste à s’«approprier le discours», à «parler à la place de l’autre». Rétrospectivement, on peut trouver étrange qu’aucun chanteur, musicien, metteur en scène (l’a-t-on loupé ?) n’ait vu plus tôt la mine d’or métaphorique extraordinaire offerte par ces tournures omniprésentes dans le débat public. Mais il aura donc fallu quelques années et le flair fantaisiste de l’artiste suisse Yasmine Hugonnet pour consacrer une pièce entière aux myriades de sous-textes politiques contenues aujourd’hui dans la ventriloquie.

Etres chimériques

Le principe des Porte-Voix est palpitant : tous ces vocables militants sont pris au pied de la lettre. Ici, des voix possèdent les danseurs, s’échappent des enveloppes corporelles, sont lancées comme des balles ou vomies comme des poisons. Elles n’appartiennent à personne, cherchent leur propriétaire. Réunis dans une sorte de grotte en forme de tympans et de lobes d’oreilles, les danseurs se transforment en pythies, oracles ou pantins, courroies de transmission plus ou moins volontaires du message des autres – les autres étant par exemple cette spécialiste de l’histoire de la paléontologie et des représentations de la Préhistoire, Claudine Cohen, qui s’est notamment penchée sur le biais masculin dans nos représentations de la vie préhistorique. Alors, une bouche hurle face au public mais le son sort finalement à l’autre bout du plateau depuis un autre corps, lié au premier comme un circuit électrique.

 

Là sont du moins les illusions que la pièce cherche à faire naître. Elles sont parfois mémorables quand elles accouchent d’êtres chimériques bataillant pour retrouver leur voix. Elles sont parfois plus brouillonnes, tant il semble virtuose – y compris pour de très bons danseurs comme eux – de maîtriser toujours l’impitoyable technique des bruitistes et doubleurs. Et c’est comme si l’acquisition difficile de cette compétence s’était faite au détriment du soin passé à faire le ménage dans cette pièce laissée ici au stade d’intéressante étude laborantine : la mise en bouche paraît trop longue, les pépites trop brèves, le grotesque un peu timide, les pistes certainement trop nombreuses… L’impression, au final, que les curseurs gagneraient à s’ajuster pour que le public saisisse au mieux la fréquence.

Les Porte-Voix, cabaret ventriloque de Yasmine Hugonnet est présenté ce mercredi soir à l’Atelier de Paris, dans le cadre de la Biennale de danse du Val-de-Marne (programmation à découvrir jusqu’au 6 avril). Prochaines dates les 23 et 24 mars à Neuchâtel (Suisse).

 

Légende photo : Des voix possèdent les danseurs, s’échappent des enveloppes corporelles, sont lancées comme des balles ou vomies comme des poisons. (Anne-Laure Lechat)

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March 16, 2023 12:02 PM
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Rencontre avec Adama Diop, star en toute discrétion

Rencontre avec Adama Diop, star en toute discrétion | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley, dans Les Echos 15/03/2023

 

Le comédien franco-sénégalais enchaîne les grands textes et les grands rôles sous la direction des metteurs en scène les plus en vue du moment. Puissance, clarté, simplicité, mais aussi humilité… l'artiste nous raconte son parcours, sa passion raisonnée du théâtre et ses projets à la veille d'incarner Othello à Paris, à l'Odéon.

 

 

Par Philippe Chevilley

Publié le 15 mars 2023 à 15:00

Woyzeck, Macbeth, Lopakhine, dans La Cerisaie, et maintenant Othello : il est impressionnant dans tous les grands rôles du répertoire et les metteurs en scène les prestigieux se l'arrachent. Pourtant Adama Diop n'a pas la grosse tête. L'acteur franco-sénégalais quadragénaire colle parfaitement à l'idée qu'on se fait de l'acteur cool tout au long de notre entretien qui a eu lieu dans un bistrot de Montreuil, sa ville d'adoption. Une rencontre qui ressemble plus à une conversation nourrie qu'à une interview.

Fort de son parcours, on s'imagine qu'il a été très tôt frappé par le virus du théâtre… Et bien, pas du tout. Lorsqu'à l'aube de ses 20 ans, il se voit proposer par l'attachée culturelle de son lycée à Dakar de participer à un festival de théâtre avec un autre étudiant, il y va en traînant les pieds : « Plus pour suivre mon camarade qu'autre chose. Je n'avais pas la vocation. À la base, je voulais devenir journaliste… On dira qu'avec le métier de comédien, j'ai trouvé une autre façon de questionner le monde… »

Le déclic

Dans la foulée du festival, Adama Diop débarque à Montpellier. « C'est là que le déclic a eu lieu. Lors de la visite du conservatoire, un jeune acteur sénégalais, Babacar M'Baye Fall, devenu un ami très proche par la suite, était en train d'apprendre son rôle. Quand je l'ai vu déambuler dans la cour, son texte à la main, je me suis dit : je veux faire ce métier-là. » Un peu plus tard, il est subjugué par La Vie de Galilée, la pièce de Bertolt Brecht mise en scène par Jean-François Sivadier. Cette représentation inoubliable le confirme dans sa voie. Vingt ans plus tard, la boucle est bouclée : le même Sivadier fait appel à lui pour jouer Othello…

 

Rentré au Sénégal, le jeune Adama a choisi : il deviendra comédien en France. Il prépare le concours du conservatoire de Montpellier qu'il intègre en 2002. Deux femmes de théâtre, Marion Aubert et Marion Guerrero, lui mettent très vite le pied à l'étrier en le distribuant dans leurs spectacles. À l'issue de ces deux années, ses proches lui conseillent de passer d'autres concours. Celui de l'école du Théâtre national de Strasbourg par exemple, où il est accueilli chaleureusement par Stéphane Braunschweig, aujourd'hui directeur de l'Odéon. Mais c'est au Conservatoire national d'art dramatique de Paris qu'il parachève sa formation de 2005 et 2008.

« À Montpellier, j'ai appris à être autonome, à être un acteur débrouillard. J'y ai bénéficié d'une grande liberté. J'étais dans l'action, l'apprentissage. Paris a été le temps de la pensée, du questionnement. Qu'est-ce que je veux faire en me consacrant à ce métier ? Je me suis alors essayé à la mise en scène et j'ai créé coup sur coup deux spectacles. »

Rencontres et retrouvailles

Pas besoin de se démener pour trouver du travail. Les metteurs en scène, intrigués et séduits par ce diamant brut, viennent à lui naturellement. « Tout s'est fait projet par projet, au gré de rencontres », explique-t-il modestement. « Certains m'ont sollicité parce qu'ils m'avaient apprécié dans un spectacle ; d'autres à l'issue de conversations dans un café, comme Julien Gosselin ou Frank Castorf. Avec Stéphane Braunschweig, que j'avais rencontré au TNS, ou Jean-François Sivadier, mon premier coup de cœur théâtral, on peut parler de retrouvailles. »

 

Chacun de ces maîtres l'aide à grandir. Adama Diop évoque sa découverte de Brecht et l'intensité des répétitions avec Bernard Sobel (Sainte Jeanne des Abattoirs). Sous la direction de Julien Gosselin et ses spectacles cosmiques inspirés de grandes oeuvres de la littérature (2666et la trilogie Don DeLillo) ou avec Cyril Teste, chantre du théâtre-cinéma (Sun), il prend conscience que « l'acteur fait partie d'un dispositif, où il est plus ou moins au centre ».

 

 

 

Stéphane Braunschweig (Macbeth) le séduit par son intelligence, son obstination « à ausculter chaque vers de Shakespeare, chaque mot pour en exprimer l'essence ». Frank Castorf (Bajazet, Racine) le plonge dans un maelstrom radical, « une forme d'improvisation permanente » où le comédien se débat et triomphe sans filet.

 

Enfin, il apprécie « l'humilité et la bienveillance » de Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du Festival d'Avignon, qui l'a mis en scène dans La Cerisaie de Tchekhov. Adama loue « sa façon de donner simplement des règles du jeu et de laisser toute liberté à l'acteur »… Le comédien s'adapte à tous les registres, à tous les systèmes de jeu. « J'aime bien le double sens du mot interprèteSelon moi, l'acteur a pour mission de traduire la langue du metteur en scène. »

Evidence et clarté

Il est toujours difficile de définir l'art d'un comédien. Notre premier choc date de 2016, lorsqu'il participe à la grande aventure de 2666, l'adaptation en douze heures flamboyantes (vidéo en « live », déluge de musique techno…) du roman de Roberto Bolano par Julien Gosselin. Voix puissante, diction naturelle, charisme… l'acteur brûle les planches et l'écran dans cette fresque où il doit notamment déclamer un monologue en anglais pendant de longues minutes.

 

Philippe Chevilley / Les Echos

 

Vidéo Adama Diop Avignon 2021

 

Légende photo : Le comédien Adama Diop photographié à Montreuil, en février dernier. (©Samuel Kirszenbaum pour Les Echos Week-end)

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March 16, 2023 7:24 AM
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Aux Bouffes du Nord, «Mélisande» a le chant libre 

Aux Bouffes du Nord, «Mélisande» a le chant libre  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre dans Libération - 13/03/2023

 

Revisite épurée de l’opéra de Debussy, la mise en scène de Richard Brunel à la Chapelle sublime la tragédie d’une femme dans un monde d’hommes, avec une Judith Chemla merveilleuse.

 

 

 
 

L’une chante l’autre non, et déjà tout est dit de ce Mélisande, d’après l’opéra écrit par Maurice Maeterlinck et mis en musique par Claude Debussy. L’une chante : Mélisande, qui porte le titre du spectacle quand son beau-frère Pelléas en est déchu. L’autre pas : Golaud, son mari, son roi, qui dit, qui menace et profère sans jamais retrouver sa partition chantée de l’opéra original. Mélisande passe de la parole au chant en toute fluidité, une liberté de «ton» dont elle va payer le prix – à noter les inflexions merveilleuses de Judith Chemla, sa voix parlée au timbre encore proche de l’enfance, sa voix chantée de soprano formidablement théâtralisée. Et dans ce va-et-vient passionnant se raconte la tragédie d’une jeune femme au pays des hommes.

Ils sont trois sur le plateau : Golaud le mari-roi, c’est Jean-Yves Ruf, aux allures de Barbe-Bleue, et Pelléas son demi-frère, jeune amoureux naïf au chant exalté, Benoît Rameau, et puis il y a l’étonnant Antoine Besson, jamais assigné à un seul rôle, tout à la fois médecin, confident, enfant, conteur, bref un merveilleux «homme à tout faire».

 

Une tragédie asthmatique du féminin

L’une chante, l’autre pas : voilà l’interprétation stimulante de l’opéra de Debussy que signent Richard Brunel à la mise en scène et sa dramaturge Catherine Ailloud-Nicolas. Le chant d’une femme contre la profération d’un homme-roi ; alors bien sûr ils ne s’entendent pas. Cette Mélisande est une immense malentendue, asphyxiée dans un décor de chambre de malade : un grand lit que les hommes manipulent, d’énormes bassines de larmes et de feuilles mortes, qui rappelleront à celles et ceux qui l’ont vue que Judith Chemla fut déjà en 2016 sur cette scène des Bouffes du Nord, une autre héroïne empêchée dans Traviata, vous méritez un avenir meilleur, mis en scène par Benjamin Lazar.

 

 

De Traviata à Mélisande, Judith Chemla dessine une tragédie asthmatique du féminin, mais resserrée dans des dispositifs musicaux post-Verdi dans un cas, post-Debussy aujourd’hui. Pas de grandes scènes, pas d’orchestre dans la fosse, tout le monde joue à vue sur le plateau. Ici ils sont quatre musiciens et musiciennes qui jouent un précipité – au sens chimique du terme – de la partition originale avec une anomalie de taille qui lui donne littéralement un autre souffle : l’accordéon de Sven Riondet, puissante proposition de Florent Hubert à la direction musicale. L’instrument se contracte, se déplie, souffle et rejoue sans jamais surligner la difficile respiration de Mélisande.

 

Mais au-delà des arrangements dominés par les percussions de Yi-Ping Yang qui refusent de se laisser aller au lyrisme mélodique propre à Debussy, c’est le rôle de la musique qui trouve ici toute sa place. Que peut au final la musique dans un espace de parole ? La mise en scène répond : la consolation, la protection. Le quatuor de musiciens quitte le fond de scène, apporte leurs instruments au chevet de Mélisande. Couchée entourée de musique, elle peut alors se libérer des injonctions de Golaud qui exige que ses derniers mots disent la vérité sur sa relation à Pelléas. La musique devient un mur derrière Mélisande, qui ne répond plus de rien ; Golaud prend acte : «Où es-tu ? Mélisande ! Où es-tu ? Ce n’est pas naturel ! Mélisande ! Où es-tu ?» Cet homme cherche à voir, mais il n’entend rien ; une femme a encore disparu.

Mélisande, d’après Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck et Claude Debussy, mise en scène Richard Brunel, au théâtre des Bouffes du Nord 75010 jusqu’au 19 mars.
Légende photo : Cette Mélisande (Judith Chemla) est une immense malentendue, asphyxiée dans un décor de chambre de malade. (Jean-Louis Fernandez)
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March 15, 2023 11:25 AM
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Au Mouffetard, à Paris, « La Langue des cygnes » : une adaptation onirique du « Vilain Petit Canard »

Au Mouffetard, à Paris, « La Langue des cygnes » : une adaptation onirique du « Vilain Petit Canard » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Cristina Marino dans "Le Monde" - 15/03/2023

 

La marionnettiste Laurie Cannac et le chorégraphe Andy Scott Ngoua livrent une version du conte d’Andersen où se mêlent danse, musique et langue des signes.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/15/au-mouffetard-a-paris-la-langue-des-cygnes-une-adaptation-onirique-du-vilain-petit-canard_6165559_3246.html

Laurie Cannac, fondatrice, en 1997, de la compagnie Graine de vie, installée à Besançon, a toujours eu un faible pour les contes. Quatre de ses six précédents spectacles sont ainsi plus ou moins librement inspirés de récits de Perrault, d’Andersen et des frères Grimm : Faim de loup (2009), d’après Le Petit Chaperon rouge ; Queue de poissonne (2013), d’après La Petite Sirène ; Blanche-Ebène (2017), d’après Blanche-Neige, et JeveuxJeveuxJeveux ! (2020), d’après Le Pêcheur et sa femme et Rose d’épine. Pour certaines de ces pièces, elle a travaillé en étroite collaboration avec Ilka Schönbein, l’une des grandes figures de la marionnette contemporaine, qui a elle-même adapté à sa façon Les Musiciens de Brême, des frères Grimm, dans son dernier spectacle, Voyage chimère (2021).

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Dans son spectacle « Voyage chimère », Ilka Schönbein fait corps avec ses marionnettes

Pour La Langue des cygnes, son nouvel opus dont la création a eu lieu jeudi 9 mars au Mouffetard-Centre national de la marionnette, à Paris, Laurie Cannac s’est associée pour la première fois à un chorégraphe, le Gabonais Andy Scott Ngoua, pour faire danser sur scène certaines de ses marionnettes. Elle a également choisi de travailler sur la langue des signes française (LSF) comme une forme d’expression artistique à part entière, au même titre que la danse ou la musique. Le spectacle a été conçu dès le départ en version bilingue, français et LSF, grâce à une collaboration avec la comédienne et conteuse sourde Karine Feuillebois et le comédien Igor Casas, traducteur-adaptateur en LSF.

 

 

Pour la partition musicale interprétée en direct sur le plateau, Laurie Cannac a fait appel à Adri Sergent, multi-instrumentiste et compositeur, qui parvient à créer un environnement sonore particulièrement réussi, conçu pour partie avec l’auteur-interprète Kôba Building, alliant mélodies traditionnelles et rythmes contemporains. Enfin, la vidéo occupe une place importante au début du spectacle grâce aux images filmées par le cinéaste Fabien Guillermont.

Une grande poésie

De ce mélange de disciplines naît un spectacle d’une grande poésie, quasiment sans paroles, fondé uniquement sur la puissance des images et l’expressivité des corps. En particulier celui du danseur et interprète principal, Andy Scott Ngoua, qui occupe l’espace scénique. Il alterne les solos de danse et les duos avec des marionnettes portées, auxquelles il prête parfois des parties de son propre corps. L’un des passages les plus réussis sur le plan visuel et esthétique est celui où un masque peint à même le dos de l’artiste s’anime au moindre mouvement de muscle pour donner vie à un monstre terrifiant.

 

De même, les deux extraits vidéos du début sont particulièrement efficaces : ils mettent en scène la comédienne Karine Feuillebois – filmée en gros plan, notamment au niveau de ses mains qui signent – dans le rôle de la mère du Vilain Petit Canard, d’abord aimante puis qui finit par rejeter son propre enfant sous la pression de la société.

Laurie Cannac, qui tire dans l’ombre les fils de l’histoire, n’apparaît sur scène en pleine lumière que pour un final de toute beauté

Laurie Cannac, quant à elle, manipule, souvent de façon cachée, sous un drap ou derrière une tenture, d’autres marionnettes, notamment un étonnant duo, façon culbuto, d’enfants jouant et se chamaillant continuellement, ou un trio de têtes curieuses et bavardes. Toutes constituent autant de rencontres et d’étapes sur le long parcours du Vilain Petit Canard vers son ultime métamorphose en un cygne majestueux.

 

La marionnettiste et metteuse en scène, qui tire dans l’ombre les fils de l’histoire, n’apparaît sur scène en pleine lumière que pour un final de toute beauté. Elle y rejoint son complice de création, Andy Scott Ngoua, pour un virtuose numéro de danse et marionnette, l’une portant les ailes et l’autre la tête de ce caneton, rejeté de la basse-cour par sa mère, enfin devenu cygne au terme d’un éprouvant périple initiatique.

 

La Langue des cygnes, par la compagnie Graine de vie. Mise en scène et marionnettes : Laurie Cannac. Interprétation et chorégraphie : Andy Scott Ngoua. Musique originale : Adri Sergent. Jeu en langue des signes projeté : Karine Feuillebois. Le Mouffetard – Centre national de la marionnette, 73, rue Mouffetard, Paris 5e. Jusqu’au 22 mars.

 

Présentation vidéo du spectacle

"La langue des cygnes"

 

 

 

Cristina Marino

 

 

Légende photo : Andy Scott Ngoua et Laurie Cannac dans « La Langue des cygnes ». YVES PETIT

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March 14, 2023 6:14 PM
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Le festival Spring fait son cirque divers

Le festival Spring fait son cirque divers | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Gilles Renault pour Libération, envoyé spécial à Cherbourg 14/03/23

 

 

Pour sa quatorzième édition, l’événement normand propose jusqu’au 16 avril une soixantaine de spectacles, qui font la part belle aux femmes, dont le tandem imaginatif de «la Boule».

 

Transgressant le mutisme du spectacle, les deux artistes se parlent, comme indifférentes au public installé sur les bancs du dispositif bifrontal. «Je glisse», dit l’une, en s’efforçant de garder le sourire. «Ça va ?» s’inquiète sa partenaire. «Je transpire des bras», répond la première. Puis, après une courte pause, le tandem entravé reprend sa marche laborieuse, dans le petit espace circulaire qu’il va ainsi arpenter trois quarts d’heure durant. «Jouer avec l’épuisement», «créer des formes biscornues, tordues» aux dénominations évocatrices («la mêlée», «Tournicuni», «cul de chatte», «le centaure», «la guêpe»…), «donner l’illusion qu’il manque quelque chose ou justement qu’il y en a trop»… A peine sorties des écoles de cirque (dont l’emblématique Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne), où elles étaient branchées roue Cyr pour l’une, trapèze pour l’autre, les ambitions de Liam Lelarge et Kim Marro, 22 ans chacune, sont clairement énoncées, et tendent à ériger la parcimonie (aucun décor ni accessoire) en vertu cardinale.

 

Soit l’impérieuse connivence de deux copines – mimétiques jusque dans la panoplie et la coiffure – qui décident de faire un bout de chemin ensemble en enchevêtrant leur corps pour, entre portés et transferts de poids, orchestrer une procession de siamoises, arthropodes ou créatures chimériques, convoquant aussi bien les «monstres» de Tod Browning, que le bestiaire de la mythologie.

 

Focus flamand

Modeste attelage démontrant que l’artisanat conserve de solides arguments, la Boule donnait, le 9 mars, le la féministe de la quatorzième édition de Spring, «festival international des nouvelles formes de cirque» qui, un mois et demi durant, quadrille la Normandie par le biais des deux pôles associés de part et d’autre du territoire, la Brêche, à Cherbourg, et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf.

 

 

Evénement national majeur, Spring enquille cette année une soixantaine de propositions différentes – dont dix créations – dans à peu près autant de lieux. Caractérisé par un fil rouge titré «Conquête de l’espace» et un focus flamand agrégeant trois collectifs, l’événement consacre par ailleurs deux portraits à des artistes passés du plateau à la mise en scène, Clément Dazin et Coline Garcia. La veille de la Boule, cette dernière – qui via sa compagnie, SCoM, s’adresse plus spécifiquement au jeune public – présentait d’ailleurs Boîte noire. Un spectacle hybride, a priori à destination des ados, avec de la musique live, de la danse, de la vidéo, beaucoup (trop) de texte et quelques numéros anodins (hormis ce moment où une acrobate escalade la projection géante sur un écran d’une statue antique d’Apollon, en s’agrippant à sa cuisse, son sexe ou son bras), dans lequel quatre jeunes femmes questionnent avec des mots tour à tour crus et poétiques la sexualité féminine. Un exercice en forme d’état des lieux, voire de réquisitoire, fondé sur l’observation des réseaux sociaux (mirages du porno, diktat des apparences…) et, homos comme hétéros, des rapports de séduction biaisés qui en découlent.

Implication croissante des circassiennes

Observable depuis une bonne dizaine d’années, l’implication croissante des circassiennes, dans les écoles comme sur scène, n’est pas une découverte. Il n’y a même plus débat, selon Yveline Rapeau, la directrice de Spring, qui, récusant tout dogmatisme, constate juste «une forte poussée qui s’inscrit désormais dans la durée». «Plus récente, en revanche, ajoute celle qui a entamé en 2021 son second et dernier mandat à la tête des deux pôles normands. Semble la montée en puissance de réflexions autour du genre, de l’orientation sexuelle et bien sûr de l’écologie. Ce qui ne fait jamais que confirmer la fonction de sémaphore de la jeune création.»

 

 

Festival Spring, en Normandie, www.festival-spring.eu, jusqu’au 16 avril. «La Boule», de Liam Lelarge et Kim Marro, en tournée à partir de mai (St-Leu, Lyon, Rennes…)

 
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March 13, 2023 6:09 AM
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Pour les théâtres, «la crise de l’énergie exacerbe un déraillement en cours»

Pour les théâtres, «la crise de l’énergie exacerbe un déraillement en cours» | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 12/03/2023

 

 

Confrontées à des frais d’électricité et de chauffage exorbitants, les scènes françaises tentent de survivre. Face à un soutien jugé insuffisant du ministère de la Culture, certaines sont contraintes de fermer temporairement ou de réduire le nombre de productions.

 
 

C’est une crise qui vient réveiller un mauvais état général, et qui, par l’ampleur de ce qu’elle déclenche, semble ne plus rien avoir de conjoncturel, c’est-à-dire limité dans le temps. Une crise vécue par tout un chacun, celle de l’inflation du coût de l’énergie, mais qui laisse exsangue la majorité des théâtres et les opéras placés dans une situation catastrophique. Lesquels sont face à une équation imprévue : où donc dénicher les centaines de milliers d’euros de frais d’électricité et chauffage supplémentaires dans un budget de fonctionnement qui s’érode chaque année ? S’agit-il d’étrangler celui dédié à l’artistique ?

 

Le 6 mars, le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), principal syndicat des scènes nationales et centres chorégraphiques, adressait une supplique au ministère de la Culture et au gouvernement : «N’éteignez pas les lumières sur le spectacle vivant.» La pétition a déjà accueilli plus de 7 300 signatures en une poignée de jours. L’exigence n’est cependant pas uniquement financière. Le texte dénonce des budgets alloués à la création artistique qui ne cessent de «s’assécher» tandis que les «injonctions» diverses et les frais de fonctionnement s’accroissent. «Comment faire plus avec moins ? Comment continuer à créer des spectacles, faire venir plus de publics, initier davantage de médiation avec moins d’argent, moins de personnel, moins de temps ? Mais surtout comment le secteur de la culture peut-il accompagner les mutations de notre société ?»

 

«Du sparadrap sur une plaie béante»

Le président du Syndeac, Nicolas Dubourg, tonne : «Cela fait huit mois qu’on alerte le gouvernement sur la catastrophe à venir. Les subventions sont en baisse ou en budget constant donc, au premier choc, face à l’inflation, on décroche. C’est toute la politique culturelle mise en place depuis soixante-dix ans qui risque de s’effondrer…»  Certes, la ministre de la Culture vient de proposer aux dix lieux les plus touchés par région, une mesure compensatoire d’à peu près 10 % du déficit, soit une enveloppe globale de 3,5 millions  la quasi-totalité des scènes n’étant par ailleurs pas éligibles aux mesures mises en place en 2022 pour les entreprises. «C’est une aide ponctuelle qui règle 10 % de l’ardoise, ajoute le syndicaliste, alors qu’il y a un problème structurel lié à des décennies de désinvestissement lié à la difficulté de considérer les scènes subventionnées comme un service véritablement public.»

Concrètement, et de manière inédite, un certain nombre de lieux conventionnés n’ont pas d’autres choix que d’assumer une fermeture temporaire durant un temps variable en hiver. C’est notamment le cas du Chêne noir à Avignon, qui présente des spectacles toute l’année, et qui pour la première fois depuis sa création en 1967 a décidé d’annuler 60 % de sa programmation hors festival. «On fait face à une augmentation non budgétée de 100 000 euros de frais d’électricité et chauffage, alors même que quinze jours plus tôt EDF nous promettait des prix plafonnés. On a annulé en catastrophe des spectacles, en laissant des dizaines d’artistes et de techniciens sur le carreau. On supprime des résidences, on résilie la location d’un hangar pour les décors, on vend une photocopieuse…» explique le directeur du théâtre Julien Gelas, visiblement ému. Des économies de bouts de chandelle afin d’éviter des licenciements dans l’équipe permanente.

 

 

Si l’aide du ministère de la Culture débloquée en urgence compense pour moitié les pertes, l’avenir immédiat du théâtre dépend du festival d’Avignon 2023 qui lui permettra d’engranger à nouveau des fonds propres. «Sans évolutions majeures, les secours ponctuels sont des bouts de sparadrap sur une plaie béante», estime Julien Genas, au bord du crash. Des bouts de sparadrap d’autant plus aptes à se décoller «qu’on attend encore du ministère et des collectivités, une rénovation thermique des établissements qui pour beaucoup d’entre eux sont des passoires», pointe une bonne connaisseuse des théâtres. L’ensemble de nos interlocuteurs ont en effet bien conscience que la crise énergétique pas près de se résorber pourrait être l’ultimatum qui invite enfin à une transition écologique en actes et à la consommation d’énergies alternatives (notamment la géothermie).

«Peau de chagrin»

Stéphane Gil codirige le théâtre de la Cité à Toulouse, grand bâtiment mal isolé de la fin des années 90, 11 000 mètres carrés, en activité 330 jours par an. Il a lui aussi décidé de fermer l’établissement du 15 décembre 2023 au 15 janvier 2024 afin d’éviter la facture fatidique. Durant ce mois, les trois salles seront louées à des comités d’entreprise et surtout à un autre théâtre en travaux qui pourra ainsi présenter des spectacles. Le directeur ne s’est cependant pas laissé surprendre par le désastre car, dès juillet 2022, son fournisseur de gaz «qui ne propose que de l’énergie verte» lui a annoncé que la facture passerait de 40 000 euros par an à 200 000 ou 300 000 euros l’année suivante, et que la note d’électricité de 70 000 euros en 2021 s’élèverait à 190 000 euros en 2022. «On savait que si on ne changeait rien, on devrait assumer moins 300 000 euros de perte.» Le directeur et son équipe ont donc convenu d’un plan d’attaque et surtout d’une «réécriture du projet» avec une réflexion sur leurs fondamentaux. «Pour ne pas être anéanti par la crise, on a réfléchi à ce que nous souhaitions à tout prix protéger, transformer ou geler. Qu’est-ce qu’on doit changer pour pouvoir garder le même nombre de levers de rideau ? On remontait à peine la pente du Covid…» Stéphane Gil a diminué d’un tiers le nombre de pièces programmées, en privilégiant celles dont le théâtre de la Cité est coproducteur, en passant de 45 titres par an à 30, mais, hypothèse intéressante car pérenne, il a décidé d’augmenter le nombre de représentations de chacun des spectacles joués. Ce qui mine de rien, tout en réduisant les coûts de transports et de démontage de décors (donc de l’impact carbone), constitue un changement de modèle : «Jusqu’à présent, lorsqu’on présentait un spectacle, on évaluait le nombre de représentations en estimant le taux de remplissage de la salle. Ce qui impliquait de proposer peu de dates, dans une salle très remplie, avec un public qui ne se renouvelle pas, car le bouche à oreille n’a pas le temps de fonctionner. Aujourd’hui, on fait le pari inverse d’un taux de remplissage qui serait moindre mais en laissant à chacun des spectacles le temps de s’installer, d’acquérir une maturité.»  Stéphane Gil a prévenu les tutelles qu’il ne fallait plus tabler sur une fréquentation optimale et obtenu leur plein accord. Le théâtre a obtenu l’aide in extremis du ministère, et le directeur ne cache pas sa reconnaissance. Le mois où les salles seront louées, les pièces coproduites se joueront hors les murs.

 

 

Dans la très grande majorité des cas, les artistes constatent à l’inverse que l’inflation provoque une diminution du nombre de levers de rideau – ce qu’on nomme les «séries». Une crise de la diffusion déjà soulignée dans un rapport accablant de la Cour des comptes mais qui s’accentue et qui touche même les grosses machines du théâtre public, très bien loties et avec des «stars». Comme le comédien Nicolas Bouchaud, qui remarque que «même pour une production comme Othello mise en scène par Jean-François Sivadier, on joue deux représentations de moins dans chaque ville qu’il y a quelques années avec un spectacle de même ampleur. Dans les scènes nationales, on ne joue que deux fois. Toutes les directrices et tous les directeurs nous expliquent que le prix de l’énergie grève leur budget». L’acteur sait bien qu’il est privilégié. Et pourtant, assène-t-il, «tout le monde est asphyxié par l’absence de politique culturelle. Depuis des années, le coût de fonctionnement des lieux décuple et comme les subventions n’augmentent pas, l’argent alloué à l’artistique se réduit comme peau de chagrin. La crise de l’énergie ne fait qu’exacerber un déraillement en cours, où l’on produit beaucoup et diffuse très peu les spectacles». La durée brève des séries, juge-t-il, a pour effet de laisser le théâtre «dans une niche» où seuls les habitués se déplacent. «Quand on ne joue qu’une semaine, on confirme l’entre-soi. Je me souviens que lorsqu’on jouait longtemps, au bout de vingt représentations, on voyait arriver des spectateurs qui n’avaient pas l’habitude d’aller au théâtre.» Même constat du metteur en scène et auteur David Lescot, dont la dernière création, la Force qui ravage tout, s’est pourtant jouée à Paris à guichets fermés : «Les négociations avec les théâtres sur chaque date de tournée sont beaucoup plus serrées. Les transports notamment sont un sujet sensible. Il nous arrive même de compenser la hausse pour pouvoir jouer…»

Des compromis impossibles

Si même une tête d’affiche ressent les effets de la crise, on n’ose imaginer ce qu’il en est pour les artistes débutants, ou moins reconnus. «Une catastrophe, confirme Nicolas Dubourg. Il n’est pas rare aujourd’hui qu’on demande aux compagnies de sacrifier un décor ou des interprètes. Mais il y a une honte, autant pour les producteurs que pour les artistes, d’avouer ces lâchages et pressions.»  Marine Bachelot Nguyen de la compagnie les Lumières d’août, qui vient de créer Nos Corps empoisonnés et dont plusieurs spectacles tournent, a eu la drôle de surprise de constater que ses dates s’évanouissaient après le premier semestre 2023, à la manière d’un champ de vision qui s’obstrue. Après un excellent début, puisqu’elle a joué près de 55 fois son spectacle les mois précédents… Pas de lieux disponibles ? Pas de problème, certaines de ses pièces sont conçues pour pouvoir être montées en appartement, une manière radicale de régler le problème de la diffusion et qui suscite une autre relation à un public toutefois hyper restreint.

 

 

Adrien Béal, metteur en scène à la tête de la compagnie Théâtre déplié, a lui aussi la chance de concevoir des spectacles dont la scénographie, costumes chinés chez Emmaüs compris, tient dans le coffre d’un utilitaire. En revanche, il n’est pas près de lésiner sur le nombre d’interprètes au plateau. Pour lui et son équipe, la crise de l’énergie suscite paradoxalement des tournées très  «éparpillées»  donc dévoreuses de carbone, «alors qu’on est ou était très attentif à la cohérence de nos déplacements». Il poursuit : «On sent plus que jamais, qu’il est plus facile de programmer une nouveauté qu’un spectacle qu’on a à peine montré et qui risque de mourir sans avoir vécu, nos subventions de compagnie étant indexées sur nos créations. Les directions des lieux se soumettent à des taux de remplissage de plus élevés. On nous demande donc de jouer dans des petites jauges, avec une rotation des spectacles de plus en plus rapide.»

 

 

Accepte-t-il l’injonction de créer des petits spectacles avec peu d’acteurs ? Il détaille les points sur lesquels les compromis sont impossibles : «Je tiens au temps de répétition et de maturation du projet. En revanche, je peux accepter de rejouer pour une date unique un spectacle qu’on n’a pas représenté depuis très longtemps, ce que j’aurais refusé auparavant. Cela suppose qu’on prenne en charge sa remise à pied.» Quitte à jouer à perte. Il conclut : «La crise a une influence sur le théâtre qu’on fabrique. Sur les esthétiques, sur la manière dont on considère le jeu de l’acteur, car on se dit que le spectacle n’aura pas le temps de mûrir.

 

Aujourd’hui, il vaut mieux qu’ils soient très bons au démarrage quitte à s’user vite, plutôt qu’ils mûrissent petit à petit. Or, l’art de l’acteur est comme un muscle. On ne peut pas le laisser à l’abandon.» Pour lutter contre cette déshérence plus générale et dispendieuse, le Syndeac et l’Association des centres dramatiques nationaux (ACDN) appellent à s’agréger afin de s’imaginer après la diffusion de la pétition, un second acte : la conception d’une politique culturelle ?

 

Anne Diatkine / Libération 

 
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March 10, 2023 10:40 AM
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Rémi, une quête d'identité

Rémi, une quête d'identité | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Guillaume Lasserre dans son blog - Article publié en décembre 2019 lors de la création à Nanterre-Amandiers

 

Jonathan Capdevielle se saisit du récit d'Hector Malot pour composer un voyage initiatique subtilement traversé par des problématiques contemporaines. «Rémi» est rythmé par les obsessions du metteur en scène dont on retrouve l'univers poético-folklorique. Du théâtre autobiographique au spectacle jeune public, Jonathan Capdevielle n’en finit pas de nous transporter.

 

Le plateau est vide. Un jeune garçon en culottes courtes s'installe entre les deux pans du rideau entrouvert. Il rentre de l'école et s'apprête à gouter, l'oreille attentive à la radio qui diffuse un entretien avec un jeune chanteur ponctué çà et là de ses propres tubes. Parmi ceux-ci, le fameux "Sur ma route", emprunté pour l'occasion au chanteur Black M, est parfaitement choisi tant les paroles semblent coller à la peau de Rémi, raconter son histoire. Le public comprend très vite que le chanteur dont la radio dresse le portrait est la transposition de l'enfant qui l'écoute, s'écoute sans le savoir. Pour introduire la pièce, Jonathan Capdevielle nous place au coeur d’une ellipse. Le début est aussi la fin. L'histoire se répète continuellement. Avec cette adaptation libre de "Sans famille" d'Hector Malot, il s'adresse pour la première fois au jeune public. Si le choix des costumes et l'absence de scénographie – obligeant les comédiens à inventer l'espace de fiction  –  rendent le récit intemporel, les thèmes sociétaux abordés révèlent son ancrage dans le présent. Comme dans ses pièces précédentes, les comédiens endossent plusieurs rôles et identités, inventant une foule de personnages avec un minimum d'interprètes.

 

Le petit théâtre du derrière

 

 L'entrée en scène bienveillante de la mère l'instant d'après indique la proximité qui les unit. Lorsqu'elle l'interroge sur son œil au beurre noir, Rémi répond que des garçons l'ont trouvé un peu trop maniéré,  comme le sont les filles. Au détour de ce simple échange, l'auteur introduit une réflexion sur le genre,  la non binarité. Pas de grand débat, juste une courte séquence en apparence anodine, qui inscrit l'incident dans le partage par la parole plutôt que dans la honte et le secret. Par petites touches discrètes, Capdevielle ponctue le récit d'éléments faussement naïfs – rien n'est là par hasard – renvoyant à des problématiques sociales contemporaines. La danse endiablée à laquelle se livre la mère dans la scène suivante suffit à désamorcer le potentiel drame, fixant le récit oral de l'évènement dans la norme. Le retour inattendu du père va briser cette relation filiale. On apprend sa violence peu avant, au détour d'une réflexion grinçante de la mère indiquant à Rémi les bleus que lui donnaient son père. La violence domestique s'invite dans le récit, à nouveau au détour d'une phrase. Ouvrier sur un chantier parisien, il a été victime d'un accident du travail, ce qui explique son retour soudain. S'il s'accuse de maladresse, on devine très vite que les conditions de travail sont à la limite de la légalité. La précarité nouvelle transforme les prolétaires en forçats du travail.  "Si Paris m'a changé, Paris m'a bousillé" déclare-t-il. Sans doute faut-il interpréter ici l'assertion dans un double sens, à l'accident physique du père répondrait une mise à nu autobiographique. Le père, surpris par la présence de Rémi qu’il croyait depuis longtemps à l‘orphelinat – suggérant par là-même que son absence a duré des années –, se querelle violemment avec la mère. C'est ainsi que Rémi apprend, couché dans son lit, sa chambre occupant la pièce d'à côté, qu'il a été adopté. On le voit alors se rapprocher de sa mère, son sac à dos enfoncé sur la tête, la recouvrant totalement. Etrange et magnifique scène à la poésie bouleversante.  Le lendemain, celui qui était hier encore son père le conduit en ville où il croise la route de Vitalis (subtilement incarné ici par Babacar M’Baye Fall) et de sa troupe. Le deal est rapidement conclut. Le lendemain, après un ultime baiser à celle qui fut sa mère, Rémi quitte son village pour une nouvelle vie. Le soir même, il se présente avec ses nouveaux acolytes devant le public, son costume de scène arbore un gilet jaune. A nouveau, le hasard n'a pas sa place ici. Pour les artistes devant attirer l'attention de la société, "le paraitre est parfois nécessaire" précise Vitalis. Plus tard, la troupe sera confrontée aux gendarmes, dont le familier accent du sud-ouest ne suffit pas à faire retomber l'inquiétude et la peur qu'ils engendrent lorsqu'ils ordonnent de museler les bêtes, traitant Joli-coeur de macaque. Quel spectacle peuvent bien donner à l'imagination des villageois un vieux saltimbanque noir accompagné d'un jeune garçon et flanqué d'animaux de foire? Vitalis, arrêté, écope de deux mois de prison. L'exécution de la peine est immédiate.

 

Dans toutes les pièces de Jonathan Capdevielle, l'enfant joue un rôle particulier. Il se positionne comme spectateur ou acteur de ce qui se passe, pour mieux révéler la complexité du monde des adultes. "Dans mes créations, l’enfant tient une place importante. ‘Adishatz/Adieu’, ‘Saga’ et ‘A nous deux maintenant’ font toutes, directement ou indirectement, référence à l’enfance. Les souvenirs d’enfance sont souvent moteurs dans mon processus d’écriture de dialogues ou de récits. Notamment dans Saga, pièce construite à partir de matériaux issus de la mémoire et qui met en scène les souvenirs personnels." rappelle Jonathan Capdevielle (Note d'intention, septembre 2018). Ce premier spectacle destiné au jeune public lui permet d'explorer en les questionnant l'apprentissage et la construction de soi. "Sans famille", le roman d'Hector Malot, qu'il découvre à la télévision en 1990 par le biais de son adaptation manga, semble le récit idéal, réunissant tous les ingrédients nécessaires à cette réflexion. Quel autre texte en effet évoquerait-il tout aussi bien la quête d'identité que l'art comme métier ?  

 

L'acte artistique contre la fatalité 

 

"Rémi" est constitué de deux épisodes : le premier est une pièce de théâtre interprétée par des comédiens sur scène, tandis que le second est une fiction radiophonique à écouter à la maison, à l'école ou encore au théâtre, dans les chambres d'écoutes mises à disposition du public – un CD est remis à chaque spectateur à la fin de la représentation. Dans le roman d'Hector Malot, Rémi est vendu à un saltimbanque nomade qui, accompagné d'un chien et d'un singe savants, va lui inculquer l'art du spectacle, notamment le chant, formation qui ici le conduira aux portes de la gloire, comme il l'évoque à la radio au début de la pièce, rendant un hommage appuyé à son maitre, Vitalis. Rémi n'est pas sans famille, bien au contraire. C'est avec sa deuxième famille qu'il parcourt la France, se produisant dans les villes et villages qu'il traverse. Ce périple constitue un voyage initiatique dans lequel l'adolescent découvre, à travers les nombreuses rencontres avec divers personnages, les joies, le bonheur, mais aussi les peines, la mort à laquelle il sera confronté tout comme l'amour. Petit à petit, les protagonistes costumés, souvent masqués, quittent le plateau pour ne laisser entendre que leurs voix. Elles deviennent des empreintes. Jonathan Capdevielle les laisse entendre alors qu'ils ne parlent plus, comme si l'on entendait soudain leurs pensées, ou encore comme s'ils étaient les marionnettes du ventriloque. L'invention de ce décrochage poétique et formel autorise l'environnement sonore à prendre le pas sur le visuel, conduisant à la fiction radiophonique. La pièce place la transmission comme l'élément central de la relation de Rémi à Maitre Vitalis. L'attachement à l'acte artistique est ici un moyen de survie à la fatalité.

L'univers folklorique de l'auteur traverse la pièce par petites touches. C'est la tenue agrémentée de bottes blanches que porte le chien Capi (qui ici semble avoir fusionner avec Dolche, une petite chienne blanche assez discrète ; dans le roman d'Hector Malot, Vitalis est accompagné non pas d'un, mais de trois chiens), lui conférant une silhouette étrangement sensuelle, à mi-chemin entre un chaman et une majorette, qui fait songer au personnage de Virginie, la copine à l'alcool triste dans "Adishatz Adieu", spectacle dans lequel l'artiste revenait sur son adolescence pour mieux lui dire adieu. C'est cet air de chanson paillarde venu tout droit de son pays basque natal ; c'est cet employé du port de Sète annonçant avec un imposant accent du sud les prochains départs de bateaux à la manière d'un agent de la SNCF ; c'est Rémi manipulant les marionnettes de Joli-coeur et de Capi lors de son séjour à bord du bateau affrété par une dame anglaise (formidable Michèle Gurtner !) pour le repos de son fils, Arthur, "un enfant pas comme les autres", gravement malade, le visage disparaissant entièrement derrière un large masque, qui rappelle dans un étonnant effet de miroir le Jonathan Capdevielle ventriloque des pièces de Gisèle Vienne. Tout doucement, le metteur en scène installe les personnages d'Hector Malot dans son intimité. Tous les spectacles de Jonathan Capdevielle sont des mises en abime à chaque fois renouvelées. Les pointes d'humour, souvent à contre-temps, viennent désamorcer une certaine mélancolie, annihilant toute lourdeur. A l'issue de la toute première représentation de Rémi, on entend : "Tu crois qu'il en faisait du jeune public Patrice Chéreau?", vrai faux aparté avec le public qui devient le complice du metteur en scène, le confident amusé de ses pensées introspectives. Une sorte de fulgurance poétique transperce la pièce comme cet orage aux éclairs de néons qui s'abat soudain sur les protagonistes, comme la leçon d'imagination d'Arthur ou encore la troublante beauté des costumes et des masques, à la fois étranges et sublimes, ils dégagent une inquiétante étrangeté.

 En proposant au public d'emporter la seconde partie du spectacle chez soi, Jonathan Capdevielle offre, à travers l'écoute audio de la fiction, la possibilité de prolonger le spectacle vu sur scène en l'enrichissant d'autres imaginaires. Dans l'intimité de la maison, le souvenir des personnages, dont on retrouve les voix maintenant si familières, s'estompe de plus en plus. Le dispositif est destiné à repousser les limites imposées par le théâtre pour inventer un nouvel espace en se focalisant sur le son, propice à l'apparition d'une multitude de personnages imaginaires.  Le basculement de l'image vers le son est amorcé dans le spectacle sur scène pour être effectif à la fin de la représentation. Ainsi, Jonathan Capdevielle s'empare admirablement de ce classique de la littérature enfantine, se l'approprie, l'adapte à sa mesure pour finalement en gommer au fur et à mesure les aspects visuels et offrir en partage un environnement sonore dans lequel petits et grands deviennent à leur tour les metteurs en scène de leur imaginaire."Je ne sais pas d'où je viens mais je sais où je vais" conclut Rémi, faisant ainsi le choix de la liberté.

 

Guillaume Lasserre 

 

 

Spectacle vu à Nanterre-Amandiers.

 

Repris en mars 2023 à la Commune CDN d'Aubervilliers : https://www.lacommune-aubervilliers.fr/saison/22-23-remi/

 
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March 26, 2023 4:13 PM
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«Kaldûn, requiem ou le pays invisible», le chant libre, une création d'Abdelwaheb Sefsaf à Nouméa

«Kaldûn, requiem ou le pays invisible», le chant libre, une création d'Abdelwaheb Sefsaf à Nouméa | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Jacques Denis, envoyé spécial à Nouméa (Nouvelle-Calédonie) et photo Nicolas Petit  publié le 26/03/2023

 

 

La création «in progress» d’Abdelwaheb Sefsaf, évocation vivante de la mémoire de trois tragédies liées à la Nouvelle-Calédonie, donne lieu à un spectacle musical, entre tradition et futur à composer. A découvrir au festival Détours de Babel

 

 
 

La voix d’un récitant perce sous les étoiles et le chant des cigales. «Ceci est le commencement d’un spectacle qui s’appelle Kaldûn, requiem ou le pays invisible. “Kaldûn”, c’est le nom donné à la Nouvelle-Calédonie par les Algériens déportés en 1871. “Requiem”, c’est une prière, un chant pour les morts dans la liturgie catholique. “Le pays invisible”, c’est la représentation de la mort, dans le discours cérémoniel kanak.» C’est le metteur en scène Abdelwaheb Sefsaf qui parle. Egalement musicien et auteur de cet ambitieux projet qu’il porte depuis plusieurs années, qui prend tout son sens face à un parterre posé sur des nattes ou à même l’herbe grasse de l’agora de Hienghène, un village situé à près de six heures de route de Nouméa.

 

 

Au cœur de la verdoyante côte Nord-Est de la Nouvelle-Calédonie, le fief de la culture kanake fut le terroir natal de Jean-Marie Tjibaou, martyr de la cause indépendantiste. Non loin de là, à Tiendanite, dix militants, dont deux frères de Tjibaou, furent assassinés en 1984. Kaldûn, requiem ou le pays invisible évoque cette tragédie, comme il parle des sans-terre, ceux de la «sous-France» pour paraphraser le texte d’Abdelwaheb Sefsaf.

 

Sur la vaste esplanade du centre culturel Goa Ma Bwarhat de Hienghène, cernée de totems à l’effigie des 24 tribus locales, pas de concurrence de mémoires, mais une convergence des histoires : au printemps 1871, la Commune se termine dans un bain de sang et les survivants sont condamnés au bagne ; au même moment, le cheikh el-Mokrani prend la tête d’une insurrection en Algérie, matée par les occupants qui condamnent au bagne certains des insurgés ; 1871, toujours, la France met en place le «permis d’occupation des terrains domaniaux» qui entraîne une spoliation des terres autochtones avec pour conséquence, sept ans plus tard, la révolte kanake, elle aussi matée, la tête du chef Ataï devenant trophée exposé à Paris.

 

Au pays de la patience, ce requiem prend les traits d’un réquisitoire contre la colonisation, dont les galères demeurent bien présentes en Nouvelle-Calédonie comme dans les cités de la France périphérique. «Ce projet raconte la même histoire que la nôtre. L’Algérie, c’est comme la Kanakie», tranche Albert, quinquagénaire qui fut à la fondation de Bwanjep, groupe phare du kaneka, mouvement musical lancé au début des années 80. Avec trois compères, il a rejoint la création musicale en train de s’élaborer ici, y ajoutant leurs polyphonies et percussions à base de fougères frottées ou d’écorces frappées.

«Réparer c’est raconter»

Leader du groupe Dezoriental et directeur de la compagnie Nomade in France, Abdelwaheb Sefsaf s’est beaucoup documenté, multipliant les voyages en Nouvelle-Calédonie et en Algérie. Tout a commencé avec Kabyles du Pacifique, ouvrage de Mehdi Lallaoui. C’est en le lisant que Sefsaf a appris que Louise Michel s’était fait la porte-parole des Kanaks et des Kabyles. Depuis, Sefsaf est intarissable sur le sujet. «Réparer, c’est raconter. C’est le sens de cette histoire. Au-delà de toute idée de repentance, cet état des lieux est nécessaire pour construire un futur», insiste celui qui, entre deux notes de musique, parle de «la France du dessous, celle des Fatima, Huong, Mohamed, Fatoumata, Simane.» Toute concordance avec l’actualité n’est pas fortuite.

Pour donner corps et âme à ce «geste politique», le metteur en scène coutumier a sollicité l’ensemble vocal Canticum Novum, qui réinvestit depuis 1996 des répertoires de musique ancienne, afin de tisser des liens entre l’Europe occidentale et le bassin méditerranéen. «J’ai découvert un instrumentarium, qui permet d’ancrer non dans la réalité, mais dans un fantasme, hors de toute temporalité. Pour toucher le public, il faut qu’il y ait une dimension poétique, susceptible d’apaiser le propos. D’ailleurs, lors des premières représentations, tout le monde a adhéré, loyalistes comme indépendantistes. Il faut sans doute venir d’ailleurs pour y parvenir», tempère Sefsaf, qui a composé la trame musicale avec Georges Baux, fidèle complice depuis trente ans.

 

Tout à l’oreille, ce qui n’est pas pour déplaire à Emmanuel Bardon, qui pilote Canticum Novum et a fondé voici dix ans l’Ecole de l’oralité, structure de création et de médiation culturelles établie à Saint-Etienne. «Même si j’allais dans l’inconnu, j’ai tout de suite été emballé par le sujet», assure ce dernier, qui tient dans cette pièce musicale un rôle de chanteur lead. Il a en revanche demandé au percussionniste Henri-Charles Caget de retranscrire les notes d’intention sur partition, puis de proposer des pistes d’arrangements. Lesquelles s’affinent en toute collégialité à mesure des trois semaines passées par cette troupe en Nouvelle-Calédonie. «Le but est de se détacher des partitions pour revenir à l’oralité», admet Emmanuel Bardon.

«Nos morts appartiennent à tous»

A partir de ces mémoires entremêlées, ils ont donc créé un répertoire, avec parfois des instruments exogènes à ces univers, à l’image du nyckelharpa, une antique vièle suédoise, ou du bon vieux tuba. Création impure ? Colonialisme musical ? Non, Bardon est catégorique : «C’est parce qu’il existe des musiciens avec une connaissance tellement forte de leur culture que l’on peut se permettre d’aller à un autre endroit d’expression. La porosité est quelque chose d’intrinsèque à la création. Les hommes se racontent des histoires, et donc échangent des savoirs. Et ça crée des ponts, des points de rencontre, là même où je situe tout notre travail.» Ce que confirme Simane Wenethem, originaire de Nouméa. «Je sens qu’Abdelwaheb et Manu ont trouvé l’essence du aé aé, le chant des Kanaks du Nord. Leurs voix se métamorphosent, ils font quelque chose avec ce qu’ils sont. Et moi, j’ai tout loisir d’adapter à ma sauce leurs textes. Il faut s’autoriser cette hybridation. Quand [Jean-Marie] Tjibaou disait “on prépare notre natte pour accueillir les autres, c’était un geste d’ouverture.»

 

 

Né en 1988 à Lifou, grandi à Rivière-Salée, la zone reléguée de Nouméa, cet ancien danseur de hip-hop se félicite ainsi de jouer quelques jours plus tard au théâtre de Bourail, terre des Caldoches ex-bagnards. La région fut surnommée «la vallée du malheur», celle des «Zarabes» aussi – un cimetière musulman et une mosquée en témoignent –, qui ont dû s’inventer un autre futur en oubliant leur passé, même si le cadre peut faire songer aux djebels de Kabylie. Dans cette espèce de far west jonché de 4x4 et jalonné de bétail, les gens ont longtemps vécu emmurés dans un passé dont les stigmates demeurent visibles. «Ce qui m’intéresse, ce sont les traces après notre passage : comment les gens d’ici vont changer, comment les lignes peuvent se déplacer», reprend Simane.

Barbe sculptée et yeux perçants, Jean-Pierre Aïfa, qui répond au sobriquet de «calife», est raccord. L’homme a une longue expérience : il fut syndicaliste, puis maire de Bourail pour l’Union calédonienne au slogan explicite – «Deux couleurs, un peuple» –, il préside encore l’association des Arabes et amis des Arabes de la Nouvelle-Calédonie, ayant pour père un ancien déporté, et figure parmi le comité des sages de l’archipel, composé d’une mosaïque d’identités. Du haut de ses 84 ans et de sa longue expérience, il estime que «cette œuvre est nécessaire pour les plus jeunes, qui connaissent mal ou pas cette histoire. Il est temps de sortir du je” pour aller vers le “nous. Nos morts appartiennent à tous et non à une communauté. C’est à ce prix que l’on sortira du ressentiment pour toucher la résilience».

 

 

Deux jours plus tôt, Jean Mathias Djaïwé, directeur du centre culturel de Hienghène, était au diapason. «A travers cette création, j’entends une sorte de thérapie. Nous, les Kanaks, en avons besoin… Les anciens ont subi la colonisation dans sa forme la plus violente, et c’est grâce à leur résistance et leur résilience que les plus jeunes bénéficient d’un modèle hybride. Etre biculturels, français et kanaks, ça peut être une force. La marche est enclenchée et rien ne peut plus arrêter la construction d’une nouvelle nation.»

On naît là-bas, on est d’ici

En attendant, Kâldun, requiem ou le pays invisible donne à entendre une bande originale entre avant-hier et après-demain. Chants spirituels en mode prière musulmane, airs célébrant la révolte d’Ataï, ce grand mix interroge les plis et remous des identités fragmentées, des frontières reconfigurées, non sans écho avec la Poétique de la relation d’Edouard Glissant. «On souhaite inventer une forme qui témoigne d’une créolisation, telle qu’elle pourrait être aboutie dans un siècle. Le calédonien du futur en somme, pétri de toutes les histoires de cette terre», analyse Abdelwaheb Sefsaf qui se repaît des «anachronismes musicaux», à l’image de cet Ave Maria, précédé de la lecture d’une lettre adressée en 1873 au pape d’un frère mariste en position de missionnaire, qui prend peu à peu les contours d’un groove boosté de tuba et perclus de percus.

Les notes suggèrent ainsi les contours de cette interfécondité qui, pour promettre un autre entendement du monde, ne peut s’affranchir de creuser la question de la racine et des origines. On naît là-bas, on est d’ici aussi. Cette bande-son en témoigne, première phase d’un «projet considérable», selon le metteur en scène. «Il s’agit d’un socle, afin d’intégrer la dimension théâtrale, où la forme sera plus dans le jeu que dans le récit. Cette création faite de traces et de rhizomes se devait d’être à la hauteur de cette histoire des plus complexes.» A partir de l’automne, il prévoit de tourner trois ans cette formule hybride, un dispositif pluri-média qui intègre même une phase muséale. Mieux : un retour en Nouvelle-Calédonie devrait se faire au printemps 2025, d’autant que, pour l’heure, le contexte économique ne lui autorise hélas pas d’envisager la venue de Kanaks en Europe. Pourtant, ces derniers ajoutent naturellement une couche comme sur cette fantaisie d’obédience orientale qui oblique avec les percussions kanakes et les stridents sifflets des anciens maîtres caldoches.

 

Comment ne pas entendre un écho à propos, dans l’ultime chanson aux faux airs de calypso improvisée par le quartet vocal kanak le 15 février à Hienghène ? Intitulée Djawé Hwarani Biwé («le cycle de l’eau»), les paroles prédisent qu’un fruit tombé dans la rivière va jusqu’à la mer, et de là d’autres racines pousseront ailleurs. A cet instant, une douce lancinance incline à la danse, en suspension, avec le duduk arménien, un ukulélé, un violon aux faux airs de fiddle, un tuba à la ronde néo-orléanaise. Et Abdelwaheb Sefsaf de s’élancer dans une volée de tals hindoustanis. Bienvenue dans le tout-monde à reconstruire en déconstruisant les clichés. Vaste chantier.

Kaldûn, requiem ou le pays invisible, créé par Abdelwaheb Sefsaf. A la Rampe d’Echirolles (38130) le 30 mars, dans le cadre du festival Détours de Babel.

 

Légende photo : Les membres de la compagnie Nomade in France et de l'ensemble vocal Canticum Novum en résidence et représentation à Bourail (Nouvelle-Calédonie), le 18 février. (Nicolas Petit/Libération)

 

 

 

 

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March 24, 2023 11:09 AM
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Caroline Guiela Nguyen : “Pourquoi le théâtre restait-il si vide des visages métissés qui ont peuplé mon enfance ?”

Caroline Guiela Nguyen : “Pourquoi le théâtre restait-il si vide des visages métissés qui ont peuplé mon enfance ?” | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Emmanuelle Bouchez dans Télérama 23/03/2023

 

Pour la future directrice du Théâtre national de Strasbourg, il est vital que l’humanité dans sa diversité soit incarnée sur scène. Un leitmotiv qui la guide et qu’elle compte porter au cœur de l’école qui l’a formée. Entretien et retour sur son parcours.

 

 

Cétait en juillet 2017. Le public du Festival d’Avignon découvrait, bouleversé, Saïgon, un spectacle d’une originalité décapante, mêlant l’intimité d’exilés vietnamiens au désastre de l’histoire coloniale française en Indochine. L’autrice et metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen, adoubée pour l’occasion, n’en était pas à son premier coup d’éclat avec sa compagnie Les Hommes approximatifs, fondée en 2009, un an après sa sortie de l’école du Théâtre national de Strasbourg (TNS). Elle y avait rencontré tous ses alliés artistiques et créé avec eux une dizaine de spectacles, sensibles, tissés au cœur des questions sociales – de l’endettement à l’adoption internationale –, souvent inscrits dans des lieux réalistes. Tel ce centre social où elle a campé Fraternité, un « conte fantastique » évoquant la disparition de l’humanité, créé en 2021, cette fois encore à Avignon.

À 41 ans, cette grande jeune femme brune à la parole réfléchie, également réalisatrice et épisodiquement actrice (vue récemment dans l’attachant Youssef Salem a du succès, de Baya Kasmi), est l’une des rares dramaturges françaises à tourner dans le monde entier, de l’Europe à la Chine en passant par l’Australie. En septembre prochain, elle posera ses valises au TNS qui l’a formée pour en prendre la direction, remplaçant ainsi le metteur en scène Stanislas Nordey, après neuf ans d’un dynamique mandat. D’où lui vient cette passion du théâtre ? Caroline Guiela Nguyen se raconte.

 

 

 

Quelle impression vous fait ce retour au Théâtre national de Strasbourg ?
J’y reconnais tout ! Les murs, les studios, les ateliers de couture ou de construction. Au début des années 2000, ce fut le lieu de mes plus grandes joies et de rencontres extraordinaires, avec le metteur en scène polonais Krystian Lupa ou Joël Pommerat, par exemple. J’y ai aussi été saisie par le doute. Car une question restait sans réponse : pourquoi le théâtre restait-il si vide des visages métissés qui ont peuplé mon enfance ? Celle-ci n’était débattue ni sur nos scènes, ni au sein de l’école où nous n’étions que deux étudiantes non blanches.

 

 

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Pour autant, je n’incrimine pas le TNS, car Stéphane Braunschweig, qui le dirigeait, comme Dominique Lecoyer, la directrice des études, m’ont toujours poussée à aller loin : ils croyaient en moi. L’époque le voulait ainsi, le sujet n’avait pas encore « troué » le paysage théâtral. Aujourd’hui, le changement est flagrant. Dans les classes de jeu des écoles supérieures de théâtre, se croisent des jeunes issus de l’immigration et de tous les milieux sociaux. Et plus seulement ceux de la classe moyenne ou de la bourgeoisie éduquées. Il reste du travail à faire dans les filières mise en scène, régie ou scénographie.

 

Il me fallait être nourrie d’expériences pour apporter quelque chose à cette grande maison.

 

Vous avez longtemps refusé de postuler à la direction du TNS, pourquoi ?
Il me fallait être nourrie d’expériences pour apporter quelque chose à cette grande maison. Les quinze dernières années m’ont permis de définir mon geste théâtral. Certains artistes s’affirment vite – il faut leur confier des théâtres. Mon chemin fut plus lent.

 

 

Être la seule femme depuis dix ans à diriger un théâtre national, est-ce un symbole lourd à porter ?
Je ne serai pas une « femme-étendard » car il y en a plein d’autres capables de diriger le TNS. La preuve : à la tête des centres dramatiques nationaux, la parité est désormais presque acquise. Je suis avant tout une autrice-metteuse en scène qui veut défendre un projet de direction.

 

 

Lequel ?


Faire du TNS le lieu où théâtre et audiovisuel puissent s’accorder dans un même mouvement. Grâce à un partenariat avec la chaîne européenne Arte dont le siège est à Strasbourg, notamment. Parce qu’aujourd’hui les arts ne sont plus cloisonnés. Beaucoup de mises en scène – comme celles du Français Julien Gosselin, du Suisse Milo Rau ou de la Belge Anne-Cécile Vandalem par exemple – empruntent à l’écriture de scénarios, de séries ou au documentaire audiovisuel. Cette porosité ne se réduit plus du tout au seul usage de la vidéo sur scène. Des chefs opérateurs peuvent apporter de nouveaux cadrages aux éclairagistes de théâtre. Moi-même et Antoine Richard, mon collaborateur artistique, on discute « bande-son » comme au cinéma.

 

 

Dans le cadre de l’école, il y aura également un partenariat avec la CinéFabrique de Lyon, qui forme aux métiers de l’audiovisuel. Un pôle « récit », pensé comme un espace commun de réflexion, sera ouvert à tous ceux qui travaillent au TNS, étudiants ou professionnels. Il sera développé sous le regard complice de Raphaël Chevènement, le coscénariste de la série Baron noir, des documentaristes Mai Hua, à qui l’on doit Les Rivières, et Hassen Ferhani, qui a réalisé Dans ma tête un rond-point. Ou encore d’auteurs-metteurs en scène comme Gurshad Shaheman ou Tiphaine Raffier, eux aussi inspirés par l’écriture cinématographique.    Comme d’habitude, les étudiants du TNS vont se nourrir du théâtre qui s’y crée.

 

 

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Ecoles de théâtre : des ascenseurs pour les tréteaux

 

 

Mais certains jeunes interprètes sortant d’écoles supérieures n’ont jamais travaillé l’alexandrin. N’est-ce pas un problème ?
Je vais le découvrir chemin faisant. Si des étudiants en éprouvent la nécessité ou si un metteur en scène invité souhaite mener un atelier en vers classiques, on trouvera le moyen de former les élèves en amont. Mais pour moi, l’alexandrin de Racine – auteur que j’adore ! – raconte d’abord une histoire. Et ce n’est pas l’étude de la technique que je privilégierais en le travaillant. Pourquoi est-ce toujours à moi que l’on pose cette question du répertoire et de l’alexandrin ?

 

Parce que ce registre ne correspond pas à votre propre théâtre. La même question aurait été posée à Joël Pommerat

 


Rassurez-vous, les élèves auront plein d’outils différents à leur disposition : ils ne deviendront pas les artistes d’une seule manière de faire. Mais la spécificité du TNS est d’être une école où les élèves de plusieurs sections – interprétariat, dramaturgie, scénographie, régie, mise en scène – se mélangent pour créer des projets. Grâce à cette immersion, certains apprentis metteurs en scène peuvent révéler ce qu’ils ont dans les tripes et impulser une nouvelle façon d’écrire. Voilà le spectacle vivant que je souhaite faire émerger, plus encore que de valoriser le patrimoine.

 
 

Sur les violences sexistes et sexuelles, on proposera des formations aux jeunes hommes qui peuvent être parfois des harceleurs qui s’ignorent.

La question du genre agite les étudiants des écoles d’art. Comment l’abordez-vous ?
Au taquet sur le thème de la mixité sociale et de la diversité des origines. Sur le terrain du genre, en revanche, j’avance humblement. Je m’informe, j’écoute. Faire attention à ce que l’on dit, quand on est pédagogue, me semble la moindre des choses. Et, lors de mes derniers stages, au Théâtre national de Bretagne, je ne m’en suis pas sentie paralysée. Pour ne pas que cela devienne inflammable, il faut privilégier le dialogue : accompagner les étudiants tout en maintenant nos exigences.

Les jeunes sont également soucieux du climat de travail. Si la création est un lieu d’exploration possible de la violence, le chemin pour y parvenir ne doit pas passer par cette extrémité. Les tranquilliser à cet endroit comme sur le thème des violences sexistes et sexuelles est primordial. Une charte à destination des intervenants extérieurs va être rédigée. On proposera des formations aux jeunes hommes qui peuvent être parfois des harceleurs qui s’ignorent.

 

 

Vous dites que le cinéma vous a sauvée. Avez-vous vraiment voulu arrêter le théâtre ?


À la fin de l’école, j’étais paumée, en pleine dépression… J’avais passé ma dernière année à monter Macbeth, et le résultat était mauvais. Cet échec a été une chance, sinon j’aurais persévéré avec les textes d’auteurs, alors qu’une seule question m’obsédait : comment fabriquer un spectacle sans cette posture de « surplomb » qui souvent empêche le théâtre de s’adresser à tout le monde ? Alors, oui, La Graine et le Mulet, film d’Abdellatif Kechiche, sorti en 2007 pendant mes études au TNS, fut un appel d’air immense. Y entendre tous les accents possibles, voir les paroles fuser lors de grandes tablées, y reconnaître enfin le réel dans lequel j’avais baigné dans un village du Haut-Var a déclenché le désir de réunir des gens avec qui représenter un tel monde sur scène.

 

 

D’où la volonté de travailler avec des amateurs ?


C’est arrivé plus tard, en 2012, lors de la première version, participative, de mon spectacle Elle brûle, inspiré de Madame Bovary de Flaubert : Le Bal d’Emma. Le personnage – incarné par l’actrice Boutaïna El Fekkak, ma camarade du TNS – y était devenu une jeune femme venue du Maroc, prise dans l’engrenage des crédits à la consommation. Nous l’avons imaginé dans une salle des fêtes à côté de Valence. J’avais convié des amateurs à y participer : d’un côté, la bourgeoisie terrienne, de l’autre, des agriculteurs. La force de ce mélange, de cette rencontre entre comédiens et amateurs, était incroyable.

 

 

Lors de cette première aventure, une autre expérience a été tout aussi révélatrice. Après les représentations, le public me demandait systématiquement pourquoi Emma parlait parfois arabe, mais jamais pour quelle raison la vieille dame interprétant la belle-mère s’exprimait en allemand ! Pourquoi une langue est-elle soudain évidente alors que l’autre réclame une note d’intention ? De là est née l’impérieuse nécessité d’inviter sur scène l’humanité dans sa diversité. Chaque langue contient une histoire en soi – « une patrie », précisait la philosophe allemande Hannah Arendt.

 

Les familles d’exilés, comme la mienne, n’ont d’autre choix que d’inventer des récits. Cette habitude m’a été transmise en intraveineuse.

 

Pourquoi la fiction compte-t-elle tant ?


Elle est liée à ma biographie. Mes deux parents ont vécu l’exil : ma mère, fille d’une Indienne de Pondichéry et d’un Vietnamien de Saïgon, est arrivée en France à l’âge de 13 ans, en 1956, après la défaite de Diên Biên Phu, avec sa mère et ses huit frères et sœurs. Mon père, d’origine italienne par son père et judéo-espagnole par sa mère, est un pied-noir d’Alger. La famille, dans ces cas-là, n’a d’autre choix que d’inventer des récits : la seule solution pour entretenir un lien avec un pays qu’elle ne verra plus. Cette habitude m’a été transmise en intraveineuse… Toute petite, je réinventais les conversations en vietnamien de ma mère avec ses frères et sœurs, moi qui ne parlais pas sa langue. Les histoires furent l’espace commun entre mes parents et moi. Il n’y a rien de mieux pour être dans le partage. Au théâtre, c’est pareil.

 

Ces écoles de théâtre qui veulent mettre plus de diversité sur scène

 

Quels artistes ont été vos modèles ?


On cite toujours à mon propos des artistes dont j’aime la relation avec la fiction : Joël Pommerat, Wajdi Mouawad ou Ariane Mnouchkine. Je suis bien encadrée ! En 1964, cette dernière, qui a fondé le Théâtre du Soleil, a été une grande pionnière en invitant sur scène d’autres corps et d’autres voix que ceux qu’on y voyait habituellement. Elle les recrute encore dans le monde entier, alors que moi, je les trouve aux quatre coins de la France. Voilà la grande différence. Dans mon théâtre, une grande variété de personnes qui peuple l’Hexagone vient nous raconter, à sa manière, notre histoire française. Fille de Viet kieu, ces Vietnamiens de la diaspora, je n’ai pas prétendu raconter l’histoire du Vietnam dans le spectacle Saïgon, mais plutôt celle des exilés installés en France.

 

Comment en avez-vous choisi les acteurs ?


Certaines scènes ont lieu avant la défaite des Français, alors trois interprètes ont été recrutés au Vietnam. Je les ai beaucoup écoutés pendant les répétitions. Grâce à des annonces diffusées dans tout Paris, j’ai aussi rencontré Hiep et Anh Tran Nghia, qui jouent respectivement l’homme exilé et Marie-Antoinette, qui tient le restaurant où se joue la pièce. On entend donc sur scène plusieurs langues vietnamiennes : celle de l’exil et celle du pays d’origine. Un tel mélange y charrie le poids de l’Histoire. Lorsque le personnage joué par Hiep revient quarante ans plus tard au pays, il découvre que la femme aimée ne parle plus la même langue que la sienne, restée figée. Si je n’avais pas été si exigeante sur la cohérence linguistique, cette scène d’une profondeur vertigineuse n’aurait pas existé. Or comprendre ce que l’Histoire a fait aux gens était la finalité du spectacle ce que la colonisation a fait à ma propre mère, en l’occurrence.

 

 

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“Saïgon” : Caroline Guiela Nguyen, et le théâtre de l’exil

 

 

Pourquoi vos spectacles s’inscrivent-ils toujours dans des lieux de vie très précis ?


De tels univers m’ouvrent mille possibilités théâtrales. Ils me donnent parfois l’impulsion de la fiction, bien plus encore que le choix du sujet. Car recruter une équipe en annonçant d’emblée vouloir travailler la question postcoloniale me dérangerait. J’aurais l’impression de « clouer » d’avance les comédiens dans une réalité sociale ou géographique dont ils ne pourraient pas s’échapper. Dans le restaurant vietnamien, carrefour ouvert à toutes les inter-prétations, la question coloniale apparaît naturellement, mais aussi celles du départ, de l’exil, de l’amour perdu. Mon prochain projet, Lacrima, qui sera créé à Strasbourg en mai 2024 et traversé par le destin de plusieurs femmes, se déroulera dans des ateliers de couture et de broderie.

 
 

À partir de 2025, on formera dans les collèges et lycées de quartiers très différents des binômes entre professeurs et metteurs en scène reconnus.

 

Quelle a été votre première rencontre avec le théâtre ?


C’était à l’adolescence, pendant le Mai théâtral – un festival de théâtre scolaire entre Villecroze et Draguignan. J’ai joué dans Knock, de Jules Romains, et ça m’a marquée ! Les premiers ambassadeurs du théâtre sont toujours les profs qui en parlent très bien et aiment sortir les enfants du cadre scolaire. Je vais d’ailleurs favoriser de telles pratiques au TNS. La chorégraphe Kaori Ito vient d’être nommée au Théâtre jeune public-Centre dramatique de Strasbourg et je rêve de l’embarquer dans mon projet de grand festival interscolaire. Auquel deux marraines seront associées : la documentariste Lina Soualem et la productrice de radio Aurélie Charon. À partir de 2025, on formera dans les collèges et lycées de quartiers très différents des binômes entre professeurs et metteurs en scène reconnus.

 

Qu’est-ce qui vous a décidée à faire du théâtre votre métier ?
Le hasard. Je voulais être avocate. La fac de droit fut un échec. En sociologie à Nîmes, j’ai trouvé un cursus « ethno-scénologie », dédié à la science de la mise en scène, qui a fait l’affaire. Un stage de trois mois chez Ariane Mnouchkine, alors qu’elle préparait Le Dernier Caravansérail, m’a fait bouger. Pourtant, l’année que j’ai passée ensuite au conservatoire d’Avignon ne m’a pas convaincue de devenir comédienne. On m’y a alors encouragée à passer le concours de la section mise en scène du TNS. Et j’ai été prise. Je n’avais jamais lu Tchekhov ! J’ai travaillé comme une bête pour combler mes lacunes.

 

 

Me prenant soudain à rêver d’habiter le Quartier latin à Paris, je me suis détachée de mes propres goûts et de mon accent du Sud. Le plaisir éprouvé à l’occasion des sorties avec ma mère dans les centres commerciaux, le samedi après-midi, n’a jamais été avoué à mes camarades de promo. Pire, je mentais. En disant que je parlais vietnamien, que ma mère avait fait Mai 68 — alors que rien n’est plus faux : elle voulait tellement s’intégrer ! —, qu’elle était bouddhiste, ce qui passait mieux que la catholique qu’elle était. Même mon premier « choc théâtral » — la mise en scène de Phèdre par Patrice Chéreau en 2003 — fut une invention : je l’avais « rattrapée » en VHS !

 

Quand l’équipe du TNS a compris la gravité de la situation, elle m’a envoyée faire un stage chez le metteur en scène Guy Alloucherie, dans le Nord, à Loos-en-Gohelle. Il m’a fait lire Annie Ernaux… J’ai assumé d’où je venais et c’est devenu le nerf de mon théâtre. Une réconciliation.

 

Pourquoi avez-vous titré votre récent livre d’entretiens Un théâtre cardiaque ?


À la sortie de Fraternité, conte fantastique, un ami metteur en scène m’a envoyé un joli texto : « Ton théâtre cardiaque forever… » En effet, pour moi, il n’y a pas de théâtre sans émotion. Ni sans cœur. Ni sans la pulsation de la vie.

 

 

À lire aussi :

Avignon : “Fraternité, conte fantastique”, la fable post-catastrophe de Caroline Guiela Nguyen  

 

 

CAROLINE GUIELA NGUYEN EN QUELQUES DATES
1981
 Naissance à Poissy.
2005-2008 École du Théâtre national de Strasbourg.
2009 Fondation de la compagnie Les Hommes approximatifs.
2017 Saïgon, au Festival d’Avignon.
2022 Nomination à la direction du TNS.
 
À voir
- Fraternité, conte fantastique, les 27 et 28 avril, Théâtres de la Ville de Luxembourg.

Youssef Salem a du succès, film de Baya Kasmi, en salles.

À lire
Un théâtre cardiaque, éd. Actes Sud, 176 p., 26 €.
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March 23, 2023 2:34 PM
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Odile Grosset-Grange met en scène la vie de famille en version « Cartoon », d’après Mike Kenny

Odile Grosset-Grange met en scène la vie de famille en version « Cartoon », d’après Mike Kenny | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Cristina Marino dans Le Monde - 22/03/23

 

 

La comédienne et directrice artistique de La Compagnie de Louise adapte un texte inédit du dramaturge britannique avec une multitude d’effets spéciaux.

Lire  l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/22/odile-grosset-grange-met-en-scene-la-vie-de-famille-en-version-cartoon-d-apres-mike-kenny_6166578_3246.html

La Compagnie de Louise, fondée en 2013 par la comédienne et metteuse en scène Odile Grosset-Grange, installée à La Rochelle, propose un répertoire de quatre spectacles jeune public, dont trois adaptés de textes du dramaturge britannique Mike Kenny, grand spécialiste du « young people’s theatre » : Allez, Ollie… à l’eau ! (2014), Le Garçon à la valise (2016) et Jimmy et ses sœurs (2019).

Sa cinquième et dernière création en date, Cartoon ou n’essayez pas ça chez vous !, dont les premières représentations ont eu lieu en février, au Théâtre de la Coupe d’or, à Rochefort (Charente-Maritime), s’inscrit dans cette lignée avec la mise en scène d’une pièce inédite. Comme elle le raconte dans sa note d’intention, datant de janvier 2020, Odile Grosset-Grange a découvert un peu par hasard l’existence de ce texte, jamais joué auparavant, lors d’une rencontre avec l’auteur : « Un soir, Mike me raconte cette pièce improbable d’une famille de personnages de dessins animés. La famille Normal. Je suis curieuse, car je n’ai jamais lu ça au théâtre. Il me l’envoie et je l’aime immédiatement. »

 

 

De ce coup de foudre entre la metteuse en scène française et le texte du Britannique est né un beau spectacle jeune public plein d’inventivité et d’effets spéciaux. Odile Grosset-Grange s’est donné les moyens de mettre en images les péripéties de cette famille Normal haute en couleur, sortie de l’imagination fertile du dramaturge. Elle mêle astucieusement théâtre d’objets, marionnettes, tours de magie (avec des séquences impressionnantes où les acteurs semblent marcher dans les airs), comédie musicale, jeux de lumière dignes d’une production hollywoodienne à gros budget.

Personnages hors norme

Dès le générique d’ouverture (qui n’est pas sans rappeler celui des films de héros Marvel), le ton est donné : nous sommes dans l’univers du dessin animé, placé sous le signe de l’exagération, de la démesure, de l’invraisemblable. Ainsi, par exemple, les deux animaux domestiques de la famille Normal – un poisson rouge, d’abord appelé Sushi, puis Bubulle, et un chien à poils longs – sont campés par des marionnettes surdimensionnées. Les références aux cartoons foisonnent, de la famille Simpson au poisson Nemo des studios Pixar. Avec, en prime, la projection, au cours du spectacle, d’un petit film d’animation avec ses images comme dessinées au crayon à papier.

 

Il faut une bonne dose d’énergie aux quatre comédiens et deux comédiennes de la troupe pour camper les nombreux personnages hors norme de ce dessin animé transposé de l’écran aux planches. Certains d’entre eux interprètent avec beaucoup de naturel des enfants ou des adolescents : Jimmy, le fils de la famille Normal, héros de la pièce (Pierre Lefebvre-Adrien) ; sa grande sœur Dorothy (Pauline Vaubaillon) ; Craig (François Chary), le cancre de service et caïd du quartier qui fait de Jimmy son souffre-douleur.

L’intrigue générale est simple, accessible pour les plus jeunes (à partir de 7 ans) et riche en rebondissements scéniques. Une famille en apparence bien sous tous rapports – le père, la mère et leurs trois enfants, un garçon, une fille et un bébé, au prénom, Bébé, aussi indéterminé que son sexe – se révèle avoir une existence beaucoup plus étrange qu’il n’y paraît. Ce sont en réalité des cartoons, des personnages fictifs qui, chaque jour, revivent indéfiniment les mêmes aventures que la veille, ne ressentent pas la douleur (ils peuvent tomber du dernier étage d’un immeuble ou se fracasser une poêle sur la tête sans souffrir), ne connaissent ni la vieillesse ni la mort.

 

Jusqu’au jour où tout bascule et se dérègle à cause d’une potion inventée par Norma, la mère de famille, et malencontreusement ingurgitée par Bébé et Jimmy. Ce dernier va commencer à ressentir des émotions « normales », comme la douleur ou la peur de la mort, jusqu’au choix final entre un retour à sa vie aseptisée de cartoon ou la poursuite de l’aventure en tant qu’être de chair et d’os.

 

 

Les petits y verront sans doute uniquement un réjouissant spectacle plein d’humour et au rythme entraînant ; les grands y discerneront peut-être une réflexion sur la normalité et ses limites, mais tous auront passé un bien agréable moment en compagnie de ces personnages de cartoon somme toute tellement humains.

 

 

Cartoon ou n’essayez pas ça chez vous !, de Mike Kenny (texte traduit de l’anglais par Séverine Magois). Mise en scène d’Odile Grosset-Grange. Avec François Chary, Julien Cigana, Antonin Dufeutrelle, Delphine Lamand, Pierre Lefebvre-Adrien, Pauline Vaubaillon. Le 22 mars à La Comédie de Valence-Centre dramatique national Drôme-Ardèche ; du 4 au 6 avril à La Coursive-Scène nationale de La Rochelle ; les 15 et 16 avril à La Ferme du Buisson-Scène nationale de Noisiel (Seine-et-Marne).

 

 

Cristina Marino / Le Monde

 

Légende photo : De gauche à droite : Craig (François Chary), Norman Normal (Julien Cigana), avec la marionnette Bébé, Antonin Dufeutrelle avec la marionnette du chien, Norma Normal (Delphine Lamand), Dorothy Normal (Pauline Vaubaillon) et Jimmy Normal (Pierre Lefebvre-Adrien, au sol), le 22 février 2023, au Théâtre de la Coupe d’or, à Rochefort (Charente-Maritime). CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

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March 23, 2023 1:28 PM
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A l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Jean-François Sivadier met en scène un Othello qui pourrait être notre contemporain

A l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Jean-François Sivadier met en scène un Othello qui pourrait être notre contemporain | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 21 mars 2023

 

Emmenée par un trio de comédiens : Nicolas Bouchaud, Adama Diop et Emilie Lehuraux, la version de la tragédie de Shakespeare jette des ponts entre la culture élisabethaine et celle du XXIe siècle.

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/21/a-l-odeon-theatre-de-l-europe-jean-francois-sivadier-met-en-scene-un-othello-qui-pourrait-etre-notre-contemporain_6166423_3246.html

Acte V de la tragédie de Shakespeare : Othello étrangle Desdémone. La messe est dite et Iago peut sourire. Le Maure, son ennemi juré, vient de rallier le camp du mal. A son corps défendant, toute raison anéantie, dévoré par la jalousie, sourd aux suppliques de sa victime et innocente épouse, Othello se conforme, en bout de course, à l’image qu’avaient de lui les notables racistes de la République vénitienne : il est l’étranger, donc le danger. Il est le Noir, donc le sauvage. Cette tragédie d’un destin écrit à l’avance est emmenée par un mémorable trio de comédiens : Adama Diop en Othello, Nicolas Bouchaud en Iago et Emilie Lehuraux en Desdémone.

 

 

Peut-on échapper aux assignations brandies par la norme lorsqu’on incarne une différence qui menace cette norme ? La question agite nos sociétés occidentales, mais le spectacle proposé à l’Odéon-Théâtre de l’Europe rappelle qu’en 1603 Shakespeare en avait fait le levier d’un drame amoureux, social et politique. Nous sommes toujours les contemporains des personnages de l’élisabéthain, semblables dans la peur, égaux en abjection.

 

 

 

Les clins d’œil du metteur en scène Jean-François Sivadier à une culture du XXIe siècle jettent un pont entre les époques. Chansons pop du groupe Queen entonnées par les interprètes et apparition sur le visage de Iago du rictus du Joker (antihéros du film Batman) corrèlent le propos au présent et connectent ce spectacle populaire, passionnant et intelligent à une jeunesse qui aurait tort de lui préférer une sortie au cinéma.

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le comédien Adama Diop, l’Othello des temps nouveaux

Rappel des faits : Othello, général de la République de Venise, est un soldat valeureux promu pour ses faits d’armes par ses supérieurs mais honni des envieux, qui le tolèrent dans leurs rangs jusqu’au moment où ils le broient corps et âme. Ancien esclave né dans de lointaines contrées, il est noir. Sa réputation courageuse l’affranchit – croit-il – des règles et des lois. Il épouse ainsi Desdémone en cachette. Et refuse à Iago une promotion qu’il accorde à Cassio (Stephen Butel). Double offense. Son châtiment sera à la hauteur de l’outrage.

« Blackface » inversé

Haï par le père de Desdémone, Brabantio (Cyril Bothorel), qui ravale sa rage en rabattant sur ses mollets les pans de son peignoir dans une séquence parodique digne d’un vaudeville de Feydeau, Othello devient le jouet d’une manipulation diabolique. Celle qui est ourdie par le rusé Iago, à qui sont adressées (ce n’est pas un hasard) les premières répliques du spectacle : « Tais-toi ! », lui hurle son homme de paille, Roderigo (Gulliver Hecq). L’invocation reste lettre morte. Dommage, car la parole de Iago est la seule arme dont il dispose. Pour détruire l’époux de Desdémone, ce soldat de seconde zone ne recourt qu’au verbe. Mais quel verbe !

 

Le décor est un chantier précaire : suspensions de rideaux transparents derrière lesquels se discernent les coulisses d’actions silencieuses et statiques, immenses cadres de bois ajourés peu à peu hissés vers les cintres, ce qui donne l’impression que le plateau s’enfonce vers les bas-fonds. L’histoire démarre à la surface du sol, là où règne le sens commun. Elle s’achève sur le lieu de la mise à mort et dans la cave de la psyché humaine, là où la logique a abdiqué devant la folie.

 

Entre-temps, le cerveau d’Othello aura été vampirisé. Il aura même été colonisé à coups de suspicions perfidement créées par Iago, qui instille dans la tête du général vénitien le poison de la jalousie. Un harcèlement si bien mené qu’il pousse le mari au féminicide lors d’une scène éprouvante et traitée comme telle par le metteur en scène, dont le travail, d’une extrême subtilité, enchâsse les hypothèses de lecture.

Pour la troisième fois seulement dans l’histoire du théâtre, un comédien noir endosse le rôle-titre

D’où les interrogations qui assaillent un public interloqué par la rapidité d’Othello à basculer de la confiance amoureuse au doute dévorant. D’où son trouble lorsqu’il se grime le visage de blanc au moment d’étrangler Desdémone. Ce « blackface » inversé n’est pas neutre dans un spectacle où, pour la troisième fois seulement dans l’histoire du théâtre, un comédien noir endosse le rôle-titre. Alors qu’il devient meurtrier et quitte, par ce geste monstrueux, les rives de la civilisation, Othello cesse de s’appartenir. Il n’est plus Othello mais la créature de Iago. Il n’est plus noir mais blanc. Comme sont blancs les dignitaires vénitiens, dont la couleur de peau est un vernis trompeur.

 

 

Ce que Shakespeare abîme dans son drame (l’acceptation de la différence, le respect dû à l’altérité, la dignité des femmes bafouée par la misogynie patriarcale), cette mise en scène d’une virtuosité épatante le répare. La vérité éclate dans la bouche d’Emilia, l’épouse de Iago, qui prend sur elle de réintroduire un peu de justice dans le chaos. La comédienne Jisca Kalvanda est Emilia. C’est une femme. Elle est noire. Là encore, il n’y a pas de hasard. L’appartenance de l’actrice à ces deux minorités est un signal qui peut se décoder ainsi : ce n’est pas dans la majorité que se trouve actuellement la possibilité de l’équité.

 

 

Othello, de Shakespeare. Mise en scène : Jean-François Sivadier. Avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda, Emilie Lehuraux. Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris 6e. Jusqu’au 22 avril. De 6 € à 41 €.

 

Joëlle Gayot / Le Monde

 

Légende photo : Desdémone (Emilie Lehuraux) et Othello (Adama Diop), le 12 novembre 2022, dans « Othello », mis en scène par Jean-François Sivadier, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris. JEAN-LOUIS FERNANDEZ

 

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March 20, 2023 6:00 AM
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Samuel Mariño, soprano vénézuélien d’un nouveau genre

Samuel Mariño, soprano vénézuélien d’un nouveau genre | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Miren Garaicoechea dans Le Monde - 18/03/2023

 

 

L’artiste lyrique, qui sera en récital le 20 mars dans la galerie des Glaces du château de Versailles, revendique haut et fort son identité d’homme queer et son homosexualité. Quitte à bousculer le milieu encore très corseté de la musique classique.

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https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/03/18/samuel-marino-soprano-venezuelien-d-un-nouveau-genre_6166049_4500055.html

Sur son premier album, il esquisse à peine un sourire et porte une chemise sobre. Pour son deuxième opus, paru chez Decca, en 2022, Samuel Mariño apparaît comme transfiguré : il rit aux éclats et porte une tenue extravagante (un manteau en tulle blanc transparent tombant sur d’imposants talons). « Quand je chante, je viens déranger ce petit monde de gens blancs, qui se ressemblent. Alors quoi, parce que je suis un homme, je devrais chanter grave et porter des pantalons ? », s’amuse-t-il depuis son pied-à-terre près du parc des Buttes-Chaumont, dans le 19e arrondissement de Paris, où il partage son temps avec Berlin.

 

 

A 29 ans, le chanteur lyrique vénézuélien achèvera une série de trois concerts en France le lundi 20 mars, avec un récital dans la galerie des Glaces du château de Versailles, accompagné de l’orchestre de l’Opéra royal. A l’image du style baroque qu’il a beaucoup interprété, Samuel Mariño décontenance. Il le sait et en joue. Par sa voix aiguë et son style vestimentaire empruntant à toutes les garde-robes, l’artiste s’affranchit des normes du chant et du genre. Il porte un discours politique assumé dans un monde de la musique classique encore très convenu, affichant sur scène son identité d’homme queer et célébrant sans détour son homosexualité sur son compte Instagram.

 

Voir la vidéo : Gluck, Orfeo : Che farò senza Euridice ?

 

Samuel Mariño arbore avec fierté « son instrument », une voix de soprano, un cas de figure rarissime chez un homme depuis la mort du dernier castrat, l’Italien Alessandro Moreschi, en 1922. « Ces stars très demandées voyageaient de cour en cour à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle. Après 1830, les castrats ne chantent plus que dans les églises italiennes, pour ne subsister in fine qu’à la chapelle Sixtine », retrace Yseult Martinez, docteure en histoire moderne, spécialiste des castrats à l’université d’Angers. Contrairement aux contre-ténors, dont la tessiture de ténor nécessite de basculer en voix de tête pour grimper, la voix naturelle de Samuel Mariño est, d’entrée, très aiguë.

Piano et chorale comme refuges

Le chemin de l’acceptation fut pourtant long. A 13 ans, le jeune Samuel, collégien dans un établissement catholique de Caracas, subit des moqueries aux relents homophobes sur son timbre haut perché. Victime de harcèlement psychologique et physique, en classe et sur les réseaux, il fuit le système scolaire et se réfugie dans le piano et la chorale. « J’ai eu des pensées suicidaires », confesse-t-il. Un médecin, puis un second lui proposent de l’opérer du larynx pour rendre sa voix plus grave. Un troisième lui suggère plutôt d’accepter sa voix et d’écouter du chant lyrique. Dans sa playlist d’alors, les divas Beyoncé et Lady Gaga croisent Cecilia Bartoli et Philippe Jaroussky, superstars du chant lyrique.

 

Voir la vidéo : Saint-Georges : L'Amant anonyme, chanté par Samuel Marino 

Sa mère, universitaire comme son père, le pousse à persévérer dans cette voie. Après trois ans d’études lyriques au Venezuela, le soprano fait sa valise, direction la France. « Le pays accueille très bien les étudiants étrangers. La France, où l’éducation est accessible, m’a donné des aides », remercie-t-il. Les conservatoires s’enchaînent, Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, Paris. Les petits boulots pour financer ses études aussi : Disneyland Paris, baby-sitting, hôtellerie.

A la ville comme en cours, Samuel Mariño lutte contre les préjugés : « Au quotidien, j’ai droit à l’éternel “bonjour madame” au téléphone. » Dès son arrivée en classe de chant, une professeure veut le forcer à chanter dans le grave. Le jour du diplôme d’études musicales, plus haut niveau des conservatoires régionaux, Samuel Mariño échoue. « Le président du jury ne comprenait pas que je me présente en soprane : selon lui, j’aurais dû me présenter en contre-ténor, explique-t-il. Un directeur d’une maison d’opéra présent m’a même affirmé qu’il ne m’engagerait jamais. »

Pulvériser les cases

Qu’importe, la même année, sa carrière se lance. Pour son amie Barbara Bonney, soprano américaine, « c’est une bombe sur scène ». Elle l’a poussé à se présenter aux sélections du Neue Stimmen, un concours international de jeunes talents lyriques en Allemagne, où il a décroché le prix du public. « Il gère tous les aspects : sa voix, sa musicalité, son expression corporelle – il a fait de la danse et cela se voit –, son visage, son style vestimentaire… Il a tout pour lui », dit-elle. Il assume sa démarche. « Il faut ouvrir des portes », affirme Samuel Mariño. « L’opéra, c’est des émotions fortes, extrêmes. Mon but est de donner une expérience intense, de faire réagir les gens. Que cela soit beau ou pas, on est là pour vivre quelque chose, pour être vivant », plaide-t-il avec enthousiasme.

Le message d’inclusion est clair : « Casser ce monde très strict et accueillir chacun tel qu’il est. » Lui rêverait de voir des couleurs de peau plus variées, comme la sienne, sur scène. Samuel Mariño veut aussi pulvériser les cases du genre. Il redouble d’inventivité, dessine ses tenues, travaille avec une modiste. Et fait la part belle aux paillettes et à la flamboyance, tel cet ensemble en vinyle rouge pétard inspiré de la veste de Michael Jackson dans Thriller. Quitte à agacer un monde encore très régenté par le politiquement correct. « Le harcèlement ne s’est jamais arrêté », confirme-t-il. Porter de l’eye-liner, des jupes et des talons lui vaut toujours des railleries.

 

 

 

« Une partie du public m’idolâtre, je représente une liberté d’être. Cela en devient presque une responsabilité pour moi. Mais une autre ne m’aime pas du tout », reconnaît-il, triturant les perles ornant son décolleté. Un ­critique de la radio publique allemande a même pointé du doigt ses choix vestimentaires, dénonçant une stratégie marketing. Samuel Mariño n’en revient toujours pas. « En entendant ça, je me suis dit “Fuck everybody”. Ça ne fait que m’encourager à continuer. » Une seule certitude pour le récital à Versailles : Samuel Mariño ne portera pas de noir.

 

Miren Garaicoechea

 

 

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March 17, 2023 10:02 AM
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Amos Gitaï : une « House » peut en cacher une autre

Amos Gitaï : une « House » peut en cacher une autre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 16/03/2023

 

 

Amos Gitaï signe aujourd’hui « House » (maison), un spectacle condensant et mêlant personnages et lieux de sa trilogie filmique « House » (1980), « Une maison à Jérusalem » (1997) et « News from home/ News from House » (2005), à travers les langue parlées par ceux qui habitent, ont habité ou reconstruit la maison : arabe, hébreu, anglais et français. Trop complexe pour ne pas être étouffant.

En 1980, Amos Gitaï signait House. Un film documentaire autour d’une maison de Jérusalem ouest. Les premiers plans du film nous montrent le travail des ouvriers palestiniens dans une carrière de Cisjordanie. Ils extraient des blocs de roche et les polissent avant qu’ils soient transportés jusqu’au chantier de la maison de Jérusalem ouest où travaillent d’autres ouvriers palestiniens. Agrandie, modifiée, elle va ainsi passer de un à trois étages. Au cours du film, on apprendra que la maison de la rue Dor Dor Ve Dorshav, avant 1948, appartenait à un médecin palestinien de la famille Dajani. Naguère l’une des grandes familles palestiniennes de Jérusalem.  Craignant pour leur vie, le médecin et sa famille sont partis vivre à Amman en Jordanie. En vertu d’une loi sur les « propriétaires absents », le gouvernement israélien réquisitionna la maison et la loua à un couple de Juifs algériens, les Touboul. Lesquels déménagèrent dans un immeuble moderne comme ils en rêvaient. La maison fut mise en vente par l’état Israélien et finalement achetée par une famille appartenant de la minorité juive de Turquie ayant émigré en Suède et ayant décidé de venir vivre en Israël et d’apprendre l’hébreu.

 

 

Tout le film House tourne autour de ce point fixe, la maison, qui, sans bouger de place, n’en finit pas de se transformer. Mais c’est tout autant un film sur les déplacements des individus, ceux qui vivent ou on vécus dans la maison et ceux qui ont travaillé au chantier de son agrandissement. Deux autres films de la trilogie viendront approfondir et ramifier l’histoire de cette maison, de ses habitants (Palestiniens à l’origine, puis Juifs) et de ses reconstructeurs (architecte juif et ouvriers palestiniens) : Une maison à Jérusalem en 1997 et News from home/ News from House en 2005. Les trois films formant une magnifique et entêtante trilogie.

 

 

« Gitaï veut que cette maison devienne à la fois quelque chose de très symbolique et de très concret, qu'elle devienne un personnage de cinéma. Il arrive l'une des plus belles choses qu'une caméra puisse enregistrer en direct : des gens qui regardent la même chose et qui voient des choses différentes. Et que cette vision émeut. Dans la maison à moitié éboulée, des hallucinations vraies prennent corps. L'idée du film est simple et le film a la force de cette idée. Ni plus ni moins. » écrivait Serge Daney dans Libération le Ier mars 1982 lors de la sortie en France de House. Des mots qui valent pour les deux autres volets de la trilogie qui suivront au fil du temps, sur plus de vingt ans. Qu’ils y vivent , y ont vécu ou travaillent à sa reconstruction, le regard change.

 

 

D’autres maisons viendront éclairer le spectre de la maison première, par exemple la bicoque d’un des tailleurs de pierre palestinien (qu’il a construite ailleurs après que son village ait été occupé par l’armée israélienne) ; ou la maison bourgeoise achetée par les Dajani en Jordanie à Amman ; ou encore la maison d’un des voisins de la rue Dot dor ve dorshav, l’artiste Michel Kishka venu de Belgique habiter la maison mitoyenne en 1978, rejeton d’une famille décimée par la Shoah (son père, seul survivant) et n’ayant jamais cherché à savoir qui habitait là avant lui ; ou encore la dernière maison de Claire, née dans le quartier juif d’Istanbul, ayant vécu en Suisse puis en Suède, décidant avec sa famille de revenir vivre en Israël et habitant la fameuse maison depuis presque vingt ans lorsque Amos Gitaï la filme en 2005. Claire (en français, langue qu’elle parle couramment) lui déclare : « ce lieu a quelque chose de très puissant. Parfois, l’épuisement lié au conflit domine tout, même le désir de bâtir des gens de bâtir quelque chose de différent et peut-être même de planter un arbre. Ce pays est aussi composé des personnes déplacées, des Israéliens venus de l’Europe de l’est, des camps ou d’Afrique du Nord et des Palestiniens déplacés par les Israéliens »

 

 

De cette trilogie filmée et que la télévision israélienne a refusé de diffuser dès le premier épisode (le cinéaste refusant les coupes imposées), Amos Gitaï a conçu un spectacle théâtral mêlant le matériau des trois films (quelques plans sont projetés) et titré House. Il vient d’être créé au Théâtre de la Coline en plusieurs langues : français , anglais, arabe et hébreu. En préambule, une lettre à « mon cher Amos, mon frère très cher » écrite et dite par Jeanne Moreau sur laquelle glisse le son mélodieux du santur, prélude à une belle partition musicale (Alexey Kochetkov au violon, Kioomars Musayyehbi aux percussions) souvent chantée ( Dima Bawah, Benedict Flinn, Richard Wilberforce, Laurence Pouderoux).

 

 

La distribution réunit des actrices et acteurs français (Irène Jacob et Micha Lescot) et des acteurs israéliens chacun jouant plusieurs rôles souvent en plusieurs langues (Bahira Ablassi, Pini Mittelman, Menashe Noy) à l’exception des deux tailleurs de pierre palestiniens s’exprimant uniquement en arabe (Minas Qarawany et Atallah Tannous). Par exemple, l’excellente Bahira Ablassi interprète cinq rôles dont la femme du couple Touboul (juifs venus d’Algérie) et deux personnes palestiniennes de la famille Dajani. Ou le non moins excellent Menashe Noy qui interprète quatre rôles dont le mari du couple Touboul, l’entrepreneur de la maison et Mahmoud Dajani dont la famille habitait la maison de la rue Dor Dor Ve Dorshav avant 48 et, craignant d’être tuée, s’en alla vivre à Amman en Jordanie comme beaucoup de Palestiniens. Bref un spectacle à la fois riche et complexe jusqu’à la confusion.

 

 

Comment dire ? Ou bien vous avez en mémoire les films et dès lors le spectacle apparaît comme un gros teaser scénique donnant envie de revoir la trilogie filmique. Ou bien vous ignorez tout des films et vous avez de bonnes chances de ne pas vous y retrouver entre les personnages et les différentes strates du temps mais cela vous donnera toutefois envie de voir les films. Le plus douloureux, ce qui disparaît pour ainsi dire sur la scène du théâtre de la Colline, c’est la maison. Et ce ne sont pas les tubulures peuplant la scène qui, en en donnant une vision par trop abstraite, peuvent l’évoquer malgré les éclairages subtils de Jean Kalman. La maison des trois films était une matière, quasi un être, elle devient une idée, une abstraction. Quant au travail des ouvriers palestiniens, bien réel dans le film, il est ici réduit à un consternant faux semblant.

 

 

Mieux vaut aller voir ou revoir les films. Ça tombe bien des projections sont organisées avec un jour la présence d’Amos Gitai. Comme il l’avait fait lors de ses leçons Collège de France il y a quelques saisons, Amos Gitaï parle admirablement de ses films et de son pays.

 

 

House, Théâtre de la Colline, mar 19h30, du mer au sam 20h30, dim 15h30, jusqu’au 13 avril.

Projections des trois films de la trilogie aux centre Pompidou entre le 25 et le 27 mars (en présence ce jour là d’Amos Gitaï) et au MK2 Beaubourg le Ier avril. Enfin, au MK2 Gambetta, dialogue entre Amos Gitaï et Wajdi Mouawad le 21 mars à 20h et master Class d’Amos Gitaï le 28 mars à 20h.

 

 

Photo : Scène de " House" © Simon Gosselin

 

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March 16, 2023 6:25 PM
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À La Rose des Vents, le changement dans la continuité

À La Rose des Vents, le changement dans la continuité | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur le site d'ARTCENA - 15 mars 2023


Jusqu’ici secrétaire générale, Audrey Ardiet accède à la direction de la scène nationale avec notamment la volonté d’élargir la programmation à de nouveaux champs artistiques. 

 

Fragilisée par le départ de Marie Didier intervenu en septembre 2021, de surcroît quelques mois seulement après la fermeture du bâtiment pour des travaux de rénovation, La Rose des Vents avait pris la sage décision de ne pas engager immédiatement une procédure de recrutement. Durant un peu plus d’un an, c’est donc une direction collégiale, accompagnée par Hélène Cancel, qui assuma la délicate mission de renouer le dialogue avec la Ville de Villeneuve-d’Ascq et de coordonner la première saison hors les murs. Aux côtés du directeur technique et de l’administrateur, y figurait Audrey Ardiet, secrétaire générale depuis 2016 et aujourd’hui nommée à la tête de la scène nationale. Si ce choix apparaît logique au regard de sa parfaite connaissance du fonctionnement de la structure et du territoire, l’intéressée confie avoir longuement réfléchi avant de postuler. « L’année de transition m’a permis de faire le point, de cerner mes envies, d’éprouver les actions que je mettais en œuvre auprès de l’équipe et du public, et finalement de me lancer », explique-t-elle.

 

Parce que la continuité n’exclut pas la nouveauté, Audrey Ardiet porte un projet qui entend accentuer la dimension pluridisciplinaire de la scène nationale – surtout centrée sur le théâtre et la danse – en l’élargissant au théâtre d’objets, au cirque (grâce à un partenariat d’ores et déjà noué avec Le Prato de Lille), à la magie nouvelle ainsi qu’au théâtre documentaire afin d’affermir les liens entre La Rose des Vents et le cinéma Le Méliès qu’elle abrite. Quatre artistes la seconderont dans sa démarche : Thierry Collet, dans le domaine de la magie nouvelle, Cyril Teste en matière de sensibilisation à l’image notamment via la mise en place d’ateliers de découverte de ses métiers, Nathalie Béasse  dont les productions mêlent théâtre et danse et qui sera conviée à élaborer une forme in situ associant une fanfare locale et la population, et enfin Jeanne Lazar. Cette jeune metteuse en scène établie dans les Hauts-de-France, qui travaille sur la question de l’oralité et a conçu des spectacles radiophoniques, présentera l’an prochain une création autour des figures de la chanson française et francophone. Outre produire leurs nouveaux projets, la directrice de La Rose des Vents souhaite faire découvrir au fil des ans leur répertoire, s’appuyer aussi sur les formats différents qu’affectionne, par exemple, Thierry Collet, pour alterner des propositions dans des lieux non-dédiés (maisons de quartiers, centres sociaux…) et sur de grands plateaux. Le désir d’ouverture à d’autres disciplines se manifestera, par ailleurs, dans  l’accompagnement de compagnies régionales et/ou émergentes. Audrey Ardiet soutiendra ainsi en production et en diffusion des artistes issus d’univers très variés. Elle programmera, entre autres, Noémie Rosenblatt avec L’Ordre des choses, adapté d’un roman d’Émile Zola, le violoniste et comédien Tony Melvil pour un concert jeune public, l’autrice, metteuse en scène et performeuse Rebecca Chaillon et la créatrice lilloise de théâtre d’objets, Caroline Guyot.

 

 

L’action sur le territoire se verra facilitée par la longue aventure (jusqu’à la fin de la saison prochaine) hors les murs, qui conduit La Rose des Vents à investir de nombreux équipements (Centre dramatique national, Pôle cirque, comme théâtres municipaux et salles des fêtes) de la métropole lilloise et accroît  ainsi son rayonnement, mais aussi à nouer des relations de proximité avec le tissu associatif local. « Cette période de nomadisme constitue également une formidable opportunité d’augmenter et de diversifier les publics ; une nécessité, dans la perspective de la réouverture de l’équipement qui disposera de deux salles aux jauges plus importantes qu’auparavant et dont l’activité sera donc très dense », souligne Audrey Ardiet. Les festivals étant particulièrement fédérateurs, la scène nationale maintiendra son événement emblématique transfrontalier, Next, et créera deux temps forts. L’un sera consacré à la magie nouvelle, et le second placé sous l’égide d’un « Été culturel » articulé dès juillet 2023 autour de spectacles de rue, d’ateliers et de concerts, en collaboration avec les structures villeneuvoises. Attachée à la dynamique partenariale, Audrey Ardiet poursuivra en outre les co-réalisations initiées actuellement avec plusieurs établissements identifiés sur une discipline spécifique : le Théâtre du Nord-Centre dramatique national pour le théâtre, Le Prato en cirque et Le Grand bleu pour le jeune public.    

 

 

Enfin, la nouvelle directrice ambitionne de faire de La Rose des Vents un lieu ouvert sur la ville, facilitant ainsi son appropriation par les habitants, qui pourront le fréquenter en journée, comme par les professionnels. « J’envisage de transformer le hall en un espace de co-working où des administrateurs et des chargés de production, souvent très isolés, se rencontreront et échangeront sur leurs pratiques », précise Audrey Ardiet, qui compte mettre à profit les mois qui la séparent du retour dans les murs (prévu à l’été 2024) pour laisser libre cours à l’imagination et aux expérimentations.

 

 

 

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March 16, 2023 9:32 AM
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Une vie de Maupassant, confession poignante adaptée par Clémentine Célarié

Une vie de Maupassant, confession poignante adaptée par Clémentine Célarié | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Catherine Robert dans La Terrasse - 13 mars 2023

 

Une femme, à bout de souffle mais jamais de courage, régénérée à chaque déception par le vent du large et l’espoir de l’amour retrouvé : Clémentine Célarié est lumineuse et magistrale en Jeanne.

 

 

Clémentine Célarié interprète la vie de Jeanne : une vie qui aurait pu être sans histoire, n’était-ce l’amour, même déçu, le génie littéraire de celui qui la raconte et la sincérité de celle qui l’incarne sur scène. Jeanne est trahie par les hommes et trompée par sa naïveté et son inextinguible soif d’affection. Elle est sauvée par la force de la nature et Rosalie la simple, dont le bon sens vient à bout des méchantes sangsues qui ont vidé son cœur. Clémentine Célarié a adapté le texte de Maupassant et s’en empare à la première personne, transformant le récit en confession poignante. Sortie oie blanche du couvent, la jeune fille rencontre le vicomte Julien de Lamare, bellâtre volage, qui la trompe avec la bonne dès le début du mariage, et avec la voisine, Gilberte de Fourville, quand la bonne a été engrossée et renvoyée. L’amour, tué par la pusillanimité du mari, renaît avec la naissance de l’enfant. Mais Paul, dit Poulet, autre sybarite frivole, délaisse sa mère, la ruine et finit dans la débauche. À la fin cependant, paraît la petite fille de Poulet, pour laquelle Jeanne invente l’art d’être grand-mère. « Une vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ou si mauvais qu’on croit. » conclut Maupassant : c’est avec cette phrase que Clémentine Célarié achève sa fascinante exploration des arcanes d’une âme.

 

Femme océan

 

La scénographie d’Hermann Batz installe Jeanne au bord de la falaise, prête à laisser le désespoir la faire plonger dans la mer. Les lumières de Denis Koransky font apparaître le visage du mari inconstant, la silhouette du château natal adoré, le rougeoiement du couchant et les grilles du confessionnal où Jeanne confie sa peine. La musique de Carl Heibert et Abraham Diallo soutient l’interprétation théâtrale et dialogue avec elle. Avec un très grand talent, la comédienne interprète Jeanne en toutes les étapes de son calvaire, de l’innocence de l’âge tendre à la douleur de l’âge mûr. Elle joue aussi tous les autres rôles de cette passion en forme de chemin de croix avec un vigoureux talent, peuplant, par la voix et le geste, le plateau nu, sur lequel elle virevolte, se tort, irradie, s’abîme et renaît. On dirait l’amour dans Le Banquet : « tour à tour dans la même journée il est florissant, plein de vie, tant que tout abonde chez lui ; puis il s’en va mourant, puis il revit encore, (…) tout ce qu’il acquiert lui échappe sans cesse : de sorte que l’amour n’est jamais ni absolument opulent ni absolument misérable. » La comédienne excelle en jouvencelle et en mère, crinière au vent ou canne à la main, larmes aux yeux et sourire extatique aux lèvres. Elle parvient à transformer le texte de Maupassant remarquablement adapté en un thriller psychologique haletant. Blâme-t-on Jeanne ? La plaint-on ? Moque-t-on sa naïveté ? Peut-être : tout dépend de qui la regarde et qui la juge. Mais Clémentine Célarié réussit brillamment à faire qu’on l’aime. C’est là tout ce que Jeanne demande.

 

Catherine Robert / La Terrasse

 

Une vie
du jeudi 9 mars 2023 au dimanche 30 avril 2023
Théâtre du Petit Saint-Martin
17, rue René-Boulanger, 75010 Paris

Jeudi et vendredi à 19h ou 21h, samedi à 19h ou 16h et 21h, dimanche à 16h. Tél. : 01 42 08 00 32. Durée : 1h30.

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March 15, 2023 11:48 AM
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Au TnBA, le labyrinthe mental de Franck Manzoni

Au TnBA, le labyrinthe mental de Franck Manzoni | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Samuel Gleyze-Esteban dans  L'Œil d'Olivier - 15 mars 2023


Franck Manzoni commence dans le public, harangue quelques spectateurs attrapés au hasard. Son discours est indéchiffrable, labile. C’est le début d’une plongée dans les tréfonds d’un cerveau tourmenté. Écrit avec l’aide de Simon Delgrange à partir d’un matériau autobiographique, sa propre épreuve de père confronté à l’épilepsie aggravée de sa fille Garance, Et pourtant, il gardait sa tête parfaitement immobile se déploie comme un objet à entrées multiples.

L’acteur évolue comme à l’intérieur d’un espace mental, parmi des formes abstraites et massives sculptées dans le bois. Le personnage de quasi-fou perdu dans son monologue intérieur est l’un des quatre avatars du comédien aux côtés d’un détective, d’un médecin et d’un méditant. Le coauteur, metteur en scène et interprète approche son sujet à la manière d’un pointilliste, faisant converger quatre régimes de parole autour des ténèbres du cerveau révélées par la maladie de Garance. Sont mis dos à dos les paroles fatalement pragmatiques d’un neurologue mettant une famille face au dilemme de l’intervention chirurgicale, avec sa cruelle balance bénéfice-risque, et le témoignage d’un homme qui, face à ces angoisses, trouve l’apaisement dans la méditation, à l’instar de Manzoni lui-même.

Physique et terrien, le comédien de la bande de Catherine Marnas, saisit dès les premières minutes et tient la scène avec une puissance indéniable et presque autant d’humour. Solitaire, cette composition est néanmoins peuplée par la composition du jeune musicien Balthazar Monge, intégré au dispositif scénique, et les sculptures à caractère du plasticien spiritualiste Jean-Jacques Enjalbert. Et si l’on peut s’égarer dans les limbes de ce labyrinthe mental, où sont mis en regard le cerveau tourmenté d’un père et celui, souffrant, d’une fille, cette création, pensée pour le studio du TnBA, n’en offre pas moins un terreau fertile à de multiples interprétations.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Bordeaux

 

 

Et pourtant, il gardait sa tête parfaitement immobile de Franck Manzoni
Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Place Renaudel 
33000 Bordeaux

Du 2 au 11 mars 2023
Durée 1h30

Direction d’acteur Faustine Tournan
Création sonore Balthazar Monge
Création lumière Anna Tubiana
Œuvres Jean-Jacques Enjalbert
Avec Franck Manzoni et Balthazar Monge, musicien

Crédit photos ©Pierre Planchenault

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March 14, 2023 6:47 PM
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Maxime Taffanel, gros mangeur de mots : "A volonté" 

Maxime Taffanel, gros mangeur de mots : "A volonté"  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Valérie Hernandez dans Lokko, magazine culturel de Montpellier - 14/03/23

 

Son solo “Cent mètres Papillon” était un bijou de théâtre. Très attendu au tournant, après l’énorme succès de sa première pièce, Maxime Taffanel revient avec  “A volonté”, inspirée de son goût immodéré pour la bouffe. La confirmation d’un talent. 

Juché sur son grand vélo noir, Maxime Taffanel n’est pas passé inaperçu au dernier festival du Printemps des Comédiens. Tout le monde parlait de cet enfant de la balle, fils du couple Taffanel, deux figures singulières de la danse à Montpellier, et ancien élève de la grande époque d’Ariel Garcia Valdès au Conservatoire de Montpellier, devenu ensuite élève-comédien à la Comédie française. Il y présentait une ébauche de son nouveau projet “A volonté” tout en jouant dans une magnifique “Phèdre”, mise en scène par Georges Lavaudant. Ce qui donne des indices sur ses appartenances théâtrales, auxquelles on doit ajouter un nom : André Wilms qu’il vénère.

 

Peu de temps avant, il participait à la cérémonie des Molières, posant avec un large sourire comme s’il tenait la statuette sauf que ses bras étaient vides. Heureux d’avoir été nominé comme “Révélation masculine” -ce qui n’est pas rien- pour “Cent mètres papillon”, une autofiction théâtrale absolument virtuose où Taffanel se souvenait de ses années de nageur de haut niveau (*). Un rythme de croissance qui ne laissait pas espérer qu’il soit aussi grand que son géant de pote Manaudou et les gouffres frôlés sous la pression de la compétition lui ont fait opérer une bifurcation radicale. Il sera acteur. “Cent mètres papillon” explose en 2018 au festival d’Avignon. Des dizaines de dates suivent, jusqu’à récemment au théâtre du Hangar. Il a écrit la pièce, il la joue. C’est Nelly Pulicani qui assurait la mise en scène.

 

Toujours à l’écriture, il est aussi le metteur en scène dans cette nouvelle aventure. Ce qui signale déjà la boulimie créative de cet acteur de 31 ans qu’on a aussi vu à la télévision, notamment chez Candice Renoir. Un profil hybride et transversal, très nouvelle génération. “Cent mètres papillon” posait un regard sur l’aliénation du sport de haut niveau qui avait étonné par sa maturité et son mordant. Et avait énoncé assez clairement les choses : qu’on aurait tort de s’arrêter à la spectaculaire  physicalité de Maxime Taffanel.  Et ce, même s’il est un corps dansant, bougeant comme un danseur contemporain dans une touchante filiation.

 

“Je mange, je mens”

 

Quel rapport, quel fil à tirer entre la boulimie et la natation ? “Je mangeais beaucoup quand je faisais de la compétition. Mes soucis viennent de là“, confie-t-il au bar du théâtre Jean Vilar, un soir de représentation. Et ça commence par une longue énumération : “Madeleine, baba au rhum, crème brûlée, millefeuille, tiramisu, profiterolles….” Chemise blanche et pantalon noir, Maxime Taffanel pose les bases d’un festin de mots dans un démarrage fulgurant. “J’ai toujours eu de l’appétit. Toujours cette même envie de prendre encore une dernière part. Comme une peur de manquer“. On voit bien assez vite qu’il a fait de son trouble alimentaire une véritable opportunité théâtrale. Et quelle excellente catharsis ! “Né à midi 25” (et c’est vrai), il est venu au monde en plein repas. Il répète plusieurs fois “je mange” pour qu’apparaisse une clé psychanalytique : “je mens“. Sa grimaçante danse d’un forcené de la bouffe indique qu’il aurait pu briller en mode “seul en scène” autant que dans son miraculeux “Cent mètres papillon”. Dont il a gardé cette façon de secouer ses mains comme un athlète avant de monter sur le plot de départ.

 

Sauf que cette fois, il n’est plus seul. C’est un collectif -sa compagnie Robe de Bulles- qui relève le nouveau défi, en empruntant au burlesque. “Je ne voulais pas m’enfermer dans un solo” explique-t-il. A l’énumération initiale de Maxime Taffanel d’irrésistibles mets, en forme de mise en bouche solitaire, succèdent une série de séquences collectives dont il reste le centre et qui reconstituent l’univers mental du boulimique. Avec de vraies trouvailles de mise en scène, même si on peut parfois hésiter sur ce qu’il appelle ses multiples “chemins dramaturgiques” par opposition à la cohérence formelle du solo. Devant un buffet, il se fait engloutir en passant par un trou creusé dans la table. Une autre scène le montre en train d’être découpé et dégusté par une belle-famille cannibale. Une autre réunit des mangeurs anonymes prêts à affronter ensemble leurs démons. Pression sociale, estime de soi, de son corps, honte, peur du vide : voilà qui peut parler à beaucoup…

 

Vanessa Bile-Audouard, Hugue Duchêne, Lou Martin-Fernet étaient avec Maxime Taffanel sur la scène du théâtre Jean Vilar, les 7 et 8 mars.

 

Photos de “A Volonté” : Marc Ginot.

 

 

(*) Un texte lu pour la première fois dans le cadre du festival montpelliérain Texte en cours. 

 

 

 

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March 13, 2023 8:11 PM
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Pauline Peyrade, une prose combat contre les violences faites aux femmes portée sur la scène

Pauline Peyrade, une prose combat contre les violences faites aux femmes portée sur la scène | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Fabienne Darge dans Le Monde - 13/03/2023

 

RENCONTRE  L’écriture de la dramaturge et romancière, qui présente « Des femmes qui nagent » au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, ausculte l’emprise et les effets de la domination masculine au cœur même de sa forme.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/13/pauline-peyrade-une-prose-combat-contre-les-violences-faites-aux-femmes-portee-sur-la-scene_6165323_3246.html

 

Dans ce qu’elle écrit, il y a de la forêt et de la nuit, du silence, des terreurs enfantines qui reviennent s’inviter dans nos vies d’adultes. Pauline Peyrade a 37 ans, elle est dramaturge, tout nouvellement romancière, et c’est une des écrivaines dont on parle, en cette fin d’hiver. Sa dernière pièce, Des femmes qui nagent, est à voir au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 19 mars, avant de poursuivre sa tournée. Son premier roman, L’Age de détruire (éditions de Minuit, 160 p., 16 €), trace sa route, porté par sa puissance de saisissement et un bouche-à-oreille flatteur.

Du plus loin qu’elle s’en souvienne, Pauline Peyrade a toujours voulu écrire : « Dès l’âge de 4 ou 5 ans, je prenais des feuilles de papier que je pliais en deux, comme pour fabriquer des livres, avec des petites histoires inscrites à l’intérieur, raconte-t-elle, amusée. J’ai eu depuis la petite enfance une fascination pour l’écriture et les écrivains. » Elle a fait des études brillantes, mais le théâtre s’est invité tard, alors qu’elle était en khâgne au lycée Henri-IV à Paris. « C’est arrivé par la découverte de Jean Genet et de ses pièces Les Bonnes et Le Balcon, se souvient-elle. Cette lecture a été pour moi foudroyante, d’une importance capitale : à la fois pour la puissance d’évocation de Genet, pour son travail sur les rapports de domination, mais aussi pour toute sa pensée sur une forme de métathéâtre, sur la manière dont l’écriture se pense tout en écrivant. »

 

 

La figure tutélaire de Genet ne l’a jamais quittée au fil de son parcours, qui s’est poursuivi à la Royal Academy of Dramatic Arts de Londres, où elle a fait d’autres découvertes importantes, au premier rang desquelles Sarah Kane et Edward Bond. Pauline Peyrade a ensuite intégré l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (Ensatt) de Lyon, dans la même section dramaturgie où, aujourd’hui, elle accompagne de jeunes aspirants à l’écriture théâtrale. C’est donc armée d’un solide bagage théorique et intellectuel qu’elle a commencé à écrire ses textes, qui très vite ont été remarqués, notamment par le metteur en scène Cyril Teste.

« Reprendre les armes »

Pauline Peyrade détonne dans le paysage, où les écritures sociologiques plates et sans mystère se sont multipliées comme des petits pains ces dernières années, un peu trop faciles à fabriquer et à vendre aux programmateurs. D’emblée, ce qu’elle a proposé, avec des textes comme Bois impériaux, Poings ou A la carabine (tous publiés aux éditions Les Solitaires intempestifs en 2016, 2017 et 2020), c’était tout autre chose : de vrais dispositifs formels, des sortes d’enquêtes intimes explorant avec autant de sensibilité que de maîtrise l’intériorité de femmes en butte à différentes formes de violence. Car elle a su d’emblée que c’était cela qu’elle allait écrire : des histoires de la violence, et de celle qui s’exerce de manière spécifique, « systémique », dit-elle, sur les femmes et sur les petites filles.

 

 

 

Pauline Peyrade parle d’une voix douce, sa sensibilité et sa timidité affleurent à chaque instant dans la conversation, mais cela n’enlève rien à la netteté de son regard et de sa parole. « Mes textes ne parlent pas de moi, mais ils partent de moi, détaille-t-elle. Je suis une femme, j’écris à partir de là, et chaque texte combat une oppression, une aliénation ou un empêchement. A chaque fois, et là encore Genet me guide, la recherche formelle est l’enjeu central de cette démarche qui consiste à reprendre les armes, à se demander comment on les prend, et pourquoi c’est si difficile de les prendre. »

Quand on lui demande d’où vient cette hypersensibilité sur ces questions, Pauline Peyrade répond simplement qu’ « il ne s’agit pas d’un souci extérieur ». On n’en saura pas plus, mais la dramaturge insiste sur un point : « Comme beaucoup de femmes, j’ai eu conscience très tôt de l’inégalité de traitement entre les filles et les garçons. Et, comme beaucoup de femmes, cette prise de conscience, je ne l’ai pas menée jusqu’au bout, dans un premier temps. La plupart des petites filles et des adolescentes voient et nomment la différence de traitement qu’elles subissent, et le fait que ce ne soit pas juste. Mais elles ne prennent pas les armes contre le système ou elles les prennent mal. Parce que tout concourt à leur faire admettre que cette injustice est normale, qu’elle fait partie de la vie. »

Ecriture du corps et du détail

Cette violence masquée, effacée, recouverte par d’autres récits, et donc difficile à lire, à déchiffrer, est au cœur de ce que la jeune femme opère au sein même de l’écriture, au fil de textes qui sont marqués du sceau du fait divers et du conte. Même si ceux-ci ne subsistent le plus souvent qu’à l’état de traces. Dans Bois impériaux, écrit en 2015, elle était partie de l’histoire de Florence Rey et Audry Maupin, ces Bonnie and Clyde fin de siècle qui tuèrent cinq personnes dans leur cavale en 1994. Pour aller voir au final du côté d’Hansel et Gretel. Dans A la carabine, texte de 2019, le point de départ de l’écriture est l’histoire – vraie – d’une enfant de 11 ans qu’un tribunal français a estimé consentante à son propre viol. Portrait d’une sirène (2018) rassemble trois contes noirs, Princesse de pierre, Rouge dents et Carrosse, centrés autour d’une adolescente victime de harcèlement scolaire, d’une jeune femme aux prises avec les injonctions mercantiles qui veulent façonner son corps et d’une mère qui s’abandonne à la pulsion infanticide.

 

Dans tous les cas, Pauline Peyrade procède comme si elle nous faisait entrer dans la forêt mentale des personnages, obscure, épaisse, touffue. Son écriture du corps et du détail, ses enquêtes intimes, quasi psychiques, à la temporalité éclatée, ne s’offrent pas avec facilité, mais c’est bien le but recherché par l’écrivaine. « J’assume que ce soit un défi à lire, à déchiffrer, de même que pour le personnage central, c’est dur de déchiffrer le réel, à cause de l’état de choc, d’aliénation, de domination, de sidération, de peur, qu’elle subit. Opérer une lecture opaque, c’est rendre sensible le fait que d’une part c’est difficile de le lire, quand on est victime de ce type de violence, et d’autre part de trouver la sortie », explique-t-elle.

Des femmes qui nagent vient s’inscrire assez différemment de ce qui précède, de même que ce premier roman, L’Age de détruire, dont le titre, qui pourrait résumer tout le travail de Pauline Peyrade, est emprunté à Virginia Woolf. « Avec l’écriture romanesque, quelque chose s’est déplacé, même si les deux sont encore des histoires de la violence », note-t-elle. Quand la metteuse en scène Emilie Capliez lui a passé commande d’une pièce, l’autrice a eu envie de tourner son regard vers les actrices, qui, et cela n’a rien d’un hasard, sont à la naissance du mouvement #metoo. « Les actrices sont évidemment au cœur de ce que le cinéma a charrié comme représentation des femmes depuis sa naissance, rappelle l’autrice. J’ai eu envie de travailler l’image dans l’écriture elle-même, sans l’analyser. C’est très proche du roman, pour moi : il s’agit de décrire, et par le parcours de la description, raconter ce moment que l’on vit, où quelque chose se défait de ce grand rêve du cinéma, et s’interroger sur cette question du regard. »

 

Pour écrire la pièce, elle a revu des dizaines et des dizaines de films et travaillé sur la question du « male gaze », ce concept qui fait le constat que le regard dominant au cinéma a été longtemps celui de l’homme, reconduisant voire renforçant ainsi la domination des femmes. Et elle dit avoir éprouvé un certain vertige en constatant que son propre regard « était lui-même fait de male gaze autant que de female gaze ». Avec Pauline Peyrade, on rentre bien dans l’âge de détruire un certain nombre de représentations elles-mêmes dévastatrices. Avec les armes de l’art.

 

 

 

Lire aussi la critique : « Des femmes qui nagent », mille et une histoires de femmes de cinéma s’invitent au théâtre

 

 

Fabienne Darge / Le Monde 

 

Crédit photo  :  MATHIEU ZAZZO

 

Voir tous les articles de la Revue de presse théâtre associés au mot-clé "#MeToo Théâtre et cinéma"

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March 11, 2023 5:59 PM
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« Des femmes qui nagent », mille et une histoires de femmes de cinéma s’invitent au théâtre

« Des femmes qui nagent », mille et une histoires de femmes de cinéma s’invitent au théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 11/03/23

 

Dans sa dernière pièce jouée au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, Pauline Peyrade montre la représentation des femmes à l’écran et le parcours d’émancipation des actrices.

 

Lire l'article sur le site du "Monde": 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/11/des-femmes-qui-nagent-mille-et-une-histoires-de-femmes-de-cinema-s-invitent-au-theatre_6165103_3246.html

Intérieur nuit. Un grand hall de cinéma Art déco comme on les a tant aimés, avec portes battantes à hublot et fauteuils clubs. On se croirait dans un tableau d’Edward Hopper, avec une femme nimbée de solitude, attendant dans la coulisse la fin de la séance, la fin du rêve. Sauf que les femmes ici sont nombreuses, elles hantent la machine à jouer qu’ont imaginée Pauline Peyrade et la metteuse en scène Emilie Capliez ou la traversent avec fracas.

 

 

Elles, ce sont les actrices et les réalisatrices que l’autrice convoque en un vaste puzzle, qui jette en l’air et réagence les représentations des femmes telles que l’usine à rêves du cinéma les a mises en place depuis le début du XXe siècle. Ce qui fait tout le prix du projet, c’est que l’on est justement au théâtre, dans son ici et maintenant, et que le spectacle serait comme un long plan-séquence en chair et en os, où tourbillonnent mille et une histoires, en un kaléidoscope à la fois jouissif et réflexif.

 

 

Tout part de Marilyn, bien sûr, le mythe ultime, la figure sacrificielle par excellence. Le spectacle s’ouvre avec cette citation de Blonde, de Joyce Carol Oates : « Les yeux grands ouverts et l’air de voir, mais c’est un rêve qu’elle voit. » Les « femmes qui nagent », ce sont ces actrices d’Hollywood, mais ce sont aussi Romy Schneider ou Ludivine Sagnier, et bien d’autres. Comme autant de corps, de surfaces de projection.

 

Figures du refus et de la reconstruction

En un montage aussi ludique qu’intelligent, Pauline Peyrade nous promène et nous égare avec bonheur – avec l’aide du Mulholland Drive de David Lynch − au fil d’un parcours qui est aussi celui d’une émancipation. Ophélie Bau quittant la projection cannoise de Mektoub my Love : Intermezzo, en 2019, se sentant flouée par Abdellatif Kechiche ; Adèle Haenel se levant avec fracas de la cérémonie des Césars 2020, indignée par le prix remis à Roman Polanski ; Chantal Akerman inventant un nouveau cinéma, avec la divine Delphine Seyrig en étendard… Autant de figures du refus et de la reconstruction.

 

 

Emilie Capliez, la directrice de la Comédie de Colmar (centre dramatique national), inscrit ce parcours dans une mise en scène très maîtrisée, inventant un espace-temps bien particulier, qui n’est ni celui du cinéma ni celui du théâtre traditionnel. Dans le superbe décor conçu par Alban Ho Van, les fragments se télescopent en un tourbillon où l’on ne reconnaît pas toujours toutes les histoires, mais cela n’a aucune importance. Le puzzle pourra être reconstitué après coup.

S’il en est ainsi, c’est bien sûr grâce aux comédiennes : Odja Llorca, Catherine Morlot, Alma Palacios (en alternance avec Louise Chevillotte) et Léa Sery. Pour elles, cette matière est un formidable terrain de jeu, dont elles s’emparent avec jubilation. Avec elles, ces Femmes qui nagent creusent un vertige. Ce cinéma que l’on a tant aimé, sur quoi a-t-il bâti son rêve ? « J’ai tant aimé le cinéma. Sans peur. Dans l’innocence », disait Chantal Akerman. Aujourd’hui, le temps n’est plus à l’innocence, et ce n’est pas plus mal.

 

 

« Des femmes qui nagent », de Pauline Peyrade. Mise en scène : Emilie Capliez. Théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis, jusqu’au 19 mars. Puis à la Comédie de Reims, du 19 au 21 avril.

 

Fabienne Darge / Le Monde

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