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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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July 26, 2021 5:16 AM
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Manfred Karge & Matthias Langhoff : rare reconstitution d’une association dissoute 

Manfred Karge & Matthias Langhoff : rare reconstitution d’une association dissoute  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan  - 26 juillet 2021

Légende photo :  Karge & Langhoff à Chalon-sur-Saône en cette fin juillet 2021 © jpt

 

Tandis que le festival d’Avignon s’achève, se déroule au Piccolo, petit théâtre de la ville de Chalon-sur-Saône, un bel événement : la reconstitution d’un couple fameux dans l’histoire du théâtre européen, celui que formèrent Matthias Langhoff et Manfred Karge. L’un met en scène « Corps étranger », une pièce écrite par l’autre. Qui verra ce spectacle ?

 

 

L’un, Manfred Karge, est né à Brandebourg en 1938 et y a grandi , « un vrai prussien », dit aujourd’hui l’autre, Matthias Langhoff né en exil trois ans plus tard, à Zurich où son père ( directeur d’un grand théâtre berlinois) s’était réfugié avec sa famille, fuyant le nazisme. Les jeunes Manfred et Matthias allaient se rencontrer au Berliner Ensemble, où ils entrent la même année, 1961, cinq ans après la mort de Brecht. Sa veuve, la grande actrice Hélène Weigel a pris la direction du théâtre et veille sur ces jeunes recrues. Une amitié naît entre ces deux hommes qui n’ont pas trente ans. Un demi siècle plus tard, l’amitié est toujours là, malgré les soubresauts, l’éloignement et le temps passé. Les voici ensemble à Chalon-sur-Saône en cette fin juillet dans un théâtre sans âge, à la beauté comme miraculée ; le Piccolo. Mais n’anticipons pas.

 

 

K & L du Berliner à la Volksbühne

Très vite au Berliner, Karge & Langhoff co-signent un premier spectacle Le petit Mahagonny de Brecht créé pour le 65e  anniversaire de la naissance de Bertolt. Le succès, considérable, les rend encore plus inséparables. Suivront, toujours de Brecht,   L’achat de cuivre et Le commerce de pain. « Un proverbe chinois dit deux rats sont meilleurs ensemble se souvient aujourd’hui Langhoff sous le regard de son ami. On s’est dit qu’on allait avancer ensemble. On ne s’est pademandé qui ferait quoi. Ce n’était pas une question. Quand le premier rat prend des risques, le deuxième est là pour dire : fais attention, n’allons pas à Moscou, la ville va brûler. Notre histoire commune est d’abord fondée sur une profonde amitié » . Manfred Karge assis à côté de lui dans ce café de Chalon-sur-Saône opine et , bien que de trois ans son aîné ajoute : « Matthias était non seulement mon partenaire mais aussi mon professeur » . Entre l’enfant de Brandebourg ayant grandi entouré de nazis et le fils d’exilés, Brecht sert de lien et de terrain de jeu.

Après avoir mis en scène Sept contre Thèbes d’Eschyle, en 1969, ils quittent ensemble le Berliner pour la Volksbühne de Berlin dirigée par Benno Besson. L’aventure commune se poursuit : La forêt d’Ostrovski, Les brigands de Schiller.. Repérés par Michel Bataillon et Gabriel Garran, ils montent avec des acteurs français   Lcommerce de pain au Théâtre de la commune d’Aubervilliers en 1972 , Retour à la Volksbühne avec Le Canard Sauvage d’Ibsen puis en 1975, La bataille de Heiner Müller, spectacle qui viendra à la Fête l’Humanité l’année suivante, puis au TNP et au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis dirigé par René Gonzalez. C’est par K&L que l’on découvre Müller en scène et qu’on le lit traduit par Jean Jourdheuil. Dans leur commun périple, Muller succède à Brecht.

 

 

Abrégeons, la liste des spectacles signés K&L est longue. Sautons jusqu’à l’été 1981 où ils présent au Festival d’Avignon avant Nanterre et le Festival d’automne Marie, Woyzeck (Büchner). Trois ans plus tard, avec une distribution française, voici La Cerisaie de Tchekhov ( Christiane Cohendy, Olivier Perrier, etc) puis Le Prince de Hombourg de Kleist (Gérard Desarthe, Philippe Clevenot, mais aussi Serge Merlin, Denis Lavant, François Chattot). Deux ans encore Matthias Langhoff, seul, met en scène un fabuleux Roi Lear au TNS (reprise à la MC93) avec Serge Merlin dans le rôle-titre.

 

 

Langhoff côté langue française

 

Entre temps les routes des deux monstres ont bifurqué. Manfred Karge comme acteur suit le metteur en scène Claus Peyman au BurgTheater de Vienne. Par la suite il dirigera et enseignera la mise en scène dans une grand école de théâtre berlinoise et commencera à écrire de rares pièces dans tous les sens du terme.

 

Matthias Langhoff, travaille alors le plus souvent en Suisse (Vidy Lausanne, Comédie de Genève) et en France (TNB, MC93 , Festival d’ Avignon) jusqu’à demander et obtenir la nationalité française.. De Mademoiselle Julie jusqu‘à Si de là-bas si loin (Hölderlin Beckett) en passant par Richard III (avec le jeune Marcial di Fonzo Bo dans le rôle titre, lire ici) et différents Œdipe roi ( avec des Afghans, des Russes, etc, lire ici.), la liste des éblouissements est conséquente..

 

 

Sautons encore quelques spectacles inoubliables pour en arriver au Cabaret Hamlet en 2017. François Chattot est alors à la tête du CDN de Dijon-Bourgogne. Nicolas Royer travaille à ses côtés et c’est ce dernier qui monte la production du spectacle. François Chattot jouera le rôle titre de ce spectacle qualifié dans ce blog (alors abrité par Rue89) de « chef d’œuvre hors normes » (lire ici) .

Trois ans passent, Nicolas Royer dirige maintenant l’Espace des arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône. Un jour, il montre à Matthias Langhoff les travaux de rénovation et d’agrandissement  effectués . Cette visite, la pandémie, le confinement et la pensée toujours en mouvement qui le caractérise donnent envie à Matthias d’écrire une longue lettre à « Mon cher Nico » (Nicolas Royer) rendue publique via ce blog. Je vous y renvoie (lire ici), mais je ne résiste pas à en en citer quelques lignes, lucides et prémonitoires, écrites au printemps 2020 :

« Sans doute allons-nous bientôt devoir porter un masque pour sortir dans la rue. Ce que cela signifie pour notre vie, et donc pour notre culture, je ne veux même pas me le représenter. Ne me vient pour l’instant à l’esprit qu’une seule réponse, la pire : on s’y habituera. Et que signifie alors la phrase de Heiner Müller : «La mort est le masque de la révolution. La révolution est le masque de la mort.»

 

 

C’est cauchemar de penser que les mesures prises pour lutter contre cette pandémie constituent un exercice pour l’avenir. Le déplacement du travail vers l’espace domestique par la mise en réseaux, l’approvisionnement entre les mains d’Amazon & co, la convivialité et la communication via Whats App, la culture et l’information réchauffées dans les tubes télévisés. La beauté de voir les rues sans automobiles et de respirer de l’air propre dans les villes ne va pas sans l’interdiction d’exprimer sa mauvaise humeur dans la rue. Ce qui était Polis ou communauté devient réseau.

Cher Nico, permets moi de revenir à cette idée encore une fois : du théâtre pour cinquante, ou au maximum cent spectateurs, dispersés dans ta grande salle, bien installés, à leur aise. Pour toi sûrement une source d’effroi, pour moi, un espoir. »

 

 

La découverte et l'amour du Piccolo de Chalon-sur-Saöne

Ce n’est pas dans la grande salle de l’Espace des arts mais dans la petite salle de vieux théâtre, à la fois beau, fatigué et envoûtant qu’est le Piccolo que se donne, ces jours-ci à Chalon-sur-Saône devant 50 spectateurs, Corps étranger de Manfred Karge dans une mise en scène de Matthias Langhoff, une traduction et version nouvelle d,’Irène Bonnaud, avec François Chattot et Emmanuelle Wion (tous deux familiers des spectacles de Langhoff), et une équipe (son, lumière, régie, etc.) hors pair..

 

 

On n’avait pas vu de spectacle dirigé par le metteur en scène allemand naturalisé français depuis sa version de La Mission  de son ami Heiner Müller rapportée de Santacruz (Bolivie) et donnée dans quelques lieux amis français à l’automne 2017 (lire ici), longtemps après sa création en traduction française (Jourdheuil) au Festival d’Avignon 1989 par le même Langhoff , non sans malice un 14 juillet, en cette année du bicentenaire de la Révolution.

 

 

Après cette Mission bolivienne d’autres projets s’étaient profilés comme une nouvelle version d’Hamlet-Machine de Müller en tandem avec Igor et le théâtre Dromesko qui n’a pas abouti faute de coproducteurs. Langhoff avait aussi songé à La force de l’habitude de Thomas Bernhard avec des acteurs chers (comme François Chattot, Charlie Nelson, Gilles David) mais, là encore, les coproducteurs ont manqué.. C’est alors que Langhoff s’est souvenu de la première pièce de Manfred Karge, Jacke wie Hose.   Matthias était présent lors de la première mondiale à Bochum en 1982. «  C’était l’époque où je voulais sortir d’Allemagne. J’avais besoin de me réinventer et pour ce faire sortir de la langue allemande. Et quand j’ai vu cette première pièce avec dans le double rôle d’Ella et Max Gericke , l’actrice Lore Brenner, j’ai dit à Manfred qu’un jour je mettrai en scène Jacke wie Hose non avec une actrice mais un acteur ». . Quasi quarante ans après, c’est le cas. François Chattot est à la fois Ella et Max Gericke, l’homme et la femme, La pièce  se tient entre deux sexes, côté femmes..

 

 

De Nicolas Royer à Irène Bonnaud

Sans l’énergie et l’engagement ( entre autres financier) de Nicolas Royer - - qui a , le plus souvent en vain, sollicité bien des théâtres et non des moindres -, ce nouveau spectacle du grand Matthias Langhoff n’existerait pas. Les directeurs et acheteurs susceptibles de le programmer viendront-ils à Chalon à l’heure de leurs probables vacances ? Le spectacle tournera t-il ? Rien n’est moins sûr à ce jour. A 80 ans Matthias Langhoff, ce géant de la scène européenne comme on a tenu à le rappeler plus haut en énumérant quelques unes de ses mises en scène d’exception, est un homme qui, en France, gêne dans le paysage, et pour certains, y compris en haut lieu, passe pour un vieux à vif qui fait chier et ferait mieux de raccrocher les gants. Honte à eux. Au Japon, Langhoff serait honoré comme un Trésor national vivant. Que l’État français, que ses pairs (qui ne lui arrivent pas à la cheville pour la plupart, ceci expliquant en partie cela) manifestent ainsi une absence de considération et de respect envers cet immense metteur en scène me laisse à tout le moins pantois, et à dire vrai, en colère. Pour d’impérieuses raisons personnelles je ne pouvais pas quitter Paris en ce mois de juillet et donc aller au festival d’Avignon comme chaque année. Mais je ne pouvais pas ne pas faire une entorse à ces raisons pour aller passer quelques heures auprès de Matthias, Manfred, François, Emmanuelle et les autres à Chalon-sur-Saöne.

 

 

Corps étranger ? C’est le titre choisi par Irène Bonnaud et Matthias pour traduire Jacke wie Hose ( la veste et le pantalon, proverbe allemand), première pièce écrite par Karge écrite pour sa compagne, l’actrice autrichienne Lore Brunner à laquelle elle est dédiée. Traduite par Michel Bataillon sous le titre Max Gericke ou pareille au même , elle a été créée en 1984 par l’actrice Marief Guittier dans une mise en scène de Michel Raskine. Ce dernier reprendra ce spectacle dix ans plus tard avec la même actrice et le même succès, disant de la pièce qu’elle est « un coup de maître », « un coup de génie ». Jacke wie Hose allait logiquement faire le tour du monde. « Comme le proverbe allemand du titre n’est pas directement traduisible, dans chaque pays on l’affuble d’un nouveau titre » raconte en souriant Manfred Karge tout en découvrant le titre français et l’extraordinaire travail effectué par Irène Bonnaud pour cette nouvelle version de Jackwie Hose..

 

Retour sur un fait divers

Tout part d’un fait divers. Deux femmes allemandes n’étaient pas heureuse en mariage. Le mari de Maria Einsmann la battait, celui d’Hélène Muller aussi mais lui fit deux enfants. Les deux femmes se sont connues et sont devenues proches dans une usine d’armement en 1916. Divorce ou séparation, les maris partent au front, disparaissent. Les deux femmes vont ensemble s’installer à Mayence en 1919. Mais le travail manque pour les femmes. Priorité aux hommes au retour de la guerre. Maria se souvient alors avoir emporté avec elle des habits de son mari et dans une poche elle retrouve des papiers d’identité. Cheveux coupés, habits d’homme, elle se présente au bureau d’embauche. Trouve un travail. Douze ans durant elle va ainsi exercer différents emplois en se faisant passer pour son mari (ou ex mari), Joseph Einsmann. Le subterfuge sera découvert suite à un accident du travail . Le médecin demandant à voir son corps et les services sociaux ayant deux dossiers pour un même nom..

 

 

L’affaire fait grand bruit, la presse s’en empare. L’institut de sexologie de Berlin aussi qui parle de névrose du travestissement, voire de transexualité, ce que Maria alias Joseph rejette d’un bloc devant le tribunal. Ses camarades de travail, avant tout des hommes, défendent Joseph enfin Maria en parlant comme quelqu’un de consciencieux, serviable, etc. .Les peines de prison sont mesurées mais les deux femmes perdent leur emploi. Libérées, elles à vivre ensemble, les enfants d’Hélène appelant Maria « tata ». Maria part la première en 1959, à soixante quatorze ans. Le 6 mars 2020 on a inauguré à Mayence la place Maria Einsmann. La magnifique pièce de Karge n’y est sans doute pas pour rien. Cette histoire fascina des écrivains dont Anna Seghers (plusieurs nouvelles) et Brecht (une nouvelle) . Karge connaissait ces textes d’écrivains proches mais ignorait le fait divers qui en était à l’origine, jusqu’à ce qu’il reçoive en 1987 une copie d’un article de journal relatant l’histoire qui, par bien des points , correspond à celle qu’il avait imaginé cinq ans plus tôt en écrivant .Jacke wie Hose, « une biographie allemande en 34 scènes » (certaines ajoutées après la chute du mur de Berlin).

 

 

Deux Gericke pour un Chattot

La pièce met en scène Ella Gericke (François Chattot) et (le fantôme de) son mari Max (Français Chattot), -notons en passant qu’Ella est le prénom de la mère de Karge et Max celui de son père. Max est grutier. Atteint d’un cancer il travaillera jusqu’au bout. A toutes fins utiles ou inconsciemment nous racontera-t-elle, sa femme lui demande moult précisions sur son travail en haut de la grue. Max meurt. Ella, pour survivre, prend l’identité et l’apparence de de son mari tout en organisant, si l’on peut dire, son propre enterrement Dès le lendemain, à cinq heures, Ella Gericke devenue Max, se retrouve en haut de la grue, un bandage autour de la tête (aux cheveux coupés) pour excuser quelques maladresses dues à son apparente blessure. Commence ainsi sa double vie qu’elle nous raconte ce qui l’entraîne à revenir sur sa propre vie, son enfance (les trois livres du logis de ses parents : la Bible, un livre de cuisine , une encyclopédie), les hommes aimés en vain, et celui qu’elle épousera ( « Après qu’on a couché ensemble, il a dit : pas de cul, pas de nénés, c’ est Blanche Neige en plein été ») tout en bifurquant dans des rêves. Tout se passe près de la buvette -Trinkhalle- qu’inaugure sa patronne madame Ottilie (Emmanuelle Wion) auquel un homme de à tout faire rend service (Julien Levallet, par ailleurs régisseur du spectacle.). Ottilie est « une rouge », elle risque d’être arrêtée, Gericke lui donnera son propre passeport au nom d’Ella Gericke caché sous le matelas :« Tiens, prends. On s’est embrassés et elle est partie ». L’écriture est constamment condensée Le décor (Catherine Rankl) a pour élément principal, côté jardin, la devanture de la buvette. Au fond sont projetés différents éléments filmiques (régie vidéo Anton Langhoff) bricolées par Matthias. Au fond, côté cour, un compteur lumineux indique le numéro de la séquence en cours..

 

 

Les répétitions, interrompues par le Covid , ont repris quelques jours avant la première mais comme toujours, Mathias Langhoff, jusqu’au dernier moment, change beaucoup de choses. Ce qui n’étonne ni n’inquiète François Chattot et Emmanuelle Wion qui ont joué dans nombre de spectacles de Langhoff, rompus qu’ils sont à sa façon de travailler ensemble tous les éléments de la représentation. Dans une même phrase dite en répétition, Mathias peut s’adresser tour à tour ou en même temps au créateur lumières (Christophe Renon), à celui de la musique (Frédéric Fresson), à la répétitrice (Léa Hübner), à la costumière ( Chantal Bachelier), à l’accessoiriste ( Mathilde Merius), tout en demandant à modifier la vitesse d’un rideau et en cherchant avec les acteurs le bon tempo d’un déplacement. Tout avance de front. C’est cette énergie globale qui donne cette densité et cette souplesse si particulières à ses spectacles.

 

Ce jour là, tout se déroule en présence de l’auteur (qui ne parle pas français). Assis à côté de son vieux camarade, Karge n’intervient pas Langhoff parle, lui, un français plutôt haché et renversant, disons un sabir qui lui est propre mais que tout le monde semble comprendre à commencer par son assistante, la fidèle Véronique Appel.

 

 

Lettre aux spectateurs

Comme toujours, Langhoff agrège à la pièce des éléments qui n’y sont pas mais lui font écho et l’enrichissent. Ainsi l’un des artisans du spectacle est filmé devant sa console nous racontant l’histoire de son grand-père fait prisonnier par l’armée allemande. On traduit les propos à Manfred Karge qui, plus tard, racontera :«  Je dois ma vie à un prisonnier français qui travaillait dans une usine de Brandebourg où l’on traitait l’amidon dans de grandes cuves. Le produit glissait par un toboggan et la surface blanche mousseuse ressemblait à de la neige. J’avais dix ans et mes camarades. m’ont fait croire que c’était vraiment de la neige. Je me suis lancé sur le toboggan et je me suis enfoncé dans la neige qui n’en était pas. Mes camarades, apeurés, se sont enfuis et c’est un prisonnier français qui, en m’extirpant de là, m’a sauvé la vie ».Matthias qui connait bien son ami ignorait cette histoire.

 

Dans la première scène de la pièce, Gericke raconte une croisière faite au temps d’Hitler allant jusqu’à un fjord norvégien et qui avait pour titre « La force de la joie ». En préambule et en écho à cette première scène, Matthias Langhoff introduit une séquence filmée: alors que l’on entend La création du monde , une œuvre de Darius Milhaud datant de 1923 et que l’on voit à l’écran la caméra circuler dans Il monde Nuovo, une oeuvre de Giandomenico Tiepolo de 1791, défile, ligne après ligne, une Lettre aux citoyens de Chalon-sur-Saône  écrite par Langhoff. Premiers mots : : « Découvrez comme nous l’avons fait l’un des plus beaux théâtres encore conservés en France. Il vous appartient. Il est en mauvais état. Il est traité sans amour comme tant de vieilles choses ». Cette lettre d’amour au Piccolo s’achève ainsi : «  Il est rare de trouver une scène avec une acoustique aussi pure, avec autant de beauté dans l’architectureautant de grâce dans les fresques et les sculptures. Un tel instrument transforme la visite en événement : une fête ». Tous au Piccolo !

 

 

Matthias Langhoff, avant d’y renoncer, avait aussi songé à introduire dans le spectacle un poème de Pier Paolo Pasolini, Je suis une force du passé (1964). Comme lui , il rôde, « plus moderne que n’importe quel moderne/ pour chercher des frères que ne sont plus ». Pas tous. Manfred Karge en est un, ses acteurs en sont d’autres...

 

Jean-Pierre Thibaudat / Balagan 

 

Ce soir et demain, 20h au Théâtre Piccolo de Chalon-sur-Saône, 34 rue aux Fèvres, jauge à 50 personnes, pas de passe sanitaire.

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January 31, 2015 8:29 AM
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Le « Cinéma Apollo » de Langhoff brode sur « Le Retour d’Ulysse » et « Le Mépris » - Rue89

Le « Cinéma Apollo » de Langhoff brode sur « Le Retour d’Ulysse » et « Le Mépris » - Rue89 | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Jean-Pierre Thibaudat sur son blog "Théâtre et Balagan"

 

Le nouveau spectacle de Matthias Langhoff, « Cinéma Apollo », s’inspire librement du roman d’Alberto Moravia, « Le Mépris » lequel avait inspiré , il y a cinquante ans (!), le film de Jean-Luc Godard. "Le Mépris" (le film) traverse également le spectacle qui, au demeurant , commence par un film, « Encore une bière ».Plaisir des enchâssements, rouerie de la volte-face, tourbillon des réminiscences... Mezzo voce, dans une lumière entre chien et loup, Matthias Langhoff signe un spectacle où la blessure le dispute à la tristesse sur fond de grognements salvateurs (...)


CLIQUEZ SUR LE TITRE OU LA PHOTO POUR LIRE L'ARTICLE ENTIER DANS SON SITE D'ORIGINE



"Cinéma Apollo", mise en scène de Caspar et Matthias LanghoffTexte Matthias Langhoff et Michel Deutsch

Théâtre de Vidy Lausanne jusqu »au 7 février.

Comédie de Genève du 13 au 22 fév.Hippodrome de Douai du 11 au 13 mars.Festival MITEM à Budapest, le 14 avril.Espace Jean Legendre à Compiègne les 21 et 22 avril.L 'Apostrophe à Cergy les 5 et 6 mai.Théâtre National de Toulouse du 28 au 30 mai.


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September 24, 2014 11:34 AM
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En Grèce, on ne court pas nu dans l'arène

En Grèce, on ne court pas nu dans l'arène | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Le metteur en scène Matthias Langhoff est poursuivi pour avoir « outragé un lieu sacré », le théâtre antique d'Epidaure.

 

En Grèce, on ne plaisante pas avec les sites archéologiques. Le metteur en scène de théâtre franco-allemand Matthias Langhoff est poursuivi pour avoir « outragé un lieu sacré », en l'occurrence le théâtre antique d'Epidaure (Péloponnèse), en y tournant une scène de nu nocturne, a-t-on appris le vendredi 19 septembre auprès du ministère grec de la culture.

 

« LE SCRIPT ORIGINAL NE FAISAIT AUCUNEMENT MENTION DE SCÈNE DE NU »


Arrêté avec son équipe dans la nuit de mercredi à jeudi, l'artiste, âgé de 73 ans, a passé plusieurs heures au poste de police de la ville voisine de Nauplie avant d'être relâché jeudi 18 dans l'après-midi. M. Langhoff avait certes reçu l'autorisation de filmer sur le site d'Epidaure dans le cadre d'un documentaire lui étant consacré mais, selon une source du ministère de la culture, « le script original ne faisait aucunement mention de scène de nu. Nous aurions alors refusé d'octroyer l'autorisation car nous exigeons un respect total de nos monuments ».

Alors que le site avait été vidé depuis plusieurs heures de tout public, le gardien de nuit aperçoit vers 2 heures la jeune actrice franco-chilienne Nicole Mersey, dans une interprétation très libre de Circé, courant nue dans l'arène d'Epidaure. Selon un proche de la production, Langhoff tournait en fait sa version du Xe chapitre de l'Odyssée, où Circé transforme les camarades d'Ulysse en cochons. Plus précisément, il s'agissait de la scène où Ulysse fait ses adieux à Circé. Une séquence destinée à s'intégrer dans le spectacle Cinéma Appolo en cours d'élaboration. Une suite libre au Méprisde Godard, écrite par Matthias Langhoff et Michel Deutsch et coproduite par le Théâtre Vidy de Lausanne et plusieurs autres théâtres suisses.

« Très ému », donc, ainsi que le rapporte la presse grecque, le gardien a décidé d'appeler la police. C'est que Matthias Langhoff n'en était pas à son coup d'essai, et peut-être était-il un peu attendu à Epidaure. En 1997, sa version très politique des Bacchantes, d'Euripide, montée à Thessalonique en coproduction avec le Théâtre national de la Grèce du Nord et présentée durant l'été 1997 à Epidaure, avait fait scandale.

CONNU POUR SE JOUER DES TABOUS

Son Dionysos faisait son entrée nu, à quatre pattes. Le chœur des femmes, loin du traditionnel chœur de la tragédie grecque, dansait au son de percussions africaines. Et, sacrilège ultime dans un lieu d'où les animaux avaient été bannis il y a des décennies, au nom de la sauvegarde d'une nappe phréatique située sous le chœur, Langhoff utilisait un cheval et un mouton dans sa mise en scène.

L'auteur est connu pour se jouer des tabous et pour ses provocations scénographiques. Influencé par Bertolt Brecht, Matthias Langhoff, d'origine allemande et naturalisé français, a monté des pièces dans toute l'Europe, dont le Festival d'Avignon et la Volksbühne de Berlin.

En réaction aux accusations du ministère de la culture grec, il a, à son tour, déposé une plainte contre le service archéologique qui avait délivré l'autorisation de tourner le documentaire. Selon le ministère de la culture, cela n'empêchera pas M. Langhoff d'être convoqué d'ici peu au tribunal pour répondre de « ses actes provocateurs ».

 

 

Adéa Guillot (Athènes, correspondance) 
Journaliste au Monde 
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September 20, 2014 7:39 PM
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Une scène de nu conduit le metteur en scène Matthias Langhoff en justice

Une scène de nu conduit le metteur en scène Matthias Langhoff en justice | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Le metteur en scène franco-allemand Matthias Langhoff, connu pour ses audaces scéniques, est poursuivi en Grèce pour avoir «outragé un lieu sacré», en l'occurrence le théâtre antique d'Epidaure, en y tournant une scène de nu nocturne, a-t-on appris vendredi auprès du ministère grec de la Culture.

 

AFP Athènes

 

CLIQUER SUR LE TITRE OU LA PHOTO POUR LIRE L'ARTICLE ENTIER DANS SON SITE D'ORIGINE

 

Et aussi : http://www.20min.ch/ro/news/faits_divers/story/Une-scene-de-nu-dans-un-the-tre-antique-choque-22172146

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April 22, 2020 7:06 AM
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Une importante lettre du metteur en scène Matthias Langhoff 

Une importante lettre du metteur en scène Matthias Langhoff  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Lettre ouverte du metteur en scène allemand Matthias Langhoff, publiée par Jean-Pierre Thibaudat sur son blog  Balagan - 20 avril 2020


Le grand metteur en scène Matthias Langhoff m’a adressé copie d’une lettre destinée à Nicolas Royer, le nouveau directeur de l’Espace des Arts, Scène nationale Chalon-sur-Saône. Cette lettre brasse bien des données et regarde vers l’avenir : qu’en sera t-il du « spectacle vivant » au sortir du confinement ? Il m’a semblé important que mon blog - voué à la vie théâtrale -relaie cette lettre.

Mon cher Nico,

Quand tu m’as montré en février ton nouveau foyer, l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, une des dernières «Maisons de la Culture» construite selon la conception de Malraux - tu étais fier de la réussite des travaux de rénovation, des nombreuses scènes, des autres espaces susceptibles d’accueillir du public, des surfaces d’exposition - je t’ai demandé si tu avais aussi suffisamment d’argent pour faire vivre cette maison. «Bien sûr que non», m’as-tu répondu avec un sourire triste. J’ai senti la colère monter en moi. Le cadavre de Malraux a été enterré au Panthéon et avec lui, semble-t-il, sa grande idée, une vie culturelle pour tous. Il  n’avait pas peur de l’idée d’une «politique culturelle» et y voyait, soutenu par de Gaulle, une des tâches centrales d’un gouvernement français. La «Maison de la Culture» de Chalon, qui à vrai dire avait été pensée pour Dijon, mais n’avait pas reçu l’approbation du maire-chanoine et inventeur d’apéritifs Félix Kir qui y voyait une «idée communiste», est un exemple judicieux pour juger de la politique culturelle actuelle qui n’a rien de commun avec l’héritage de Malraux. Car la politique qu’on pratique aujourd’hui, sans conscience et fondée sur des impératifs économiques, mène aussi à une politique anticulturelle. La rénovation généreuse du bâtiment et ici, pour une fois, réussie, ce qui n’arrive pas si souvent, accroît sa valeur immobilière pour son propriétaire, indépendamment des revenus liés à son utilisation. Le propriétaire attend néanmoins de ces revenus qu’ils soient les plus hauts possibles pour des coûts de production réduits. C’est cette règle du jeu qu’on appelle «liberté artistique» : elle repose sur le postulat que le robinet puisse aussi être définitivement fermé. Pour l’Etat français actuel, la politique culturelle, c’est du sponsoring, pas une artère vitale à la nation et à sa population.

Après t’avoir promis d’écrire quelque chose sur un possible usage de «l’Espace des Arts» au sens de Malraux et sur le mépris de cet héritage par les gens chargés aujourd’hui d’en administrer la succession, l’envie m’est passée d’écrire en pensant que mes destinataires, dans tout ce qu’on peut coucher sur le papier, ne cherchent que les chiffres et surtout les chiffres derrière lesquels il y a le signe €. Car c’est bien ainsi que se comprend le diktat de la liberté artistique.

 

 

Et puis notre façon de produire et de consumer, bien trop négligente, ainsi qu’une démocratie qui n’est qu’obligation à l’enrichissement matériel, nous ont fait cadeau du CORONA VIRUS COVID-19, dont nous ne pouvons pas encore évaluer les conséquences, mais elles seront énormes. Je ne fais pas partie de ceux qui croient qu’après la crise, une reconstruction grandiose, avec masques sur le visage - la Burka peut se vanter d’avoir été là un précurseur - arrangera tout et mieux qu’avant. Je fais partie de ceux qui sont convaincus qu’une transformation radicale de notre vie est nécessaire pour sortir, sur le long terme, de cette situation misérable. Le capitalisme dans sa forme libérale a fait son temps. Il n’en ira pas ainsi de l’élimination du capitalisme; il ne peut mourir que de lui-même, pour ainsi dire de mort naturelle. Justice, profit, morale, progrès, culture : autant de notions qu’il nous faut évaluer et manier de façon nouvelle.

 

En ce qui concerne le théâtre, je ne crois pas être trop grand pessimiste quand je suppose que les scènes ne seront plus accessibles à un public de masse jusqu’à la fin de cette année. Si elles étaient rendues accessibles, on peut se demander pour combien de spectateurs, et à quelle distance les uns des autres, cette ouverture resterait justifiable économiquement. La question se pose aussi de qui fréquentera encore les théâtres si cette fréquentation est liée à des risques pour la santé. La disparition de ce qu’on appelait administrativement jadis «spectacle vivant» signifie une catastrophe économique pour un nombre monstrueux de gens, et pour longtemps. Je ne parle pas seulement des artistes, mais des techniciens, des constructeurs de décors, des couturières, du personnel des entreprises de nettoyage et de beaucoup d’autres. Parce que tous ces salariés sont chez nous, à une écrasante majorité, des salariés indépendants ou précaires, ils ne sont pas syndiqués et sont sans filet de sécurité.

Pourtant il y a bien dans cette crise, que nous appelons encore «crise du Corona» au lieu de l’appeler crise du système, une opportunité. Qu’il ne puisse y avoir de représentations publiques ne signifie pas qu’on ne puisse produire dans les lieux de représentations - la seule chose qui s’y oppose, pour l’industrie culturelle publique, c’est le virus AVP (Achat-Vente-Profit).

 

On dit que toutes les mesures prises en ce moment le sont surtout pour protéger les gens âgés, dont je fais partie, car ils seraient les plus menacées par le virus. C’est grotesque, mais nous les vieux serons au contraire les moins touchés par les conséquences de la crise. Nous, ou moi, vivons de petites retraites et avons été depuis longtemps exclus du processus productif. C’est pourquoi je sens qu’il est de mon devoir de dispenser des conseils. Aujourd’hui les artistes qui dirigent les théâtres ne sont plus des hommes d’Etat, plutôt des propriétaires à durée déterminée, alors les retraités, je pense, peuvent se conduire à nouveau comme des hommes d’Etat. Taper sur les nerfs de tout le monde avec leurs discours est le mieux qu’ils puissent faire. Mais assez de justifications. J’écris pour demander à l’Etat un programme d’aide d’urgence jusqu’à fin de la saison 2020-21, à effet immédiat et sous conditions précises. A savoir un programme qui mise sur un travail culturel subventionné et même payé par l’Etat, et non sur sa vente.

 

Quand, dans ce qui suit, je parle de théâtre, je suis bien conscient que ces réflexions concernent tous les arts qu’on rassemble sous le terme «spectacle vivant». Je dis théâtre parce que c’était et c’est toujours mon espace de travail. Ce programme d’aide d’urgence devrait soutenir des essais (Versuche), c’est-à-dire des expérimentations, pour inciter l’art théâtral à développer une autre relation à son public et à son environnement. Je pense à des tentatives d’utiliser le théâtre pour des recherches scientifiques ou sociales ou dans le domaine de l’action sociale. Par exemple, jouer des tragédies grecques en cuisinant un repas pour des personnes démunies, avec le partage de la nourriture que cela implique. Le tout serait filmé comme contribution à l’art culinaire. Peut-être que des criminologues pourraient aussi utiliser le théâtre pour remettre d’aplomb la justice ?

 

En développant des formes ambulantes, on pourrait apporter le grand art dans les endroits les plus reculés. Je pense au travail pionnier de François Chattot et de sa compagnie Service Public, à son camion d’alimentation transformé en théâtre. Le camion s’arrêtait dans les plus petits villages et y restait plusieurs jours. L’entrée était gratuite ; les costumes, les accessoires et les bancs pour les spectateurs pouvaient être transportés dans le camion.  On ne jouait pas tous les jours. Il y avait des représentations pour les enfants. Et des soirs où les villageois prenaient part au jeu. Quand la merveilleuse administratrice de compagnies, Véronique Appel, s’est lancée à l’assaut de nouveaux rivages et a appris un métier de rêve pour un artiste, la boulangerie, il lui a fallu faire cette expérience : une femme au-dessus de cinquante ans en France ne trouve pas de travail dans un nouveau métier. Chattot a alors proposé d’acheter un four pour son camion et d’aller avec Véronique dans les villages qui n’ont plus de boulangerie. Comme le pain de Véronique aurait été un geste artistique, il n’aurait pas eu de prix de vente et aurait donc pu être cuit en respectant les traditions et être de la meilleure qualité possible. C’était un pas pour se réapproprier la culture. Le pas ne s’est pas fait, le ministère a refusé la subvention.

 

Une autre direction possible, ce sont les essais qui visent, à partir du théâtre, à se tourner vers la caméra. Je ne parle pas des captations de spectacles et de leur façon de tout aplatir ou de détruire le travail, mais d’un autre langage formel, d’un ciné-théâtre. Capable de délivrer les images du carcan de l’authenticité et de leur accorder plus de profondeur spirituelle. On trouve des exemples de ce que je veux dire, de façon impressionnante, dans le Casanova de Fellini. Ce film est du pur théâtre, dont l’espace devient image de cinéma. Fellini a construit sa scène dans les studios de Cinecittà à Rome. La mer de plastique fouettée par les vents que Donald Sutherland traverse avec la dernière énergie est une séquence inoubliable qui utilise la tradition et les techniques du décor de théâtre. Fellini montre dans ce film, plus que tous les festivals, Avignon inclus, le plaisir que peut procurer le théâtre.

 Le Ministère de la Culture pourrait aménager un endroit sur les réseaux où montrer toutes les activités qu’il subventionnerait et demanderait aux artistes, autant qu’elles seraient filmées. Ainsi le public serait sans cesse informé de ce pour quoi on dépense son argent.

 

Pendant cette crise du Corona, nous sommes obligés de vivre devant des écrans de télévision ou d’ordinateur. Je me rends compte avec surprise du peu de matériel nécessaire (la caméra d’un ordinateur personnel paraît suffire) pour réunir des gens devant un écran. Qu’ils forment un public ou un cercle de discussion.

 

A la fin des années vingt du siècle passé commença le règne de la radio. L’appareil au début ne suffisait pas, l’abonné devait aussi s’abonner à la station émettrice. Le jeune Brecht fit des essais, des expériences, avec cette nouvelle technique. Il écrivit une série de pièces chorales appelées «pièces didactiques» (Lehrstücke), qui, par un jeu en commun, devaient amener professionnels du théâtre et public à un apprentissage mutuel, à une expérience commune. Ces pièces étaient construites selon le schéma de la tragédie grecque dont la fréquentation dans l’antiquité était devoir de citoyen. Dans la proposition de Brecht pour la radio, les comédiens professionnels devaient travailler un morceau du texte sans le chœur comme s’il s’agissait d’une pièce radiophonique, et les textes du chœur, sans le reste, devaient être envoyés aux abonnés de la station, si bien que le soir du direct, les comédiens disaient leur texte devant le micro, et les auditeurs chez eux pouvaient dire les textes des chœurs juste au bon moment, quand les comédiens s’interrompaient. C’était une idée pour délivrer l’auditeur de son état de simple consommateur. Comme il n’y avait pas encore beaucoup de gens qui avaient un appareil radio, on invitait des amis et des connaissances chez soi le temps de l’émission. Ainsi se créaient de nouvelles salles qui étaient de vrais espaces de communication au lieu que les spectateurs soient parqués dans le noir comme de braves vaches. Naturellement, une chose de ce genre n’avait aucun avenir pour un théâtre qui veut vendre des places. Je trouve moi que c’est une possibilité très intéressante pour combiner théâtre, réseaux sociaux et télévision.

Ce ne sont que des propositions faites à la va vite pour montrer qu’on peut trouver dans cette crise quelque opportunité pour rénover l’art théâtral.

 

 

Nous pouvons nous estimer heureux d’avoir les «Maisons de la Culture» de Malraux comme ton Espace des Arts. Ce sont des bâtiments qui disposent de plusieurs espaces pour le travail artistique, très différents les uns des autres, tous bien équipés techniquement, et qui peuvent accueillir les groupes les plus divers, les couches de la population les plus variées. Et même pour les temps à venir, quand il y aura de nouveau du théâtre avec un public, mais justement de façon différente, avec forcément d’autres chiffres de fréquentation, des maisons comme la tienne seront plus faciles à transformer pour de nouvelles formes et de nouveaux besoins. Les grandes institutions qui disposent en première ligne d’une énorme salle et de peu d’autres espaces sont infiniment plus difficiles à utiliser et à transformer. Quelqu’un qui comme moi connaît l’amphithéâtre d’Epidaure sait combien il serait agréable d’enlever les sièges de la grande salle de l’Espace des Arts et, à condition d’obtenir un bon coussin, de s’assoir sur les marches restantes. On pourrait y faire entrer facilement les fauteuils roulants et pour les gens dans mon genre qui souffrent d’arthrose, ajouter une chaise ne dérangerait personne. Entre 50 et 100 spectateurs pour une soirée théâtrale me paraît le bon chiffre pour en faire une véritable expérience artistique.

 

La nouvelle Philharmonie à Paris avec ses 2400 ou 3600 places assises n’est pas seulement un bâtiment de prestige d’une laideur rare qui a coûté un prix exorbitant, lui aussi assez rare, mais exige du corps d’un mélomane plus qu’il ne peut supporter. Cette architecture affreuse, pseudo-moderne, n’a rien à voir avec une nouvelle façon de faire une expérience musicale, mais a tout à voir avec la masse énorme de places qu’ils ont à vendre. Le mal aux genoux qu’on éprouve à cause de ces rangées de fauteuils pressées les unes contre les autres démolit une symphonie de Brahms plus durablement encore que l’Orchestre de Paris. Même après le Corona, j’espère qu’on donnera son congé à de telles destructions de la culture. J’ai bon espoir, justement maintenant, moi qui suis un homme âgé, vivant seul, qui souffre amèrement comme tout le monde de l’emprisonnement qu’on a ordonné pour me protéger, que cette souffrance conduira à une grand bouleversement dans tous les domaines de la vie.

Que la culture et les arts qui en font partie ne se laisseront plus dicter leur conduite «par ces messieurs rapides des cartels», mais reprendront le chemin vers l’idéal dont avaient rêvé des femmes et des hommes comme Malraux. Une culture pour toutes et tous, c’est-à-dire aussi pour celles et ceux qui travaillent en elle. Une salle de concert pour plus de 3000 spectateurs est l’ennemie de la culture, dans tous les sens qu’on peut donner à cette formulation. La culture ne dépend pas d’événements pour exister, elle naît de la participation de chacun et du travail. Pour la vie culturelle d’un lieu, la durée d’une offre culturelle joue un rôle important. 3000 spectateurs à un concert qui a lieu un seul soir, ce n’est pas la même chose que 3000 spectateurs sur dix soirées. Pour les spectateurs, c’est l’évidence : ce n’est pas pour rien que les aristocrates allaient chercher la musique pour en jouir dans le confort de leurs châteaux. Que signifie pour des musiciens travailler un morceau de musique, que ce soit une création ou une œuvre du répertoire, pour une seule représentation ? C’est une vacherie, et pas seulement sur le plan financier ; ils sont aussi trompés dans leur sentiment de vivre de leur travail.

Je sais que je parle d’argent ; que mes propositions pour la production théâtrale, par l’investissement et le temps de travail qu’elles exigent, provoquent des coûts plus élevés que ce qui est concédé aujourd’hui à l’art théâtral, et en plus, dans l’espoir d’une baisse du prix de vente jusqu’à un niveau insignifiant. Ce qui, indépendamment de tout ce que je propose ici, ne serait que justice. L’Etat ne possède pas d’autre argent que celui qu’il gagne sur notre travail au travers des impôts. C’est avec cet argent qu’il subventionne la culture qui est à notre disposition. Il est difficilement concevable qu’on doive encore lui payer quelque chose pour ce service : montrer notre richesse personnelle en biens culturels. Ce serait bien si les politiciens comprenaient qu’une image ou une représentation théâtrale peuvent devenir une marchandise, mais pas la culture. Lire Malraux ou participer à la vie culturelle pourrait les y aider.

 

 

Bien sûr, il faut que le système de répartition de l’argent dans le secteur artistique subventionné soit transformé de fond en comble. Sans être égalitariste : le salaire qu’on gagne ne peut être déterminé par le marché. Le travail théâtral devrait, comme dans d’autres métiers, avoir des prix fixes qui seraient les mêmes pour tous les lieux subventionnés. Il devrait en être ainsi, pour le directeur ou la directrice comme pour l’homme ou la femme de ménage, pour les metteuses en scène comme pour les comédiens, pour les techniciennes comme pour les hommes dans les bureaux. Pour les permanents comme pour les intermittents. Le salaire minimum et les plus hauts cachets ne devraient avoir aucun rapport avec les sommes actuelles. La culture ne peut conquérir une place dans la vie générale de la société que si, dans sa façon de payer les gens, elle tient compte des besoins de cette vie. Un théâtre qui demande plus de travail et plus de temps de travail devrait être une meilleure assurance pour le revenu de chacun qu’un génie personnel dans la négociation salariale ou de bonnes relations avec les fonctionnaires du gouvernement.

Il est important que la pensée propriétaire cesse au théâtre. Dans cette optique, ce serait bien d’avoir un règlement pour la direction des théâtres qui ressemblerait à celui de la Comédie Française : les artistes appelés à diriger un théâtre ne devraient pas travailler ni comme comédiens ni comme metteurs en scène dans leur propre maison. Et le poste de directeur devrait changer suffisamment souvent pour que chaque théâtre et avec lui, son personnel, reste en mouvement. Tant mieux si des artistes sont prêts à diriger un théâtre, mais pour ce qui est de la pensée et de l’organisation, ils devraient toujours rester du côté de celui qui leur donne ce travail : le public. Les metteurs en scène ne font vraiment du bon travail que lorsqu’ils exercent une stimulation ou une résistance à l’entreprise théâtrale. Quand ils font ce qu’ils veulent, ils n’obtiennent que les lauriers de la médiocrité ou deviennent précisément des vendeurs de culture et des fossoyeurs de l’art.

Mais tout ça revient à cette question : jusqu’à quel point la culture et l’art sont des éléments de la richesse d’une société ? Et ce qu’un Etat veut faire et veut payer pour cette richesse.

 

 

Il me faut parler de mon passé, car je suis convaincu que ma mémoire pourrait être intéressante pour les temps à venir. Je suis rentré, enfant d’une famille appauvrie qui s’était réfugiée dans une Suisse à l’époque pas encore tellement idyllique, après une pandémie terrible qui avait fait 55 millions de morts et qu’on appelait guerre mondiale, je suis rentré chez moi dans un pays détruit et occupé. Ce pays manquait de tout, sauf de producteurs de culture. Et il ne manquait pas non plus de soif de culture. La guerre avait uni dans la lutte contre la barbarie l’élite de l’art et de la culture européenne, alors qu’elle était dispersée dans le monde entier. Après la guerre, ils ont formé avec ceux sur place qui ne s’étaient pas vendus. Et ils prenaient malheureusement trop de précautions avec les artistes pro-nazis qui avaient poussé à la guerre et croyaient encore pouvoir prétendre à des places privilégiées. La misère et la soif de justice exigeaient une nourriture que seuls l’art et la culture pouvaient fournir. Certes, les vainqueurs de la guerre, déjà en lutte les uns contre les autres, tentaient, avec du beurre ou des décorations, de convaincre les producteurs de culture de se mettre à leur service ou de passer dans leur camp. Le pouvoir de l’art et de la culture, il s’agissait alors de l’utiliser. La Guerre froide a aussi été menée sur le front culturel. Là où je vivais, on mettait tous les moyens nécessaires à la disposition de l’art, et ses produits, on les rendait accessibles à tous, mais il y avait des conditions, et de plus en plus, des règlements et des interdictions. Pourtant ce groupe qui venait du combat contre la barbarie, et dont étaient issus ceux qui étaient mes modèles et mes professeurs, comme Brecht, Eisler, Anna Seghers, Wolfgang Langhoff mon père, Ernst Bloch et beaucoup d’autres, était difficile à faire plier, et ils restèrent puissants parce qu’on voulait les écouter, et à cause de leur histoire, il fallait bien le faire : c’était des gens dont on avait envie qu’ils nous servent de guides. Et ce qu’ils voulaient ou ce pour quoi ils combattaient les liait avec d’autres ailleurs dans le monde.

 

 

Leurs positions fondamentales, ils les avaient exprimées avec Gide, Breton, Jean-Richard Bloch, Aldous Huxley, Robert Musil, Egon Erwin Kisch, Tristan Tzara, Hemingway et beaucoup d’autres lors des trois congrès internationaux d’écrivains pour la Défense de la Culture qu’avaient organisé Iliya Ehrenburg et André Malraux dans les Paris, Madrid et Valence des années trente. Malgré toutes les interdictions, leur héritage est devenu une richesse collective, qui certes ne remplaçait pas les bananes qu’on n’avait pas, mais c’était le genre de trésor qui peut rendre heureux pour la vie. Et après tout, c’est le bonheur qui compte.  C’est sous l’influence de ces professeurs que j’ai appris mon travail d’artiste, j’ai appris d’eux qu’on peut être heureux quand on appelle une injustice injustice et qu’on donne une voix aux humiliés. A chaque interdiction, en plus de la douleur, je sentais aussi en moi plus que pouvoir, car les autorités paraissaient aussi me craindre. Et puis avec effroi j’ai vu comment la soif de culture a été refoulée grâce à une meilleure offre en marchandises. J’ai vu comment l’héritage de Brecht, Eisler, Seghers, Zweig, et aussi de mon père, a fini par n’être plus qu’un objet décoratif, un bibelot posé sur le poste de télé.

 

 

Quand je vins à Paris pour la première fois en 1971, ce ne sont pas les vitrines rutilantes, pleines à craquer, qui m’impressionnèrent, mais le nombre de gens qui achetait les livres de leurs écrivains préférés, en format de poche, pas cher, chaque vendredi sur les quais de la Seine. Les rames de métro bondées, où il y avait encore une première et une seconde classe, me firent l’impression de salles de bibliothèque roulantes. Les beaux quartiers, que je connaissais à cause du roman d’Aragon, ne m’intéressaient pas, mais la vie et les disputes que je voyais éclater à la Sorbonne quand je rendais visite à mon ami Bernard Dort me plurent. La France aimait sa culture, le coq gaulois était l’oiseau de la beauté ; la culture partagée au sein de son peuple était sa grande richesse. Un jour, buvant une vigoureuse gorgée de vin avec Jack Ralite, un politicien d’une intelligence et d’une largeur d’esprit que je n’avais jamais connue jusqu’alors, je me mis à réciter un poème de Brecht pour les enfants : «Pour les poètes et les penseurs / Vient en Allemagne monsieur l’bourreau / Du soleil, lune, voient pas lueur / Mais d’la bougie de leur cachot.» Ce temps passé à Paris me détourna de l’Allemagne, de l’Est comme de l’Ouest, et m’attira en France, et je pus donc vivre ensuite le déclin de la culture française qui suivit le chemin européen commun jusqu’à la pandémie actuelle. Les conséquences de cette pandémie, comme les conséquences de la destruction de l’environnement, abîmeront sensiblement les valeurs culturelles des peuples. Elles demanderont une nouvelle orientation culturelle et la réappropriation de façons de vivre oubliées. Sans doute allons-nous bientôt devoir porter un masque pour sortir dans la rue. Ce que cela signifie pour notre vie, et donc pour notre culture, je ne veux même pas me le représenter. Ne me vient pour l’instant à l’esprit qu’une seule réponse, la pire : on s’y habituera. Et que signifie alors la phrase de Heiner Müller : «La mort est le masque de la révolution. La révolution est le masque de la mort.»

 

 

C’est cauchemar de penser que les mesures prises pour lutter contre cette pandémie constituent un exercice pour l’avenir. Le déplacement du travail vers l’espace domestique par la mise en réseaux, l’approvisionnement entre les mains d’Amazon & co, la convivialité et la communication via WhatsApp, la culture et l’information réchauffées dans les tubes télévisés. La beauté de voir les rues sans automobiles et de respirer de l’air propre dans les villes ne va pas sans l’interdiction d’exprimer sa mauvaise humeur dans la rue. Ce qui était Polis ou communauté devient réseau.

 

 

Cher Nico, permets moi de revenir à cette idée encore une fois : du théâtre pour cinquante, ou au maximum cent spectateurs, dispersés dans ta grande salle, bien installés, à leur aise. Pour toi sûrement une source d’effroi, pour moi, un espoir.

Depuis quatre semaines, seul chez moi, je pense à ce qui me manque et pourquoi. Etrangement, bien que je n’y aille presque jamais, je pense au parc des Buttes-Chaumont qui se trouve dans mon quartier et est à présent fermé au public. Pourquoi me manque-t-il puisque je n’y vais pour ainsi dire jamais ? Il me manque parce que je sens qu’il fait partie de ma vie et que je ne peux pas imaginer vivre ici dans le dix-neuvième arrondissement de Paris sans ce parc. Mon environnement sans lui serait une sorte de prison en plein air. Un parc est un lieu idéal de rencontre avec la nature, avec d’autres êtres humains et des chiens. On n’est pas seul dans un parc, mais ce n’est pas non plus le lieu des grands rassemblements. On va se promener, on lit un livre, on prend le soleil, on fait du jogging ou on respire le parfum d’une fleur. On le traverse à la hâte parce que c’est un raccourci. Il y a des aires de jeu pour les enfants, on peut les regarder jouer - on peut aussi s’éloigner d’eux parce qu’on veut être tranquille. On s’énerve dès que quelqu’un fait du bruit. On a des pensées claires et des pensées sombres. On n’a pas besoin de masses de gens qui font la même expérience du parc que soi. On peut y faire l’expérience des relations les plus diverses à la nature, à la vie et à soi-même. On se demande pourquoi on a donné telle forme à la nature, pourquoi elle ne pousse pas comme elle veut. Si on a de la chance, le parc peut réveiller l’envie de la forêt et des grands espaces et de la mer. La visite au parc est gratuite, mais maintenir le parc en bon état dévore beaucoup de travail et d’argent. Et ça ne dérange personne, car un parc - c’est évident sans faire le moindre calcul des coûts et des profits - fait partie de notre vie, de notre richesse, et on ne peut imaginer s’en passer. Et ce n’est pas vrai que ça ne dérange personne. Les réfugiés qui viennent chez nous pour fuir la misère et la boue et auxquels il est interdit de se construire un abri dans le parc, ça les dérange. Justement c’est notre parc et j’ai honte de ce « notre parc ». Mais quand même, je rêve d’un théâtre qui appartiendrait à la vie comme un parc. Un théâtre dont ceux qui cherchent refuge auraient aussi droit de me chasser si on ne leur offre rien de mieux.

 

 

 Je trouve que nous pouvons beaucoup demander, mais que par notre talent il nous faut donner la preuve que nous le valons bien. Et peut-être pourra-t-on en arriver à un dialogue avec nos supérieurs où on ne parlera pas que de chiffres et d’argent.

 Cher Nico, je ne te salue pas comme le brave soldat Schweyk qui, au moment de prendre congé, disait toujours : «alors, on dit après la guerre à cinq heures et demie au Café du Calice». Je choisis plutôt, en guise d’adieu, une ligne d’un poème de Hölderlin qui commence par : « Viens ! Vers l’ouvert, ami !». Et plus loin dit : «Car ce n’est pas au Puissant mais à la Vie qu’appartient / Ce que nous voulons, et qui semble convenable et joyeux à la fois.»

Matthias

 

 

 

 P.-S. : 

Je vais demander à Irène [ Bonnaud ]de vite traduire cette lettre, car j’aimerais l’envoyer à d’autres amis et ennemis : peut-être qu’à plusieurs on peut faire bouger quelque chose dans cette époque de plomb. Le premier signe printanier d’un tournant dans la pensée, je l’ai vu dans l’assurance que tout est fait pour nous protéger, nous autres les vieux. Et que la solidarité avec nous est chose acquise. C’est déjà quelque chose. Après tout, on pourrait pu aussi nous supprimer pour raisons économiques. Le slogan de toutes les dictatures, « tout pour notre jeunesse», paraît ne plus être à l’ordre du jour. Peut-être qu’à l’avenir nous autres les vieux trouverons à nouveau une place au théâtre. Notre contribution pourrait être l’expérience, et la générosité sans laquelle il n’y a pas d’art.

 

 

Commentaire à cette lettre

En relisant ma lettre adressée à Nicolas Royer, j'ai ressenti un vieux sentiment d'impuissance qui m’est familier. Ce qu’il y a d’imprécis et d’utopique dans mon écriture réclame des conseils afin qu’à cette pensée née d’une époque plombée soit donnée une structure, qu’elle puisse devenir guide pour une action pratique. Car l'heure qui s’écoule sur le cadran solaire, double souverain de la vie et de la mort, n'exige rien d'autre. Je sais que, de mes maîtres morts, dont j'ai toujours suivi les conseils, je n’entends plus qu’une chose désormais : « Nous avons fait de notre mieux » Ou alors : « Si tu veux en savoir plus, viens nous rejoindre ». Plutôt que de suivre ce conseil bien intentionné, je préfère repenser la tâche à laquelle ils s‘étaient attelés et qu’ils nous ont demandé de poursuivre. Brecht a formulé cette mission dans son livret d'opéra « La Décision » : « Ändere die Welt, sie braucht es. - Change le monde, il en a besoin ». Ma lettre concerne cette exigence de base. Quand je suis obligé de regarder à la télévision les événements du monde dominé par le virus, la première chose que j'entends est le retour bientôt possible à notre vie d’avant. Ce discours est sourd et aveugle. Après avoir si longtemps refusé de voir et d’éviter les conséquences annoncées de la destruction de l’environnement, on pense maintenant vaincre cette pandémie pour que tout continue comme avant. On dit aussi que nous avons eu des épidémies virales de plus en plus fréquentes au cours des dernières décennies, ce qui a conduit à la pandémie Corona. Et d’expérience, on peut prévoir que la lutte contre le Covid-19 prépare le terrain pour l’apparition d’un prochain virus plus terrible encore. Destruction de l'environnement, pandémie, faim et misère, guerres et asservissement sous le dogme de l'enrichissement, est un ensemble de choses qui se nourrissent les unes les autres jusqu’à arriver à une catastrophe finale. Cette catastrophe, qui s’approche déjà à grande vitesse, se montre au grand jour dans le spectacle grotesque d'un imbécile, laid et d’une pathologie avérée, qui, en pleine pandémie, ampute l’Organisation Mondiale de la Santé des 400 millions de dollars de contribution américaine et regarde le monde malade, d’un air dégoûté mais sans rien faire. Je suis convaincu que seul un changement radical de notre mode de vie peut nous sauver. Dans ce contexte de mort, l’art doit maintenir vivant le rêve d'un monde de justice. C’est ce dont je veux parler dans ma lettre, et c’est pour ce rêve, mes amis, que j'espère votre aide. Il est de notre devoir de ne pas permettre un « trop tard ». Il est aussi temps de relire Le Théâtre et la peste d’Artaud.

 

En date du 30 avril 2020, la réponse de Nicolas Royer à Matthias Langhoff, lettre publiée par Théâtre du blog

 

Photo : Matthias Langhoff - image Wikipedia

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November 8, 2014 6:15 AM
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Vincent Baudriller amène Avignon sur les bords du Léman

Vincent Baudriller amène Avignon sur les bords du Léman | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Vincent Baudriller fait souffler un air d'Avignon sur les bords du Léman. Avec Stanislas Nordey, Dieudonné Niangouna, Angélica Liddell ou encore Julien Gosselin, le Théâtre de Vidy à Lausanne mise sur une scène contemporaine, qui s'inspire d'image, de danse ou de littérature.

 

Pour sa deuxième partie de saison, qui court de février à juin 2015, le nouveau directeur a fait appel à plusieurs metteurs en scène et chorégraphes qu'il programmait déjà lorsqu'il codirigeait le festival d'Avignon. Il veut faire de Vidy un carrefour culturel exigeant, où les artistes peuvent faire entendre leur singularité.

Rajeunir le public

Pour Vincent Baudriller, élargir le public à d'autres générations - plus jeunes - est un enjeu "majeur". Depuis la rentrée, il constate "une belle réponse du public", avec une fréquentation globale de 85%, en légère hausse.

Le Français se réjouit du succès de "l'Idiot", une création de Vincent Macaigne saluée par la critique à Paris. Même si, à Lausanne, elle a déconcerté une partie du public par son niveau sonore tonitruant: des protections auditives ont d'ailleurs été distribuées au public.

Bientôt Langhoff

Matthias Langhoff arrivera la semaine prochaine à Lausanne pour commencer à répéter le spectacle qu'il créera en janvier. "Cinéma Apollo" donne une suite au film "le Mépris", de Godard.

La deuxième partie de saison s'ouvre en février avec le chorégraphe Christian Rizzo, dont le spectacle avait fait se lever le public à Avignon, a rappelé Vincent Baudriller. Suivront deux artistes "importants": le Congolais Dieudonné Niangouna, qui incarne cette génération africaine qui a grandi dans les violences des régimes postcoloniaux, et Stanislas Nordey, qui poursuivra sa relecture approfondie de toute l'oeuvre de Pier Paolo Pasolini.

 

Capitale de la création contemporaine

En mars, durant une dizaine de jours, le Théâtre de Vidy s'associera à l'Arsenic et à d'autres lieux culturels pour proposer un "Programme commun" et faire de Lausanne rien moins que "la capitale de la création contemporaine en Europe", selon M. Baudriller. Au programme notamment Angélica Liddell, Romeo Castellucci, Cindy Van Acker et une figure montant du théâtre alémanique Thom Luz.

En avril, Vidy programme deux spectacles de danse de Maguy Marin. Suivra Julien Gosselin qui adaptera les "Particules élémentaires" de Michel Houellebecq et Nicolas Bouchaud qui s'inspirera d'"Un métier idéal" de John Berger, parlant d'un médecin de campagne. Vidy organisera un week-end de lectures autour de l'oeuvre du romancier.

Dans les salles de classe

Enfin, le théâtre ira à la rencontre des élèves dans les salles de classe, avec "Hamlet", adapté par la metteuse en scène lausannoise Magali Tosato. Le spectacle qui fait du héros de Shakespeare un lycéen circulera dès février dans les classes romandes.

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September 21, 2014 8:33 AM
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Derrière le fait divers, le contexte très politique de l’arrestation de Matthias Langhoff et son équipe à Epidaure

Derrière le fait divers, le contexte très politique de l’arrestation de Matthias Langhoff et son équipe à Epidaure | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Pour le moins que l’on puisse dire, Matthias Langhoff n’est pas le bienvenu à Epidaure, il est même sûr qu’il était attendu. Un vieux contentieux existe entre les autorités et le public de la ville du Péloponnèse et le metteur en scène franco-allemand; en effet, ce dernier avait déjà été accusé d’« insulte au monument » lorsqu’il avait monté Les Bacchantes, en 1997 à Epidaure, campant un acteur nu dans le rôle de Dionysos, certains parlèrent alors de sacrilège.

« La représentation du théâtre antique sur la scène moderne est une gageure, écrit Sotirios Haviaras. Matthias Langhoff, metteur en scène formé au Berliner Ensemble de Bertolt Brecht, connu pour son travail volontiers irrévérencieux, fut invité à monter les Bacchantes d’Euripide par le Théâtre National de la Grèce du Nord, pour proposer un regard novateur sur la tragédie. »
L’intrusion d’un choeur féminin « de ces femmes, si étrangères et si communes à la fois, parut d’autant plus violente aux yeux du public grec, qu’elle corroborait, en 1997, un sentiment de défiance envers le metteur en scène franco-allemand, lequel, par ses discours anti-nationalistes dans la presse locale et des exigences inhabituelles, avait suscité un climat de rejet autour de lui, avant même la représentation. En leur conférant l’allure de femmes immigrées des cités de la fin du xxe siècle, Langhoff choisit de traiter la deuxième question, idéologique, soulevée par la pièce d’Euripide, celle de l’autre (certainement plus obsédante alors, en 1997, que celle de la révolte), de l’identité et de la différence.

 

Jacques Magnol pour Genève Active

 

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December 5, 2012 5:41 AM
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François Chattot tire sa révérence à Dijon et reprend trois spectacles en décembre | Sceneweb

François Chattot tire sa révérence à Dijon et reprend trois spectacles en décembre | Sceneweb | Revue de presse théâtre | Scoop.it

En décembre, le TDB et François Chattot reprennent trois spectacles marquants : en compagnie de la comédienne et administratrice générale de la Comédie-Française Muriel Mayette dans Quartett, de Heiner Müller mis en scène par Matthias Langhoff (les 7 et 8 en explorant les diverses facettes de Courteline dans Folie Courteline mis en scène par Ivan Grinberg aux côtés de Damien Bouvet, Stéphan Castang, Marion Lubat et Alice Caubit (du 11 au 17) ; ou en duo avec l’explosive Martine Schambacher dans Que faire ? (le retour) mis en scène par Benoît Lambert (du 29 au 31).

 

Le 31 décembre 2012 à minuit, après six années passées au TDB comme acteur-directeur et huit créations (Music-hall 56 ; Dans le Jardin avec François ; Hamlet-Cabaret ; Le Petit Cirque des Tribuns ; Que faire ? (le retour) ; Du Fond des gorges ; Et si on s’y mettait tous ! L’Art de faire de la vérité une arme maniable ; Folie Courteline) François Chattot passera le témoin à un nouveau directeur, le metteur en scène Benoît Lambert. Ephémérides 2007-2012, un livre rétrospectif sur ces six années, sera disponible fin décembre et François Chattot se fera un plaisir de le dédicacer à l’issue des représentations de Que faire ? (le retour).

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