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Le spectateur de Belleville
December 15, 2024 1:55 PM
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Tribune de Philippe Torreton publiée dans Le Monde - 15 déc. 2024 Le comédien réagit, dans une tribune au « Monde », à l’annonce faite par la présidente du conseil régional des Pays de la Loire, Christelle Morançais, de sa volonté d’économiser 82 millions d’euros dans le budget 2025 de la région, et 100 millions à l’horizon 2028, en amputant notamment le financement de la culture. Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/15/philippe-torreton-je-ne-savais-pas-qu-un-tel-mepris-envers-le-monde-culturel-et-associatif-pouvait-s-assumer-avec-cet-aplomb_6449908_3232.html
C’est sans fin. Il faut encore et encore répéter à des élus régionaux et nationaux l’importance et la nécessité de notre tissu culturel et associatif, les emplois qu’il crée, l’activité économique qu’il génère. Justifier, se justifier, nous justifier… Raconter encore et encore notre histoire commune, et je dirais même l’histoire de l’humanité, car, depuis l’aube humaine, nous avons toujours eu à cœur de protéger les artistes afin qu’ils nous peignent, écrivent, chantent, dansent, jouent et rejouent le monde tel qu’il est, tel qu’il pourrait être ou encore tel qu’il a été. Ce que les Néandertaliens et leurs cousins avaient compris, Christelle Morançais, la présidente du conseil régional des Pays de la Loire, membre du parti Horizons d’Edouard Philippe, ne le comprend visiblement pas ou, pire, feint de ne pas le comprendre. Cette personne insinue en un élan populiste que ne bouderait pas Donald Trump que le monde de la culture ne serait qu’une niche de gens gâtés qu’il serait grand temps de confronter au réel, afin, dixit, qu’ils se réinventent. Alors que le précédent gouvernement lui a suggéré une économie de 40 millions d’euros et, le doigt sur la couture du pantalon, elle répond qu’elle poussera jusqu’à 82 millions dès 2025 et 100 à l’horizon 2028. Oui, 100 millions d’euros ! C’est-à-dire une amputation à vif de 73 % du budget de la région consacré à la culture, de 75 % de celui réservé au sport et de 90 % de celui à l’égalité femmes-hommes. Pour le bien commun Chère Madame, la culture est un secteur économiquement porteur pour un territoire, mais, et je reconnais que cela est compliqué pour vous, l’écosystème culturel n’affiche pas ses résultats et ses perspectives économiques, tout cela est imbriqué et dilué dans l’activité du pays et, pour s’en rendre compte, il faut, il est vrai, travailler un minimum le sujet. Nous n’avons pas de CAC 40, ni de grands patrons proches du pouvoir, pas de sommets internationaux sécurisés, pas de jets privés, ni de chaîne de télévision aux ordres… Mais je peux vous assurer pourtant que ça travaille, et ça travaille dur pour le bien commun. Et si l’on doit parler de « réinvention », c’est plutôt à vous et à vos amis politiques qu’il reviendrait de faire cet effort et ce de toute urgence. Le monde s’écroule par pans entiers et rien de sérieux ne sort de vos programmes et de vos réunions, votre système de pensée semble être figé dans l’ambre jaune d’un capitalisme préhistorique. Je ne savais pas qu’en 2024 une telle opinion, un tel mépris envers le monde culturel et associatif pouvait, non seulement se concevoir, mais également s’assumer avec cet aplomb que doit certainement autoriser l’ignorance débridée. Nous connaissons maintenant le projet culturel du candidat à l’élection présidentielle Edouard Philippe, son silence est éloquent et vaut approbation. Philippe Torreton (Comédien)
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Le spectateur de Belleville
November 24, 2024 10:06 AM
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Tribune publiée dans Libération - 23 nov. 2024 Alors que la présidente du conseil régional a annoncé une coupe drastique pouvant aller jusqu’à 73 % du budget de fonctionnement de la culture, un collectif d’artistes et de professionnels du secteur dénonce une décision qui s’apparenterait à un plan social de la culture. Nous sommes des artistes, travailleuses et travailleurs dans la culture, liés aux Pays-de-la-Loire. Nous sommes choqué·es par les récentes déclarations de la présidente du conseil régional, madame Christelle Morançais, et terrifié·es par les arbitrages budgétaires qui seraient prévus au vote de l’assemblée régionale du 19 décembre 2024. ll serait donc question d’une coupe drastique allant jusqu’à 73 % du budget de fonctionnement de la culture, interrompant totalement dès 2025 les subventions allouées aux festivals, aux théâtres, aux musées, aux opéras, aux maisons d’auteur·rices, aux centres d’art, aux productions audio-visuelles, aux artistes, mais aussi aux clubs sportifs et aux associations œuvrant pour l’égalité femmes-hommes et la solidarité. C’est un coup porté à la société civile tout entière. Aucune autre région n’a fait de tels choix à l’échelle nationale. Nous avons choisi de vivre dans cette magnifique région et d’y développer nos activités. C’est ce territoire que nous arpentons chaque jour avec nos mots, nos œuvres, nos spectacles, nos concerts, nos images, nos films, parcourant les bibliothèques, les écoles, les collèges, les lycées, les maisons de quartiers, les maisons de retraites, les hôpitaux, les prisons… Et c’est dans ces lieux que nous travaillons. Chaque jour, nous constatons la vitalité culturelle de cette région. Nous savons qu’elle est le fruit de décennies du travail patient de femmes et d’hommes engagé·es qui ont œuvré à la décentralisation culturelle, faisant en sorte que les communes, les départements, les régions et l’Etat s’entendent pour créer des institutions ouvertes à toutes et tous, soutenir les initiatives citoyennes, l’entrepreneuriat culturel et faire vivre le patrimoine. Un virage politique pris sans concertation aucune Ce modèle français, qui repose sur le financement croisé des collectivités et de l’Etat, a produit partout émancipation, désenclavements et partage des savoirs. C’est ce modèle qui a engendré la diversité culturelle et l’attractivité des régions et des villes de France que le monde entier nous envie. Tout cela est aujourd’hui violemment attaqué par la région des Pays-de-la-Loire, qui sous couvert de la cure d’austérité imposée aux collectivités par le gouvernement Barnier, annonce 100 millions d’euros d’économie (quand on lui en demande 40 millions d’euros), dont une bonne partie prise sur la culture, le sport, l’égalité femmes-hommes et les solidarités, arguant que «dans de nombreux domaines, la région n’a plus vocation à intervenir, ou à intervenir autant». Ce virage politique, pris sans concertation aucune et du jour au lendemain, ferait vaciller tout l’écosystème en fragilisant ses grands équilibres. Nous dénonçons ce qui s’apparenterait à un plan social de la culture. Cette décision serait mortifère pour les 150 000 emplois concernés, qu’ils soient permanents ou intermittents, et pour tout un ensemble de professions libérales et de petites entreprises qui gravitent autour du secteur de la culture publique, hautement créateur d’emplois et de richesse économique. Nous dénonçons l’incohérence d’une politique régionale qui dénature par ses choix dangereux ses trois priorités politiques : la jeunesse, l’emploi et la transition écologique. Nous dénonçons une dialectique visant à créer de la division au sein de la société, à désigner les bonnes et les mauvaises manières de produire de la vie artistique et culturelle, alors que c’est la combinaison d’un secteur public de la culture en bonne santé avec des industries culturelles dynamiques qui fait la richesse et la variété du tissu culturel français. Nous demandons, enfin, que les mécanismes démocratiques soient respectés, et que les acteurs et actrices culturel·les soient concerté·es dans la prise d’une décision aussi lourde de conséquences pour l’ensemble des électeur·rices, citoyen·nes, usager·es ligériens et ligériennes. Parmi les signataires : Alain Mabanckou Ecrivain, directeur artistique du festival Atlantide Alice Zeniter Autrice, metteuse en scène Anna Mouglalis Comédienne Christophe Honoré Réalisateur, scénariste, écrivain et metteur en scène Daniel Pennac Ecrivain Dominique A Chanteur, auteur, compositeur Alexis HK Auteur compositeur, chanteur Emily Loizeau Autrice-compositrice-interprète India Hair Comédienne Jean Rouaud Auteur, prix Goncourt 1990 Jeanne Cherhal Chanteuse Jérôme Clément Président du festival Premiers Plans d’Angers, ancien directeur du CNC, ancien président d’Arte, Marielle Macé Ecrivaine et enseignante Henri Texier Contrebassiste de jazz Amala Dianor Chorégraphe Etienne Davodeau Auteur de bande dessinée Marc Caro Réalisateur Vanessa Wagner Pianiste Tanguy Viel Ecrivain, scénariste Xavier Veilhan Plasticien Zaho de Sagazan Autrice, compositrice, interprète Pierrick Sorin Artiste plasticien Patrick Bouchain Architecte Phia Menard Chorégraphe, plasticienne ,Philippe Decouflé Chorégraphe Philippe Katerine Chanteur, auteur, compositeur, acteur Philippe Torreton Comédien, metteur en scène… Retrouvez ici la liste complète des signataires.
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Le spectateur de Belleville
June 20, 2024 11:06 AM
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Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 20 juin 2024 Si la fréquentation des salles est stable, l’enquête, rendue publique jeudi 20 juin, montre que le prix des places, jugé trop cher, reste le premier facteur dissuasif d’assister à un spectacle.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/20/selon-une-etude-mediametrie-un-quart-des-francais-restent-fideles-au-theatre_6241813_3246.html Quatre ans après le choc de la crise sanitaire liée au Covid-19, qui entraîna la fermeture des salles de spectacle durant de longs mois, la fréquentation du théâtre affiche un relatif retour à la normale. Selon la troisième édition de l’étude « Les Français et le théâtre », rendue publique jeudi 20 juin, 24 % des internautes interrogés déclarent être allés au théâtre (que ce soit dans des lieux publics ou privés) au cours des douze derniers mois, contre 21 % en 2023 et 27 % en 2022. Réalisé par Médiamétrie, du 2 au 10 avril, auprès d’un échantillon représentatif de 1 536 personnes âgées de 15 ans et plus, ce baromètre a été mis en place par l’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP), structure qui regroupe quelque soixante-dix lieux à Paris et en région, et vingt-cinq producteurs-tourneurs. Ce petit quart de Français qui gardent un réel appétit pour ce type de sorties font preuve d’assiduité – ils ont vu, en moyenne, 6,2 représentations en un an (contre 5,4 lors du précédent baromètre) – et sont 74 % à déclarer aller au théâtre autant ou plus qu’avant. En outre, ils accordent un taux de satisfaction de 7,5 sur 10 (contre 7,2 en 2023) au dernier spectacle auquel ils ont assisté. Le profil de ce public du théâtre évolue peu. L’âge moyen est de 45,5 ans, les catégories socioprofessionnelles supérieures sont surreprésentées (43 %, contre 38 % dans le premier baromètre), les plus de 50 ans composent 42 % des spectateurs, 26 % habitent l’agglomération parisienne et tous ont des pratiques culturelles (lire la presse, des livres, écouter des podcasts, aller au musée ou à la bibliothèque) largement supérieures à la moyenne nationale. Ce qui les pousse à se rendre au théâtre demeure « le plaisir de vivre une représentation dans une salle » (40 %), de « profiter d’un moment avec ses proches » (40 %), de « découvrir une nouvelle pièce » (40 %), de « sortir de chez soi et du quotidien » (38 %) et de « partager des émotions » (35 %). Si « l’envie de théâtre est toujours là », le prix des places, jugé trop cher, reste, pour la troisième année consécutive, le premier frein cité (39 %). Suivent la perte d’habitude (25 %) et le manque de temps (20 %). « Un prix attractif » est d’ailleurs mis en avant par 42 % des répondants parmi les raisons qui pourraient les inciter à aller au théâtre. La notoriété du casting ou du metteur en scène et « l’histoire » proposée arrivent largement en tête des motivations pour sortir. En revanche, le fait qu’un spectacle ait été récompensé, d’un Molière par exemple, n’a quasiment pas d’impact (6 % de citations). Etonnante question Pour ce troisième baromètre, un nouvel item a été ajouté concernant le type de spectacle le plus attendu. Sans doute en lien avec le besoin de se divertir en cette période chargée d’actualités anxiogènes, 71 % des répondants citent « de la comédie » et 55 % « de l’humour ». Mais ils sont aussi 49 % à être attachés à des esthétiques (créations contemporaines, théâtre classique, théâtre immersif, improvisation ou performance). Même s’ils aspirent à se détendre, 60 % des Français (et 70 % des spectateurs) considèrent que « tous les sujets ont leur place au théâtre », qu’il s’agisse de la pauvreté, de la crise environnementale, la maladie, l’homosexualité, les discriminations, l’identité de genre, etc. Cette part tombe à 50 % pour les guerres, le terrorisme et la religion. Pour justifier l’ajout de cette étonnante question sur les sujets pouvant être abordés, Pascal Guillaume, président de l’ASTP et directeur du théâtre privé parisien Tristan-Bernard, met en avant les difficultés grandissantes de diffusion pour les pièces qui ne sont pas des comédies. « Les programmateurs et les élus sont de plus en plus frileux suivant les thématiques des spectacles proposés. Ces chiffres permettront de les rassurer et de dédramatiser et, espérons-le, d’inciter à une programmation diversifiée », explique M.Guillaume. A titre d’exemple, même Passeport, le dernier succès parisien d’Alexis Michalik, a plus de mal à tourner en France que ses précédents spectacles. La raison : la pièce aborde le sort des migrants et des réfugiés. Sandrine Blanchard / Le Monde Légende photo : « Passeport », écrit et mis en scène par Alexis Michalik, au Théâtre de la Renaissance, à Paris, le 22 janvier 2024. ALEJANDRO GUERRERO
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Le spectateur de Belleville
May 19, 2024 4:41 PM
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Par Lara Clerc pour Libération - 19 mai 2024 Les restrictions budgétaires historiques annoncées fin février par Bercy et Matignon risquent de contraindre les institutions culturelles, déjà fragilisées par l’inflation, à réduire le nombre de leurs spectacles et à mettre en danger les compagnies qui s’y produisent. «En deux saisons, nous sommes passés de 101 dates à 24… Au mieux. A cause de cela, nous allons devoir nous séparer de notre administratrice avec qui nous travaillons depuis dix ans.» Bess Davies ne peut s’empêcher de parler vite quand elle évoque le manque de moyens qui frappe sa compagnie de théâtre bordelaise, le collectif OS’O. «Je suis désolée, je vous bombarde d’informations…» Il faut dire que son équipe subit de plein fouet les effets de la politique d’austérité culturelle récemment mise en place par le gouvernement. Les restrictions budgétaires historiques annoncées fin février par Bercy et Matignon risquent de contraindre les institutions culturelles, déjà fragilisées par l’inflation, à réduire le nombre de leurs spectacles et de leurs représentations, et, par ricochet, à mettre en danger les compagnies qui s’y produisent. Une donnée en particulier a fait réagir les professionnels du spectacle vivant : en avril, l’Association des professionnels de l’administration du spectacle (Lapas) prédisait une baisse de 54% de représentations pour la saison prochaine, en comparaison avec la saison actuelle. «L’augmentation des coûts fixes qui n’ont cessé de croître ces deux dernières années, comme ceux de l’énergie par exemple, réduit énormément la marge artistique des théâtres, c’est-à-dire la somme allouée aux pièces, aux artistes», explique la coprésidente de l’association, Véronique Felenbok. Les budgets, eux, stagnent, les aides financières ne sont pas indexées sur l’inflation et certaines subventions régionales ont même été baissées. «La seule façon de ne pas perdre d’argent est de réduire le nombre de levers de rideau, notamment dans les scènes subventionnées. Cela peut paraître contradictoire, mais le théâtre public survit principalement grâce aux subventions – sans elles, une place coûterait 90 euros. Alors moins jouer, c’est perdre moins d’argent.» «Je n’ai pas la clé de l’équation» Même constat du côté de l’Association des centres dramatiques nationaux (ACDN), ces salles qui, dans cet écosystème du spectacle vivant, ont un rôle crucial de soutien à la création. Emmanuelle Queyroy, sa présidente, produit des données moins catastrophiques mais elles aussi alarmantes : elle table sur une baisse de représentations de 7,5% entre 2023 et 2024 (à noter qu’il s’agit de l’année civile et non de la saison, de septembre à juin, comme pour Lapas), et une baisse de 9% de spectacles programmés pour la même période. «C’est le résultat d’un cumul entre la baisse de moyens d’une part, et le plan “Mieux produire mieux diffuser” de l’autre», selon l’ACDN. Le but de ce plan lancé par le ministère de la Culture en juin 2023 est simple : limiter une offre culturelle saturée, dans une logique «d’écologie de la création». Mais Emmanuelle Queyroy s’alarme, «il n’est pas accompagné du financement adéquat, et pire à présent, on nous retire des millions d’euros. C’est un couperet pour un secteur en crise, et une catastrophe pour les compagnies». En décembre, le directeur du théâtre de l’Odéon à Paris, Stéphane Braunschweig, annonçait qu’il ne se présenterait pas à sa propre succession, faute de budget suffisant. Un signal d’alerte pour le milieu. «Je n’ai pas la clé de l’équation. Il faut inventer un nouveau modèle économique. Mais on ne peut pas le disjoindre d’un projet artistique», expliquait-il alors à Libération. Deux mois plus tard – et bien qu’il se réjouisse d’avoir finalement réussi à programmer la saison prochaine son spectacle la Mouette, qu’il pensait condamné faute de moyen – il se désole lui aussi de devoir baisser le nombre de levers de rideaux, et de l’impact que cela aura sur les compagnies : «Nous avons préparé une saison 2024-25 avec un petit moins de représentations que ce dont nous avons l’habitude. Elle en comptera 250, soit une grosse quarantaine de moins que les années précédentes, pour un total de douze spectacles, ce qui représente un ou deux de moins que d’habitude.» D’un ton résigné, il liste calmement les impacts que laissent les coupes budgétaires, notamment sur les sommes allouées aux coproductions avec des compagnies. «Avant le budget allait de 30 000 euros pour les petites productions à 100 000 euros pour les grandes, aujourd’hui on est entre 20 000 et 50 000 euros.» Pour l’heure, son théâtre ne survit que grâce à ses réserves qui réussissent à amortir son déficit (qui s’élève à 1,3 million d’euros pour l’année 2022). «Mais elles fondront.» Sans coussin amortisseur, les compagnies accusent le coup. «Les marges artistiques des théâtres sont réduites et ils ne peuvent donc pas soutenir autant d’artistes qu’auparavant», soupire Hugo Mallon, qui a fondé la compagnie l’Eventuel Hérisson bleu. Active depuis 2009, elle met en scène grosses comme petites productions, mais peine actuellement à obtenir des confirmations pour ses représentations. «On pensait qu’avec le temps, on allait réussir à mieux s’en sortir, finalement on a la même impression de galère qu’il y a dix ans, c’est assez alarmant», explique-t-il. Pour sa prochaine production, une adaptation d’Emma Bovary, seule une série de dates est sûre et certaine : celle des premières représentations, au théâtre le Phénix de Valenciennes à l’automne 2025. Au-delà de celles-ci, deux dates sont probables mais «pas calées» – «dangereux», commente-t-il – et six autres lieux doivent encore confirmer leur accueil dans les mois qui viennent. «En temps normal, je devrais déjà connaître les dates de tournée pour l’année 2025-26. Mais là, je constate que de nombreux lieux se disent intéressés sans s’engager.» «Nous raterons des artistes auxquels nous ne nous attendons pas» A l’incertitude s’ajoutent des conditions de travail de plus en plus difficiles, témoigne Aurélia Lüscher, cofondatrice du collectif Marthe et de la compagnie le Désordre des choses : «Les théâtres sont obligés de nous demander de couper dans certaines dépenses. Pour une prochaine production, je vais être obligée de réduire mes frais de transporteur et pour ce spectacle que j’ai écrit sans aide financière, je vais devoir acheminer moi-même le décor, conduire le camion, monter le décor en arrivant puis jouer dans la foulée…» Elle aussi a déjà commencé à recevoir des annulations de dates de la part de certaines salles dans lesquelles elle devait jouer, et cette année encore, comme depuis deux ans, le collectif a renoncé à augmenter ses cachets. La question des revenus inquiète sérieusement les professionnels, et tout particulièrement ceux qui bénéficient du statut d’intermittent : la réduction du nombre des représentations rime potentiellement avec l’impossibilité de boucler ses 507 heures de travail, condition sine qua non pour se qualifier à l’allocation. «Entre les restrictions budgétaires et le plan Mieux produire, mieux diffuser, les jeunes metteurs en scène ne pourront plus faire de spectacles que tous les deux, trois ans, confirme Stéphane Braunschweig. Or, c’est par l’expérience qu’on apprend son métier.» Même lui, avec ses trente ans d’expérience dans le théâtre public, redoute les conditions dans lesquelles il se replongera dans la mise en scène indépendante. «Serais-je en mesure de réaliser une mise en scène par an comme je le fais depuis trente ans ? Je n’en suis pas sûr.» Dans tous les témoignages revient une inquiétude : les œuvres proposées au public parviendront-elles à être aussi diverses et inventives si elles sont moins nombreuses et plus fragiles ? «On ne pourra plus se permettre de prendre des risques, de se planter… Avant, le conventionnement le permettait, on pouvait rebondir après une pièce qui n’avait pas marché», explique Bess Davies. Noëmie Ksicova, metteuse en scène depuis plus de dix ans qui a donné l’Enfant brûlé au théâtre de l’Odéon cette année, renchérit : «Nous ne jetons pas la pierre aux théâtres. A présent, leurs contraintes sont telles que même en étant de bonne volonté, ils ont du mal à sortir de cette logique économique. Ils ne peuvent plus se permettre certains choix et seront dans l’obligation de prendre des spectacles qui rempliront la salle à coup sûr, car la billetterie deviendra une ressource financière de plus en plus centrale. Nous raterons des artistes auxquels nous ne nous attendons pas. Et c’est ça précisément, qui fait la force du service public et la fameuse exception culturelle.» Légende photo : L’Association des centres dramatiques nationaux table sur une baisse de représentations de 7,5% entre 2023 et 2024. (photo © Leonard Mc Lane/Getty Images)
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Le spectateur de Belleville
April 16, 2024 3:56 PM
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Par Jean-Marie Durand dans Les Inrocks - Publié le 16 avril 2024 Le 4 avril dernier, le ministère de l’économie annonçait des baisses conséquentes de subventions pour des grandes institutions théâtrales, musicales et muséales. Une mise en péril d’un service public. À quelques semaines du lever de rideau sur les festivals d’été, qui du théâtre à la danse, de la performance au cirque, de l’art à la musique, traduisent la vitalité en France du spectacle vivant et de la création contemporaine, le sens de la fête risque d’être affecté par un sentiment d’inquiétude généralisé : l’État sonne la fin de la “party”, en activant ce que Pierre Bourdieu appelait “la main droite de l’État” (jamais généreuse avec le culturel et le social). En annonçant le 4 avril dernier des baisses conséquentes de subventions pour des grandes institutions théâtrales, musicales et muséales (Comédie française, Théâtre national de la Danse-Chaillot, Théâtre de la Colline, Louvre, Philharmonie, Opéra de Paris…), Bercy contraint le ministère de la rue de Valois à faire plus de 200 millions d’euros d’économies, dont 99,5 millions d’euros sur le patrimoine et 96 millions d’euros sur la création. 10 % du budget de la création (doté d’un millard) va être ainsi amputé. Ce qui, observe le Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), va impacter l’ensemble de l’activité culturelle en France, dont l’emploi des artistes et des technicien·nes. Certes, pour le moment, les scènes nationales et les centres dramatiques nationaux semblent passer à travers les gouttes du dessèchement annoncé. Mais tous·tes les directeur·trices de théâtre, de compagnies, de collectifs, de centres de création…, déjà affecté·es par la hausse des coûts de l’énergie, l’inflation et les charges financières de plus en plus pesantes, mesurent bien à quoi iels seront tenu·es dans les mois à venir : la diète, sur les cendres de la fête. Les publics curieux des formes aventureuses et de la jeune création en subiront probablement les effets. Car des millions d’euros d’économies imposés signifient à terme moins de créations, moins de prises de risque artistique, comme le regrettait le directeur de la Colline, Wajdi Mouawad, le 2 avril sur France Inter. La mise en péril d’un service public de la création Au-delà du spectacle vivant, ce régime sec touche aussi les centres d’art. Et même les écoles d’art, depuis que la ministre de la Culture Rachida Dati a estimé qu’il fallait tailler dans leur “jungle”. Ce à quoi répondait une tribune collective de 110 enseignant·es en école d’art, défendant ces écoles qui “abritent des conversations et des rencontres, des conférences, des ateliers, des expositions et des performances”, qui alimentent la vie culturelle. “Attaquer les écoles, c’est refermer l’horizon de la création contemporaine française”, écrivent les auteur·trices. “Les étudiant·es qui font la vie de ces écoles sont nos futur·es artistes, nous ne pouvons accepter que leurs vies soient ainsi empêchées. Si nous commençons à vouloir mesurer les écoles d’art en termes de ‘performance’, à les évaluer et les traiter comme des entreprises, comment maintenir l’idée même d’un service public de l’art ?“. C’est bien ce que la crise budgétaire actuelle traduit : la mise en péril d’un service public de la création, qui plus de quarante ans après la volonté de Jack Lang de sanctuariser son périmètre, est définitivement devenu un secteur comme les autres. “L’exception culturelle”, expression que l’ancien ministre des années 1980 avait inventée, s’est faite avaler par la norme financière. Jean-Marie Durand / Les Inrocks
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Le spectateur de Belleville
April 8, 2024 3:13 PM
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Article publié sur le site d'Artcena - 2 avril 2024 RAPPORT Son rapport déplore principalement que le pilotage des Programmes d’investissements d’avenir et de France 2030 ait contribué à dessaisir le ministère de la Culture de ses missions stratégiques. Le 20 mars 2024, la Cour des comptes a publié un rapport – fruit d’une enquête diligentée par la Commission des finances du Sénat – sur les plus de 3 Md€ de crédits exceptionnels engagés de 2017 à 2023 en faveur du secteur culturel, hors budget du ministère de la Culture ; soit « presque l’équivalent, est-il précisé, d’une année des crédits de la mission Culture de ce ministère ». Cette enveloppe concernait, d’une part le Plan de relance (1,6 Md€), et d’autre part les Programmes d’investissements d’avenir (PIA 1 et 3) et France 2030, à hauteur d’1,5 Md€ au total. Un plan de relance élaboré dans la précipitation Annoncé à l’été 2020, au sortir de la crise sanitaire, le Plan de relance a été doté d’1,6 Md€ pour la culture (pour un peu plus d’1,4 Md€ de dépenses), afin de poursuivre deux objectifs : soutenir les revenus du secteur culturel, et favoriser « une accélération des transformations structurelles identifiées comme nécessaires ». Si le premier a été rempli, il en va différemment du second, traité de façon marginale. En cause, selon la Cour des comptes, un objectif « trop ambitieux dans le cadre d’une action conjoncturelle » et un plan élaboré « dans la précipitation ». Celle-ci critique, entre outre, une répartition des crédits « très hétérogène entre secteurs culturels » et l’utilisation d’une partie d’entre eux « pour boucler les plans de financement de grands travaux d’établissements publics ». Le rapport conclut ainsi à « un pilotage par la dépense, parfois au détriment des objectifs de politique publique », qui a, par ailleurs, produit « un effet inflationniste dans certains secteurs ». PIA : des opérations trop risquées Concernant cette fois les PIA 1 et 3, la Cour estime que ceux-ci « ont faiblement investi le champ culturel et celui des industries culturelles et créatives ». Elle en veut pour preuve le fait que depuis 2017, seuls 278 M€ ont été consommés à ce titre, dont 190 M€ transférés au budget de la culture afin de financer deux grandes opérations patrimoniales (Villers-Cotterêts et le Grand Palais). Le rapport admet toutefois que plusieurs projets culturels emblématiques (le Grand Palais immersif et la Philharmonie des enfants) portés par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Bpifrance ont eu « une réelle portée en termes d’expérimentation et d’innovation ». De même, le soutien apporté à l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), « qui dispose d’une excellence connaissance des entreprises culturelles et de liens anciens avec les financeurs de la place, apparaît cohérent avec l’ambition des PIA et économe des finances publiques ». La Cour se montre, en revanche, plus critique sur les financements attribués à « des entreprises au modèle économique fragile » et qui ont traversé depuis de « graves difficultés ». Pour évoquer « une prise de risque particulièrement élevée », elle cite l’appel à manifestation d’intérêt « Culture, patrimoine, numérique » lancé par la Caisse des dépôts et consignations, qui « a connu un taux de sinistralité de 35%, bien supérieur à celui admis en général par la CDC ou Bpifrance », entraînant la disparition de l’argent public investi. De plus, le rapport note que les projets financés « relèvent parfois d’une conception très extensive des industries culturelles et créatives ou n’en font pas clairement partie », « voire relèvent d’un champ spéculatif ». D’où ce constat sans appel : « ces premières expériences d’investissement dans le secteur culturel ont souffert d’une absence de stratégie formalisée avec le ministère de la Culture comme de réflexion sur les outils mobilisés, sur la typologie des projets structurants et sur les effets d’accélération recherchés ». La stratégie peu lisible de France 2030 De semblables griefs sont adressés à France 2030, alors même que ce programme a bénéficié de « moyens considérables » : 400 M€ engagés fin 2020 dans le cadre du PIA 4, puis 600 M€ à l’automne 2020 destinés aux industries de l’image et du numérique dans le cadre de France 2030. Les deux étant rattachés fin 2022, le volet culturel de France 2030 a disposé au total d’1 Md€. Grande lourdeur des processus décisionnels, éparpillement de l’information rendant complexe un suivi rigoureux, et surtout manque de transparence constituent de nouveaux reproches adressés par la Cour. « Ni la stratégie d’accélération, issue des États généraux des industries culturelles et créatives (..) ni même la liste des 19 mesures retenues n’ont été rendues publiques », regrette-t-elle, avant de remettre en cause la pertinence même du programme. « Les mutations structurelles du secteur culturel peuvent justifier un accompagnement par l’État. Les plans d’investissements d’avenir apparaissent cependant globalement inadaptés au secteur. En effet, ils sont insuffisamment articulés aux objectifs et enjeux de la politique publique », estime-t-elle. Le ministère de la Culture privé de ses missions Enfin, plusieurs dérives sont imputables, selon le rapport de la Cour des comptes, aux PIA : « mise en œuvre rapide d’appels à concurrence » susceptible de créer « des effets d’aubaine » ; effacement progressif de « la logique originelle des PIA consistant à utiliser des avances remboursables ou à co-investir pour inciter le secteur privé à s’engager », au profit d’une « logique de subvention ». « Dès lors, ajoute le rapport, la Caisse des dépôts et BpiFrance se retrouvent dans la situation paradoxale de verser, très majoritairement dans ce secteur, des subventions, une mission qui incombe en principe au ministère de la Culture ». Plus globalement, la Cour déplore que « le pilotage des PIA et de France 2030 par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) contribue à dessaisir le ministère de la Culture de ses missions de pilotage stratégique, d’allocation des financements et de contrôle sur l’équivalent d’une part significative de son budget annuel ». À ses yeux en effet, bien qu’à l’origine de la conception de la stratégie (rédaction du cahier des charges), le ministère de la Culture siège souvent uniquement comme observateur au sein des comités désignant les lauréats, ce qui l’empêche d’être « pleinement en situation de garantir la cohérence de ces financements conséquents avec les objectifs de la politique culturelle ». « Si l’on ne veut pas courir le risque de priver durablement le ministère des moyens de remplir ses missions, celui-ci doit reprendre le pilotage des dispositifs initiés dans le cadre de France 2030, et en renforcer significativement le suivi », assure la Cour. En conclusion, elle formule sept recommandations : 1. Avant toute nouvelle consommation de crédits, procéder à une évaluation indépendante du dispositif « Mondes Nouveaux », notamment du point de vue de la rémunération des artistes et de l’articulation avec les dispositifs et institutions préexistants.
2. Définir de façon concertée les objectifs poursuivis par les investissements d’avenir et délimiter plus nettement le périmètre d’intervention des PIA dans le secteur des industries culturelles et créatives.
3. Veiller à une articulation lisible entre l’architecture budgétaire et la stratégie de France 2030, pour le volet culture.
4. Appliquer strictement la doctrine des investissements d’avenir et réserver les financements des PIA à des projets répondant à des critères d’innovation préétablis.
5. Instaurer une procédure de suivi et d’évaluation des crédits des PIA et de France 2030 robuste, afin de permettre le contrôle parlementaire.
6. Prévoir une procédure explicite de restitution ou de réallocation des crédits exceptionnels non utilisés.
7. Dans les processus décisionnels de France 2030 accorder dès à présent au ministère de la Culture une place lui permettant d’assurer son rôle de chef de file de la politique culturelle. « Un rapport à charge », selon Bruno Bonnell Lors de leur audition devant la Commission des finances du Sénat, Bruno Bonnell, secrétaire général pour l’investissement, Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles, et Sophie Zeller, cheffe du service du spectacle vivant et adjointe au directeur général de la création artistique, ont réagi à différents points soulevés par la Cour des comptes. Bruno Bonnell a tout d’abord réfuté le titre du rapport qui évoque des « crédits exceptionnels » attribués à la culture et aux industries créatives (ICC). « Ces crédits n’ont rien d’exceptionnels puisqu’il s’agit de crédits d’investissement votés par le Parlement comportant, dans le cadre de France 2030, un volet spécifique d’investissement destiné à soutenir les industries culturelles et créatives », a-t-il indiqué. Concernant France 2030, le secrétaire général pour l’investissement a dénoncé « un rapport à charge et, de plus, inexact », assurant que le ministère de la Culture était associé à toutes les stratégies et décisions et présidait le comité de pilotage qui alloue les budgets. Le manque de transparence lui apparaît, de même, un reproche infondé. « Nos stratégies sont rendues publiques sur les sites web du gouvernement, a-t-il affirmé. Nous avons également communiqué un rapport au Parlement, et effectuons un reporting permanent auprès d’un Comité de surveillance des investissements d’avenir (CSIA) composé notamment de quatre députés et de quatre sénateurs. Je ne peux donc accepter l’idée que nous ne soyons pas précis dans le suivi. » Florence Philbert, quant à elle, a rappelé que s’agissant des industries culturelles et créatives, « nous sommes au croisement de la politique culturelle et de la politique industrielle, mais aussi au croisement des financements publics et des financements privés », les ICC souffrant d’une « faible structuration capitalistique », notamment en matière de fonds propres. Ce constat justifie « une logique de continuum de financements » : « au-delà des financements via des subventions, assurés par le ministère de la Culture, il s’agit de voir comment la puissance publique peut faire en sorte que les acteurs des ICC soient financés par le secteur privé », a expliqué la directrice générale des médias et des industries culturelles. Interrogée, par ailleurs, sur la recommandation n°7 formulée par la Cour des comptes, elle a répondu : « cette politique ne peut être uniquement centrée sur le ministère de la Culture ; elle se fait en partenariat avec le ministère qui la conçoit et définit la stratégie ». Sophie Zeller enfin a concentré son intervention sur « Mondes nouveaux », dispositif doté de 30 M€. « Celui-ci a suscité un très grand élan créateur : 3 200 projets déposés, et 264 soutenus, portés par 430 artistes. Une rémunération directe d’un peu moins de 6 M€ a été versée aux artistes, à laquelle il faut ajouter les retombées en termes de présentation ou de vente des œuvres, ou de droits d’auteurs », a-t-elle souligné. La cheffe du service du spectacle vivant et adjointe au directeur général de la création artistique a cependant convenu du manque de visibilité de « Mondes nouveaux » pointé par la Cour, qu’elle a justifié par les différences de temporalité de réalisation des œuvres ainsi que leur répartition sur l’ensemble des territoires, « qui ont pu complexifier les opérations de communication ». « Afin de redonner de la visibilité au programme, nous avons mis en place en avril 2023 une présentation des projets à l’École nationale des Beaux-Arts », a ajouté Sophie Zeller, promettant, lors du lancement d’un nouvel appel à projets fin 2024, la mise en œuvre de « liens plus étroits entre les Frac et les Centres d’art, et l’ensemble de l’écosystème ».
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Le spectateur de Belleville
December 13, 2024 12:48 PM
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Par Radidja Cieslak dans Libération / 5 déc. 2024 La scène des Yvelines vient d’apprendre que son budget sera amputé de 350 000 euros par le département en 2025. Et annonce être dans l’obligation de supprimer l’édition 2026 de leur festival biennal dédié à la jeunesse. Le couperet est tombé. Le Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, fer de lance des arts de scène pour la jeunesse, se retrouve privé d’une part essentielle de ses subventions. Le conseil départemental présidé par Pierre Bédier (LR) a décidé de réduire drastiquement l’enveloppe allouée au lieu : le budget sera amputé de 350 000 euros dès 2025. Cette somme correspond précisément à la somme annuelle accordée à son festival biennal Odyssées qui ne pourra pas donc pas se dérouler comme prévu en 2026. Dans un communiqué paru ce mercredi 4 décembre, le théâtre annonce être en «deuil» face à cette nouvelle. Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) estime qu’il s’agit, pour l’heure, de l’une des baisses les plus importantes annoncées dans le secteur culturel à l’échelle nationale. Le directeur du centre dramatique national (CDN), Abdelwaheb Sefsaf, n’a pas tardé à exprimer son indignation dans une lettre ouverte adressée mardi 29 novembre à Pierre Bédier et au conseil départemental, déplorant une «décision incompréhensible» qui met en péril l’existence d’un festival vieux de vingt-sept ans, emblématique du Théâtre de Sartrouville. Dédié à la jeunesse et à la création contemporaine, le lieu s’était donné pour ambition de nourrir «l’imaginaire et la vie du plus grand nombre de jeunes yvelinois», selon les termes de Franck Borotra, ministre et président du conseil général au moment de sa création, en 1997. Créations originales «Le budget global de l’événement est de 700 000 euros en tout, sur deux ans», détaille le directeur de la structure. «Cela comprend l’année N-1 durant laquelle nous préparons l’événement, puis celle durant laquelle il se déroule, soit 350 000 euros par an.» C’est sa grande particularité, Odyssées ne présente que des créations originales, produites spécialement pour l’événement. Une longue préparation en amont est donc indispensable. «Nous sollicitons six compagnies, qui feront ensuite 200 représentations dans tout le département avant de se produire au niveau national», poursuit Abdelwaheb Sefsaf. Tout récemment encore, l’Esquif (à fleur d’eau), un spectacle très sensible et poétique sur les sauvetages menés en mer par l’Ocean Viking et sur les enfants migrants morts en tentant de traverser la Méditerranée ces dernières années, avait été créé au CDN. Destiné aux enfants de plus de 8 ans, il se joue en ce moment au théâtre de la Colline, à Paris. Cette année, le théâtre avait comme à son habitude sollicité le conseil départemental durant l’été, pour confirmer le versement de la subvention et commencer la préparation du festival. «Depuis sa création, Odyssées a toujours été soutenu par les services publics», soupire le directeur, pour qui cette sollicitation n’était qu’une formalité. Le théâtre n’obtient aucune réponse du département, malgré plusieurs relances… jusqu’à l’annonce, il y a quelques semaines, de la baisse de 5 milliards d’euros des ressources accordées aux collectivités territoriales (aujourd’hui suspendue de facto par la motion de censure). «C’est là que l’élu à la culture nous a confirmé cette coupe, soupire le directeur et metteur en scène. Il nous a dit qu’il était possible que la subvention nous soit accordée à nouveau en 2026, mais c’est complètement hypothétique. On ne peut donc pas entamer les préparatifs d’Odyssées l’an prochain.» Coupes en série A l’heure où la France célèbre la réouverture de monuments comme Notre-Dame de Paris, le directeur fait le parallèle entre le patrimoine bâti et le patrimoine immatériel que représentent les festivals et les créations artistiques : «Les festivals de France sont des monuments patrimoniaux bien plus fragiles que nos trésors nationaux.» D’autres lieux dédiés au spectacle vivant dans le département vont également subir des coupes drastiques, notamment le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, privé de «180 000 euros» en 2025, souligne le directeur du CDN, ou encore le théâtre La Barbacane situé dans la commune de Beynes. Ces annonces s’inscrivent dans le sillage des réductions colossales annoncées il y a quelques semaines dans la région des Pays-de-la-Loire. Les autres régions n’ayant pas encore annoncé leur budget définitif, le monde de la culture est de plus en plus inquiet. Le département a d’ailleurs décidé de créer son propre festival itinérant cette année, Yvelines Théâtre, dont la première édition devrait avoir lieu en 2025… Un appel à candidature à destination des compagnies a eu lieu en novembre. Peut-être une solution pour pallier la disparition d’Odyssées. Radidja Cieslak / Libération Légende photo : Représentation de la pièce «Si loin si proche», mise en scène par Abdelwaheb Sefsaf au Théâtre de Sartrouville et des Yvelines. (Christophe Raynaud de Lage/Théâtre de Sartrouville)
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Le spectateur de Belleville
September 11, 2024 6:17 PM
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Saisons raccourcies, créations moins nombreuses, reprises tous azimuts… Quand les subventions fondent et que les frais explosent, la scène s’en ressent immédiatement. Les établissements se voient contraints de repenser leurs propositions. De nombreuses directions de scènes l’avaient annoncé : la saison théâtrale 2024-2025 serait problématique en raison de l’érosion de leurs moyens et elles devraient privilégier des spectacles peu onéreux, avec un minimum d’acteurs, et un tabouret en guise de décor. La direction des théâtres nationaux – en particulier l’Odéon, la Colline, la Comédie-Française, tous trois coproducteurs essentiels pour les compagnies – avait quant à elle hurlé dans le désert que les répercussions seraient immédiates, lorsqu’elle a appris tardivement, en avril 2024, que le milieu allait subir une restriction de la moitié de son budget de programmation pour l’année en cours. Nous y voilà. En consultant les programmes qui envahissent les bureaux et les présentations de ladite saison, une injonction contradictoire saute aux yeux : il s’agit à la fois d’attirer la curiosité des publics et des médias, de ne pas crier misère et de ne surtout pas sous-entendre que la programmation serait au rabais. Tout en laissant voir mutatis mutandis le nœud coulissant qui menace en particulier les artistes les plus jeunes, les moins connus, les plus précaires, forces vives de demain. A ce titre, la programmation de cet automne à la Colline brille par son absence d’hypocrisie. Il n’y a plus d’argent ? Il ne faut pas prendre de risque, déconcerter avec des noms peu connus, et débuter la saison avec une salle possiblement à moitié pleine ? «OK boomer !» semble lancer l’équipe dirigeante à la ministre déjà démissionnaire de la Culture, Rachida Dati. Pourquoi ne pas programmer pendant un trimestre une pièce qui a déjà été créée pendant deux mois dans le même théâtre il y a deux ans ? Et c’est ainsi que du 20 septembre au 22 décembre, la saga autobiographique de Wajdi Mouawad, Racine carrée du verbe être, se déploiera encore une fois en majesté dans la grande salle de 650 places. On n’a évidemment rien contre cette pièce du directeur de la Colline, qui imbrique l’intime et le politique et prend de nouvelles résonances avec l’actualité, et il est sans doute heureux que d’autres spectateurs puissent la découvrir. Il n’empêche : le geste est d’autant plus ostentatoire qu’est attendue, en fin de saison, Journée de noces chez les cromagnons, pièce du même auteur qui aurait dû être créée au Liban, et qui se donnera du 29 avril au 22 juin 2025 dans la même grande et belle salle, après avoir été montrée au Printemps des comédiens. Autrement dit, presque la moitié de la saison est, cette année, consacrée à cet aimant à public qu’est Wajdi Mouawad, sans même qu’il s’agisse de créations ! Le secrétaire général de la Colline, Arnaud Antolinos, assume pleinement sa programmation : «Quand on a reçu l’annonce en avril de la réduction de moitié de notre disponible artistique, soit 730 000 euros, on a été obligés de revoir toute la programmation de l’automne. On essaie de sanctuariser celle qui court de janvier à juin. De s’assurer d’avoir une activité de création alors qu’on n’en a plus les moyens.» Les projets n’ont pas été décommandés mais reportés aux saisons suivantes. L’établissement dédié aux écritures contemporaines, situé dans le quartier encore populaire de Ménilmontant, a bien une seconde (petite) salle, qui lui permet de continuer à inviter en 2024-2025 des artistes moins connus, en les coproduisant ou les produisant. Mais la création contemporaine est-elle vraiment la priorité de la ministre de la Culture, qui fréquente avec parcimonie les scènes subventionnées, n’ayant pas jugé bon, par exemple, de faire le moindre (petit) saut au dernier Festival d’Avignon – ni même à la Colline, pourtant sous sa tutelle directe ? Rappelons que, faute d’être ardemment protégé, le budget du ministère de la Culture a été délesté de 200 millions d’euros, «ce qui n’est jamais arrivé [aux] prédécesseurs [de la ministre], sans doute plus promptes à défendre leur budget» remarque un habitué de la rue de Valois. Moins de spectacles, moins de coproductions Stéphane Braunschweig, qui vient de passer la main à la direction de l’Odéon à Julien Gosselin, n’a quant à lui pas attendu les restrictions budgétaires historiques d’avril pour annoncer dès décembre les raisons de sa démission : plus aucune marge artistique pour se projeter l’année qui suit, aucuns moyens pour répondre aux différentes missions du théâtre de l’Europe et en particulier honorer son projet d’un théâtre largement ouvert sur l’accueil des artistes étrangers. Avant de faire ses bagages, Braunschweig a bien dû concevoir avec son adjoint Didier Juillard l’entièreté de la programmation 2024-2025, qui ne comporte donc aucune création entièrement produite par l’Odéon : la Mouette de Tchekhov, que Stéphane Braunschweig présente à partir du 7 novembre, est en effet financée pour un tiers par les deniers de sa propre compagnie et n’aurait pas été possible autrement ! La variété du programme, plus patrimonial que les autres années, garantit ses arrières par de grands noms – Tchekhov, Feydeau, Duras, Brecht. Ils dissimulent certains faits arithmétiques. Les vaches maigres se répercutent dans le nombre des spectacles proposés : 12 cette saison contre 14, 15, ou 16 les années précédentes, et 245 représentations au lieu des 300 auparavant, ce qui constitue une «régression» note Didier Juillard, le programmateur lui aussi sur le départ. Qui ajoute : «On produit en général deux spectacles à 100%, et donc cette année, on n’en a aucun. On a réduit systématiquement le montant de nos sept ou huit coproductions et les séries sont plus courtes.» Ainsi, quand l’Odéon soutenait une création à hauteur de 50 000 euros, le théâtre n’en donne plus que 30 000, et quand elle en offrait 30 000, sa participation a été divisée par deux. Les compagnies sont obligées de chercher d’autres coproducteurs, et de vendre leurs spectacles plus cher tout en réduisant leur ambition – biffer des acteurs, des décors. L’Odéon accueille cependant comme chaque année, en les coproduisant, des reprises très attendues (Lacrima de Caroline Guiela Nguyen et Dämon d’Angélica Liddell) mais aussi, dans le cadre du Festival d’automne, Parallax, mis en scène par le Hongrois Kornel Mundruczo, Grand-Peur et Misère du IIIe Reich de Brecht, montée par Julie Duclos, ou dans un tout autre genre l’Amante anglaise de Duras, par Emilie Charriot. Cette pièce sera incarnée par trois stars du théâtre subventionné, Dominique Reymond, Laurent Poitrenaux, et Nicolas Bouchaud. De quoi masquer la disette budgétaire. «Cette longue crise nous oblige à sortir de la compétition entre théâtres» Les autres scènes publiques, dont les subventions sont partagées avec les municipalités ou régions, n’ont pas perdu de financements étatiques. Pour autant, comment ne pas s’interroger sur la saison très courte de la Mac de Créteil, qui ne débute que le 6 novembre par l’efficace Los Dias Afuera de Lola Arias, découvert au dernier Festival d’Avignon, et se conclut le 23 mai ? En effet, avec l’inflation, la hausse des frais de fonctionnement inéluctable, toutes les directions contemplent, selon la formule imagée de Claire Dupont, à la tête de depuis un an et demi du toujours dynamique théâtre de la Bastille, «la tragédie du théâtre en ordre de marche qui dévore, à subventions constantes, la marge artistique». «Oui, ajoute-t-elle, cet appauvrissement a un impact sur la manière de programmer. Le nombre de dates qu’on peut proposer aux compagnies se réduit et la plupart d’entre nous se résout à faire des séries un peu plus courtes.» La saison très courte de la Mac de Créteil débute le 6 novembre par l’efficace «Los Dias Afuera» de Lola Arias, découvert au dernier Festival d’Avignon, et se conclut le 23 mai. (Carlos Furman) Du coup, les tournées s’étiolent, les compagnies sont obligées d’augmenter le prix de cession de leurs spectacles, ce qui a des répercussions en particulier sur les théâtres comme la Bastille ou le Rond-Point, qui ne sont pas ou peu des structures de production, mais achètent les spectacles. Pour sa part, Claire Dupont a choisi de jouer plusieurs fois les formats scéniques qu’on qualifiera de «classiques», tout en introduisant des formes plus performatives, éventuellement déconcertantes pour le public du théâtre de la Bastille. Citons entre autres l’intriguant Je te chante une chanson toute nue en échange d’un verre, titre à prendre au pied de la lettre, nous promet-on, par Vanasay Khamphommala, lors d’une journée consacrée à l’écriture de soi le 28 septembre ; ou Boujloud (l’homme aux peaux) de Kenza Berrada, du 25 au 30 novembre, preuve qu’en dépit de la crise, la Bastille n’a pas l’intention de renoncer à sa mission de défrichage. Face à l’obligation de toutes les scènes subventionnées d’augmenter leurs recettes propres, Claire Dupont note un progrès et un danger mortel. Le progrès ? «Cette longue crise, qui ne date pas d’hier, nous oblige à mutualiser nos efforts, à sortir de la compétition entre théâtres, à trouver d’autres relais artistiques.» A lire aussi 19 mai 2024 - édition abonnés Comme Hortense Archambault, à la tête de la MC93 à Bobigny, elle note l’importance croissante du Festival d’automne – dont Francesca Corona est depuis deux ans la directrice artistique – qui accompagne la logistique des tournées de plusieurs dizaines de pièces, accroît leur visibilité… et permet d’accueillir des spectacles que ces théâtres n’auraient plus les moyens de recevoir aujourd’hui. Le danger ? «On nous demande d’augmenter nos fonds propres. Or, un théâtre comme la Bastille n’attirera jamais les grands mécènes, et on se refuse à grignoter notre vocation de théâtre de service public en le louant pour des événements privés. Ne reste donc pour augmenter nos recettes que l’augmentation du prix du ticket. Mais l’une de nos missions principales est de rester accessible à chacun. Comment donner aux jeunes adultes envie de fréquenter nos théâtres, si la billetterie est hors de leur portée ?» Ce point tient tant à cœur à Claire Dupont qu’elle a fondé Prémisses, structure de production pour les artistes émergents : «A succès égal et avec une jauge pleine, le théâtre n’a pas du tout les mêmes recettes s’il est rempli de jeunes spectateurs ou d’un public grisonnant. Pourtant si on n’est plus en capacité de travailler sur le renouvellement des publics, on rate un virage essentiel et une partie de notre mission.» Présenter des reprises, une démarche finalement vertueuse Ça n’aura échappé à aucun maniaque des brochures : cette année, les reprises grandes et petites sont légion. Rien qu’à la Bastille, citons notamment un «vieux» spectacle peu joué de Tiago Rodrigues, Antoine et Cléopâtre du 27 février au 14 mars, le merveilleux et immanquable seul en scène En addicto de Thomas Quillardet créé la saison dernière, hélas sur seulement deux jours, les 18 et 19 décembre, ou encore les Bijoux de pacotille de Céline Milliat-Baumgartner, par Pauline Bureau, du 28 avril au 17 mai. Oh joie, si l’on se tourne vers la MC93 à Bobigny, on pourra voir le déjà mythique et rarement présenté in extenso Laboratoire Poison d’Adeline Rosenstein en avril, tandis que bien plus tôt cet automne, on aura entamé une autre traversée de l’histoire grâce à Banquet capital de Sylvain Creuzevault, du 27 septembre au 6 octobre – à l’origine conçu pour être joué dans un hall et non sur le plateau – puis saisi au vol les Historiennes, que Jeanne Balibar reprend le 13 octobre. Non, disent les divers directeurs et programmateurs de lieux, la prolifération des reprises n’est pas qu’une réponse à la paupérisation qu’il faut bien affronter. Mais bien une prise de conscience que l’optique consumériste est un leurre, et que construire un répertoire est nécessaire aux compagnies. La démarche serait vertueuse plutôt que contrainte. Hortense Archambault le constate : «En sortant du confinement, on a eu des saisons très chargées de spectacles qu’on ne pouvait donner que sur des durées très courtes. Les reprendre, c’est les faire vivre.» En France, contrairement à d’autres pays d’Europe, les spectateurs sont revenus massivement au théâtre. La directrice juge d’autant plus «triste» que, malgré cet afflux, elle soit, comme la majorité de ses collègues, obligée d’offrir moins de places aux publics que l’année précédente – «environ 10 000 en moins», calcule-t-elle. Et pour des raisons budgétaires, faire le choix de présenter moins de spectacles. Légende photo : L’Odéon accueille comme chaque année, en les coproduisant, des reprises très attendues (ici «Dämon» d’Angélica Liddell). (Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)
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Le spectateur de Belleville
May 20, 2024 10:52 AM
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Tribune par Jean-Louis Martinelli, publiée dans Le Monde - 20 mai 2024 Les nouvelles réductions budgétaires du ministère de la culture risquent d’ouvrir une crise sans précédent pour les institutions culturelles et les compagnies de théâtre et de danse. Pour l’éviter, le ministère doit réorganiser ses priorités financières explique, dans une tribune au « Monde», le metteur en scène. Lire l'article sur le site du "Monde": https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/20/jean-louis-martinelli-metteur-en-scene-il-faut-reaffecter-l-argent-du-pass-culture-en-direction-de-la-creation_6234402_3232.html
En 1993 déjà, [les metteurs en scène] Patrice Chéreau [1944-2013], Bernard Sobel, Jean-Pierre Vincent [1942-2020] et Alain Crombecque [(1939-2009), ancien directeur du Festival d’Avignon] signaient une lettre ouverte alors qu’une baisse de 5 % était annoncée, après des réductions budgétaires successives. Ils manifestaient leurs inquiétudes, en écrivant notamment : « La considération du rôle réservé aux pratiques artistiques dans cette lutte incessante entre barbarie et civilisation est un des critères selon lequel on juge une société, un gouvernement. » Le mal est ancien, certes, mais la situation d’alors n’avait pas le caractère désespérant qu’elle revêt aujourd’hui. En effet, il n’est pas une semaine depuis des mois où l’on ne puisse lire des articles alarmants sur la situation des théâtres de France. Toute la pyramide des équipes de création est concernée, des théâtres nationaux jusqu’aux compagnies – équipes de création de théâtre, de danse, de musique, de cirque, etc., qui sont la plupart du temps sans lieu fixe d’implantation. Et ne tombons pas dans le piège qui consiste à opposer les uns aux autres car, dans tous les cas, ce sont bien tous les acteurs, techniciens, auteurs, metteurs en scène, etc. qui seront réduits à l’inactivité. Chacun des secteurs a besoin de l’autre. Démantèlement programmé Dernièrement, afin prétendument de résorber le déficit de la nation, 200 millions d’euros ont été amputés au petit budget du ministère de la culture, qui pourrait connaître en 2025 des réductions encore plus sensibles. Cette situation ouvre une crise à venir sans précédent. Choisissant l’affaiblissement, la mise en sommeil de nombre de lieux, voire la disparition des plus fragiles des compagnies, le politique accélère le fait que le monde se défasse. Pour tenter de refaire du commun, nous avons besoin de débats, de confrontations d’idées et d’espaces sensibles dont les fictions sont porteuses en nous offrant un accès à l’autre. Ces confrontations sont nécessaires et stimulantes dans toute société ayant l’ambition d’être une démocratie. Les porte-parole des discours les plus réactionnaires ont-ils définitivement imposé leur « hégémonie culturelle » ? Si cette situation se maintenait, ce ne pourrait être que la première étape d’un démantèlement programmé. Une fois les moyens octroyés à la création amputés, il sera alors aisé de déclarer que, des lieux de création aux compagnies, aucun ne remplit sa mission et donc, dans un deuxième temps, d’en réduire encore les moyens. Et ce d’autant plus aisément que des voix ne manqueront pas de s’élever pour dire que certaines entreprises privées, qui se passent ou presque de subventions, sont à même de mettre en œuvre des spectacles qui rencontrent un large public. Va-t-on saccager cet héritage de la décentralisation culturelle, qui, malgré quelques dysfonctionnements ponctuels, nous est enviée partout dans le monde ? Un art relégué à la marge Il est urgent de se mettre au travail si l’on ne veut pas assister à ce que le philosophe Gilles Deleuze [1925-1995] prévoyait au début des années 1980 lorsqu’il nous mettait en garde contre le façonnement d’espaces juridiques, économiques et culturels complètement préfabriqués où toute création et toute pensée allaient devenir impossibles. A cet égard, la quasi-absence permanente de troupes d’artistes dans nos théâtres vient confirmer cette prédiction. Dans le même ordre d’idées, alors que la fabrique de l’art est ce qui fonde la légitimité de l’existence des théâtres publics, on nomme « marge artistique » la somme restant disponible aux fins de création, une fois pris en compte les montants affectés à la marche des lieux. Alors, oui, l’art du théâtre est bien relégué à la marge. Certes l’état des finances publiques semble alarmant et le théâtre est bien le symptôme de la difficulté à faire tenir debout l’ensemble du secteur public (santé, éducation, recherche). Sans entrer dans un débat sur une politique fiscale qui pourrait et devrait être plus juste (taxation des superprofits, revenus du capital, évasion fiscale, etc.) et au lieu de s’en prendre aux plus faibles (chômeurs), une solution me semble évidente à partir de l’enveloppe actuelle du ministère de la culture. Car il est erroné de dire qu’il n’y a plus d’argent lorsque, d’après un rapport de la Cour des comptes, l’Etat devrait consacrer 327 millions d’euros au fonctionnement du Pass culture en vitesse de croisière et que, dès cette année, le seul ministère de la culture le finance à hauteur de 210 millions d’euros. Ce dispositif devient ainsi le deuxième opérateur du ministère, après la BNF. « Un effet d’aubaine » Ce Pass culture n’est en fait qu’une aide à la consommation. Et ce sont bien sûr les produits les plus en vue, les mieux marketés qui seront les plus consommés. Après avoir reproché durant des années aux théâtres que la fréquentation de leurs lieux était principalement assurée par un public d’enseignants et d’enseignés, on leur présente aujourd’hui le Pass comme la panacée. La Cour des comptes elle-même a émis de sérieuses réserves quant à l’évaluation de cet outil. Le Sénat de son côté signale que ce Pass « risque de confirmer les habitudes culturelles et de s’avérer être un effet d’aubaine pour ceux qui ont déjà une pratique culturelle », et cette remarque est déjà vérifiée. Certes sa mise en place a pu apparaître judicieuse, voire généreuse, mais en période de crise elle doit être réexaminée. Il n’y a pas de honte à reconnaître une erreur à moins qu’il ne soit pas possible de remettre en cause un projet voulu par l’Elysée qui en avait fait « un chantier culturel prioritaire ». Mais si ces 210 millions sont réaffectés en direction de la création, on sortira de la crise annoncée. Les institutions seront confortées et pourront poursuivre leur mission absolument nécessaire, car leur disparition serait un signe de plus de la destruction de notre société. Et les compagnies, maillon porteur d’avenir – mais le plus fragile –, pourront voir s’éloigner cet horizon de désespérance. Il est encore temps Jean-Louis Martinelli est l’ancien directeur du Théâtre national de Strasbourg (Bas-Rhin) et du Théâtre des Amandiers à Nanterre (Hauts-de-Seine). Jean-Louis Martinelli (Metteur en scène)
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April 26, 2024 11:14 AM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 26 avril 2024 Les deux établissements doivent reporter des spectacles, voire fermer, pour faire face aux amputations. Lire l'article sur le site du "Monde" https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/04/26/baisses-brutales-des-subventions-departementales-pour-le-theatre-de-la-cite-a-toulouse-et-la-maison-des-arts-de-creteil_6230137_3246.html
Grande ou petite, nationale ou régionale, pas une institution culturelle n’est à l’abri des baisses de subventions. Après les établissements nationaux parisiens, soumis, début avril, aux amputations imposées par les ministères de la culture et des finances, c’est au tour de scènes territoriales labellisées d’encaisser une diminution imprévue de leurs subsides, décidée cette fois par les collectivités locales. Le centre dramatique national de Toulouse et la scène nationale de Créteil viennent d’apprendre le désengagement financier de leurs départements respectifs. L’avenir dira s’ils ne sont que les premiers d’une longue liste. En Haute-Garonne, le Théâtre de la Cité, codirigé par le metteur Galin Stoev – dont Rachida Dati vient de renouveler le contrat jusqu’en 2027 – va devoir faire avec 190 000 euros de moins. Une décision actée le 19 avril par le conseil départemental, qui diminue, sans concertation préalable, sa subvention de 80 %. Et semble même remettre en question son accompagnement à partir de 2025. Une perspective qui, si elle devenait effective, impliquerait une perte cumulée de 1 million d’euros d’ici à la fin du mandat de Galin Stoev. Interloqué par l’« absence de dialogue » et placé devant « le fait accompli », le directeur dit s’être heurté à un « discours purement comptable ». Sonné par la « brutalité » du procédé, qui augure, selon lui, une « nouvelle page dans les rapports entre l’institution et sa tutelle », Galin Stoev n’abandonnera pas le bateau, même si l’idée l’a traversé : « Nous allons absorber cette nouvelle contrainte économique. Mais jusqu’à quand devrons-nous rester les bons élèves à qui on demande de trouver des solutions, quels que soient les cas de figure ? » Limiter les dégâts Le Théâtre de la Cité est soutenu par les financements croisés de l’Etat (2,4 millions d’euros), de la métropole (2 millions), de la région Occitanie (377 000 euros) et du département (240 000 euros avant la coupe). Tout retrait d’un partenaire est un coup de canif porté à un équilibre fragilisé par un contexte économique tendu. Les répercussions peuvent se révéler désastreuses. « On nous a dit qu’il n’y aurait aucune clause de revoyure, et pas de compensation par les autres tutelles », explique le codirecteur Stéphane Gil. Ce dernier cherche à limiter les dégâts, pour protéger une saison 2024-2025 dont il s’apprêtait à communiquer au public le contenu finalisé : « Nous tentons de décaler des spectacles plutôt que de les annuler, puisque nous sommes, en tant que centre dramatique national, coproducteurs de la majorité des compagnies présentes dans nos murs. Nous allons puiser dans les réserves du théâtre et augmenter symboliquement les tarifs de la billetterie. Nous ne voulons pas toucher à l’emploi permanent. En revanche, celui des intermittents sera affecté : moins de projets, cela veut dire moins d’heures pour les ouvreurs ou les techniciens. » Ces solutions improvisées dans l’urgence permettront au Théâtre de la Cité de faire bonne figure à la rentrée 2024. Mais pour combien de temps ? « Ce qui m’inquiète, ajoute Galin Stoev, c’est l’effet boule de neige que peut susciter sur les autres tutelles le retrait du département. » De son côté, José Montalvo, directeur de la Maison des arts de Créteil, a pris de plein fouet la perte sèche de 150 000 euros infligée par le conseil départemental du Val-de-Marne. « Je l’ai appris le 2 avril, alors que nous venions de boucler la programmation 2024-2025. Il a fallu tout chambouler. C’est un manque total de professionnalisme », déplore-t-il. Subventionnée par l’Etat (1,893 million d’euros), par Grand Paris Sud-Est Avenir (1,125 million d’euros) et par le département (883 000 euros jusqu’en 2023), la scène nationale n’ouvrira ses portes, à la rentrée prochaine, qu’au mois de novembre. « L’amputation a des effets concrets : elle veut dire que le théâtre ferme pendant un mois et demi. » La méthode, radicale, a le mérite de rendre visibles les conséquences de la coupe. José Montalvo s’est résolu à annuler une dizaine de spectacles, parmi lesquels ceux de Jean Bellorini ou d’Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois. « On aurait pu nous prévenir avant. Ce mépris des créateurs et des techniciens n’est pas normal. Je suis bouleversé de ne pouvoir tenir les promesses que j’ai faites aux artistes. » Dans un communiqué distribué au public de Créteil, le directeur dénonce la « saignée infligée à [la] maison ». A Toulouse, Galin Stoev alerte sur le « sabotage » de son théâtre. Des mots qui en disent long sur l’état des troupes. Joëlle Gayot / LE MONDE Légende photo : La Maison des arts de Créteil, sur le parvis de l’hotel de ville. JEAN-MICHEL MOGLIA
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Le spectateur de Belleville
April 16, 2024 11:37 AM
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Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban dans L'Oeil d'Olivier - 16 avril 2024 Fin mars, une enquête flash menée par LAPAS auprès d'administrateurs du spectacle augurait d'une casse inédite dans la saison à venir. Sa coprésidente, Véronique Felenbok, directrice de production et fondatrice du Bureau des filles, alerte des conséquences sur le secteur tout entier, et en premier lieu sur les artistes en position de minorité. Le rapport de l’Association des professionnels de l’administration du spectacle (LAPAS) est tombé à peu près en même temps que l’annonce de coupes drastiques dans le budget de la Culture… Comment avez-vous réagi à ces annonces ? Ces coupes vont toucher tout le secteur, mais notre problème est ailleurs. Il est directement connecté au souci d’inflation qui se pose depuis qu’a augmenté le prix des matières premières. Nous l’avions identifié dès que nous avions collecté les retours du dernier Festival d’Avignon. En discutant entre adhérents de Lapas, nous nous étions aperçus aperçus que contrairement aux autres années, où les retours des professionnels en sortie de salle nous permettaient de projeter l’importance des tournées des spectacles présentés, cette fois, les programmateurs et programmatrices ne s’engageaient pas. Les mois passant, ces engagements ne venaient toujours pas. Finalement, la saison 24-25 n’a plus rien eu à voir avec ce que l’on pouvait projeter. Les résultats de votre enquête, qui concernent 272 artistes et compagnies de différentes disciplines, sont plutôt catastrophiques : -54% de représentations prévues pour 24/25 par rapport à la saison actuelle et 22% des artistes en passe de jeter l’éponge. Côté administration, ce sont 27% des bureaux de production et 40% des compagnies qui pensent devoir renoncer à ces emplois pourtant essentiels à leur bon fonctionnement… Au niveau des compagnies que je produis, je compte une baisse encore plus importante des représentations prévues la saison prochaine : -64%. Ce que l’on ne comprenait pas, c’est pourquoi les chiffres que donnaient les structures étaient à ce point en-deçà de ce que nous pouvions noter au quotidien [l’ACDN prévoit entre 15% et 20% de baisse des dates—ndlr]. Comment en est-on arrivés là ? Il y a plusieurs facteurs cumulés. L’inflation a impacté très durement les structures, avec l’augmentation des matières premières et d’autres éléments dont le transport et l’hébergement. À la suite, la négociation annuelle des salaires (NAO), indexant les salaires sur l’inflation, a fait augmenter les masses salariales. Ces augmentations, associées à des coupes catastrophiques des collectivités territoriales et de la DRAC, ont laissé une marge artistique très réduite. Celle-ci s’est d’abord manifestée dans la baisse des parts de coproduction. Déjà la saison dernière, les théâtres et les structures commençaient à donner des parts de coproduction nettement inférieures à celles qu’elles accordaient auparavant. Là où, avant, ils mettaient 10 000€, il donnent maintenant 5000€. Même s’il y a eu des indications de la part de l’ACDN et de l’association des Scènes nationales incitant leurs adhérents à pas donner de coproductions en-dessous de 10 000€, mais les compagnies peuvent témoigner depuis longtemps de parts de coproduction nettement inférieures. Désormais, c’est au niveau des tournées que cela devient catastrophique. Je pense que l’on doit s’attendre à une hécatombe. Pour l’heure, celle-ci n’est anticipée par personne. Un grand nombre d’artistes vont arrêter leurs compagnies : 22% dans notre enquête, avec une répartition assez équitable entre les compagnies subventionnées, celles qui ne le sont pas, et celles qui sont aidées au projet. Y a-t-il des facteurs qui différencient les compagnies qui survivront quand même et celles qui s’apprêtent à mettre la clé sous la porte ? Oui, et c’est multifactoriel. Je pense que le théâtre jeune public sera relativement préservé, puisque les théâtres et les centres chorégraphiques ont une obligation de diffuser des spectacles jeune public. En revanche, les œuvres avec de nombreux interprètes sur le plateau sont impactées très fortement, puisque les théâtres, moins dotés, programment désormais davantage de petites formes à un, deux ou trois interprètes, au coût plateau moins élevé. Le plus inquiétant, c’est que cette situation va favoriser les valeurs sûres. Jusqu’à présent, les programmations opéraient un équilibre entre des valeurs sûres et des spectacles plus singuliers, moins identifiés. Mais à terme, on aboutira sur un paysage des compagnies bipolarisé. D’un côté, des compagnies très institutionnalisées, les plus soutenues. Et de l’autre, des compagnies très précaires qui, par envie ou besoin vital, accepteront de créer sans payer les répétitions, pour ne jouer leur spectacle qu’une poignée de fois… Que faisiez-vous, déjà, de l’injonction à réduire le nombre de productions ? Ce que l’on pense, c’est que la DGCA n’a pas pris les décisions qui s’imposaient. Le plan « mieux produire, mieux diffuser » vient d’un constat avec lequel nous sommes d’accord : il y a trop de productions, qui tournent chacune pour un nombre de dates trop faible. Mais le ministère de la Culture appelle en réalité de ses vœux, depuis longtemps, à une diminution du nombre de compagnies, et ce n’est pas la solution. La solution serait de produire moins et mieux, et on a déjà émis de nombreuses recommandations allant dans ce sens. En premier lieu, reconnaître et subventionner le travail de recherche. Aujourd’hui, les compagnies sont contraintes de créer un spectacle chaque année pour pouvoir demander chaque année des aides. Mais s’il était possible de demander des subventions sur deux ans — un an pour la recherche et les premières répétitions, une deuxième année pour la création — pour un montant égal à l’année, cela imposerait un ralentissement naturel du rythme des créations, ainsi qu’un plus grand nombre de représentations pour chaque projet. Il faudrait une entente à l’échelle du secteur, qui engage les subventions des DRAC mais aussi les structures accueillant les compagnies en résidence. Nous avons alerté le ministère d’un autre souci auquel il est resté sourd : la question du nombre de dates requises pour être conventionné. Aujourd’hui, en théâtre, il faut 90 dates sur trois ans. Qui les atteint ? Surtout, quelles femmes y parviennent ? En 2024, seules 36% de créations de théâtre et « arts associés » sont mises en scène par des femmes, et aujourd’hui, en Île-de-France par exemple, aucun des huit compagnies conventionnées par la DRAC à quatre ans n’est dirigée par des femmes. Le même problème se posera pour toutes les catégories sous-représentées sur les plateaux, puisqu’elles réalisent moins de dates. Les artistes les plus minorés et les plus fragiles seront les premiers touchés par la crise. Et en général, ce sont les mêmes. Cette crise aboutira ainsi à une diminution de la représentativité, qui est déjà à un niveau très bas. Pourtant, c’est une cause du manque de diversité dans le public. Doit-on craindre que cette situation laisse une plus grande mainmise du politique sur la création, même indirecte ? Indirecte, elle l’est moins en moins. On voit de manière croissante que certaines communes ou régions refusent de programmer des projets qui recueillent pourtant des avis positifs des comités d’experts, des rapporteurs ou des conseillers, et cela pour des raisons politiques. Pour l’instant, cela ne s’observe qu’au niveau des collectivités territoriales. On l’entend de plus en plus depuis deux, trois ans. Cela aura un impact sur les sujets qui pourront être abordés. On sait d’avance lesquels posent problème. Et en ce moment, avec la droitisation de tout le paysage politique, cette emprise est à craindre de plus en plus. On imagine qu’à ce titre, toutes les collectivités sont concernées, en dépit des volontés politiques… On est étonnés : même des régions que l’on pensait préservées ont opéré des coupes. L’inflation a mis toutes les collectivités territoriales en situation de faiblesse et de fragilité. Bien sûr, une collectivité comme la région Rhône-Alpes a ouvert le bal avec une très forte emprise du politique sur la culture. Mais depuis que l’inflation s’est aggravée, on voit des régions et des départements tailler dans les budgets de la culture alors que celle-ci était jusqu’à présent au centre de leurs préoccupations. Pour en avoir discuté ensemble, on sait qu’une partie d’entre elles ne sabre pas dans la culture de gaieté de cœur : c’est pour ne pas avoir à le faire dans l’éducation ou la santé. Qu’en est-il, dans ce contexte, des professionnels de l’administration représentés par Lapas ? L’année dernière, un peu plus de 300 professionnels de l’administration adhéraient à l’association, représentant environ 1200 compagnies. Une chose qui nous inquiète beaucoup depuis le Covid, c’est la pénurie dans nos métiers. Cette crise rendra les choses encore plus tendues. Les administrateurs sont aujourd’hui obligés soit de prendre plus de compagnies, donc travailler plus pour gagner autant, soit gagner moins pour travailler autant. Quelle réponse politique peut-on trouver à cette crise ? C’est un choix politique de couper dans toutes les politiques régaliennes : l’éducation, la santé… on est tous logés à la même enseigne. Ce n’est pas que ce pays manque d’argent. Mais petit à petit, les choses qui rapportaient de l’argent à l’état ont été abandonnées. Avec la crise énergétique, beaucoup d’entreprises françaises ont réalisé des superprofits, qu’elles ont pu redistribuer à leurs actionnaires. C’est un problème de répartition des richesses. De notre côté, ça devient un massacre. Même les coupes qui sont faites dans les grandes maisons rejaillissent sur l’ensemble du secteur. De l’argent enlevé à l’Opéra, c’est de l’argent enlevé aux artistes et aux techniciens. Ce n’est donc qu’en s’unissant dans la bataille que notre secteur se rendra audible. Concernant les perspectives… il y a eu des périodes, dans l’histoire politique française, où la culture tenait une place importante. Ce n’est plus le cas d’aucune des missions de service public de l’État, dont la culture fait pourtant partie. Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban dans L'Oeil d'Olivier
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Le spectateur de Belleville
April 4, 2024 6:35 PM
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Par Olivier Milot dans Télérama - 4 avril 2024 INFO TÉLÉRAMA – Sous pression de Bercy, le ministère de la Culture est contraint d’effectuer 28 millions d’euros de réduction de subventions. L’Opéra et la Comédie-Française sont les plus touchés. Le couperet est tombé. Les grandes institutions culturelles qui doivent mettre la main à la poche pour financer en partie les 96 millions d’euros de baisse de crédits du ministère de la Culture dans le secteur du spectacle vivant savent désormais à quoi s’en tenir. Le plus touché est l’Opéra de Paris qui voit sa subvention réduite de six millions d’euros. Sans doute pour le récompenser d’avoir dégagé pour la première fois depuis six ans un bénéfice en 2023 (2,3 millions d’euros). « C’est une nette amélioration mais cette performance ne pourra pas être reproduite tous les ans », avait pourtant prévenu son directeur général Alexander Neef. La Comédie-Française est elle aussi lourdement ponctionnée puisqu’elle perd cinq millions d’euros sur une subvention de 25,5 millions. Un coup dur pour la prestigieuse institution qui ne dispose après paiement de ses coûts fixes (salaires, énergie…) que d’une marge artistique de deux millions d’euros. « Comme la Comédie-Française marche bien, qu’elle a un taux de fréquentation moyen de près de 95 % sur les quelque 900 représentations qu’elle donne chaque année, on a l’impression qu’elle est riche, ce n’est pas vrai du tout, s’agace Éric Ruf. Il faut en permanence faire un effort considérable pour arriver à équilibrer les comptes. Avec cette baisse de subvention, on a l’impression d’être complètement fragilisé. » Réserve de précaution D’autres établissements sont également touchés à des degrés divers : la Villa Médicis à Rome et la Manufacture de Sèvres pour un montant d’un million d’euros, le Théâtre de la Colline et le Théâtre national de la danse de Chaillot (500 000 euros), la Philharmonie (250 000 euros de crédit d’investissement). D’autres encore. Selon nos informations, la plupart des ces établissements ne verraient également pas la dernière tranche de leur subvention « dégelée » cette année. Cette « réserve de précaution » est généralement débloquée à l’automne et représente des montants non négligeables à l’échelle de certains lieux : 500 000 euros pour la Comédie-Française, 300 000 pour le Théâtre national de la Danse et 230 000 euros pour Le Théâtre de la Colline. « Au total, c’est une perte de 730 000 euros, soit un peu près la moitié de notre capacité de programmation », déplore son secrétaire général Arnaud Antolinos. À lire aussi : Rachida Dati envisage de “fermer certaines écoles” d’art en France « C’est beaucoup, confirme en écho Rachid Ouramdane, le directeur de Chaillot. Nous travaillons tous à plus d’élargissement et plus d’ouverture, notamment en direction des territoires fragilisés, explique-t-il. Une institution comme la nôtre dispose certes d’un ancrage parisien mais elle rayonne sur l’ensemble du territoire. Quand on touche à Chaillot, on touche un écosystème qui va bien au-delà du périmètre de nos murs. Et, c’est cela qu’on met en péril quand on baisse notre subvention. C’est incompréhensible, surtout dans le moment de tension sociale extrême que nous vivons. » Ces baisses de subventions qui n’ont pas encore été notifiées officiellement aux directions des établissements culturels, représentent en cumulé 28 millions d’euros. Pour le reste, le ministère de la Culture a, comme il l’avait annoncé, abondamment puisé dans sa réserve de précaution (47 millions d’euros), une enveloppe de crédits gelée en début d’année pour faire face aux aléas survenant en cours de gestion. Il a également utilisé ce qu’on appelle des « décrets de virement », un mécanisme qui permet de redéployer des crédits entre les différents programmes du ministère. Il est ainsi allé chercher sept millions d’euros dans le programme « livre » et sept autres dans celui dit des « industries créatives ». Ce mécano fait de baisses de subventions et de mesures techniques qui auront néanmoins un impact pour ces deux secteurs touchés, permet au ministère de la Culture « de ne pas enlever un euro au spectacle vivant en région » comme il s’y était engagé. Promesse tenue donc, du moins pour l’instant. Tant que tous les théâtres, les centres chorégraphiques, les salles de spectacles labellisées par le ministère n’auront pas touché l’intégralité de leur subvention, la prudence reste de mise. D’autant que de nouvelles coupes budgétaires sont à prévoir dans le projet de loi de finances rectificative qui s’annonce pour le mois de juin. De même si le ministère a promis à tous les responsables des établissements culturels qui voient leur subvention baisser cette année qu’il n’en ira pas de même en 2025, beaucoup se montrent circonspects sur une promesse qui n’engage que ceux qui la donne. Olivier Milot / Télérama Légende photo : La Comédie-Française perd cinq millions d’euros sur une subvention de 25,5 millions. Photo Vincent Loison/1h23 ----------------------------------------------------- par Ève Beauvallet A la suite de l’annonce d’une baisse de crédits de 204,3 millions d’euros pour le ministère de la culture, les établissements nationaux, essentiellement situés à Paris, voient leur budget 2024 amputé, de façon à réduire la casse ailleurs. Une décision qui affectera par ricochet les artistes indépendants. Depuis le décret d’annonce par Matignon et le ministère de l’Economie, fin février, de coupes historiques dans le budget de la Culture, à ventiler sur les programmes «création» (96 millions d’euros) et «patrimoine» (99,5 millions), une question planait comme une épée de Damoclès : quoi sacrifier ? Collée au pied du mur sitôt arrivée rue de Valois, la ministre Rachida Dati serait, dit-on dans son entourage, particulièrement échaudée de l’absence de concertation préalable et du fléchage imposé dans les coupes à opérer (le controversé Pass culture, lui, est entièrement préservé). En mars, la voici qui tentait cependant de rassurer un secteur qui, loin d’avoir rejeté en bloc sa nomination, avait au contraire placé en elle maints espoirs de victoire dans le jeu de bras de fer avec Bercy. Disant prendre au sérieux le degré d’asphyxie du secteur du spectacle vivant notamment, confronté à la hausse des coûts de fonctionnement de ses établissements, le ministère certifiait : «Pas un euro ne sera pris sur les crédits des réseaux et labels du spectacle vivant en région.» Traduction : c’est essentiellement aux structures parisiennes sous tutelle directe de l’Etat qu’un effort de «solidarité» sera, entre autres, imposé. Le reste des sommes à trouver sera notamment prélevé dans la réserve de précaution dont dispose chaque ministère pour faire face à l’«imprévu». Privilégier les «valeurs sûres» La logique est compréhensible : l’Etat ponctionne dans les établissements qu’il finance seul, pas dans ses «labels» déployés sur l’ensemble du territoire (scènes nationales, centres dramatiques nationaux, qui reposent sur l’association des collectivités locales). A quelques semaines du lancement d’assises nationales dévolues à la culture en ruralité, l’opération permet en outre, par ricochet, de conserver un semblant de cohérence. Ainsi, plusieurs navires amiraux de la capitale apprenaient-ils ces jours derniers l’ampleur exacte de l’amputation dans leur budget 2024 : 6 millions de crédits en moins pour l’Opéra de Paris, 5 millions pour la Comédie-Française, 3 millions pour le musée du Louvre, 1 million pour l’Académie de France à Rome, ou encore 500 000 euros pour le théâtre national de la Colline ou Chaillot, le théâtre national de la danse. Des coups de sabre que le ministère dit «soutenables», sans «conséquences opérationnelles» sur les projets en cours, pour des structures comme l’Opéra de Paris notamment, enfin redevenu bénéficiaire après plusieurs années noires. De quoi préserver les petits au détriment des grands ? Ce serait méconnaître le fonctionnement de la chaîne de fabrication. Mercredi 3 avril, invité de la matinale de France Inter, Wajdi Mouawad, directeur du théâtre de la Colline où il vient d’être reconduit pour un nouveau mandat, faisait exercice de pédagogie. Lorsqu’une baisse budgétaire est actée, ce n’est pas dans la plomberie, dans l’électricité, dans les emplois ou autres frais fixes qu’un théâtre peut couper, «c’est dans les artistes». Alors combien d’artistes indépendants seront touchés en bout de chaîne ? Le directeur adjoint du théâtre de la Colline, Arnaud Antolinos, dit en tout cas devoir refuser «bien plus qu’[il] ne le faisai[t] d’habitude» les sollicitations des compagnies «qui trouvent de moins en moins de lieux de diffusion». Une précision sur le montant de l’«effort» demandé, ajoute-t-il : «C’est 500 000 [euros], plus la réserve budgétaire, donc 730 000. Le seul levier qu’il nous reste au mois d’avril, dans l’urgence, c’est la programmation de l’automne 2024.» Cet hiver, l’Odéon, théâtre national de l’Europe, avait communiqué sur le fait que la totalité de sa subvention (13 millions d’euros environ) ne servait plus qu’au fonctionnement de l’établissement, et que rien ne restait pour la mission censée être la sienne : produire et montrer des œuvres d’art. La situation sera la même pour la Colline fin 2025 si la coupe est réitérée l’an prochain. A moins d’attendre de la billetterie qu’elle ne parvienne à couvrir l’entièreté des frais de programmation – ce qui ne peut être le cas qu’au prix d’un renoncement à une mission de service public. Les structures touchées seront donc contraintes, lorsqu’elles disposent d’un répertoire, d’augmenter les reprises d’anciennes pièces (dont la production n’a pas à être refinancée) pour pallier la diminution du volume des créations, de réduire drastiquement l’accueil aux artistes émergents, mais aussi la prise de risque artistique pour privilégier les «valeurs sûres» qui rempliront les salles. Disette non argumentée par Bercy Si les coupes se pérennisent, expliquent les acteurs concernés, les solutions à trouver devront être structurelles. Cela signifie : plan social, audit des dépenses, révision de l’activité, réduction du coût de fonctionnement. Est-il si exorbitant dans ces grosses maisons ? Ce serait oublier qu’en leur sein travaillent au quotidien des équipes de techniciens œuvrant pour une multitude d’artistes non programmés mais accueillis dans des salles de répétitions, de concepteurs de décors, de chargés d’actions culturelles dans les écoles, les hôpitaux, les prisons. «Bien sûr, on pourrait se transformer en autre chose, mais auquel cas, on ne répondrait plus à une politique culturelle d’Etat», poursuit Arnaud Antolinos. Ces annonces interviennent alors que deux programmes du ministère ont déjà été lancés en 2024. Nombre d’acteurs s’interrogent donc sur les crédits qui seront exactement alloués à ce «Printemps de la ruralité» voulu par Rachida Dati en faveur d’une nouvelle étape de la décentralisation, mais aussi au plan «Mieux produire, mieux diffuser», lancé pour enrayer un effet pervers diagnostiqué depuis vingt ans : une inflation d’œuvres qui peinent à jouer plus de quatre fois. A l’approche des festivals d’été, le milieu de la culture n’entend pas se satisfaire de cette disette pour l’instant non argumentée par Bercy. D’autant que le secteur apprenait que les crédits exceptionnels dont il avait bénéficié ces cinq dernières années avaient été fort mal utilisés, si l’on en croit un rapport cinglant de la Cour des comptes publié le 20 mars, attribuant en partie le naufrage à une fâcheuse tendance de Matignon à court-circuiter le ministère de la Culture. Eve Beauvallet / Libération
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