En 2020, deux anciens managers du groupe La Poste décident de créer « Les Autrement Dit ». But de la structure, accompagner des managers par le biais de solutions ludiques. Le premier outil développé dans cet esprit concernait l’entretien professionnel : « Kiparle de Demain », pensé comme un parcours ludique entre manager et collaborateur Puis sont venus d’autres jeux à destination des entreprises, en fonction de leurs besoins en termes de gestion de projet, gestion de conflits. La structure a aussi abordé le monde de l’éducation, initialement à la demande d’un lycée poitevin pour préparer des étudiants de BTS à leur entretien de recrutement en stage ou en premier emploi.
C’est avec les équipes de Sciences Po Poitiers, que « Les Autrement Dit » ont imaginé un projet sur l’engagement citoyen. A l’origine, il s’agissait d’accompagner les étudiants dans leur parcours civique de 3 ans, pendant lequel ils sont censés mener un projet citoyen en s’engageant auprès de structures diverses. Son nom, « Kisengage », pensé comme un produit hybride, à la fois jeu de société et application numérique, afin de toucher tous les publics.
« Ce qui était intéressant, c'était de révéler l'engagement citoyen avec des jeux collaboratifs en mode physique, » explique Manuel Duperthuis, co-dirigeant. « Donc un jeu de plateau avec des cartes, et une application numérique pour effectuer un suivi du parcours d'engagement citoyen pendant leurs 3 ans. Elle permet de visualiser la progression de chaque utilisateur, ses connaissances des différentes thématiques citoyennes grâce à des quiz, des échanges en communauté, des propositions d'articles. »
Privilégier les échanges entre joueurs
La volonté de départ était que les joueurs échangent sur des thématiques aussi diverses que l'environnement, le droit du vivant, la sexualité, la lutte contre l'exclusion, la liberté et la justice, ou encore la démocratie, la coopération, l'éducation, les médias. « Kisengage, c'est avant tout une méthodologie, par la mise en place d'outils ludiques. Son principe est de pousser les participants à endosser des rôles différents, même si leur opinion est à l’inverse de celle qu’on leur demande de défendre. On voulait vraiment créer un jeu d'échange des visions de chacun et on voulait créer une application pour qu’ils suivent leur parcours personnel sur ces différents sujets. Le travail de conception a été mené à l’origine avec un groupe pilote d'étudiants de Sciences Po pour déterminer les thématiques pertinentes, parce que « l'engagement citoyen » reste une notion un peu vague. »
Le jeu se déroule en plusieurs phases, à commencer par une première réflexion sur les thématiques. Les participants sont invités à en choisir une, ou la tirer au hasard, y réfléchir collectivement, chacun faisant part de sa perception. La phase suivante est consacrée à la conception du discours, ainsi qu’au débat. C’est l’occasion d’aborder les fake news, apprendre à identifier les mauvaises informations ou celles qui ne sont pas forcément vérifiées. Une autre est consacrée à l'évolution des thématiques dans le temps, une sorte de frise chronologique dans laquelle il faut replacer telle loi ou événement, les replacer dans leur contexte et en comprendre la progression.
L’accès à l’application est individuel. L’utilisateur avance au fur et à mesure de ses réponses à différents quiz. Il déverrouille progressivement les étapes les unes à la suite des autres. A terme, cet outil permettra d’organiser des moments de jeu à distance avec d’autres joueurs. Il inclut les règles des différents jeux physiques, afin que les utilisateurs soient le plus autonomes possible. « Dans nos jeux, on se rend compte que si on laisse une plus grosse place à l'autonomie, les échanges se font plus facilement. Dès qu'un référent est présent, c'est un peu plus compliqué à d’obtenir de la matière. »
« Nous essayons d’élaborer des règles du jeu accessibles, sinon on prend le risque de perdre beaucoup de monde. Ce qui est intéressant, c’est de réfléchir autrement par rapport à ces grandes thématiques citoyennes, d’aboutir à des prises de conscience et de croiser les différentes visions. Quel que soient les utilisateurs, on peut leur faire prendre conscience qu’un sujet de société n’est pas juste pompeux et descendant, qu’ils peuvent aussi agir dessus. »
Si le jeu a été initialement développé avec des étudiants en Sciences Po, il est utilisable avec n'importe quel public. Il a été proposé à différentes structures comme les missions locales, les maisons de quartier, qui ont besoin de donner un peu de sens à la question de l'engagement citoyen, qui ne peut se résumer à quelques cours d'instruction civique, mais qui concerne la vie de tous les jours. L’outil est assez souple pour faire du sur-mesure par rapport aux besoins d'un partenaire.
La pratique au-delà de la théorie
« Une fois que l’on intègre une structure pour faire son parcours civique, la théorie ne suffit pas. C’est la mise en pratique, la mise en action via le jeu, qui fait que les joueurs vont se révéler. On organise des sessions d'une heure à une demi-journée. Plus, ce serait trop long, et c'est compliqué à mette en place pour les structures. Les phases de jeu peuvent se faire en 1 heure, on peut les interrompre et les reprendre pendant une autre séance, organiser une autre phase la semaine d’après. Les animateurs ne sont pas bloqués par rapport à un atelier. »
L’accompagnateur, l'encadrant ou le professeur joue un rôle d'impulsion et de suivi, qui est assez différent de sa posture habituelle. Il ne s’agit pas d'enseignement en tant que tel, il faut l’aborder plutôt comme un complément ludique de groupe en mode collaboratif. Dans les collèges et les lycées, les enseignants doivent consacrer du temps aux questions de citoyenneté. « Kisengage » leur propose de le faire par d’autres moyens que ceux dont ils disposent, de façon autonome puisqu’ils peuvent l’utiliser quand ils le veulent, en fonction de leur emploi du temps et de leur programme.
« De toute façon, ce qui est contraint ne fonctionne pas pour les professeurs, les élèves, les étudiants. Donc il faut proposer une solution à laquelle consacrer une heure ou plus, sur une telle ou telle thématique. Cette souplesse, dans notre réflexion initiale et dans notre cahier de charges, c'était obligatoire. »
La méthode a été testée fin 2021, avec des groupes pilotes d'étudiants, des associations étudiantes, des groupes d’élèves, des maisons de quartier. Le contenu existe, mais il n’est pas encore pleinement opérationnel. L’appel à projets régional "Expérimentations de solutions numériques innovantes" a permis de faire l'expérimentation. L'application est quasiment terminée, mais demande encore du travail en termes de développement, de serveurs, etc. « Après cette période d'expérimentation, nous sommes dans la phase de développement des contacts dans différentes autres structures, d’organisation des tests. Nous avons des points d'échange prévus avec quelques établissements scolaires, par exemple avec un collège de la région qui est intéressé pour la partie égalité fille garçon. »
« De fait il y a un grand phénomène en cours autour de l'engagement citoyen. On constate bien que l'engagement dans l'associatif est de plus en plus en perdition, alors qu'il y a des gros besoins. Notre enjeu c'est, comment faire prendre conscience de ces besoins grâce à notre approche ludique. »
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