Par Rue89 - Le décret autorisant les restaurateurs à afficher fièrement sur leur carte la mention fait maison entre en vigueur ce mardi. Inutile pour beaucoup, il est même trompeur pour certains.
Normalement, le consommateur devrait se réjouir. Enfin est sorti, dimanche, au Journal officiel, le décret visant à pousser les restaurants à indiquer si leurs plats sont « faits maison » ou pas (lire ci-dessous). Dès mardi, les restaurateurs devront s’y conformer, en apposant un logo « fait maison » sur leur carte. Un progrès pour la transparence et, au delà, sur la qualité de l’alimentation ?
Et bien non, la situation promet d’être pire encore. Le logo « fait maison » va embrouiller tous les esprits. Car les lobbies de l’agroalimentaire sont passés par là. Et à lire le texte de ce décret, un restaurant pourra afficher fièrement le logo « fait maison » tout en servant des plats à base de sauces en poudre, de viande hachée industrielle ou de poissons surgelés.
Cabillaud surgelé + carottes en sachets = fait maison
Le texte se propose de définir les conditions auxquelles un restaurateur pourra afficher le logo « fait maison » dans sa vitrine pour valoriser « les plats cuisinés entièrement sur place à partir de produits bruts ou de produits traditionnels de cuisine ». Jusque-là, tout va bien.
Ça se gâte dès le paragraphe II du second article : « Peuvent entrer dans la composition d’un plat “fait maison” les produits qui ont été réceptionnés par le professionnel : épluchés, à l’exception des pommes de terre, pelés, tranchés, coupés, découpés, hachés, nettoyés, désossés, dépouillés, décortiqués, taillés, moulus ou broyés ; fumés, salés ; réfrigérés, congelés, surgelés, conditionnés sous vide. » Vous avez bien lu. Donc, si vous « réceptionnez » du cabillaud surgelé, que vous le jetez dans un four avec quelques carottes sorties d’un sac plastique déjà épluchées et coupées, vous cuisinez « maison ».
Même les sauces peuvent être faites ailleurs
Le paragraphe III tient les promesses du grand n’importe quoi esquissé dans le paragraphe II : il énumère la liste des produits tolérés dans le « fait maison ». Pour certains, on peut comprendre : un restaurateur, pour pouvoir mettre le logo « fait maison », n’est pas obligé de faire son propre fromage, son propre pain, etc. Mais à lire le décret, il ne doit pas non plus faire sa pâte feuilletée. Il peut, à l’exception des terrines et des pâtés, acheter sa charcuterie. Il peut même, « sous réserve d’en informer par écrit le consommateur », se procurer ses « fonds blancs, bruns et fumets » : ses sauces.
« Informer par écrit le consommateur », cela signifie, concrètement mettre une note, une toute petite note de rien du tout, en bas de page de sa carte, la même carte qui claironnera, en haut, « FAIT MAISON ». On imagine le touriste japonais, le dictionnaire à la main, déchiffrer une petite note :« Nos fonds blancs sont réceptionnés auprès d’un fournisseur extérieur. »
Mieux : l’article suivant précise qu’un plat composé d’un produit qui ne serait pas fait sur place« peut être présenté comme “fait maison” dès lors que la marque du produit ou le nom du professionnel qui l’a fabriqué est expressément indiqué ». Autrement dit, vous pouvez présenter comme du « fait maison » ce qui n’est pas « fait maison », à condition de préciser que c’est fait ailleurs. Va comprendre, Charles.
Un trublion met les pieds dans le plat
Xavier Denamur, restaurateur, qui se bat depuis des années pour la transparence dans nos assiettes, fulmine : « Pourquoi s’escrime-t-on à servir des produits bruts et frais s’ils sont mis au même niveau que des produits bruts sortis des usines ? » Ce décret, au lieu de répondre à une question simple – « Que mange-t-on réellement au restaurant ? » – ajoute du flou au flou et devrait selon lui aboutir aux effets inverses des objectifs fixés : « On se fiche du consommateur. Aucune étude d’impact n’a été réalisée en amont, tout se négocie en coulisses comme sous Nicolas Sarkozy. » Il appelle les restaurateurs à « dire non à ce fake maison ». Le chantre du produit frais n’apposera pas le logo sur ses restaurants : « Je ne veux pas qu’on confonde mes restaurants avec ceux qui servent du surgelé. » (Une position qu’il annonçait déjà en janvier à Terra eco)
Mais à part ce trublion, tout le monde a l’air ravi. Le décret vise « un juste équilibre entre la valorisation de nos métiers et le désir de transparence des clients », se félicite ainsi le groupement national des indépendants, organisation professionnelle du secteur qui représente 26 000 restaurants. Juste équilibre, cela signifie : un peu de transparence, mais pas trop quand même, merci.
Via L B-M