Le devoir de vigilance européen fait un bond en avant. Les eurodéputés ont voté avec une large majorité la directive qui contraint les multinationales à respecter les droits humains et environnementaux sur l'ensemble de leur chaîne d'approvisionnement. Si le Conseil européen et la Commission doivent encore se prononcer, le signal est fort.

Une grande étape vers la création d’un devoir de vigilance européen vient d’être franchie. Les députés européens ont adopté avec une large majorité, le projet de directive qui doit imposer aux grandes entreprises d’assurer le respect des droits humains et sociaux, mais aussi des engagements climatiques, sur toute leur chaîne de valeur. En France, la loi sur le devoir de vigilance avait été adoptée en 2017, suite à l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, un immeuble abritant des ateliers de confection pour les groupes textiles occidentaux.
"Il s’agit d’une avancée majeure pour l’accès à la justice des ouvrières et des ouvriers sur toute la planète, se réjouit Pascal Durand, eurodéputé du groupe Socialistes et démocrates, auprès de Novethic. "Le scope du texte prend en compte toute la chaîne de valeur, il fixe des obligations de réparation des dommages, inscrit la responsabilité civile des entreprises avec des sanctions, etc. Tous les éléments sont réunis", affirme le député.

Les victimes pourront agir en justice


Le texte adopté par les parlementaires concerne les entreprises européennes ou non de plus de 250 salariés, plus de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires en Europe et 150 millions à l’international. Ces entreprises devront s’assurer du respect des droits sociaux et environnementaux aussi bien dans leurs filiales, que chez leurs sous-traitants et partenaires commerciaux. Il instaure surtout un droit d’accès à la justice aux victimes de dommages causés dans la chaîne de valeur de ces entreprises. Le projet de directive crée ainsi un droit d’information pour les victimes et leur permet de se faire représenter par des associations, comme des ONG ou des syndicats. Les entreprises feront face à des amendes pouvant s’élever à 5% de leur chiffre d’affaires.
"C’est une révolution juridique car on s’attaque à une faille dans le système juridique européen", explique Manon Aubry, eurodéputée groupe Gauche unitaire. Elle fait le parallèle avec la récente condamnation de Meta (Facebook, Instagram, etc.) à une amende de plus de 1,2 milliard d’euros par le régulateur irlandais en raison de sa gestion des données personnelles. "Le droit européen protège mieux les données que les droits humains, puisqu’aucune condamnation n’a jamais eu lieu pour cela", souligne l’eurodéputée.

Un lobbying intense


Le texte apparaît ainsi plus ambitieux que la loi française, qui n’a pour l’instant provoqué aucune condamnation. Il entraîne une réaction d’autant plus virulente de la part des organisations professionnelles. "Je n’ai jamais vu un lobbying aussi important contre une directive !", affirme Manon Aubry. La pression réalisée par les industriels a notamment été relayée par le Parti populaire européen (PPE) qui a déposé de nombreux amendements pour réduire la portée du texte. Presque tous ont cependant été rejetés par les eurodéputés, hormis l’un d’entre eux visant à supprimer la responsabilité personnelle des administrateurs des entreprises.
Le texte voté par le Parlement n’est toutefois pas encore définitif. Il s’agit pour l’instant d’une position commune des eurodéputés sur la directive, qui servira de base au dialogue sur le texte définitif avec la Commission et le Conseil européen. Or les positions de la Commission et du Conseil sont loin d’être alignées avec celles du Parlement. Le Conseil européen, qui représente les chefs des États membres, avait retiré les établissements financiers du champ d’application de la directive, tandis que les députés les ont réintégrés. La Commission a quant à elle une position moins contraignante sur le droit d’accès à la justice des victimes. Le trilogue doit débuter la semaine prochaine pour adopter un compromis. Celui-ci devrait aboutir pendant la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne à partir du 1er juillet 2023.
Arnaud Dumas

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